Le secrétaire baroque

L’objet qui me sourit sitôt j’entre dans l’appartement est mon secrétaire baroque. Baroque ? Il date de Marie Thérèse d’Autriche, au moins, du temps quand mon arrière grand-mère n’était pas née encore.

L’impératrice avait beaucoup d’enfants et les aimait chaleureusement. Elle s’occupait beaucoup de leur éducation. L enfant grandissant, à un moment donné, leur percepteur ne servait plus mais gênait, rappelant aux enfants leur enfance. Le percepteur vieillissant fut renvoyé, mais avec la grâce et élégance de la cour d’ailleurs. On lui trouva un nouveau charge, chez un gentilhomme fournisseur de l’empereur qui avait refusé d’être anobli et on le déménagea en lui laissant emporter avec lui tout le mobilier des trois pièces qu’il avait pendant qu’il avait habité au palais.

Le gentilhomme campagnard avait huit garçons et six filles, distancés d’âge d’un de l’autre. La plus grande fille eut sa fille en même temps que sa mère eut sa dernière, la plus petite. L’instituteur enseignait les garçons qui grandirent à leur tour, il devint de plus en plus vieux. Une petite fille, la dernière, curieuse et gentille, vint le visiter souvent, elle était assoiffée de savoir, émerveillée par la sagesse de vieil percepteur qu’on laissa vivre dans le domaine jusqu’à la fin de ses jours. Il aima tellement cette petite fille volontaire, gentille et intelligente, qu’en mourant, il lui légua tout le mobilier, les seuls biens qui lui restèrent encore.

En se mariant, dix ans plus tard, Paula prit avec elle les meubles.

Vite, une après les autres, son mari lui fit sept enfants, puis mourut. La plus grand de ses enfants, l’unique fille restant vivant eu trois enfants que Paula aimait et gâtait à son tour. Elle habitait longtemps avec sa fille Sidonie. L’aînée de sa fille, Katinka était intelligente et chaude, mais fort sensible, elle se maria contre la volonté de ses parents. Sa grand-mère Paula lui donna en cadeau de mariage deux de ses secrétaires antiques que Katinka donna elle même à sa fille (moi) quand elle eut 25 ans.

Mon père voulut le vendre après la morte de maman et notre départ vers l’étranger. Pour récupérer un de ses secrétaires que j’ai réussi à retrouver il a fallu que je paye l’argent équivalent aux frais des études universitaires de ma fille. C’était beaucoup pour moi à l’époque. Valait-il la peine ?

En le regardant me sourire, toute la famille me sourit et le conseil que donna à Paula son vieil instituteur me revient : « De tout mauvais qui vous arrive, quelque chose de bon peut en sortir ! »

Deuxième récit : lequel croyez-vous vrai ?

Un beau buffet secrétaire me souris dès le matin vis-à-vis de mon lit. En bois rond, à la manière chinoise. C’est mon plus beau meuble, la première que je me suis achetée avec mes économies faites de mon travail. Ce beau meuble est lié dans mon esprit avec ma liberté, les premiers jours après ma décision de divorcer.

J’étais mariée quinze ans et je ne m’imaginais pas que je pourrais jamais vivre seule. Mon mari me trompa, me frappa, se moqua de moi et vers la fin, il fit des plans de futur avec une jeune, fiancée d’ailleurs au fils de sa cousine. Ceci me décida.

J’étais résolu de vivre seule dorénavant, puisque mon mari avait réussi à me faire croire que personne ne voudrait plus de moi. À quarante-cinq ans, avec dix kilos de trop, un large signe d’opération sur mon ventre, je me sentais avilie, vieillie, finie comme femme. Malgré tout, je ne supportais plus rester près de quelqu’un pour qui j’étais moins de rien, qui faisait de plans d’avenir avec une femme de moitié son âge. J’avais forte peur de lui et redoutais qu’il ne prenne mes enfants, mais j’avais heureusement trouvé un bon avocat.

Quelques jours, non, des mois, j’ai pleuré, pleuré, puis je me suis mise à découvrir Paris près du quelle j’habitais. Un jour, je suis entrée dans une boutique de meubles antiques vis-à-vis de Louvre. Mon cœur battit comme peut seulement lors d’un premier coup de foudre. J’ai eu l’impression que ce meuble me rapportera ma jeunesse, me rendait mes rêves d’antan. Je m’approchai, doucement, pour ne pas l’effaroucher, mais déjà, de loin, il me sourit, me rassurant.

Je ne te quitterai pas, je ne te tromperai pas, sur moi tu pourrais compter.

Dix détails inattendus de votre salon

  1. Un orgue électronique
  2. Une valise noire
  3. Une serviette de bains
  4. Une pile d’anciens journaux
  5. Deux ordinateurs, dont un portable
  6. Cinq étagères de livres
  7. Un fauteuil rempli de revus et cartons
  8. Un fauteuil rempli de vêtements
  9. Une seule chaise, au-dessus de journaux récents
  10. Un buffet antique presque caché, coincé entre le mur et l’orgue.

Un salon en désordre, vraiment trop rempli.

Il joue de l’orgue.

Assis, sur la moitié du sofa double, le seul emplacement libre de salon, je l’écoute distraitement. J’écris.

« Écrire une scène en utilisant un ou autre de ses objets et qu’il a impact sur ce qui arrivera ? »

L’orgue a-t-il changé « sa vie » ou la mienne ? Un cadeau pas si altruiste finalement… La valise noire : nous revenons de chez Stéphanie et le porterons à Celle.

Faisons un peu d’ordre ! s’il te plait François, non, ce n’est pas la peine de lui demander. C’est sans d’espoir. Si je les jetterai ses anciens journaux, qu’arrivera-t-il en notre ménage?

Un des Macintosh (le LC) pourrait-il changer la vie de quelqu’un si on lui donne? L’autre est mon instrument de travail. Où le mettre ailleurs?

Changer l’habitude n’est pas si facile.

Réarranger les bibliothèques ? Lequel ? À qui ? Comment ?

Le fauteuil rempli. Tout qui est dessus, les jeter, les mettre ailleurs, mais où ? Le fauteuil rempli de vêtements est mal placé, pas agréable y être assis, il était devant la fenêtre dans la chambre avant que je ne sois pas seule dans cet appartement.

La chaise remplie de papiers récents. Déplacer le papier, le mettre au-dessus d’une autre pile déjà par terre et l’utiliser. Ne restera pas vide longtemps, François a l’horreur du « place net, surface libre ». Pourquoi?

Le buffet antique caché derrière l’orgue. J’ai donné. Il émerge un peu quand même. Je sais qu’il est là. Il permet me sentir dans un terrain familier. François joue à l’orgue comme autrefois maman jouait au piano. Maman me sourit à travers les reflets de lumière de buffet, ses rondeurs. La lumière de fenêtre et le petit lampadaire le rend encore plus chaud. La musique remplie aussi la pièce de chaleur.

Malgré tout ce bric-à-brac, je me sens bien, chaud. Je ne vois pas en fait, tout le reste.

« Où sont mes lunettes ? »

Elle lit, assis confortablement dans le fauteuil du salon, tout absorbée dans le récit.

-Je ne trouve pas mes lunettes ! s’écrie-il.

-Elle n’entend pas les paroles de son mari, alors celui-ci répète plus fort.

-Où peuvent être mes lunettes ?

-Lunettes ? Que dis-tu ?

-Cela fait une heure que je les cherche…

Elle le regarde.

-Une heure ? Il y a une heure, nous déjeunions.

-On ne trouve rien dans cette maison !

Elle soupire. Repose son livre.

-Veux-tu que je t’aide à les trouver ?

-Je veux que tu m’écoutes quand je te parle !

-J’étais absorbée dans…

-Justement.

-Tu lisais ton journal.

-Mais je t’écoute, moi, quand tu me parles.

-Je ne peux pas faire deux choses à la fois, moi.

- Alors, je compte pour des prunes ? Tu ne te soucies pas. Il vaut mieux que je parte.

Elle soupire.

-Tu veux que nous sortions ?

-Je te laisse à tes lectures…

-Je peux le finir ce soir.

-Ce soir ? Je croyais…

-C’est plus intéressant que la télé.

-Mais regarder ensemble…

-Nous sommes ensemble. Même quand je lis.

-Mais tu ne m’écoutes pas !

-Je ne t’avais pas entendu. Au début, au moins. Mais…

-À quoi bon alors d’être ensemble, de rester ensemble.

-Je croyais…

-Tu devrais savoir. Pas ‘croire’. Que vaut dire ‘croire’ !

Elle se lève, ferme son livre. S’approche. Il recule d’abord, puis l’enlace.

- Je crois pourtant, que tu m’aimes.

- Tu le crois ?

Un baiser.

- Tu devrais le savoir, dit-il.

- Je le sais. Je sais aussi où sont tes lunettes : sur tes cheveux.

Elle lui sourit.

- Oui, allons nous promener, il fait si beau. La pluie s’est arrêtée.

Il faut bien chaud chez nous aujourd’hui.

***

Celle qui s’en est sortie, a appris très tôt de compter sur elle même. S’en est-elle sortie bien ou mal, ceci est une autre histoire. Très grand bonheur, beaucoup de chagrins. Mais elle a vécu, pleinement. Elle s’en est sortie avec des blessures, des souvenirs qu’elle pourrait utiliser… si elle était capable.

De passion et de courage (text par qui?)

Ce qui est plus important pour devenir un auteur est la passion d’écrire, de communiquer sur papier. Un musicien communique à travers son instrument, piano, violon ou orgue, un acteur communique à travers son corps, tout comme un danseur, seulement en y ajoutant des mots, un ébéniste à travers le bois du meuble qu’il façonne, un conteur à travers ses paroles.

L’auteur n’a pas de l’audience devant ses yeux, il imagine quelqu’un à qui raconte, ou, comme dans un carnet intime, il le raconte à une autre partie de soi. Il tente de mettre sur papier le rêve, le bout du film joué dans son esprit. Avec passion.

Sans passion, l’écriture reste froide, lointaine. Tout comme la musique. La musique de débuts de François. Sans passion, il n’aura pas le courage de ses opinions, exprimer ce qu’il sent avec ses tripes. Sans passion, je n’aurais pas l’audace d’exposer, vous dire, ce que je crois qu’il faut pour faire un auteur. Sans passion, on s’arrêtera si on ne vous publie pas, au moindre refus, sans persister.

Il faut de passion pour avoir du courage.

Il faut de courage pour exprimer ses sentiments intimes, même sans masque.

Il faut aussi de courage pour recommencer à chaque fois montrer aux autres, entendre leurs opinions, réviser encore et de nouveau, tester des nouvelles voies, ne pas renoncer à écrire après plusieurs refus.

Si on veut gagner beaucoup d’argent, si on a besoin de pouvoir sur les autres, si on veut être célèbre, mieux vaut choisir une autre voie, une autre passion y conduira plus facilement. Il faut de passion pour s’exercer, persévérer.

D’autres temps, il faut un détachement pour réfléchir à l’impact de ses paroles, pour ciseler ce qu’on a déjà écrit. Il faut de la sagesse, de réflexion, pour être un bon auteur. Non seulement étudier les anciens textes et maîtres, mais comprendre leurs techniques et les raisons de différents choix. Comprendre l’âme humaine et secouer, mais donner courage.

Qui n’a pas vécu un bouleversement dans sa vie? Qui ne se sentira pas concerné? À travers monts et vallées, obstacles et épreuves, on arrive à un point où tout paraît perdu à jamais, où tous les fous espoirs paraissent disparaître. Un renversement, une sagesse apprise sur le chemin vient à l’aide et l’on sort heureux, vainqueur de l’épreuve. On a réussi à traverser, on est sortie à la lumière.

Avoir de courage et donner courage aux autres.

Leur donner un exemple de comment supporter les malheurs, les épreuves, leur donner au moins l’espoir qu’on peut un jour sortir à la lumière.



2007 je relis ce texte, trouvé quelque part, non ce n'est pas moi qui a écrit, mais je l'ai suivi à travers mes textes autant que j'ai pu.

23 février 2001

Aujourd’hui, au consulat américain avec François, je me suis rendu compte que mes deux mariages se sont fait à 30 ans de distance: 1960 et 1990. Trente ans après la première, je tremblais encore de peur que la même chose ne se reproduise pas. Combien certains heurts sont marqués fort dans notre mémoire. Dans mon journal d’alors presque rien n’apparait, ou si peu…
François est heureux quand je lui dis « Allons-y pour encore douze ans ! »

Nous n’avons pas seulement de bons moments, mais cette fois-ci, ce mariage, cette relation, tient. J’espère seulement qu’il sort pour un temps plus long cette fois ci de sa dépression. Être la compagne d’un malade nerveux, malheureux, sans vraiment qu’il sache pourquoi, est fort fatigant. J’espère qu’il trouvera enfin quelque chose qui le passionne, qui l’absorbe, qui remplit sa vie, qui lui convienne.

Ce soir, je suis fort fatiguée, épuisée à l’extrême, je te laisse donc, mon cher journal, mon ami à qui je peux toujours dire ce qui me pèse, ce qui m’enchante et de ce que je me rends compte.
***
J’ai passé hier après-midi avec Gabrielle, elle a neuf mois et demi. Elle est intéressée de tout, de tous. C’était une grande joie.

10 décembre 2000

Demain nous partons vers Washington : la nouvelle famille de mon fils (avec mon nouveau petit enfant) et moi. Un Noël et une fin d’année que je passerai donc avec mes cinq petit enfants et mes deux enfants. Je le dois à mon fils qui a compris combien j’étais triste que ce même voyage ait sabordé l’été dernier.

En revenant, me reposant, j’espère retrouver François en bon état, meilleur que ces derniers jours. J’espère que c’est seulement mon départ qui le rend fort irritable, extrêmement fatigant.

Heureusement, pas toujours.

1er novembre 2000

Il s’appelle David, en plus il a deux prénoms de ses grands pères, Alexandre et Claude. Avec David, le petit rusé, pour contrebalancer l’héritage qui pèse sur ces deux derniers. Et parce que, dit mon fils, c’était un roi juif qui a vécu et régné fort longtemps.

Il n’a plus qu’un quart de sang juif, tout comme les autres. Il aura le nom. Je prie dieu, le sort, qui que soit, pour que ce nom ne lui pèse pas trop.

David et Gabrielle. Alex, Thom et Henry, mes petits-enfants. Mais aussi, Nadia et Vincent, par alliance. Tous, de sangs mêlés, beau et sain. Grec, hongrois, juif, américain, hollandais, kabyle, français et ainsi de suite. Espoir pour le futur, pour leur vie. Amitié entre eux.

Depuis quelques semaines, je suis en deuil, je n’arrive pas à comprendre encore sur quoi. Je me cache en me plongeant dans des livres. De quoi?

Il s’appelle David !

20 septembre 2000

J’attends le coup de fil de mon fils : est-ce un garçon ou une fille? Son nom sera?

21 septembre 2000

J’ai un nouveau petit-fils! Il s’appelle David.

20 août 2000

On a enlevé ma voiture. Ce n’est pas une tragédie ! Je peux payer les 600 francs, ou le double.

Pourquoi tout ceci me bouleverse-t-il tant?

J’allais prendre ma voiture et j’en ai trouvé une autre à sa place. Quelqu’un a appelé et l’avait fait enlever 'pour me donner une leçon', pour s’y mettre à la place, pour me démontrer que je n’y suis pas 'à ma place'. Que je dérange. Ma voiture, ancienne, dérange. Je dérange.

Il y a trois à quatre jours, j’étais dans une place de parking: j’ai retrouvé ma voiture bougée ailleurs. Ouverte. Le harcèlement continue. Tous les autres harcèlements reviennent en mémoire et pèsent de leur poids. Pas les évènements, les sentiments qu’ils provoquent.

La non-appartenance. L’exclusion.

L’analyser, le comprendre, aide. Un peu.

La douleur près de mon cœur, à mon bras gauche se dissout, je respire mieux, même si elle ne disparaît pas. L’angoisse, la lourdeur, la douleur est trop profonde pour ne pas ressurgir, ne pas peser de mon inconscience sur mon corps. Comment dissocier? Je raisonne, mais ce ne suffit pas. Comment l’utiliser pour écrire une bonne pièce de fiction?

Marinella, par François

François vient me donner un poème qu’il avait écrit dans son adolescence.

« Marinella »

J’aime les hippocampes et les monstres marins,

Pieuvres tentaculaires ou gais poissons volants,

Chevauchant sur les flots aux lourds reflets d’airains,

D’invisibles coursiers aux naseaux écumants.

J’aime le cachalot et son regard taurin,

Le phoque pacifique et le poulpe gluant,

L’anémone de mer aux reflets purpurins,

La dentelle des algues et le corail sanglant.

Nageant dans l’aquarium le petit poisson rouge,

Bocal à cornichon, goutte de sang qui bouge,

Regrette amèrement les glauques profondeurs.

Fuyant l’humanité et ses discours trompeurs,

Au sein du grand silence hanté des salamandres,

Le poète descend, tout seul dans son scaphandre.

Qui suis-je ?

18 août 2000

Aujourd’hui à midi, j’ai pris Nadia et nous sommes allée au travail de Valérie. Nadia avait envie de déjeuner avec sa maman. Une dame de son travail est venu manger avec nous au restaurant chinois. Je me suis présentée, elle aussi, puis a ajouté « Je suis stagiaire. » Elle essayait d’apprendre qui je suis pour la petite, est-ce que je m’occupe d’elle tous les jours ?

Qui suis-je ? Sa grande mère ? Oui et non. Elle a déjà deux : la mère de Valérie qui m’évite et celle de son mari, celle-ci n’a jamais mis le pied en France. Je suis la grand-mère qui s’occupe le plus de Nadia. Qui suis-je ?

Grande mère par alliance.

Une nouvelle catégorie n’existant pas auparavant. Mon mari est le père de Valérie. J’aime ces petits comme si c’étaient les miens, ou presque. J’aide et je m’en occupe davantage.

Je suis aussi grand mère « vraie ». « À proximité ». Depuis un an, mon fils a une fille, ils n’habitent pas trop loin. « À distance. » Pour les trois petits vivant au-delà de l’océan que je voie seulement quelques semaines par an. Je suis davantage grand-mère de Nadia, même si elle m’appelle « Julie » que pour eux, tellement loin. Valérie est ma fille par alliance.

La vie est compliquée, mais les relations chaudes.

Valérie, fille par alliance, sait plus de moi que ma propre fille, vivant depuis trop longtemps loin. Nadia me connaît mieux et nous nous entendons davantage que les trois petits fort éloignés, non seulement par la distance, mais en éducation et culture.

C’est difficile quelquefois de mettre les êtres et choses en « boîte. »

Amélie, notre premier petit enfant « commune », ne l’est jamais devenue vraiment, son père, peut être même sa mère, ont refusé d’être ma fille, mon gendre. Ils en avaient assez de deux belles mères, mères et ne m’ont jamais permis de me sentir près d’elle. Avec de peine, j’ai déposé mes armes, puis Nadia est née.

Trois ans plus tard, Gabrielle. La semaine dernière, Nadia et Gabrielle se sont rencontrées. Elles sont cousines… par alliance.

Une nouvelle type de famille se forme.

13 août 2000

Dans la maison de campagne. Il tapote sur le Mac portable, elle lit. Elle se lève et tend la main vers la machine.

- Pas maintenant ! dit François. Il tient fermement l’ordinateur et regard sa femme avec défiance.

- J’ai besoin. Et puis…

- C’est à toi ?

Elle fait oui avec la tête. Recule d’un pas.

- Je te l’ai laissé assez aujourd’hui, maintenant…

- J’ai tellement avancé ! Mais justement, ça va tellement bien.

Elle sourit, heureuse. Le regard longuement, sans un mot.

- Bon, encore une heure. Trente minutes.

Elle se rassieds et recommence à lire. Plus tard, il arrachera les mauvaises herbes devant la maison. Elle pourrait alors travailler.

Happy end : est-ce possible ?

Comment la savoir, comment deviner ?

Une marche mène vers l’autre. Peut-on sauter des marches ? Peut-on éviter les marches glissantes ? Sales ? Pleins de boue ?

Quelquefois de loin, c’est eux qui semblaient les plus beaux, les plus attirants.

Dès le début, j’étais plus attiré par Paul que par François, il m’avait attiré comme un aimant fort et j’ai mis trois ans pour m’en débarrasser et des mois pour payer les dettes causées par lui, encore plus pour me pardonner l’aveuglement volontaire envers lui.

François m’avait impressionné dès le début, mais j’étais « brûlé » et je l’ai approché avec méfiance, j’ai modéré mes ardeurs de début. Au lieu de « pour toute la vie », je me disais « attend ! », puis « même trois beau mois, le vaut. » Je ne suis pas entré dans notre relation comme on plonge dans l’eau connue de la piscine, probablement à cause du Paul, je me méfiais. Il se méfiait aussi à cause de son expérience préalable. Nous avons vite identifié, compris la méfiance de l’autre et cela nous a rapproché finalement plus vite, plus profondément.

Je ne lui ai pas cédé aussi vite que j’avais envie et j’avais d’autres envies, finalement, je dois beaucoup plus à Paul que je croyais : il m’a permis de mettre lentement la base d’une relation profond, durable.

Aujourd’hui, douze ans après notre rencontre, François me dit :

- T’aime donc le bracelet que je t’ai offert. Et l’homme qui va avec ?

Oui. Il a des yeux bleus comme le bracelet, ça va bien avec.

Nous nous sourions, rions, aimons. Que de chose ne fallait pas pour y arriver ! Pouvoir rigoler dessus. Que de ponts nous avons dû passer, marécages à traverser, pour qu’au début de nos 3e âge, moi j’avais 53 et lui 57, nous nous retrouvons, nous nous reconnaissons familières, proches.

Nos bonnes expériences, mais les mauvaises davantage, ont aidé pour forger ce lien fort entre nous.

J’écris. Il joue de piano pas loin. L’autre côté du mur. Mais la porte est ouverte. La porte reste toujours ouverte.

***

- Est-ce que entre nous ça finit bien ?

- Souvent, dit-il, me souriant.

Il lève sa tête de son livre. Je passe, lui serre la main qu’il me tend. Il replonge dans son univers...

J’aime les histoires d’amour et quand ils finissent bien.

25 juillet 2000

Je sors fatiguée, épuisée de notre visite.

François, mécontent, me demande :

- Qu’as-tu ?

- Je suis fatiguée.

- Fatiguée de quoi ?

- Pas de la visite. Tout C’est bien passé. C’est moi.

- Qu’as-tu ?

- Le temps, le changement horaire, l’âge.

- Et alors ?

- François, je t’annonce une nouvelle : tu as une vieille femme. Dorénavant.

François s’arrête, interloqué. Il me regard. Je le regard.

- Nous ne sommes plus jeunes et je viens d’avoir 66 ans.

- C’est une bonne nouvelle ! dit-il et son visage s’illumine. C’est vraiment une bonne nouvelle !

J’éclate de rire en voyant combien il est joyeux. Et je me sens moins vieille.

8 juillet 2000

Revenu de Washington. Il faut maintenant analyser ses trois semaines vite passées. Non pas « faudrait », il le faut.

Henry aura trois ans dans un mois. Séducteur, sourire espiègle et chaud.

Au début en attente, puis il s’est de plus en plus rapproché de moi. D’abord, je me suis effrayé de par accès de fureur, puis j’ai appris à les couper dès le début, en l’écoutant et l’appréciant. En fait, comme François "Tu ne m’écoutes pas, tu ne me prends pas en sérieux ! » Vu l’âge, 70 et 3 ans, ils l’expriment peu différemment.

Il attaque. Souvent, parce qu’il veut jouer avec toi, il veut que tu sois avec lui. J’ai appris, et lui a appris qu’il n’a qu’à dire « Again » ou « Fini » et que moi aussi peux dire « Encore ou Non » pour qu’on fasse, chacun de nous, tant que l’autre veut et pas plus. En tout, j’ai eu un très bon contact avec lui, sauf pour le coucher. Là, j’ai finalement passé la main.

Thomas a eu cinq ans la semaine dernière. Le sérieux avec lequel il a choisi les livres dans la librairie, puis s’est assis sur une chaise, feuillet pour décider s’ils lui plaisent vraiment. Aussi très sérieusement, il me demande : « Combien d’argent tu as pour les livres ? » et la facilité avec laquelle il a reposé le livre sur lequel j’ai fait remarquer : « Celui-ci coûte comme trois autres. ». Finalement, on l’a remplacé effectivement par trois autres. En total cinq livres. Ensuite il a attendu avec patience que je me choisisse des livres sur l’écriture, sans se plaindre qu’il s’ennuie.

Le matin, Alexandre ne l’a pas laissé venir avec moi pour choisir des baguettes et muffins. En « représailles », le lendemain, je suis parti me promener avec Henry et Thomas. Alexandre s’était réfugié chez ses parents, dans la pièce où je n’avais pas le droit d’entrer. Pendant la promenade, Thomas, en grand frère raisonnable, disait à son petit frère de me tenir la main, il m’indiquait le chemin à suivre, par où il voulait se promener « Vers les bambous » et nous a attiré l’attention de marcher au bord pour laisser passer les bicyclettes et les coureurs. Nous avons fait une belle promenade.

Le contact avec Alexandre a été plus dur, vers la fin, il ne voulait même pas me parler. Il a même réussi me faire honte « Tu as pris le livre d’Henry, maman ! Elle a pris le petit livre, c’est à Henry ! »

Je me suis dit, qu’entre les centaines des livres qu’ils ont, ce petit « mes premiers mots », dépassées pour Henry qui a déjà trois ans, sera bien pour Gabrielle qui a un an et j’avais décidé de ne pas demander. Alexandre était là avec ses yeux pénétrants quand je faisais ma valise

-Ce n’est pas à toi ! C’est à Henry !

Il a appelé sa mère.

-Maman, elle ne peut pas prendre un livre qui n’est pas à elle. Le livre est caché.

Ils sont sortis. Je les ai suivis.

Si. C’était un trop petit livre et trop simple pour Henry »

C’est à lui !

J’ai sorti le livre, bouleversée et j’ai du jeter pêle-mêle tout le contenu de ma valise pou le retrouver. J’espérais que ma fille dirait « prends-le », à la place, j’ai entendu :

C’est à Henry. Je lui ai acheté, offert moi-même, d’un ton accusateur.

Je pourrais utiliser cette honte, embrassement qui m’avait envahi dans un récit, une scène. La révolte aussi qui a suivi, presque de la haine. Je ne me sentais pas « vilaine », les Vilaines étaient eux. Je ne me sentais pas coupable, ils me le faisaient sentir tel, sale. Comme si c’était un crime. Une criminelle prise sur le fait.

Et le mari de ma fille ? Poli, patient, manipulant de loin. Mentant. Agnès : « Je suis obèse, pas grosse ». Elle l’est devenu, presque. Pourquoi ? Elle se fatigue, trop. Il a un merveilleux contact avec ses trois fils et ils ne le fatiguent pas, lui. Elle se sent dépassée. Je n’ai pas vu non plus le bonheur d’avant, pourtant entre eux le contact est bon. Apparent ? J’espère, réel.

La tasse qui me plaisait tant, je l’ai pris en la demandant.

« Oui. » dit ma fille.

Peu après, elle me dit : « Ne demande pas à ton fils s’il veut te donner le tee-shirt, puisque alors il sera obligé de te l’offrir. » Après une pause, elle ajoute « De toute façon, t’aime pas le violet. » C’est vrai. Mais cela a taché le plaisir de la tasse qu’elle n’utilise jamais et que j’utiliserai tous les jours, tous les matins, malgré le sentiment amer : « Ai-je mal agi en le demandant ? » attaché à elle. Et la lourde honte pour ce petit livre. « Mais la tasse, quelqu’un m’avait offert ».

On ne peut pas faire cadeau d’un cadeau ? Pourquoi pas ? Tant de « ne peut pas, ne doit pas » ! On ne doit pas pointer, disent‑ils. Pourquoi pas ? C’est ainsi qu’on apprenne aux enfants des choses et leurs noms. Pourquoi ne pas continuer ? On ne peut pas demander ni dire de choses trop « intimes », pourquoi ? Entre mère et fille ? On ne peut pas manger ensemble. Pas… etc.

Est-ce bien passée ?

Sauf les premiers jours, j’ai réussi à m’en occuper bien des trois garçons et souvent de six heures le matin, quand Alexandre me réveillait « viens mamy » (au moins les premières douze jours), jusqu’à trois heures d’après-midi. Combien des heures par jour ? Huit ou neuf.

Leur père leur faisait à manger surtout pour qu’ils continuent « comme d’habitude », sinon je me débrouillais sans problèmes même avec les repas. Deux semaines de baby sitting rapidement envolés.

François s’ennuyait. Il lisait, somnolait. Il n’a pas trouvé ce qu’il avait espéré, des livres d’informatique intéressants. Moi oui. François occupe tout le lit, il s’est installé au milieu. Si je veux m’y mettre, il doit se déplacer, je le dérange.

Je vais le déranger !

20 juin 2000, Maryland

Les trois garçons, mes petits fils, regardent une animation télé en attendant leur déjeuner américain. Les animations soi-disant pour enfants, font peur, à tous. Avons-nous envie d’avoir peur? Voire des choses qui nous effraie?

Alexandre s’est levé de mauvais pieds aujourd’hui, il est l’aîné, observateur et sérieux. Thomas, plus petit est imaginatif et plus flexible. Henry est le bébé et le restera toujours, il faut le respecter, sinon il se fâche et gare à vous ! mais si l’on admire un peu… tout va bien.

À l’aéroport

Au départ de Paris, notre avion a été retardé, non, annulé. Et maintenant ?

Cata ! Catastrophe. Les ados disent « C’est la cata ! »

Le visage de François est décomposé, catastrophé, comme si la fin du monde était arrivée. La fin de son monde.

Ce n’est comme s’il aurait voulu aller en Amérique à tout prix ou rapidement. À l’envers. Peut-être bien, il pensait que dorénavant, pendant le voyage et séjour, tout se passerait ainsi, mal, pleines des problèmes.

Moi aussi, j’étais pleine de craintes.

Notre estomac ballonné, effrayé. Finalement, puisque je ne me suis pas laissé faire et j’ai protesté que je ne veux pas revenir le lendemain, ils nous ont mis sur un avion partant quatre heures plus tard que le nôtre, annulé. Jusqu’à la dernière minute, nous ne savions pas si on va nous laisser entrer dans l’avion. François était pessimiste, moi optimiste. Nous sommes entrés les derniers.

Arrivés fatigués, nous avons été entouré à l’aéroport de Washington par trois petit garçons, trois, cinq et sept ans, fort contents de notre arrivé et nos cadeaux.

- Lis-nous ! Read-it !

- Dis « s’il te plait ».

- Please. S’il te plait.

Ils parlent anglais mais aussi le français. Même Henry. À trois ans à peine, il mélange :

-Give me lait !

-Tu veux du lait ?

-Yes, lait.

Thomas a cinq ans.

-Tu vas me manquer, mamie.

-Pourquoi ?

-Maman told me, (à me le dire), mais ensuite il m’embrasse avec tel amour !

Alexandre et jaloux, sur ses frères, moi, sa mère, toujours mécontent.

La table de cuisine n’est pas assez grande pour que nous dînions tous autour, ensemble. La table ou le cœur du propriétaire ? Est-ce un signe « nous ne voulons que vous pénétrez dans notre intimité »?

Il nous invite pour l’adieu au restaurant plutôt. Alexandre me donne des coups de pieds sous la table. Thomas m’embrasse, Henry me sourit. Les parents jettent des regards complices l’un vers l’autre. Je me sens exclue.

Au retour, l’avion devait partir à six heures. Ma fille s’arrange pour qu’une voiture vienne nous prendre à une heure et demie. Trois heures, aurait été assez tôt, trop tôt déjà. Sur le pas de leur porte, cinq personnes nous souhaitent adieu avec leurs mains. Dix mains.

« Surprise ! Aujourd’hui, vous voyagez gratuitement. La conductrice apprend. »

J’avais espéré qu’elle apprends seulement la route, en fait j’ai l’impression qu’elle n’a jamais conduit une voiture, on sent l’insécurité sur le volant. Je tremble. Enfin, nous arrivons à l’aéroport, sain et sauf, à deux heures. Nous ne partirons vers Paris que vers dix heures de soir, après un faux départ à six. Malgré tout, le voyage de nuit, le retard et tout, François et contant et heureux. Oublié son visage renfrogné, malade, mécontent, plein de soucis de ses derniers semaines. Il mange, lit, me sourit. Que je voudrais conserver ce mari-là!

Il est ainsi pendant tout le trajet de retour. Vers la maison. Il m’a tout à lui. Il est heureux de revenir?! Bon, nous sommes revenus, mais il a trop mal supporté le voyage.

La prochaine fois, j’irai sans lui.

La pluie n’arrête pas à tomber

10 juin 2000

Tout paraissait aller bien. Une fillette adorable, un deuxième sur la route. Mon fils décide se marier, il était plein de bonheur. Un peu de craints. Enceinte, elle devient plus agressive et exigeante jusqu’au jour quand elle le blesse profondément. "Vais-je me marier à toi ? Me lier sans joie?" Ils hésitent.

Puis un jour, elle fait trop d’efforts et devient malade. L’hôpital, médicaments. Le futur enfant serait-il affecté? À qui la 'faute', si erreur il y a ?

Il a l’impression que le foudre lui a tombé sur la tête.

***

Souvent le ciel nous sourit, puis la pluie commence à tomber. Tout est gris, on croit que c’est le pire, puis le pire arrive. Heureusement, à un moment donné ça s’arrête. Heureusement, on a des moments quand la roue remonte. Mais que c’est dur en bas, plein de craints, de doutes et même, de regrets.

Quand il s’agit de la vie et de mort, quand il s’agit de la santé, tout le reste s’efface derrière, paraît aussitôt insignifiant à côté. Sauf, peut être le courage. Il en faut pour rebondir. De tout. Tous les coups du sort ou apportés par d’autres ou par soi sans se rendre compte que beaucoup plus tard.

Regarde-moi, telle que je suis, non pas tel que tu l’imagines!

Mais l’image une fois formé, peut‑on le changer ? Lentement, difficilement. Pas tout à fait. Pourquoi s’accroche-t-on tant à ce qu’on a cru, imaginé, malgré toutes les évidences. Pourquoi fermons nous les yeux si longtemps ?

Il m’est arrivé, trop souvent, hélas.

Il vient d’entrer

Il entre. Il oublie ses clés dehors sur la porte.

Les paquets sont lourds. Il les dépose sur la table à manger d’entrée.

Il met le papier de toilette aux W.C., puis essaie de fermer la porte, sans succès. Il renonce et s’assoit, respirer difficilement tout en lisant son journal commencé en bus. Quelques minutes plus tard, il sort, relève la tête, enlève son manteau et met les viandes et le yaourt acheté dans le frigo.

Dans la cuisine, l’évier est encore plein.

« Pourquoi on ne peut pas laisser la vaisselle sur la table à l’entré, à quoi sert de les entasser dans l’évier pêle-mêle ? » mormone-t-il.

Il soupire fort et leur tourne le dos.

Plus tard, il s’assoit dans le salon et lit encore une page de son journal. Puis il se met à son orgue. Difficile d’y accéder. Tout est plein de magazines, livres, journaux. Les siens. Où déplacer tout cela ? Maintenant, depuis un temps, il y a aussi deux tas même sur le banc devant l’orgue.

Pourquoi on ne peut pas les laisser sur le lit? rouspète-t-il. Oh, que la vie en couple est difficile!

Il pousse les tas plus loin, s’assoit à son orgue, et joue, en oubliant tout. Ça marche de mieux en mieux. La musique s’élève et c’est la joie d’être avec elle, le bonheur d’être apprécié qui vibre dans l’appartement. Après une heure, épuisé, il se couche sur le lit et ouvre la télé, un feuilleton policier, reposant.

Ensuite, il va à son ordinateur et l’ouvre.

La table près du lit sur lequel est son PC est aussi pleine. Nous n’avons presque pas de place de nous retourner dans la chambre, ni de passer. Mais comment pourrait-il ranger ou jeter quelque chose? Tout lui paraît intéressant, tout doit être «à la porté de la main». Qui sait quand il aura besoin.

Il faudrait quand même laisser une passage pour arriver aux coin douche dans notre chambre, sinon, elle risque de faire tomber les tas en voulant passer, pense-t-il. Plus tard. Regardons d’abord, qui m’a écrit sur le Web, ce qu’on m’a envoyé, se dit-il.

Prendre la main tendue (Souvenir)

Nous nous sommes rencontrés, François et moi, par hasard, comme tant de couples, lors d’une exposition de « la publication assisté par ordinateur » PAO. J’avais envie enfin de nouveau de quelqu’un. Il est paru.

C’était quelqu’un « potentiel », intéressant. Aussi inconnu, donc dangereux. Mon échec, difficilement digéré même après deux ans, m’avait laissé un goût amer et surtout, avec beaucoup de méfiance - mais la statue de Stéphanie, les deux colombes qui se blottissent l’un contre l’autre, m’avait profondément bouleversé quelques semaines auparavant. Il m’avait montré que non, je n’étais pas encore prête, comme je la croyais depuis deux ans, à rester seule tout le reste de ma vie. Que même à cinquante ans passés, on a des envies. On les a encore. François est venu visiter notre stand, et après la première discussion, me dit-il aujourd’hui, le premier regard fort et parlant que je lui ai lancé, il revint deux fois le lendemain et me demanda un rendez-vous. Bien sûr, 'professionnel'.

Comme je présentais qu’il serait davantage et mes soucis professionnels m’accablaient, je ne lui ai donné rendez-vous que pour deux semaines plus tard, ce qui lui semblait fort lointain.

En deux semaines qui suivirent je fis tout ce que je pouvais pour aplanir des difficultés dans ma société, j’ai payé les dettes urgentes, afin que les ennuis ne viennent pas assombrir ce qui arrivera, ce que j’espérais arriver.

François avait créé une application permettant une mise en page automatisée et sophistiqué - aussitôt arrivé à ma Société BIP nous nous sommes mis devant le Macintosh et il commença son demo. C’était compliqué. Il n’avait pas tenu comte de l’interface utilisateur habituel «à la Mac». Trop en lui était encore « grand système ». Professeur à l’Université, d’une grande envergure, il prenait normal de demander beaucoup d’efforts de l’utilisateur.

Beaucoup trop pour que sa création soit facilement vendue, en tout façon. J’ai lui a dit, avec autant de tact que je pouvais. Il défendit son enfant, sa création, avec véhémence. Puis, il commença à raconter les rencontres importantes dans sa vie, comme un CV sans fin.

Grand, imposant, la plupart de temps debout et bougeant, gesticulant comme un Français de sud, exagérant comme quelqu’un venant du pays d’Artagnan, il me raconta sans que je puisse l’interrompre, sa rencontre avec des As de l’Informatique. Pendant deux heures, sans interruption il parla et parla. Les As, que je ne connaissais pas, des histoires que je ne comprenais pas vraiment et qui me laissèrent froide. Il voulait m’impressionner. Au lieu de parler de soi-même, il se définissait à travers d’autres qui l’ont apprécié, rencontré.

J’ai profité d’une seconde de respiration pour lancer enfin :

« Monsieur Professeur, puis-je parler moi aussi ? Vous interrompre?»

Choqué, il resta alors bouche bée. Plus tard, il me dit que c’est alors qu’il s’était rendu vraiment compte que j’ai une 'personnalité'.

Il me sourit finalement :

Puis-je vous inviter à déjeuner ? Je connais une bonne restaurant Pakistanaise près d’ici.

Pakistanais ? Par ici ?

Ma fille n’habite pas loin, une de mes trois filles, Sophie. C’est elle qui me l’a montré.

Bien. Il est midi. Allons-y.

\

Le restaurant fut notre premier vrai rendez-vous. Nous pénétrâmes et une atmosphère sophistiquée, mystique presque nous y accueillit. D’étranges décorations sur en haut et sur chaque table.

Je ne suis jamais allée dans un restaurant pakistanais.

Il ne vous plait pas ? demanda-t-il aussitôt.

C’est magnifique ! Tout en rose. Les vases, les fleurs.

Il soupira, soulagé.

Choisir pour vous ?

– Je n’aime pas l’épicée, sinon…

La cuisine pakistanaise est moins épicée que l’Indien, mais, malgré tout…

– Je vous fais confiance.

Tiens, avec ma fille, nous avons mangé…

Et il commanda des plats aux noms étranges.

Nous restâmes enfin seuls, avec des entrés présentés magnifiquement sur un plat surélevé.

– Comment nous allons mangé ceci?

On le trempe dans une des sauces. Celui-ci est fort, mais cela est aigre-doux.

– Très bon ! Alors, parlez-moi, cette fois-ci, un peu de vous. Hors de travail, hors de profession.

Je ne sais plus comment, mais finalement il s’est ouvert et a parlé de sa récente séparation. Divorcé depuis plus de douze ans, il avait vécu huit ans avec une jeune femme, une de ses anciennes étudiantes, et son fils à elle. Après avoir profité de lui, cette femme l’avait abandonné.

Pour la première fois, ses yeux bougeaient. Je le regardais et j’ai serré sa main posée sur la table entre nous.

– J’ai vécu ceci, moi aussi, je vous comprends bien. Trois ans avec quelqu’un profitant de moi. Heureusement, je m’en suis débarrassé, il y a deux ans.

C’est bon d’avoir quelqu’un qui vous donne la main, serre la main tendue.

– Je vous promets de toujours la faire, ne pas laisser votre main tendue sans le serrer.

Moi, non plus, je vous promets.

Nous nous serrâmes les mains, elles parlaient plus que nous. Disaient davantage.

16 mai 2000

Ma petite fille vient à peine avoir un an. Nous sommes sortis au parc, elle et moi. Elle a été vite entourée d’autres enfants plus grands. Elle était fort heureuse et même, descendu de sa poussette et couru à quatre pattes sur l’herbe.

Hier soir, un coup de fil :

« Nous avons fait l’écho, le bébé à naître début octobre va bien. On ne te dira pas son sexe. »

C’est un abus de force dominant ! Pourquoi fait-elle ça ?

« Avec le temps, tout s’en va »

"Avec le temps, tout s’en va." Ainsi commence une chanson.

Oui, non.

« Avec le temps rien ne s’en va » avais-je envie de dire après les minutes qui me firent ressurgir certains souvenirs… imprégnés en moi. Tout, rien, noir, blanc.

***

Les arrivés comptent plus que les départs. Où l’on arrivera, qui s’y trouvera, comment on s’en sortira ?

On part souvent poussé de quelqu’un, on quitte rarement un lieu où l’on était habitué, bien, sans qu’on soit poussé d’extérieur, quelquefois mais rarement d’intérieur.

Il faut partir.

Partir de l’appartement à laquelle j’étais habituée, que j’aimais tant.

Et maintenant ?

La traversé est indécis, plein de regrets pour ce qu’on a quitté et d’angoisse pour l’inconnu devant nous, en brouillard.

On arrive : confusion, que m’arrive-t-il ? Où suis-je ?

Le temps presse, il faut réagir. Agir. Se remuer.

14 mai 2000, Argenteuil

Nous venons de manger chinois: Ionel, Elise, Marc, leur amie, Bernadette et Stéphane, François et moi. Ils sont tous partis. Ne reste à la maison que Gabrielle et moi, elle dort. Le 'cuisinier' pour ce soir, François, la 'nounou', moi.

Silence.

Les autres sont allés à l’appartement nouveau de jeunes, peindre, tapisser les murs.

Je me sens fatiguée sans raison.

Ai-je trop mangé? Pourquoi je sens le dos? J’ai fort peu travaillé. Courses, mis la table, fait la vaisselle, c’est tout.

Je vais m’allonger, fermer les yeux.

10 mai 2000, Paris

Dimanche on fêtera une année de ma petite fille : demain et samedi (après-demain), elle restera avec moi. Mais être trois week-end sans ses parents l’a perturbé. Comment ?

François se sent mal ce soir, il est inquiet. Depuis ce matin, il se sent oppressé. Que faire ? En plus, il écoute le nième fois les mêmes nouvelles à la télévision. Il veut les écouter de nouveau et en même temps il continue à se plaindre. De tout. De moi.

J’ai travaillé énormément aujourd’hui sur le reste du journal de Sidonie : ma grande mère est grande ! quelle talent ! Pourquoi n’ai-je pas apprécié davantage ce qu’elle avait écrit, il y a trente ans, quand elle avait commencé à me lire ? Est-ce vrai ? Je ne me rappelle plus bien. À la fin du journal, elle avait 63 ans, moins que moi maintenant. Elle, femme cultivée, intelligente, épouse d’architecte, mère et grand-mère, repasse tous les matins dans un hôtel et est heureuse de recevoir pour ceci… un peu d’argent de poche et de quoi manger. Mon cœur est lourd. La comparaison est triste. Je voudrais visiter Caux, Vevey et Les Avants par où elle est passée, où elle avait vécu. (Nous y sommes allés une année plus tard.)

1er avril 2000

L’année « 2000 » me paraît encore curieux d’écrire. J’écrivais 99, mais OO?!

En révisant, corrigeant mes trois récits, celui qui est sur la Roumanie, La princesse aux pieds nus et Sans limites, je me suis rendu compte que chaque fiction m’a poussé de plus en plus profondément en moi-même.

Dans la première, j’ai mis les extérieurs, décors et des faits bien connus, même si tordus à ma façon, hélas, la peur d’Elena Ceausescu, vivante ou de son fantôme? m’a empêché de me suis plonger davantage.

Dans la deuxième, je suis partie de certains évènements entendus, agrandis, dramatisés, tordus et puis ajouté les rapports découverts en route de l’écriture, l’interaction entre les personnages qui devenaient vivants dans mon esprit. Je les voyais devant mes yeux.

Dans la troisième, ni lieu ni évènement connu. Presque pas. Une interrogation. Mais de sentiments, pensés, peut–être d’émotions, venant quelque part de moi profond.

J’espère un jour aller plus loin. Écrire d’autres. Finalement, j’écris mieux quand je ne sais pas d’avance vers où les personnages évoluent et je les laisse faire, agir. Quand ils sont au moins en apparence bien loin de moi. Finalement, davantage de choses intimes sortent ainsi qu’en écrivant de moi-même. Plus des freins, de barrières sautent.

***

Trois jours avec Gabrielle. J’ai la diarrhée, je l’ai commencé fort fatiguée. Mais on est mère et grande mère, non seulement quand on est en forme. Stéphanie dit qu’un énervement va souvent au ventre. Qu’y a-t-il maintenant ?

Je me rappelle l’enfance de mes enfants à travers Gabrielle. Cette nuit, je me suis dit que c’est seulement les deux mois au lit pour ne pas perdre mon fils, futur que je ne me suis pas occupée d’Agnès. C’est le temps que Sandou a choisi pour partir en Roumanie un entier mois.

mon fils bébé, Sandou trouva une amante sur place, au travail, habitant la même ville que nous. Une jeune, dix ans plus jeune que nous. Je croyais alors être au fond du gouffre. Non. Il devint violent. Il ne veut pas divorcer. Il promet, ne tient pas de ne plus continuer avec cette jeune femme. Il conduit la voiture comme un fou. Je crains pour ma vie, je crains de sortir estropié. Je me suis « écrasée ».

***

J’avais oublié qu’on peut tout faire pendant qu’on prend soin de son bébé ou celle de mon fils - sauf se reposer. IL vous laisse s’affairer mais pas se relaxer.

Relaxer ? Donc t’est disponible pour moi !

Aujourd’hui Gabrielle avait été d’une humeur souriante, heureuse. Fin du troisième journée. Sa mère vient m’appeler « Pourrais-tu venir aussi demain ? » Cela fait trois jours que j’aurais de l’aller au dentiste et mon autre enfant fort gâté, mon mari m’attend aussi, je n’ai pas été avec lui depuis trois jours que pendant la nuit.

Des nuits difficiles, je me sentais mal, je le réveillais sans cesse en bougeant. Il rouspétait.

Oui. Ce journal est pour moi. Pas utilisable. Au pire (ou mieux) on peut s’en inspirer. Prendre un passage ou deux. De tout de façon, j’ai de moins en moins confiance dans la publication. On verra. Puis reste aussi l’Internet.

Deux jours plus tard

Quand j’écrivis la dernière fois, même si je ne l’avais pas mis sur papier, dans ma tête trottait : « Quelle chance j’ai eu! » et non « Quelle chance ils ont pour avoir de petits, ils sont heureux. »

Depuis, l’univers semble avoir retombé sur ma tête.

Mon fils est abattu, malheureux. Il se sent piégé. Ell a des «Seconds thoughts» probablement des regrets. L’est–elle vraiment ou est–ce de la manipulation ?

Quel peut être ce problème, le fond de difficulté entre eux? Mon cœur saigne pour tous les deux.

25mars 2000

Cette année, je ne suis pas allée au Salon de Livre. Arnauld y est allé et miracle, il a trouvé un éditeur. Je n’ai plus que deux feuilles dans ce cahier. Quelle bonne idée d’écrire n’importe quoi dedans. Je l’ai rempli en moins de trois mois.

Avec François, j’ai appris à me régaler de sa chaleur, mais ne pas compter ou m’appuyer trop sur lui. Ne pas le confondre avec maman ou papa. Savoir, malgré tout et à tout moment que je suis adulte.

J’écris, j’étudie. Comment ai-je encore le courage ?

J’écris ce que je comprends. Mieux comme quelqu’un qui sait déjà tout. Il s’agit seulement que je trouve une façon de mieux exprimer ce que j’ai compris sur l’écriture et le donner par petits morceaux. Pas trop à la fois. Alors, il serait peut-être utile. L’atelier d’écriture de cette année avait été utile, même si cette année, il s’est effrité. En tout, il y a des hauts et des bas.

J’ai mal aux dents. Demain je devrais voir un dentiste. De lundi à jeudi, je suis avec Gabrielle, j’espère qu’elle ira mieux. Lionel se marie bientôt, ils auront encore un enfant en octobre. J’irai peut-être voir les autres petits-enfants en septembre.

18 mars 2000

Aujourd’hui Gabrielle a fait devant moi son premier pas. Elle s’est lancé sans se rendre compte pour attraper un journal qui était sur les genoux de François, vite, avant qu’il n’est le temps de le ranger.

Elle se tient à peine, quelquefois pas du tout et, quand elle ne peut plus, elle tombe sur le derrière ou se met à quatre pattes.

14 mai 2000, Argenteuil

Nous venons de manger chinois, Ionel, Elise, sa mère Bernadette, Stéphane, Marc, François et moi. Tous sont partis.

Ne reste à la maison que Gabrielle, elle dort, le cuisinier de ce soir, François et la nounou (moi). Silence. Les autres vont tapisser et peindre les murs de nouvel appartement. Je me sens fatiguée sans raison. Je n’ai pas fait grand chose pourtant.

***

« Avec le temps, tout s’en va. » Oui. Non.

J’avais envie de dire «avec le temps rien ne s’en va» après les minutes qui me firent surgir certains mémoires imprégnés en moi. Tout. Rien. Noir. Blanc.

Que s’en va, que nous reste après le passage de temps? Que reste à la surface et que resurgit et nous frappe de temps en temps?

Une image de loin, une certaine complicité, compréhension. Et il m’a gratté une fois le dos «Qui te grattera ton dos si tu ne veux plus de moi?» Je me le suis grattée tout seule. Quelquefois, on se souvient comme dans un film, autrefois en scènes voire images isolés. D’une odeur ou d’une voix qui nous a fait trembler.

Peut-on les oublier ?

On peut ne pas y penser. Ils resurgiront rarement. Merveilleux moments ou affreux, ils ont laissé un empreint en nous.

J’ai sommeil, mais j’ai encore plus envie de rentrer. Être chez moi, dans notre propre bordel habituelle. Retrouver des vaisselles non lavés, des aliments et restes sur la table à manger d’entrée, des vêtements lavés pas rangés dans les sacs, magazines, livres, journaux, cahiers et notes de musiques pêle-mêle sur le sofa, par terre, sur le table, partout. Le lit mal fait, le drap froissé et bougé.

J’ai envie de retrouver la main de François tenant la mien, son corps près de le mien.

13 mai 2000

Ma petite fille vient d'avoir un an. Fait quelques pas, seule. Commence à dire et montrer ce qu’elle veut manger, ce qu’elle n’aime pas et quand elle en a assez, heureuse ou mécontente.

J’ai appris d’elle la différence entre ce qu’on désire (jouer) et de ce qu’on a besoin (dormir).

Maintenant il faudrait réfléchir comment cela s’applique à moi.

Le hasard vient à l’âme préparée

Il nous faut un temps pour réfléchir, retrouver les rêves d’adolescence, faire le deuil du « poste, titre, environnement » que nous venons quitter, le « je suis professeur à l’université, je suis conseiller d’informatique dans une grande école » ou « je suis tapissière », selon le rôle joué avant, le travail qu’on faisait. Puis, se souvenir : « À seize ans, je voulais surtout jouer de l’orgue », « À quatorze ans j’étais décidé de devenir dramaturge », ou bien « Je vois des visages dans ses pierres, je veux sculpter ».

Quitter un rôle, l’ancien, n’est pas facile si on ait aimé ce qu’on avait fait pendant de longues années et, surtout, que notre mémoire nous joue des tours et nous nous rappelons surtout le côté ensoleillé de l’ancien travail. Nous oublions, plutôt reléguons dans sous-conscient, tous les ennuis qui sont venus avec, arrivés pendant.

Quitter n’est jamais facile, la transition nous jette dans un brouillard et nous ne voyons pas souvent le chemin suivant. Que faire maintenant ?

Stéphanie a eu de la chance, elle a découvert à 56 ans, alors qu’elle travaillait encore comme tapissière de matin au soir, sa passion pour la sculpture. Elle a commencé à s’y mettre pendant la nuit, rongeant de son sommeil. Elle était enchantée à pouvoir travailler la journée, sans voisins, elle a déménagé pour commencer une nouvelle vie.

Julie pu faire le deuil de son poste de conseiller et de l’environnement qu’elle aimait pendant les neuf mois avant partir. Elle savait déjà : « Dans huit mois, je ne serai plus là » et en fermant les yeux sur le comportement de son chef qui l’avait mis au placard, elle avait résisté jusqu’à la fin, il n’a pas su l’obliger de démissionner malgré toutes les tracasseries possibles, vexations inimaginables.

Une fois rassurée que ses revenus même fort diminués arriveront régulièrement, elle s’est plongée dans son passé et de là, sans presque se rendre compte dans l’écriture - sa passion de jeunesse. Elle écrit, écrit, après soixante ans de vie il y a de quoi. Ensuite, un peu dégrisée, elle s’est mise à étudier les techniques et astuces d’écriture pour apprendre à tenir davantage compte des lecteurs.

Puis elle décida à transmettre ce qu’elle venait apprendre aux autres à un petit cercle d’abord, puis un plus grand nombre. Elle a encore quoi faire pour fort longtemps, sa passion la pousse à approfondir ce qu’elle fait chaque jour. Un livre, de temps en temps, un cahier et le stylo bic Pilot hi-tecpoint-v7, sa préférée, lui suffisent. Pour corriger, se recorriger, son cher Macintosh portable et Word 98, dernièrement assisté aussi par un fort bon dictionnaire bilingue Hachette / Oxford.

François espérait continuer donner des conférences à l’université, ne pas changer de rôle. Il avait été trop novateur, il dérangeait depuis trop longtemps, trop de monde. Se détacher du lieu de travail après 35 ans ininterrompus était plus dur pour lui, fort dur.

À la maison, en revoyant sa vie, tout qu’il n’a pas fait, tout qui a mal tourné lui est revenu.
Pourtant, il a commencé à jouer de l’orgue avec grand plaisir dans la paroisse à cinquante kilomètres de son logement, dix kilomètres de sa maison de compagne. Il s’est aussi inscrit au conservatoire de musique pour améliorer son jeu.

Deux ans plus tard, il tint un concert conférence, ensuite plusieurs, ils ont eu de succès. Il a besoin de davantage de contact, il enseigne dans un club de retraités l’informatique et son futur et il va essayer de jouer avec d’autres musiciens.

Même avec Stéphanie !

La meilleure partie de la journée aujourd’hui était de me réveiller avec François me souriant, entrant joyeux qu’il avait réussi. Même si pas pour longtemps. Où était-ce soir après dîner quand je lui frottais son front qui le heurtait et il m’a attiré vers lui près de la chaise de la cuisine, m’a frotté les cheveux et m’a serré en me faisant jouir…

Oh, que c’est difficile la vie en couple, me dit-il en souriant et fier de lui.

Ce qui était sur ma langue, je lui réponds.

Je l’ai senti. C’est beau l’amour à 70 ans, me dit alors.

La pire partie de la journée de hier était mon prise de bec avec Stéphanie.

Nous sommes amies, elle est bonne, mais nous sommes toutes les deux opiniâtres, nous tenons à nos convictions. Elle est pour «les pauvres contre les riches» et moi contre les grévistes qui nous empêchent à circuler. Non, contre l’idée de prendre de ma poche l’argent et payer la demi-journée de grève de fonctionnaires, déjà fort privilégiés. Il y avait de la haine dans l’air, des deux côtés, hélas.

Regard en arrière

— Quand s’arrête-t-on à regarder en arrière ?

— Pour beaucoup, il n’arrive jamais, dit François.

— Pourquoi ?

— Il n’y a pas l’alternative.

— À quel âge as-tu décidé de quitter ta femme ?

— En 1974, j’avais 44 ans. Un jour, m’est paru qu’il n’y avait pas d’issu. La situation devenait inexorable.

***

— Combien de fois t’as pensé à ton père? je lui demande plus tard.

— A 24 ans : Je ne ferais pas avec ma femme comme mon père. Je ne voulais pas jouer ce rôle, lui dire que faire. Je ne me sentais pas capable. Pour moi, c’était trop lourd. Décider tout, jouer à l’oracle. En plus, j’étais revenu d’Algérie fort secouée. Choqué, blessé. Pas seulement sur mon doigt.

Il montre son petit doigt tordu par la balle.

— Algérie. La moitié de temps surveillé, en atmosphère hostile, l’autre moitié avec des lourdes responsabilités que je croyais tenir le mieux possible. Dans un certain sens, j’ai eu une vaine énorme. Pause. De m’être tiré avec ma vie.

Après le changement d’esprit, a-t-elle comprise que l’homme revenu d’Algérie n’était pas celui parti ?

— Elle avait l’horreur que nous perdrons notre statut. En partie, au moins.