20 avril 1997

Disponible à tout instant

Je sais que c’est très dur de se sentir désemparé, sentir que tout qu’on fait s’effiloche, tombe, de plus en plus en dépression. Mais vivre à côté de quelqu’un à qui cela arrive est aussi très dur, très éprouvant, très fatigant.

Je ne suis plus capable de faire quelque chose complètement; je dois être là, disponible à tout instant, prêt à courir à son appel de secours, cri d’alarme. Être là quand il le veut, quand il en a un besoin urgent, fort, m’effacer ensuite, le laisser se plonger dans une activité l’accaparant.

« Vais-je au docteur ou non? Pourquoi faire? A quoi sert tout ça, je vais chez le docteur, je ne pourrais aller à mon cours d’orgue, je ne pourrais être, participer le 1e juin au concert.»

Une autre fois :

Aller à Toulouse ? Cela empêchera mon concert.

Viens alors près de moi. J’irai avant, suis-moi.

Non, ceci ne lui convient non plus.

Je t’aiderai, vient ! avait-il déclaré il y a une demi-heure. Bien, terminons les deux pages restants.

Il est français, il sait bien s’exprimer. Pas moi. Il promet de m’aider, puis fait autre chose. Il est trop troublé pour m’aider. Je dois toujours attendre, céder, renoncer.

Quelquefois, j’en ai marre.

Toujours l’autre, plus faible, toujours l’autre a besoin de l’aide.

Je ne suis pas faible. Je suis incapable. Incapable d’une bonne traduction toute seule. Moi aussi, j’ai besoin de l’aide. Il est pourtant une bonne personne, pourquoi dois–je tellement quémander, demander, tellement attendre. Attendre chaque fois si longtemps pour la moindre aide ou conseil.

Moi aussi, j’ai envie quelquefois de hurler, de pleurer d’impuissance. Je peux me contenter d’un peu de place, d’un peu de temps, divisé en morceaux, pris quand il est préoccupé d’autre chose. Comme maintenant. Il joue de l’orgue, merveilleusement. Que de talents! Je n’ai que peu de talents, même eux contrariés par la vie. Je suis plus contente de ce que j’ai, François voudrait toujours davantage, voudrait autre chose. Si quelque chose ne lui réussi pas, il dit « tout s’effiloche ». Pourtant, il sait aussi être persistant, il travaille depuis deux semaines sur le programme C de Lionel, enfin ça marche. De nouveau, désespoir. Que faire? Écrire ne l’absorbe pas, il a peur d’écrire, il a peur de combien j’écris.

Pourquoi s’est-il mis à m’aider, à démontrer comment transcrire ce que j’avais écrit de mieux? J’étais contente, en ma médiocrité. Il m’a démontré comment on peut, pourrait beaucoup l’améliorer. On a fait ensemble, le sixième. Je ne désespère pas, je le pourrais pourtant. Je garde mon optimisme. Malgré tout. Mais François, ses désespoirs, l’effort mis à l’en sortir, à l’aider, à lui rendre courage, me fatigue, m’épuise énormément. C’est formidable, un bon mari, vous aimant, c’est dur de vivre à côté d’un dépressif quand même.

Hanna m’a dit «sors plus souvent.» Que ça soit une fête quand tu es là, présent. Est-ce bien maintenant? Où dois-je encore attendre qu’il se sente mieux? Qu’il soit sorti du trou? Que c’est mieux?

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