Nouvelle année

1er janvier 2003, 8 h du matin

Bonjour nouvelle année !

Nouvelle page dans mon journal, et, dans ma vie.

Bientôt, je ferai un bain, je laverai les dernières années de ma vie de moi, Complètement. Pour commencer cette année sans leurs poids. Me débarrasser, symboliquement aussi, des ennuis de divorce, des amertumes et des déceptions.

Bonne année Anyuka (maman), bonne année Julika, j’ai dit dès le réveil en caressant le bois laqué, et bien nettoyé dorénavant, du secrétaire, en passant près de lui.

Je passe pas mal de temps ces jours-ci avec maman, pour cet anniversaire, c’est mon cadeau pour elle à la place de cyclamen. Mes premières années y prennent vie, avec joie et aussi le cœur serré, et m’aident non seulement de comprendre, montrer l’âme chaude de maman, mais aussi mieux comprendre mes agissements et moi.

J’aimais patauger dans l’eau, lire, commenter mes lectures (images) et écrire (griffonner) sur le tableau noir ou papier. Je m’occupais toute la journée. J’aimais être l’enfant chéri, mais déjà aussi mère (de mes poupées). Je n’ai pas changé. Je profitais en plein des mois d’été, à jouer pieds nue avec mes cousines, inventant des jeux et sans peur de grand père dont les autres tremblaient.

Ce matin, je me suis fait de nouveau le petit déjeuner sur un plateau : café, pain grillé, jambon, beurre et mandarines, pour fêter la nouvelle année et je me le suis apporté à mon lit… je l’ai pris comme le consommait grand-père.

Le toast qu’il n’a pas voulu me passer, je le mange chaque matin.

La chaleur et l’amitié que mon grand père m’avait offerte, je m’en baigne encore. Je me souviens de pleines de choses non écrites dans le cahier de ma mère, moi, qui croyais rien savoir d’avant mes six ans.

Oui, j’adorais aussi être avec les autres. Paradis de grande famille dont la guerre m’a jeté dehors.

Oui, j’aimais me produire, je n’étais pas toujours cette fillette timide que je suis devenue plus tard. « On ne savait même pas que tu étais là » me dit Alina sur nos quinze ans, ensemble dans la classe.

À chaque âge, dit un livre sur les traits de personnalités, à chaque époque de la vie, un autre trait de tempérament surgit à la surface. D’après eux, gymnaste très bon à mes débuts, donnant priorité à la réflexion et analyse ensuite, aux sens et émotions après les vingt-cinq ans, et oui, au plaisir d’écrire et imaginer et généraliser, après cinquante ans. C’est vrai, à peu près. Il aide à comprendre aussi un peu mieux le passé.

Mais parlons plutôt de l’avenir.

Je souhaite, cette année, être beaucoup plus dans le monde et avec d’autres. Discuter. Échanger. Des écrits, des expériences, d’intérêts communs.

L’année dernière, commencé avec la lettre pleine de venin du mari séparé, continué avec mes dernières lettres pour obtenir encore au moins certains de mes affaires, puis, enfin, le divorce prononcé et, puis inscrit sur les registres, le procès sur le logement (hélas, pas encore résolu), le remariage hâtif de mon ex (enfin ex !) une solitude me pesant de plus en plus.

Peut-être, je pourrais le rompre à travers cette association, mon journal déposé, les Mémoires et Autobiographies des autres à lire, sinon, j’irai rencontrer ailleurs des êtres me ressemblant. Un peu plus que mes voisins, sinon sympa.

Je travaille davantage depuis la réunion APA m’ayant motivé, mais je sors, sortirai plus. Beaucoup plus. Je n’ai plus devant moi les échéances des «Signerait‑il? Quand?» ni l’attente d’être convoquée devant le juge. Fini, chapitre, livre, période terminé.

Cette année doit être le début du prochain, celle pour écrire (et vivre).

Une énième vie nouvelle.

Voilà Julika, le reste ne dépend que des circonstances et de TOI. J’irai après-demain chez le chirurgien, si je ne survivais pas, j’ai vécu une vie pleine et je laisse derrière moi deux enfants, cinq petits-enfants – et mes écrits. Sinon, je pourrais même voir encore les gosses se marier et mes petits petits-enfants, comme ma tante, mon oncle et Paula, mon propre arrière grand-mère. Comme le sort le voudra.

Remplie de bonheur ou d’amertume, des plaisirs, enthousiasmes et déceptions, au moins j’ai vécu et je vivrai. Tout est possible. Sans craindre les autres et me cacher dans un trou (sauf, provisoirement, de temps en temps, d’accord.)

Bonne année, Julika, bonne année mon journal et, bonne année à tous que je rencontrerai cette année qui est déjà là.


29 décembre 2002

Traduisant le journal de maman (sur moi bébé), je revis l’époque et certaines images reviennent très clairement dans ma mémoire consciente, des choses non décrits par elle surgissent clairement. J’avais seulement deux ans et longtemps je me suis dit que je ne me rappelle de rien aussi lointaine.

Je me rappelle la forme ronde de pataugeoire du jardin de mes grand parents et le goût de l’eau (sale) que j’aimais boire et même que finalement, puisque je m’obstinais à continuer à y boire (dont maman parle), grand-père a ordonné et on l’a vidé d’eau (elle n’en parle pas) et même de ma tristesse et révolte un matin la découvrant vide. Je me souviens du long corps bronzé et musclé de mon oncle Alexandre, quand nous l’avons caché de sable humide et notre joie voyant lentement disparaître ses membres suite au fruit de notre travail et lui, dont d’habitude nous avions peur, se laisser faire. Je me vois, accouple, manger de framboises et fraises du jardin que ma grand-mère nous permettait, et toutes les fleurs et odeurs de son jardin.

J’ai planté des gueules de loup récemment dans le mien, en souvenir.

Un jour, nous nous sommes caché sous la table de ping-pong avec ma cousine Suzanne, nous abritant de la pluie, c’était mon idée, pourtant elle avait deux ans plus que moi. Je croyais que c’était passé plus tard, mais je me souviens de grand-père et son petit déjeuner sacré qu’il ne partageait jamais, mais aussi de notre complicité. J’ai dû être, probablement, le seul n’ayant pas peur de lui, peut-être à cause de cela il m’accepta autant.

Je me souvenais – d’où est-ce ?— que maman n’aimait pas les câlines et elle en était en réalité, d’après le journal, complètement assoiffée. Aussi jalouse de ceux entre moi et papa. Peut-être, ne recevant pas assez de lui.

Je comprends mieux le sentiment de « paradis perdu » ressenti après la guerre, après cette vie d’été intense en grande famille, en haut et pieds nus. Tous ensemble. J’étais peut-être enfant unique et habitué à jouer seule dans ma chambre pendant des heures – et j’apprécie toujours la solitude – mais j’adorais jouer avec les cousins et cousines et d’autres enfants arrivant dans le grand jardin en haut du colline.

J’aime toujours être avec les gens. Qui m’acceptent. Quand je sens «appartenir».

Neige chez moi

Fin décembre. Un œillet rouge vient de fleurir dans mon jardin et aussi une touffe des violettes. Incroyable ! Mais vrai. J’ai aussi quelques fleurs blanches résistant au froid.

Il existe de la végétation, et des êtres, résistants, survivant à difficultés, du climat, de l’environnement, des soins d’autres ou plutôt leurs négligence, volontaire ou non. Récemment, j’ai appris un nouveau mot : résilience.

J’avais acheté les œillets, il y a six mois et, après les premières semaines de fleurissons, j’avais l’impression qu’ils ont dépéri. Et voilà, en plein décembre ! Décidément, la nature m’apprend beaucoup.

27 décembre 2002

C’est intéressante que sur mes bonheurs les plus grands: regarder le progrès de mes enfants, les étreints de Pierre, sur les plus grandes fiertés de ma vie, les accomplissements de mes enfants grandissants, je n’ai pratiquement rien écrit. Pourtant, longtemps, mes enfants ont été ma principale préoccupation et surtout, joie. Probablement, puisque j’étais tout dedans, pas besoin de le regarder d’une certaine distance. Est‑ce à cause de cela?

J’ai commencé hier de traduire le journal de maman, notes sur mes gestes et paroles et mon entêtement de 1 1/2 à 3 1/2 ans. J’aimais déjà lire et écrire (même dessiner), raconter, m’activer, mais aussi dormir avec un oreiller dans mes bras. J’étais tendre, câline. Volontaire.

Mais sûrement pas aussi volontaire que David, aussi câline que Gabrielle, aussi malin que Thomas, aussi rayonnant que Henry, aussi intelligent qu’Alexandre. Oui, je suis fort fière de mes petits-enfants!

26 décembre 2002

Maman aurait eu 97 ans aujourd’hui. Oui, je parlerai de toi, je te ferai revivre, mais pas dans ce cahier. Je ne t’oublie pas.

Et tu seras contente d’apprendre sur la vie riche et mouvementée de ta fille. Grâce à l’éducation que tu m’as donnée, j’ai su rebondir à chaque fois et prendre la responsabilité de ma vie. Merci !

Il y a juste 58 ans, que j'ai commencé

25 décembre, 2002

J’ai commencé d’écrire un journal, il y a juste 58 ans, bientôt 60! et je continue.

photo Eric Durand

Ce matin, je me suis réveillée à six, j’ai pris un petit déjeuner (et j’ai eu une petite inondation dans la cuisine, je ne sais pas encore d’où il vient), puis je me suis mis à écrire. D’abord, sur l’écriture. Puis, dans un autre cahier, un souvenir sur l’achat des chaussures, aujourd’hui et jadis.

Hier, avant que le soleil se couche, une femme s’approche de ma fenêtre, un pot des fleurs dans sa main. J’ouvre la porte.

C’est pour vous remercier de vos photos.

Il ne fallait pas… mais ils me font grand plaisir. Le seul cadeau de Noël reçu cette année. »

Des petites fleurs rouges avec grands feuilles vertes, le tout ressemble de loin aux cyclamens que maman aimait recevoir les 26 décembre, pour son anniversaire.

Les cadeaux ont évolué pour moi, d’année en année, et plus tard, même quand je recevais, je ne les notais plus dans mon journal. L’année dernière, j’avais reçu de Michel un livre de la collection Pléiades et, seulement il y a une semaine, j’ai appris qu’ils coûtaient affreusement cher.

Cette année, le plus grand cadeau reçu, arrive des suggestions de ce livre sur l’écriture des souvenirs: me donnant de nouvelles idées pour m’y plonger. Et puis, le contentement (plutôt que fierté) de m’apercevoir : mon écriture a progressé, lire ce que je dis devient plus captivant, sinon chaque jour, chaque année au moins.

Je recopierai l’histoire de chaussures et je l’enverrai à Andrée pour qu’elle le lise à Stéphanie. Va-t-elle considérer après ça que me plonger encore dans mes souvenirs est de trop? Je ne le crois pas. J’espère. Comme toujours. Je reste optimiste.

Ça peut servir un jour.

À qui ? À quoi ?

Au moins, un témoignage.

Raconter ainsi dans quelques scènes la vie quotidienne de l’Est après la guerre, au lieu des phrases descriptifs ennuyeux et courts. Oui, merci Frank Thomas pour tes suggestions me plongeant dans le passé à la recherche d’une paire des souliers. Grâce à toi, et à mes études sur l’écriture, ma journée a bien commencé, avec de sourire sur mon visage. (Et l’eau ne coule plus, même si je ne sais pas encore d’où il était sorti.)

J’ai courage, la vie est rose ce matin.

22 décembre 2002

Mon nouveau « hobby », passe-temps, plaisir, me coûte de l’argent, sept euros pour une pellicule de trente-six images et autant pour une série des photos.

Vendredi, je suis allée voir Stéphanie (et sa fille Andrée) près de la gare de l’Est. Il pleuvotait, faisait moche, ciel fermé et je craignais qu’aucune image ou peu réussisse : seulement deux ou trois n’ont pas était bons. L’un, puisque j’ai pris trop, de trop loin. L’autre, parce qu’Andrée voulait à tout pris « poser » et n’aime pas être photographié. Le reste, c’est une joie.

De bonnes expressions de Stéphanie, tellement fragiles à quatre-vingts ans, une merveilleux du portier de l’hôtel. Les marches qui descendent, et ceux qui montent.

Des maisons Parisiennes propres avec leur terrasse spécifique, et d’immeubles toujours sales, comme avant Malraux. Des voyageurs avec leurs bagages, les hôtels près de la gare.

Je n’ai pas pris les CRS jeunes avec le policier âgé, il sont restés dans ma mémoire. La façade et l’horloge sur la gare et ceux, au milieu de square, sont aussi réussis. Tout comme le plat de choucroute avec les mains qui mangent. Oui, plein de souvenirs.

La crêperie, puis un bistrot. Ce dernier en réalité est la couverture d’un livre dans la vitrine d’une librairie plein de livres divers sur Paris, percé en haut des marches, à gauche de la Gare de l’Est. Une ou deux photos sont prises de Gare de Nord, mais je ne m’en souviens plus lesquels. Tout cela je le dois à 400 ASA Kodak Ultra film, et un peu, peut-être aussi à mes yeux.

Merci, un grand merci à l’auteur du livre sur l’écriture qui a déclenché toute cette envie en moi, en suggérant de se faire «touriste chez soi». Paris n’est plus tout à fait 'chez moi' depuis une année, je suis d’autant plus poussé de prendre ses divers aspects. J’irai encore un jour, cette fin d’année et m’offrirai Paris encore une fois.

Et, j’espère, ils feront plaisir à Andrée et ses petits-enfants, en Israël. Que Dieu les préserve, ses merveilleux gosses, mi-yéménites, mi-hongrois, magnifiques.

Même quand je ne prends pas des photos, les images restent mieux dans ma mémoire qu’avant.

L’appareil, un Nikon avec un objectif presque automatique, est très bon aussi, me permet de zoomer sur un détail même de loin.

Les détails sont souvent plus parlants dans une photo que le «tout» que l’œil voit. Et, quelquefois, des détails inattendus entrent et apparaissent.

Je voulais prendre le quai et une famille tirant sa valise. Sur le quai en face est paru un charriot pour handicapées, destiné à les aider avec leurs valises, mais abandonné, non utilisé, mis sur une «voie de garage.»

Le visage du portier, autre bonne surprise: que de caractère! J’ai réussi à le prendre à la deuxième fois, après qu’il s’était détendu: je lui avais dit qu’il était fort photogénique, ce qui est vrai. Photogénique, n’est pas le beau, belle, mais celui exprimant une vie intérieure bouillonnante.

Probablement, les autres réussiraient aussi, en relâchant à un moment donné leur gardes, mais je devrais leur faire 36 photos et pas une seule, et jeter tout le reste.

Je me fatigue vite ces jours, mais en quelques heures on peut avoir tellement d’aventures passionnantes, rapporter des souvenirs qui durent ensuite longtemps.

Il pleut quelquefois à Paris, mais la ville n’est plus grise. Je ne dois plus taire qu’il ne neige pas et la ville, ainsi que mes photos parlent sans les mots français qui me manquant quelquefois. Les images sont internationales, n’ont pas besoin d’une 'musique bien français'.

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2008: je dois retrouver les CD où j'ai mis mes images prises à l'époque, ajouter quelques unes ici.


Mon énième cahier

20 décembre 2002

Voilà, c’est décidé : j’écrirai dans ce cahier-ci mon prochaine journal. Les cahiers n’ont d’ailleurs pas tant d’importance et je ne sais même plus si celui-ci est le 16e ou 17e cahier.

En tout cas, c’est agréable d’y écrire.

J’avais décidé d’attendre le 25 ou le début de l’année prochaine, en souvenir des premiers lignes écrits en Noël 1944, mais je ne l’ai pas tenue. J’ai trop envie de m’y mettre ce matin.

Certains cahiers, comme celui que je viens de reposer à l’instant tout en caressant sa couverture agréable de liège, sont remplis au bout de deux mois (c’était début 1997), rempli de souvenir et des dialogues. D’autres, m’ont raccompagnée pendant vingt ans (le 10e de 1966 à 1986). N’importe, dans chacun est cachée une partie de moi. Oui, Stéphanie. Pas en chair et os, mais âme, esprit, chagrins et joies.

Aujourd’hui, je déjeune avec Stéphanie. J’aurais voulu lui faire rencontrer Slavia, peut-être une autre fois. J’espère que Slavia ne s’est pas fâchée parce que j’ai dû la quitter, courir vers le dermatologue.

La dernière fois, s’était elle qui m’a mise dehors après deux heures: elle devait aller quelque part. Je pensais que deux heures de discussion seraient assez, davantage la fatigueraient. En fait, cette fois, nous aurions eu davantage à se dire et elle avait réservé plus de temps. C’était trop tard pour changer mon rendez-vous chez le docteur.

J’ai envie de la revoir. Et elle ?

Il faut soigner, le bourgeon de cette amitié naissante est fragile.

J’ai tant à faire! Recopier ce que j’ai écrit et retraduit (les débuts et fins des journaux), organiser le reste. Continuer à écrire.

Les dernières photos ont bien réussi, ces images accompagnent dorénavant ma vie, elles aussi, et parlent de ce et ceux qui m’entourent.

Le pompier vendant des agendas à la fête de Noël des retraités, mardi dernier. Le serveur en veste blanc, les vieux fiers, dansants, le violoniste jouant près d’une table et le couple de vis‑à‑vis à l’oblique de ma table de huit. Les techniciens réparant ma voiture. Les anciens et nouvel immeubles de Paris, le trou de métro et le tabac. L’agent dirigeant la circulation. Tout et tous qui se laissent prendre «s’immortaliser», et ceux que je surprends de loin. Tout qui me parait intéressant autour de moi.

C’est dommage que je n’aie pas commencé longtemps avant, j’aurais plus de 'contexte' autour de moi. J’ai bien quelques photos, de bons souvenirs, surtout des amis, amies ou amants, mais trop peu d’autres photos donnant l’atmosphère des lieux ou des temps ou des gens m’entourant des époques lointains.

Et si j’essayais les capter en mots? Les faire revivre en moi?

La rue au long de Petit Szamos est devant les yeux de mon esprit et, peut-être, je pourrais visiter ma ville natale et quelque chose doit y rester, si pas beaucoup, de la ville de mon enfance. Il n’y a plus sûrement les cochers avec cheval pour nous transporter comme jadis, encore moins ceux avec luge l’hiver. La ville n’est pas aussi tranquille et les bicyclettes des jeunes auront des moteurs. Les voitures ont dû paraître et la ville s’étendre.

Y a-t-il encore des acacias d’odeur miel au long de la fleuve ?

***

À Bucarest, je ne pourrais pas prendre l’intérieur de ma lycée technique, tant aimé, un beau grand pavillon transformé. Au plus, évoquer l’odeur sulfureuse montant des laboratoires de sous-sol, non, un seul avec le petit réduit où l’on fabriquait le H2S pour séparer les métaux du deuxième groupe. Et, avec le temps, j’aimais même cette affreuse odeur! Comme mes collègues, s’y trouvant.

Je conserve une photo, deux même de mon amie Alina, mais aucun de Moïse, mince, grand, avec des énormes lunettes foncées et les yeux sachant tout. C’était l’intelligence et la vulnérabilité de ses yeux qui m’avaient attiré en fait, ni son visage (un peu souris), ni son corps maigre.

J’aurai dû prendre des collègues de travail, tous en blouse blanche, le tramway bondé de matin, des étudiants en attente devant les salles d’examens. L’allée des roses menant vers le parc, les saules pleureurs autour du lac et le banc de nos baisers, le lac la nuit sous la lune.

Je n’ai pas assez des photos de maman. Ni d’Egon, rencontré à peine demi heure après qu'il venait d'être relaché trois ans de prison solitaire, tout blanc encore. Il avait groupie simplement en étant ami de l’adjoint de Ministre de quelqu’un (Luca) dont Dej et Ceausescu voulaient s’en débarrasser. Ni de photo des prisonniers du spectacle d’opéra, vu le soir même, Leonore de Beethoven je crois, mais je les vois encore devant mes yeux, sortant titubants et enchaînés, clignotant encore les yeux à la lumière et posant une lourde pierre dans mon cœur. «Et encore, pourquoi ? »

Je n’ai pas de photos de Bruxelles, froide, ni de Zurich et le pensionnat près du lac entouré déjà des tulipes et des jacinthes. Je n’ai pas des photos de Bakaa et de mes collègues d’Ulpan, du vendeur de pamplemousses et oranges, des enfants jetant des cailloux sur mon bébé nouveau né et de leur père arabe haussant l’épaule. J’ai quelques photos des cactus entourant les immeubles où grand-mère, et nous habitions. Le sable, transformé en gazon en moins de trois mois, je n’ai pas eu le temps de l’immortaliser.

Ni l’épicier roumain, ni le marché bondé ou la piscine près de ma tante. Ni la salle de gym de Tel-Aviv transformé la nuit en chambre à coucher et vite, le matin toutes les traces d’y avoir vécu effacés – c’était le lot de ma tante pendant de fort nombreuses années, et aussi de ses deux filles, avant grandir. Pour moi, juste quelques jours.

Je n’ai aucune photo du moulin et la première maison en France où j’ai habité, ni les environs avec sa riche végétation : je pourrais y aller. Ce petit moulin, existent-il encore à Saint Didier à deux kilomètres de Thoissey au bord de la Reine ?

J’ai quelques photos de notre premier voyage en Europe : le Mont Blanc derrière moi. Rien du petit restaurant au bord du lac, la seule fois que nous n’avons pas mangé 'du sac'. Je n’ai pas les champs de melon où nous avons dormi, (et goûté le fruit). Ni de notre première voiture, quelques mois auparavant, éparpillée en pièces détachés sous la grange que je regardais des semaines avec le cœur lourd me disant: voilà disparu l’espoir de jamais avoir une voiture. Mon mari fit le miracle et nous voilà parcourant le monde quelques mois plus tard avec les pièces assemblées, mises en route. Il le mit souvent au lendemain, puis il s’y est mis et le réussit.

Je pourrais aussi retourner à Ham et prendre en photo le tour de Nesle et le portail du Grand Moulin, bien qu’il reste devant mes yeux. Plus, les employés chargés de garder l’usine en mai 1968 jouant de la boule dans la cour d’usine fermée.

J’ai aucune image de Pierre, à cinquante ans, cheveux courts en broussaille (drus?) poivre noir et blanc, le visage accusé et bronzé (taillé en pierre de serpent ?), les yeux bleus, chauds, amicaux, les bras musclés, bronzés et le pas décidé. Ni de sa garçonnière dans le jardin de l’immeuble. Ni de mon appartement au 2e. La brume renvoyait sur nous l’odeur des 'éluants' puants.

Je me souviens de cette période comme lourde pourtant j’y eu beaucoup de joie. Avec Pierre, avec mes enfants, avec le nouveau laboratoire et mes laborantines à qui j’avais appris à travailler, que j’avais réussi à lancer dans la vie.

Pas de photos non plus de la maîtresse de l’ingénieur chef (et épouse de secrétaire de direction, puis épouse d’un jeune ingénieur), m’empoisonnant la vie tant qu’elle pouvait.

J’ai quelques photos d’Eaubonne et de Gif-sur-Yvette, pas de la cantine de l’Institut de Recherche où nous avions tant de bons plats, ni du labo où je travaillais, ni des gens m’entourant.

Mester, petit noble snob, sa femme mince élégante et toujours en talons hauts, serrant sa bouche. Le jeune chercheur allemand réalisant certains de mes idées, mais n’ayant aucune nouvelle à lui. L’Écossais, protestant ' je ne suis pas Anglais!' Le Chinois, se plaignant de sa femme ne lui apportant plus ses pantoufles après une année en France. Rosy, vivant avec un PDG retraité catholique, séparé de sa femme depuis une dizaine d’années, séparé mais pas divorcé 'ça ne se fait pas'. Vivre avec une autre femme? ça se fait… passer les vacances avec elle sur les côtes de Bretagne, aussi.

J’ai des images d’Amérique, mais pas assez, pas des Toast Masters et, etc.

Je dois partir, et vite, pour mon rendez-vous.


Pendant que je suis en train d’introduire ceci dans l’ordinateur, j’ai mes réponses et les photos. Le moulin est devenu un atelier des meubles. 2008: Depuis que j'ai écrit ceci, j'ai pu retourner est j'ai fait quelques photographies de certaines de ces endroits. Devrais-je les mettre ici?

16 décembre 2002

Mon fils est revenu d’Amérique. Ça va bien. Toute la famille, contente de le retrouver.

Ma petite fille avec son visage plein de boutons de rougeole. Ce visage piquant m’a rappelé mes taches de rousseur. Je me suis rendu compte aussi qu’ils peuvent rendre un visage attirant. Approchable. Piquant. Ajoute, et non retire de son charme.

***

Je suis en train de retraduire les premiers pages de chaque journal, cahier. En général, réaffirmation de la raison de les écrire, le motif change et se développe au fil de temps tout en restant le même. Capter le présent pour l’avenir, suivre le développement, les faire connaître. M’exprimer, mieux me comprendre et me soulager.

Plus je les relise, plus je constate que le texte est effectivement un merveilleux témoignage. Je ne dois pas renoncer à les faire connaître par n’importe quel moyen qu’il soit. Ces textes sont encore peut-être du diamant brut, encore besoin de les sculpter, mais ici ou là brille déjà.

Une question - exercice recommandé par Jerry Cleaver : un personnage compare comment dans les temps il voyait sa vie future et ce qui s’est réellement réalisé. Une autre façon de la prendre serait aussi : «Et s’il c’était passé comme je la voulais ou croyais qu’il va se dérouler, qu’aurais-je perdu?»

14 décembre 2002

Écrire quinze minutes au moins dès le réveil. Ou alors, plus tard, à divers moments de la journée. Bien.

Mais quoi et à quoi cela servira?

J’ai déjà appris à plonger. Je voudrais de nouveau m’attaquer à un roman entier, plonger dans un univers «parallèle».

J’hésite, je recule, serait-il encore un chemin me conduisant nul part?

En vrai, la dernière fois, 'Diane', je l’ai trop collé aux évènements réels et n’a pas «joué le jeu» de la fiction au fond, pouvant mener à n’importe quoi. À force de vouloir trop la diriger, décider que celui-ci n’était pas bon pour elle, n’était pas le vrai, le récit a refusé s’écrire.

Je crains l’intervention de début de l’année prochaine, j’ai encore à faire avant de mourir. Mes projets sont en route, je vais mettre plus de temps, plus d’énergie à les finir. Au moins, les mettre de nouveau en état.

Les journaux, même si pas complets avec les nouveaux récits qui surgissent sans cesse, seront en quelques jours «en état». Pas finis, pas toute à fait corrigés, mais au moins, réimprimés, reliés. Lisibles, j’espère.

Tout en continuant d’écrire des souvenirs m’envahissant, merci bien, sortant et complétant le contexte de ma vie et de l’époque, et ajoutant, j’espère, de la couleur, je dois maintenant m’attaquer au livre sur l’Écriture.

Relire avec courage. Oui, j’en ai peur. Éliminer. Compléter. Modifier. Réimprimer. Avec ce que je sais aujourd’hui. Peut-être, en quatre volumes différents, alors ils me paraitront à moi aussi moins menaçants. Il serait dommage de laisser se perdre tout ce bon matériel et ne pas les offrir aux autres aussi pour en profiter.

Et même moi, en relisant. Qui sait ce qu’en sortira…

Les quinze minutes se sont écoulées ce matin. La deuxième page presque remplie.

Ce cahier - journal aussi, presque fini. Je suis toujours un peu attristée à me séparer d’un cahier : comme si une partie de moi se détachait, me quittait, je la quittais. Étrange. Stéphanie était contre l’expression «je te laisse et je vais me transporter dans le prochain cahier» - pourtant, il contient une certaine vérité. Pour moi.

11 décembre

Grand problème, des interrogations. Où arrêter un volume de l’autobiographie à chaque fois.

Où commencer ce n’est pas un problème : juste un peu avant que le foudre frappe. Ou alors, pendant. Ou juste avant que je me suis rendu compte. Finir quand on croit que tout 'baigne'?

Ces dernières versions, je les finis optimiste, avec juste une trace des orages à l’horizon.

  • Fini ! toutes les six années ! (fin Simon, mais début Sandou)
  • Arrivé en France, premier passé des frontières
  • Revenu à Paris après l’Amérique
  • Seule mais écriture des livres et rencontre avec François
  • Ensemble sous les éclaires et la foudre qui tombe

Mais je pourrais finir aussi par déchirure, divorce, etc, etc.

Non, les luttes sont ou gagnés ou survécus: c’est cela qui est à montrer.

L’important, pour les autres, n’était pas les coups de sort ou ceux venant des autres ou même de moi-même, mais comment je les ai surmontés à chaque fois. Encore plus, quoi de bon les obstacles m’ont apporté plus tard dans la vie.

7 décembre 2002

Ce que Slavia écrit est de la 'littérature', profonde et vraie. Sa vérité, souvent aussi celle de l’humanité. Tragique et assez pessimiste. Son judaïsme en jaillit avec une telle force!

Un peu trop savant, en y mettant trop de ses recherches académiques sur le moyen âge. Mais aussi l’ivresse des mots enchanteurs. Gravant le contenu. Un récit effrayant, attristant. Ici ou là je retrouve la parenté avec mes thèmes, mais elle écrit de la littérature frappante, pendant que moi juste un témoignage balbutiant.

J’étale le plaisir des sens. Je me suis lancé un défi jusqu’où je puis aller avec ça.

Slava me dit qu’un demi-mot est assez, sinon plus puissant. Étonnant livre.
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2008: Stephanie m'a avertie: "fais attention, c'est fausse ce qu'elle écrit, tout en surface" - à l'époque je ne la croyais pas encore, j'étais fascinée par sa prose. Jusque jour où elle me dénigre moi et tout ce que j'écris devant des nouveaux connaissances.

Où est la vérité ?

La vérité. Où est-ce la vérité ?

La nuit de noces. Est-ce quand j’ai saigné, devenue femme et récité «à toi je me suis donné", de Tagore en français, ou est-ce la nuit après notre mariage, 18 mois plus tard, l'attendant et espérant en vain qu’il vient dormir à mes côtés? Sandou est resté couché sur un matelas par terre, refusant de partager le lit conjugal avec moi.

Le voyage de noces. Était-ce celui de Suici, quatre mois après la première fois? Le jour où nous avons fait l’amour cinq fois et à chaque fois que le copain de son grand frère frappait à la porte nous étions justement… occupés? L’amour entre les énormes marguerites l'après-midi, la danse sous la lune dans la rivière le soir venu, toute nue? Où alors la 'vraie' lune 'de miel' après notre mariage officiel, enceinte, luttant contre la nausée, amère et espérant en vain qu’il s’intéresse à moi et non aux anciens belles immeubles de Prague?

2008: Nous étions déjà inscrits à la Mairie pour nous marier, quand je me suis rendu compte que j'ai tombé enceinte. Peut-être, d'ailleurs, c'était arrivé je jour quand nous avons décidé de nous marier.

Mais là aussi, une photo s’impose et rappelle le compartiment de train et le visage ravi de mon mari, tellement heureux après l’amour. Puis une autre, ma grimace amusante après avoir goûté l’eau minérale guérissant de Karlovy Vary.

Tout n’était pas noir, tout n’était pas rose, non plus.

Et même à Suici, j’ai boudé et il m’a heurté. Et, en plus, à l’époque, je ne « goûtais » pas encore pleinement l’amour physique - pas autant qu’après la naissance de notre fille. Les images que les photographies pris à cette époque revivent, sont si variées!

***

Les photos d’Angleterre avant notre mariage avec François témoignent des instants heureux, d’ailleurs même certains souvenirs. Pourtant, il y eut aussi des querelles monstres à cette époque déjà, des malentendus sur les mots et, hélas, aussi l’impression de ne pas vivre dans le même monde, même pas sur la même planète. Par instants, il vivait dans celui qu’il m’avait dévoilé de nouveau quinze ans plus tard - dans lequel il est retombé. L’a-t-il jamais quitté?

Déjà, il supportait mal mes succès.

Les premiers grands querelles ont éclaté le lendemain qu’il a lu dans le Point le critique élogieux sur moi et mon livre, il n’avait pas supporté qu’on m’y qualifie dans l’article (en exagérant) comme «un des plus grand esprit de la microinformatique en France».

Quinze ans plus tard, il ne supportait même plus ma tranquillité d’écrire sans publier, tout comme quelques mois avant mes succès d’animatrice de l’atelier d’écriture et ma sérénité même dérangeaient sa dépression et encore davantage sa manie, ses mégalomanies subites.

Même sans vouloir publier, je continuais à 'être'.

C’était insupportable.

Aujourd’hui, je peux en sourire. Bien. Utiliser l’expérience. Un jour, on lira, quelqu’un profitera de ce que j’écris. Non pas 'sur moi': sur la vie et les diverses facettes d’un être. Des êtres.

Je n’arrive pas à m’endormir. Que ferais-je demain?

6 décembre 2002

There are some truth we’re just not ready for. (Il y a certaines vérités pour lesquelles nous ne sommes pas encore prêtes .) Oui, comme moi, en 1961 au sujet du journal de Sidonie.

Vérités parallèles

Il y a plusieurs vérités parallèles, ou des vérités à plusieurs niveaux.
  • Ce que j’ai écrit dans le journal après mon mariage avec Sandou parle d’une femme se débattant avec une réalité inattendue, du mari devenu lointain et cherchant comment retrouver l’amant enflammé de jadis.
  • La réalité de mes souvenirs dans lesquelles paraît un signe avant-coureur de ce qui allait se passer des années plus tard.
  • La réalité des lettres, dans lesquelles transparaît l’envie physique grandissant avec les semaines et mois d’éloignement et le souvenir du choc à retrouver un étranger en face de soi et puis, malgré tout, aussi celle de corps connu, retrouvé.
  • La réalité de ce que disent les photos de cette période après le mariage est autre. Mais elles varient aussi, selon qui et quand les aient pris.
Traian, mon beau-frère, photographe de métier, paraît fasciné par sa belle sœur sophistiquée, élégante, dont je ne me rappelais l’existence, si les photos qu’il en est fait n’étaient pas là, noir sur blanc. Moi même je ne me voyais jamais ainsi.

Ses photos montrent une femme élégante : ma fille resta étonnée quand elle l’aperçu. Je m’en souvenais moi aussi mieux de la femme avec cheveux en désordre, habillée n’importe comment, trop maigre pour plaire à sa belle mère.

Les photographies faites 'après' par Sandou, mon idée, illuminent une femme et homme ravis de contentement. Qu’on était, tous les deux, ravis aussi de le faire ressortir chez l’autre et faisant tout qu’il apparaît. C’était une facette de nous enfoui sous les cendres et peu présent dans le journal sinon par les poèmes célèbres recopiés, datant d’avant le mariage. Les heurts d’après mariage ont oblitéré en moi ses instants magiques pourtant réelles.

Et même le fait que nos corps s’entendaient même quinze ans plus tard alors que l’âme et l’esprit se haïssaient déjà de trop des heurts accumulés.

Il y a aussi les photos voulus par Sandou. Il me rassura, que tenant compte que nous développons à la maison, personne sauf nous ne les verra pas. Au début, j’ai dit « alors, fais-le de dos, obliquement (à la Velázquez). D’où les photos des seins aperçus dans le miroir et celui de femme nue de dos sur le lit. J’aimais son corps et je fis la même de lui, mais après, il tourna et je le pris aussi de devant. Comme je ne lui permis pas la même, au lit, il me prit finalement dans «milieu naturel», nue près de la baignoire.

C’était la période d’ivresse des photos, sa passion d’alors, nous en fîmes tout le temps, mais c’était aussi la période de l’ivresse des sens. Peu de souvenirs restent, surtout le visage enfantin satisfait de mon amant, la rondeur des épaules de la femme et le courage finalement de se montrer en chemise de nuit, ou même, sans rien.

Toutes ces photos racontent une histoire différente de celle du journal à l’époque. Pourtant, l’une et l’autre étaient vraies.

Sept ans plus tard, je me sentis moche, presque vieille, n’ayant plus envie - d’après mes souvenirs - qu’il me touche. J’avais Pierre. Je pensais à lui dans la forêt, après l’amour, quand Sandou m’a photographié. Pourtant, satisfaite, je le regardais lui, me dit la photo.

Lequel est vrai ?

Cet homme beau de l’après-amour avec corps musclé de l’athlète grec que je garde dans ma mémoire, a-t-il pu disparaître dans cette homme de sa dernière année, photo prise par sa fille ? Je l’ai vu ainsi, moi aussi, mais je ne m’en souviens pas du tout de lui ainsi : disparu sous la graisse, déformé de boisson.

Les photos témoignent d’une réalité non gravé dans mon mémoire et dont je m’étonne encore.

Je me souviens de la méchanceté de ce reporter de télévision, montrant les photos de la jeune belle femme et regardant ensuite la vieille obèse qu’elle était devenue avec un sourire ironique, méchant.

Je n’ai pas honte de ces photos de nues, ni de cette femme élégante, c’était aussi moi, on aurait pu, même à cette époque prendre une image moche ou dégoûtant de moi. Mais on peut aussi surprendre, même maintenant avec deux fois le poids que j’avais alors et trois fois l’âge, une expression chaude et intelligent - fondant en regardant mes petits-enfants, brillant vers mes amies, sinon plus vers un homme. Mais qui sait, jusqu’à 75 ou 80 ans…

La même chose est vraie des photos que François a fait de moi.

Heureusement, il en a fait aussi au début, et aussi les derniers jours. En comparant les deux, on ne dira pas que c’est la même femme. Non seulement le poids et quinze ans de différence, mais surtout l’expression. Sortirait-elle jamais de ses cendres, sinon jeune mince élégante ou ravie, mais au moins, cette femme qui est vraiment moi, naturelle et chaude ?

Pour le moment, dégoûtée, je jure qu’on ne m’y prendrait plus. Tout en sachant que si je trouve une autre âme sœur (frère) je tomberai probablement de nouveau sous le charme.

«Plus de mariage !» dit Slavia, «des liaisons, oui».

Papier ou non, la communion de l’âme plus importante, j’espère bien, dorénavant, que celui du corps. Mais pourquoi oblitérer le corps, existant, qui existait jadis. Sans les photos d’Angleterre sous la douche, je n’aurais pas de souvenir d’attrait de cette femme de 53 ans. Sans les photos sur l’arbre, nous deux, que resterait-il de la souvenir de la passion qui flambait entre nous ?

Slavia dit dans son livre que les instants de tristesse paraissent interminables, ceux de bonheur juste un éclair d’instant. Alors, les photos de quelques-uns de ces instants rappellent au moins qu’ils ont bien existé, eux aussi. Même si recouverts aujourd’hui sous le centre d’amertume, des pertes d’illusions - elles témoignent.

Elles disent aussi : Non. Il n’a pas fait pendant tout le temps semblant d’être un autre, à cet époque-là, c’était une facette de lui. Comme celui de mon premier mari.

Maintenant, je ne m’en souviens que de l’homme courbé devant la femme dominatrice noire lui reprochant d’un ton sévère de maîtresse d’école de lui avoir raconté des bobards. Cette image se superpose même sur les anciennes photos maintenant, mais, qui sait, en vingt ans (si je vis autant) comme pour Sandou, peut-être nos moments heureux surgiront aussi ici ou là, comme des lueurs illuminant le cheminement de ma vie.

On peut finir par ruptures, amertumes, mort. On peut aussi par des joies, espoirs, réalisations. Dans la tristesse ou l’ivresse.

Moi, j’aime les fins heureuses.

La vie nous balance haut, bas, haut, bas et ainsi de suite. heureusement, nous rebondissons. Rien ne m’empêche de terminer chaque volume de mes mémoires avec un moment de l’espoir.

ps 2008: il y a beaucoup des photos avec ce texte, pas dans le journal mais dans l'édition que j'ai publié, mais je vais encore réfléchir si je vais ou non ajouter ici les images - ou peut être, un lien vers l'album où je vais les mettre. Prendre de traitement de texte, où ils étaient, n'est pas facile, mais il s'agit ici surtout de voir combien je suis prête à me réellement "dévoiler" sur le net, même si seulement pour une femme très jeune qui n'existe plus que dans les souvenirs et des photographies.

Rencontre

4 décembre 2002

Rencontre avec Slavia. Qu’en sortira-t-il ?

Au moins, de penser plus profondément à certains choses. Je viens de lire sa biographie, elle m’a impressionné. J’ai commencé à lire son livre, il m’a choqué. Choc en sens « atteint », ébranlée. Je ne puis le lire qu’en petites doses, je dois cogiter sur ce que je lis.

Elle est d’origine mélangée, des langues et cultures diverses se mêlant. Polonaise, allemand, français. Chrétien et juive. Scientifique et littéraire. Et encore beaucoup d’autres.

« Jaillit-il bon du mal » ? Je ne suis pas convaincue. Mais en nous écartant du chemin que nous suivions, on arrive, dérive, vers sentiers nous conduisant vers les routes plus intéressantes.
Au moins, c’est arrivé ainsi dans ma vie.

Je croyais devant moi une semaine vide et me voilà avec une remplie.

Lundi, rencontre entre moi et mes mémoires.

Mardi, la sœur de madame Filipetto, sa gentillesse et ses fleurs, après que j’ai véhiculé sa sœur d’Argenteuil à Antony. Que l’oignon rissolé peut être bon ! Elle me donnera aussi une touffe des girofles le printemps.

L’après-midi, visite chez Slavia, discussion sans arrêt pendant deux heures et demie. Le soir, le choc de début de son livre « Idzy ».

Mercredi ? Je verrai. Le matin avec David.

Jeudi, rencontre et discussion avec Radu, fils d’Alina en passage par Paris qui dormira une nuit chez moi et a besoin de mes avis.

Vendredi, Slavia vient ici.

Tout, sauf une semaine vide !

Comme on dit, on ne peut jamais savoir à quoi mène quelque chose dans lequel on entre, vers quoi l’on va.

Slavia dit que le bonheur ne dure pas. Oui, mais c’est intense. Court ou long, on s’en souvient. Une nuit, une année ou plusieurs, même s’il disparait.

Même quand on doit le payer cher par la suite ?

Il faut choisir : vivre ou végéter. Oser, même si on le perd à la fin. Rebondir.

27 novembre 2002

Oui, mes journaux montrent au moins deux choses différentes.

L’une étant que les coups du sort nous entraînent sur des chemins inattendus et merveilleux.

Il y a de nombreux exemples dans mes journaux, ma vie, mais l’une d’elles je m’en suis aperçu justement hier. À cause des imbéciles m’interdisant l’entrée à l’université, j’ai dû étudier moi-même. Je me suis habituée à le faire, l’aimer, et même aujourd’hui, cinquante ans plus tard, je continue. Je n’ai pas besoin de quelqu’un me donnant en personne des cours pour apprendre ce qui m’intéresse.

L’autre, mais pour ceci il faudrait les lire tous - au moins plusieurs volumes - sont les diverses facettes d’un même être.

La fille religieuse et l’athée, la sérieuse et la léger, le chercheur abstrait et la vendeuse créatrice d’entreprise, la petite fille puis mère puis grande mère et l’amie, l’enseignante, l’écrivain des livres techniques et celui des romans érotiques, l’être attaché aux meubles antiques et celle s’habillant n’importe comment, la maigre et la grosse, tous, au fond, la même. En une seule.

Suivant les circonstances, le cours de la vie, les situations - une autre facette du même personnage se révèle au fil des pages et d’années.

Au fond, restent des valeurs et amours fondamentales.

Oui, j’ai laissé Paul m’entrainer dans dépenses des restaurants, je me suis délectée de ses 'petits déjeuners complets' comme il le disait, qu’il me servait au lit. Mais j’ai refusé, tiré la ligne quand, jaloux, il a essayé m’éloigner de mon fils travaillant vraiment bien à l’instar de soi.

Oui, j’ai laissé François mettre son piano électronique, devenu orgue, devant le secrétaire de mon arrière grand mère, même encombrer le divan me permettant auparavant le contempler, ne voyant plus que ce qui dépassait encore au-dessus des notes de musique et du lampadaire, de loin, du fauteuil double. Mais c’était le premier objet récupéré et il resplendit aujourd’hui devant moi dès mon réveil en toute sa beauté. J’ai réussi à le débarrasser aussi de la poussière qui noircissait un de ses partis à lequel pendant quinze ans je ne pouvais accéder.

Je ne regrette, ni la musique m’enchantant venant quant de l’orgue quant du piano, ni la constance de mon attachement à ce meuble. D’ailleurs, il avait dû comprendre et probablement avait l’intention de l’utiliser comme chantage - s’il avait pu, si je lui avais laissé l’occasion.

J’aimais les hommes, l’amour, les caresses reçus et donnés - mais mes enfants, petits-enfants venaient avant tout. Je me faisais petite, mais non pour les défendre, je m’éloignais d’eux en les laissant se débrouiller, mais courant vers eux quand ils avaient besoin d’un coup de pouce ou aide.

J’étais fidèle en amitié et aussi en amour, tant qu’on ne me trahissait plusieurs fois et souvent, même au-delà.

J’ai continué à bosser, apprendre, lire, étudier, enseigner, tout au long de ma vie. J’aime lire au lit maintenant comme à 15 ans. Le petit déjeuner au lit est complet même sans sexe, j’admire la branche brillante sous la brise même sans le regard d’un compagnon à mes côtés.

Devant moi, trois albums photo, la petite maison, la cigogne regardant vers haut et son ombre sur le mur blanc. Oui, j’aime mon foyer, le calme de la maison, oui, j’aspire comme me le disait jadis Sandou vers haut. Non en position, ni fortune. Faire, réaliser. Faire connaître. Apprendre, comprendre davantage.

La curiosité, l’envie de rechercher, mieux maîtriser ce qui m’intéresse, n’a pas changé non plus à travers les années. Et, probablement, mes points faibles non plus.

D’ailleurs, en cela mon dernier chef, Trash, avait raison : certains des qualités deviennent défauts et à l’envers. Quelquefois pour d’autres, des fois, même pour soi-même.

***

La pauvre madame Filipetto s’ennuie de plus en plus. Comment pourrais-je m’ennuyer quand j’ai tant à faire encore ! Lire, comprendre, écrire, réviser, refaire, faire savoir. Croquer la vie. Le vivre en plein, selon mon propre nature.

Tiens, elle m’a raconté encore de sa jeunesse et enfance.

De l’homme, passant devant les maisons sur les collines de l’Italie en criant : "Aux cheveux, aux cheveux!"

Il fallait se laisser couper trois fois les cheveux au ras de bord pour le tissu d’une robe d’enfant, qu’elle était à l’époque. On lui laissa un peu des franges avant et l’on couvrait le cran dénudé avec un béret. À la robe, faite par une couturière en bas, le village entre deux côtes, on mettait trois pis en bas et chaque année on ouvrait une, puisque la fillette grandissait.

Pas seulement elle, sa grand-mère aussi donnait ses cheveux, vendus probablement par l’homme parcourant les montagnes à Tourin pour perruques ou poupées.

«Nous avions une vache ou deux qu’il fallait nourrir, elles permettaient d’avoir la soupe au lait, quelquefois du fromage ou même du beurre. Et une douzaine des poulets. Mais les œufs, on ne les mangeaient pas nous, c’était pour les vendre et pouvoir acheter de sucre, un kilo des pattes ou de la farine.»

«À douze ans, on me plaça, de mai au novembre, je n’aillais pas à l’école que de fin novembre en avril, quelques mois. Avec 550 lires, maman m’acheta une robe, mais pas tout suite. L’hiver passa, le printemps, elle me l’acheta seulement à la fin du printemps suivante. Je l’ai porté deux ans, elle était tout usée devant. J’en ai fait une petite robe à ma sœur, en l’inversant, elle était plus jeune de dix ans que moi.»

«À quatorze ans, je fus placée comme bonne près de Tourin et à seize, je suis venue faire la bonne à Paris. Je donnais tout l’argent à maman. À Paris, il faisait froid. Le premier mois je me suis acheté un pull chaud, la deuxième une paire des chaussures. Le reste alla chez papa.»

«Aujourd’hui, ils ont fermé l’école là bas, il n’y restait plus que quatre enfants en quatre classes. Les maisons désertées, vendus à ceux travaillant à Tourin. Ils ont refait les maisons qui n’avaient à mon époque ni eau ni électricité, ils viennent les week-ends et en vacances mais ne s’occupent pas des terres et des arbres. Tout laissé en friche. Les loups viendront.»

Elle regard autour d’elle, dans son appartement beau, chaleur avec chauffage central, lumière, eau courant et gaz. Le frigo est plein, des fruits dans une corbeille au-dessus.

«Oui, on mangeait le pain, même séché, avec tellement de délice et aujourd’hui, je n’ai même plus envie de manger les côtes de veau que je me suis achetées. Je n’ai plus envie de rien. Vous, vous avez de la chance, vous avez de la famille. Des petits enfants.»

« Et j’attends que le mort me prenne vite, sans me faire souffrir. Là-bas, on sonnait les cloches pour annoncer quand quelqu’un mourait. Trois fois pour un homme, deux pour les femmes. Alors, on se demandait « qui s’était ». On parlait, on apprenait. »

«Il n’y avait pas de journaux, c’était le postier qui avec sa trompette se mettait le dimanche non loin de l’église. Les gens à la sorti de la messe l’écoutaient dire les nouvelles.»

***

Bien, ma belle-fille vient d’appeler, je m’habille, récupère la voiture; puis je reviens ici avec Gabrielle, nous allons passer ce mercredi ensemble. Grand sourire aux lèvres de Julie.

25 novembre 2002

Le matin, ma tête tourne à 150 à l’heure.

À six heures du matin, revenant sous la pluie - quand même avec un parapluie - après avoir déposé ma voiture au garage pour la peinture d’une partie réparée, je me suis décidée de m’arrêter à la boulangerie du coin de ma rue et acheter un croissant. Sans beurre. Un croissant néanmoins, bien que j’avais déjà pris mon petit déjeuner, comme d’habitude, au lit avant six heures. Oh, mon métabolisme foutu ! me suis-je dit.

Pourquoi certains peuvent manger n’importe quoi, même n’importe combien, tout en restant minces et je dois me ‘permettre’, tout en sachant les conséquences, un croissant, même sans beurre ?

En réalité, je sais. Leur métabolisme le permet. Mais d’où arrive cette différence en métabolism? Le mien me tenait mince et même maigre souvent pendant longtemps. J’ai grossi la première fois dix kilos en 1970 lors de notre voyage en Grèce au plus fort d’un deuil d’amour.

Oui, c’est alors que mon métabolisme a tourné. Quand mon cœur saignait, se déchirait. Oui, en fait, dans ma vie, je me suis dit en marchant sous la pluie ce matin, j’ai vécu avec quatre homes, non pas trois comme je disais souvent. Et celui dont je ne parlais pas était celui dont j’ai vécu la séparation la plus douloureusement. Quatre hommes avec qui j’ai dormi, nuit après nuit, avec qui j’ai vécu et connu intimement et non pas seulement au lit.

Nombreux autres avec qui j’ai eu une aventure fulgurante ou durable, mémorable en bien ou mal, dans ma période de fraîchement divorcée - voulant, nécessitant se prouver la féminité. Condamnez-moi ou enviez-moi, n’importe.

***

La séparation de Pierre m’a secoué davantage que celui de mes deux maris (ex). Ou de Paul, après quoi j’étais surtout furieuse contre moi-même et mon aveuglement volontaire.

J’avais cru être la femme d’un seul homme. J’aurais pu. Le destin, les hommes n’ont pas voulu m’estimer assez pour me rester fidèles - en fait ou en esprit. Sauf Pierre.

Il ne m’a pas trahi, ou alors, sa trahison ou ce que j’avais perçu comme tel « il m’a lâché » était seulement de la sagesse dû à son expérience. Il n’a pas assumé sa responsabilité entier d’amant. Après s’être fait battre jusqu’à ce qu’il ne lui resta plus de dents à cause des vieux syndicalistes le poussant en première ligne et les gardiens de prison sadiques et de Mitterrand ministre d’intérieur refusant d’intervenir malgré les supplications de son père gendarme, Pierre me laissa aller seul pour affronter mon mari la nuit quand celui-ci m’attendait avec un fusil à la main. « Ne lui dis que tu étais chez moi ».

Je ne lui ai pas dit.

Il le soupçonnait, même s’il n’a pas réussi à me prendre en flagrant délit.

Quand Sandou était venu me chercher chez lui à trois heures de nuit (matin), Pierre avait arrangé le lit, ramassé mes vêtements et avec eux dans les bras m’avait poussé rapidement dans le cabinet douche étroit de son petit studio donnant sur le jardin, puis avait ouvert tout nu, pour le choquer, la porte à Sandou.

Que veux-tu ?

Ma femme.

Elle n’est pas ici. Veux-tu regarder ?

Non.

Sandou parcourut des yeux le studio - je n’y étais pas. Il se dit aussi que sinon, Pierre n’aurait pas ouvert la porte, nu, il paraissait réveillé du lit, soudain.

En fait, quelques minutes précieuses avant, mon amie nous avait réveillé en appelant « il te cherche avec un fusil à la main. »

La porte fermée, sans lumière, Pierre attendit. Entendant les pas s’éloigner sur le gravier couvert des feuilles mortes craquantes. Il ouvre la porte de douche. Je l’embrasse, m’habille, le cœur battant.

Que faire maintenant ?

Attendre. Plus tard, tu sors, rentres.

Ne dis pas que t’as été ici !

Je suis sortie une fois et vite rentrée. Sandou était là, visible sous la lumière de couloir de deuxième étage, le fusil pointé vers le jardin par où je devais passer.

Nous étions assis sur le lit. Pierre, toujours nu. Oh, que je l’aimais ! Je n’avais aucun envie de le quitter. Au cours de l’année écoulée il était devenu mon vrai mari, celui officiel vivant loin et souvent avec sa maîtresse à cause de laquelle il nous avait quitté. Physiquement, il y a une année, émotionnellement, plus de trois ans déjà.

Pierre m’était si proche.

La troisième fois, Sandou n’était plus à la fenêtre et c’est alors que la peur me transperça. Il était de nature impulsif : « et si par fureur il tuait nos enfants ? »

Je devais y aller, les défendre. À tout prix. Pour moi.

Comment faire qu’il n’entend pas mes pas sur les feuilles mortes pendant que je travers la cour ? Il peut être près de la fenêtre, même si je ne l’aperçois plus.

J’y vais.

Vas-y doucement. Pas par pas.

D’accord.

Alors on n’entendra pas d’où tu arriveras.

Oui.

Un dernier baiser. La porte s’ouvre. La porte se ferme. Je regard la porte fermée de l’extérieur, de dehors maintenant.

Je me sens seule. Tellement seule!

En haut personne visible. La nuit n’est pas assez noire.

Je peux passer tout près du mur de la maison, alors je ne serais pas visible que si on se penche dehors. Le bruit! Les feuilles crissent. Oui. Un pas à la fois alors, tout doucement, lentement. Il faut se dépêcher à cause des enfants, aller doucement pour ne pas trahir Pierre. Un pas à la fois - mais sans trop tarder.

J’arrive enfin au coin. Ouf. Le plus dur est passé. Personne n’a entendu ni vu ni perçu d’où je venais. Je suis sur la rue à l’entrée de la maison et ma voiture est garée là tout près. Je pourrais m’échapper, aller loin, loin.

Oui, mais les enfants ? Non, je ne peux pas les laisser avec ce père enragé. Il les aime, c’est vrai, mais qui sait à quoi il est capable quand le sang lui monte brusquement dans la tête. Je l’avais déjà senti sur moi-même… et alors, il n’avait pas un fusil dans la main.

Il faudra rentrer. Je ne peux pas me permettre de m’éloigner autant que je le voudrais. Je dois le surprendre, arriver au deuxième étage sans qu’il m’entend, qu’il n’ait pas temps d’aligner les enfants en rempart, me menaçant à leur faire de mal. Doucement. Monter tout doucement. Un pas à la fois.

Oh, que je n’avais pas envie de monter !

Les chaussures dans la main, une marche à la fois. Arrêt. Mon cœur battait de plus en plus fort. Bon, encore une marche. Que cet escalier était interminable ! Jamais je n’eusse l’impression qu’il y eut autant des marches. Et en même temps, j’avais l’impression d’arriver trop vite.

Je n’étais pas préparé à ce qui m’attendait.

Je ne m’y attendais pas du tout à ce qui m’attendait, c’est vrai. Un complet effondrement de Sandou. Une épouvantable nuit blanche plein de ses aveux. Une passée d’illusions encore restées, détruites (« Je t’ai trompé dès la première semaine de notre mariage, me dit-il. »)

Et puis, le chantage moral. « Ma vie est finie sans toi. Sans toi, je repars en Roumanie détruit. » Des promesses de futur ensuite : il fera tout pour que la famille reste unie, rompra avec sa maîtresse. Définitivement. Puis, ne la reverra jamais.

Il a réussi finalement à susciter en moi mes rêves d’antan d’une famille unie. J’y ai cru sincèrement pendant quelque temps, quelques instants. Assez, pour lui dire :

« Essayons ».

Aussitôt, il a posé ses exigences.

Rompre. Tout laisser derrière. Tout auquel il a pu toucher.
Abandonner travail, meubles, même vêtements.

C’était vers le matin. Épuisée, hébétée, comment ai-je pu consentir à tout ? Était-ce un à un ? De concession en concession ? Qu’a-t-il arrivé à tout que j’ai du y laisser ? La table créée d’un tronc d’arbre que j’aimais tant ? et le reste ? Je ne m’en souviens pas, je n’en sais rien.

Le lendemain matin, Sandou m’emmena à démissionner de mon travail qui m’avait tant convenu et apporté pendant six ans. Le directeur fit savoir par son secrétaire qu’il n’était pas libre et qu’il me recevrait dans deux heures. Seule.

Sandou a dû attendre à notre retour avec le secrétaire. Quand le directeur ne pu me persuader de rester, il m’ouvrit la porte de son bureau vers la salle des réunions et Pierre s’y trouva. Le directeur ferma la porte et nous laissa seuls. Pierre me prit dans ses bras et m’embrassa avec ferveur. Il avait eu peur pour moi. Il me demanda de rester, me supplia à ne pas partir.

Je dois.

Le cœur lourd je suis sortie. Je laissai tout derrière moi.

Oui, avec le temps, très très longtemps j’ai guéri. Oui, à la longue c’était mieux pour ma vie, devenue ainsi probablement plus riche.

Je rêvais les nuits pendant longtemps d’une porte qui s’ouvrait et Pierre me prenait dans ses bras.

***

Cette nuit-ci, j’ai rêvé qu’au volant de ma voiture, sur l’autoroute, je dépassais, et subitement une voiture venant en sens interdit en sens inverse. Fonça directement sur moi. Je me suis réveillée avant de savoir la suite. Est-ce la fin ou ai-je réussi à m’échapper la dernière instant? Avec la vie? Sans blessures? Qui sait?

Hier aussi, j’avais eu un rêve désagréable.

Quel danger subit m’attend dont mon inconscient m’avise, me prévient? Vite, vite, que devrais-je faire encore avant la fin? Comment éviter le danger? Quel danger?

21 novembre 2002

Dans le journal d’APA on appelle celui qui écrit de journal 'diariste'. J’aime bien ce nom. En anglais, on dit qu’on écrit un Journal ou Diary. Di de days, jours.

Je suis, au moins, la troisième génération de diariste dans ma famille. Je ne crois pas que mon arrière grande mère Paula Feldmann a eu le temps d’en tenir, mais je vais déposer à APA la traduction française du merveilleux journal de grande mère Sidonie, tenu à partir de l’entrée des troupes allemandes en Hongrie, dans le wagon des bestiaux qui les emportait et dans les camps de concentration à Bergen-Belsen, puis racontant aussi leurs problèmes et joies en Suisse.

Il ne me reste plus des journaux de maman qu’un seul, dans lequel elle ne parle que de moi, d’une à trois ans et demi. Probablement, les autres la Securitate Roumaine, Police Secret Communiste a confisqué quand ils ont arrêté papa en 1950. J’ai bien retrouvé, après la morte de maman deux de ses derniers cahiers et je les ai détruit pour épargner mon père : il n’y avait dedans autre chose que «j’ai mal, cela me fait mal, il ne m’aime plus, j’ai mal, je souffre, je souffre, je souffre tant!» répétait-elle page après page

La génération des diaristes ne s’arrêtent pas avec moi, de temps en temps ma fille tient un journal et mon fils en a aussi écrit, au moins pendant son adolescence. Et, je jurerai, mes petits-enfants, la 5e génération de diaristes suivront.

C’est tellement émouvant de lire celui de Sidonie, après presque soixante ans ! Poignant, de parcourir le passé à travers les yeux de maman. Bien, aussi de me retrouver quelquefois avec mon ancien moi. Émouvant aussi, d’entrer dans l’âme sensible d’un jeune garçon subitement enflammé d’amour.

Un lapsus révélateur

21 novembre 2002

La réunion « Journaux Monstres » a commencé avec un lapsus, on le dit, révélateur.

La secrétaire (ou présidente du jour), l’a ouverte en parlant de ceux dont la vie, l’écriture avait été 'un échec'. Elle s’est vite corrigée, mais malgré tout, je suis restée avec l’impression qu’elle était convaincue, déposent à APA ceux qui ont échoué, par ailleurs.

C’est possible.

Ne pas pouvoir publier, momentanément ou définitivement, est-ce un 'échec'?

De tout de façon, publier ou non, ne devient, à mes yeux un échec que si publier à tout prix était l’aspiration d’une vie. Si le 'succès littéraire' serait ce qui était 'le plus important'. Et même cela est fort relatif. Un auteur best-seller d’aujourd’hui, ou celui recevant un prix littéraire, ou encensé par les critiques du jour, peut disparaître plus tard. Dans cinquante ans, personne ne s’en souviendra plus, quelquefois ni de lui ni de son œuvre.

Un auteur auto-publié ou dont l’œuvre n’a pas été appréciée pendant sa vie, peut être goûté, apprécié, aimé par la postérité. Si, ce qu’il a produit perce, reste vivant, devient actuel, ou le reste, puisque produit de plus profond du soi, ce qui est très ressemblant au long des générations.

Ma vie, mon 'ouvre' : succès ou échec ?

La vie de Van Gogh était un 'échec', même si ses œuvres sont devenus après sa mort un énorme succès. Mais, même là, je me trompe. Van Gogh a expérimenté, vécu, jouit de ce qu’il faisait. Non reconnu, il a dû vivre avec le plaisir de sa création néanmoins. Donc succès de plupart de ses jours. Plaisir de couleurs et peintures qu’il a mis dans ses œuvres (que j’ai vu à l’expo Van Gogh Gauguin à Amsterdam.)

Bon, sans se comparer à un 'monstre sacré'; et ma vie ?

Je considère ma vie un succès. À cause de mes enfants déjà : mon fils et ma fille. Mes cinq petits-enfants: une fillette et quatre garçons. Je n’ai pas besoin de la 'postérité', je vivrai à travers eux.

Je le considère aussi succès, puisque j’ai réussi à rebondir à chaque fois que la vie (sort, autres gens, circonstances, mes propres erreurs) m’ont mis à terre.

J’ai eu une vie riche, pleine de rebondissements. Je n’ai pas eu peur de la vie.

Ce n’est pas vrai.

J’ai osé, agi, malgré ma peur. Malgré mes craints. Je suis restée optimiste, malgré tout et tous. J’ai foncé souvent quand autour de moi on croyait 'impossible de réussir'.

J’ai fini mes études supérieures, malgré et contre tous les obstacles. J’ai eu ma fille les premiers mois après l’émigration et conservé mon fils avec détermination en conditions difficiles.

J’ai fait et refait plusieurs 'carrières'.

J’avais été pendant quelques années une bonne Chercheur en chimie macromoléculaire ; puis une excellent Chef de laboratoire d’analyses chimiques ; ensuite une assez bonne Chercheur en chimie biologique pour recevoir mon doctorat d’état ès sciences physiques à Paris.

Plus tard, je devins une Créateur d’entreprise et comme tel, j’ai participé dans la révolution Microinformatique et de l’Édition électronique de l’intérieur. Aussi Ecrivain en collaboration de deux fort bons livres dans le domaine Micro Informatique, dont le deuxième édité et réédité trois fois, avec le dernier de ses 10 000 exemplaires vendus par l’éditeur et des Articles mensuels, dans la revue micro informatique.

Plein de nouveaux produits introduits en France grâce à mon travail.

Le premier digitaliseur à partir de caméra vidéo en ordinateur, tablette graphique, tableur et un des premiers logiciels largement utilisés de mise en page, l’interface permettant l’introduction de sons et de musique dans l’ordinateur, etc.

Plus tard, mon travail d’aide aux 400 utilisateurs Macintosh, création des Formations fort appréciées.

J’ai donné courage à pas mal de gens.

Courage aussi à travers mes livres, et plus tard, mon travail volontaire dans le cadre de deux associations. Succès aussi, la vidéo, passé aux Canal 5, d’un échange de Savoir dans le cadre de réseaux, d’autant plus qu’à mon insistance, on a filmé - non pas moi donnant des conseils d’informatiques, banal- mais une petite fille de neuf ans m’aidant moi, à 61 ans, en français, et avec la correction de mes journaux d’enfance.

La plus importante sont mes enfants, me donnant déjà la satisfaction d’une vie bien remplie.
Ma vie sexuelle, affective et sentimentale n’a pas été vide non plus, malgré des périodes creuses et des énormes bas. Il y a eu aussi des fantastiques hauts.

Et je ne décourage pas sur l’écriture non plus et les futurs projets sur lesquels je travaille.

J’étais bonne enseignante et animateur, démarrant pas mal d’autres en Chimie, Informatique, Macintosh, Écriture et leur donnant courage à continuer d’eux-mêmes.

J’ai eu de formidables amies et j’étais bonne amie pour elles, j’ai eu des amitiés durables. Avec Alina, depuis nos 16 ans, nous avons presque 68 aujourd’hui. Avec Agi, à partir de ses 14 ans jusqu’à sa morte, il y a quelques années. Et Stéphanie, rencontré à Paris il y a combien? presque trente ans!

D’autres amitiés se sont effritées avec le temps, mais j’ai donné autant que j’ai pu. Aussi aux hommes dont j’ai partagé la vie. J’ai donné, aimé, apprécié tant que humainement possible. Au moins, je le ressens comme telle.

Non, malgré pleins d’échecs sur le chemin, ma vie, en ensemble, n’en est pas un.
Momentanément, je suis en train de remonter un creux, et si ma santé la permettra, je le réaliserai.

Dans cette maison, beaucoup plus modeste que celle de l’appartement de Butte Montmartre, un havre de paix, chaleur, souvenirs. Jardin avec fleurs et les oiseaux qui chantent, les voisins qui saluent me souriant.

Je me suis mise, trouvée une nouvelle passion: des photos. Ils m’aident à mieux regarder, mieux voir. Montrer, sans paroles. Ou avec peu de mots. J’ai de nouveau l’espoir que mon journal et mes écrits seront lus. Je sortirai de plus en plus, rencontrerai d’autres avec qui je partage les mêmes passions.

Plus c’est important, plus il faut de temps et des réécritures. Améliorer, les rendre plus claires et plus captivants. J’espère avoir encore le temps de les rendre ainsi. Pouvoir les partager. Discuter avec d’autres à travers mes écrits et photos. À cause d’eux, recevoir leurs confidences. Au moins, à quelques-uns, rendre un peu plus de courage en eux-mêmes et dans la vie, qu’ils ont eu auparavant.

Malgré le lapsus de la secrétaire, je déposerai mes journaux pour qu’on lise et pour les retours nécessaires. Déjà, merci, ce lapsus a inspiré ces derniers pages et un regain de passion de travailler sur mes écrits.
2008:
mes journaux n'ont pas été lu ni apprécié dans ce cadre, mais j'ai rencontré Michelle et Gelzy à travers cette conférence. Et aujourd'hui, nous allons tous participer ensemble à une fête, avec un programme d'une heure entier par Gelzy et Peire et l'orgue de barbarie, dans un resto pub près d'où j'avais habité jadis.

20 novembre 2002

Je me suis rendu compte que je l’ai laissé s’en aller de moi, et en même temps, je me suis enfin complètement débarrassée, libérée, le jour quand j’ai envoyé le paquet livres et CD à François sans attendre rien en retour. À partir de ce jour, ce moment-là, l’amertume, l’attente, déception, tout le tralala est parti, m’a quitté et m’a laissé complètement libre pour m’occuper de mon futur. Ma vie nouvelle qui arrivera, se forgera, se construira libre des poids du passé. Tout juste je pourrais l’utiliser à des fins créatifs, littéraires.

Ce que Michel a vu, lu, dans les deux derniers journaux avec récits était le poids que Monsieur occupait dans ma vie de plus en pus et moi, bonne poire, m’effaçais de plus en plus.

Puis crac, je me détache, tout change.

S’il l’aurait relu, il se serait aperçu que les signes avant-coureurs étaient là, ça a cassé d’un coup, mais craquelait depuis longtemps.

Je vais encore corriger, quelqu’un va devoir franciser 'dans le style', mais le texte est là et dira son propre histoire. Ma voix est celle de la narratrice, non pas 'héroïne' comme Michel affirmait. Je n’ai aucun ego là-dessus. Qu’il devienne leçon pour les autres, oui. Non que je sorte mieux que j’en étais.

La vie nous mène, nos tempéraments, un peu nos volontés. Nos aspirations.

Non, je ne me suis 'complètement' effacée, preuve que j’ai évolué, travaillé, étudié. J'ai survécu.

L'élan

18 novembre 2002

La réunion, fort intéressante, de l’Association Pour l’Autobiographie (APA), m’a donné un nouvel élan. Et peut-être, me permettrait de rencontrer des femmes intéressantes.

Oui, il y a eu aussi quelques hommes, mais aucun avec qui je pourrais lier amitié ou même des longues discussions intéressantes. Aucun qui le voudrait, disons encore plus sincèrement. Le fondateur, fort bon enseignant et conférencier charmant, me regardait comme un insecte quand je lui ai demandé s’il enseignait à Nanterre et il me répondit poli et fort distant.

Le cinéaste, un homme créatif et très intéressant, je ne l’ai même pas essayé d’approcher, il circule en trop 'hauts sphères.'

J’ai eu par contre des discussions intéressantes avec quelques femmes âgées, comme moi. Peut-être, échangerons-nous des écrits ou rencontrerai-je l’une d’elles.

Je suis presque pas allée, il aurait été dommage.

J’ai aussi appris que, momentanément, ils ont davantage de lecteurs (lectrices aussi) que des Journaux ou Autobiographies à lire. Les miens ne sont pas encore assez préparés, lus et relus par moi, pourrais-je me dépêcher un peu?!

Hier, j’ai commencé à huit heures de matin et à deux heures et demie après-midi je me suis rendu compte que j’avais oublié le déjeuner. Avec une interruption agréable, visite bref de Lionel et David. Ce dernier parle de mieux en mieux. Et quelle énergie !

Lionel va à Londres pour trois jours puis à New York pour une semaine le début décembre. Son travail prend l’envol qu’il souhaitait.

En rétrospective, la cassure entre moi et François était dû, non, sérieusement commencé, lors ma lecture du Nez et son grand succès, des rires à ne plus compter de l’audience. À l’époque, pourtant, je me suis dit que 'Tiens, il le supporte fort bien.' Ajouté en plus, le succès de mon atelier d’écriture quelques mois plus tard, peut-être en parallèle avec mes fibromes et douleurs, et le voilà qu'il était en plein accès de manie. Insupportable.

Sandou avait foncé avec sa voiture sur un chien, un chat et même un voiture lui coupant la route, mais lui, il l’a fait, pas seulement dit - avec moi à ses côtés. Et une fois, oui, même avec les enfants derrière nous. Cette fois-là, je me suis cogné le genou sans que quelque chose arrive aux enfants, et d’après lui c’était seulement pour écraser un chat noir osant passer devant notre chemin en pleine ville de Nantes (mais aussi après que je lui avais demandé en ville de rouler plus lentement).

C’est toujours la faute de l’autre. On trouve des excuses à ses actions.

Bon, je dois aller porter ma voiture en réparation, bientôt c’est huit heures de matin et le garage s’ouvre.


2008 :
curieux coïncidence: c'est alors que je parlais de lecture du NEZ et c'est a ce moment que j'ai rencontré Giselle / Gelzy! - et pardon pour ce que j'ai laissé ce jour, écrit ce jour en plus: je me suis arrêté à lire le matin, à la lecture de Nez et les souvenirs qu'il m'ont évoqué, je n'ai pas lu d'avantage.

10 novembre 2002

J’aime depuis trois jours mon visage, souriant, que le miroir me renvoi. Je me demande s’il était de même d’une photo. Je ne sais pas bien d’où vient ce sourire heureux, mais il est là.

L’automne passe, l’hiver arrive.


29 octobre 02

Mimi, tante de mes enfants est mort, hier ou avant-hier. Je ne peux pas la regretter, elle était devenue amère et méchante. Heureusement, elle n’est pas morte l’année dernière après ma visite. Elle a quand même prétendu alors que ma visite lui avait fait mal.

Elle avait l’impression que je voulais voler mon fils, que je voulais lui prendre les fauteuils (de maman) que son frère (mon ex) lui avait laissés en garde! Elle a oublié que son frère n’avait aucun meuble quand nous nous sommes mariés, oublié que je ne prendrais rien de mes propres enfants. Lionel m’avait chargé de lui faire envoyer de la Roumanie ces fauteuils venant de ma famille et j’avais essayé de le faire. Pour lui, pas pour moi. Et même si d’après moi, mais je ne lui ai pas dit, c’était à moi de les léguer, offrir, et non pas à elle, sa tante.

Pire, elle me parlait de son cher frère cadet «que tu as trompé et à cause de cela il a dû divorcer», négligeant qu’en fait c’était l’inverse. En fait, je suis allée la visiter la dernière fois seulement pour faire plaisir à mon fils qui tenait encore (pas comme moi) à sa tante et sachant qu’elle se sentait fort seule: elle s’y plaignait tout le temps.

Je l’avais apprécié fort longtemps à cause de son dévouement: elle a soigné son mari mourant, puis sa mère malade et hargneuse. Hélas, elle était sur le chemin devenue de plus en plus amère.

Oubliés, en plus de vérités sur notre mariage et séparation, tous les cadeaux que j’avais envoyé ou porté, tant pour elle que pour vendre ou ceux qu’elle a pu offrir aux enfants de sa famille et village de son mari, les robes et blue-jeans de mes enfants en fort bon état que je réservais pour eux, les eaux de Cologne français et les bas de nylon qu’on vendait à l’époque fort bien là bas, les tissus divers, etc.

À cette dernière visite, elle m’a aussi raconté une autre version de celui qu’on m’avait dit du mort de Sandou. Raconté à elle par la femme avec qui son frère, mon ex, le père de mes enfants, était allé à cette dernière repas : « son amie ».

Ce matin, je me suis réveillée avec un ciel rose, magnifique. Les nuages, petits, étaient aussi tout rose. Le ciel bleu derrière eux contrastait et les rendait encore plus féériques.

Il ne reste plus de trace de mes roses que dans ma mémoire, mais je les vois encore comme s’ils étaient là. Ce ciel avec nuages roses est un peu comme la ville où j’ai grandi qui n’existe plus, probablement, qu’en mon imagination. Elle a changée sûrement pas mal depuis que je l’ai quittée, mais, dans ma mémoire, elle vit telle que je l’avais connue.

Tout comme Sandou.

Il est resté en moi tel qu’il avait été dans notre jeunesse et tel qu’il était lors notre séparation, avec son beau corps bronzé musclé d’athlète grec. Jamais, bien que je l’avais vu l’année de sa mort, lors la mariage de ma fille, notre fille, cette dernière image d’homme super grossi d’ivrogne ne s’était pas imposée sur l’autre, celui qui avait été mon mari.

Ce matin, je me suis rappelé de la fille, jeune femme mère de moins de dix-huit ans dont il était enflammé lors de nos 33 ans, et dix ans plus tard, - il avait 45 déjà - d’une autre fille n’ayant pas encore 18 ans elle non plus. D’ailleurs, lors leurs premières effusions, elle ne devait même pas avoir 17 ans.

Je me suis rappelé, en me disant que je voudrais savoir ce qui en est advenu d’elle et que probablement, si j’irais à l’enterrement de Mimi, le fiancé d’alors de cette jeune fille, puis mari, puis ex, fils d’un cousin de Sandou et Mimi, sera là aussi.

Je me suis rendu compte, soudain, que nous avons tous les deux, lui et moi, profité quand j’ai appris leur liaison, appris d’avoir été trompée. Moi, en divorçant, me libérant enfin, et lui, en l’obligeant à se marier. Les amoureux ne voulaient pas que «ça se sache» - mais bien sûr, 'ça' s’est sûr finalement, même si pas à travers nous. Ce qui est le plus incroyable est que la famille a mis 'la faute' sur elle, jeune de dix-sept ans ! Et pas sur lui, passé d’âge mûr entre 45 et 46 ans.

Sandou n’aura probablement pas divorcé. Il voulait tout: famille et amante. Il a accepté probablement en voulant l’épargner, plus que de peur de 'ce qu’on dira' de lui, comme je le croyais à l’époque. Il en était fort épris alors d’elle et tellement éloigné de moi, sa femme.

Je me suis leurré longtemps que c’était moi qui avais divorcé, décidé notre séparation. En fait, ils m’ont abandonné, émotionnellement quitté, tous, longtemps avant que je romps.

Sandou aurait peut-être épousé cette jeune si les Roumains l’auraient laissé, comme il le désirait alors, « rentrer au pays ». François a épousé sa maîtresse noire aussitôt que la loi lui permit après le divorce. Et Paul, était déjà revenu à son ex et d’autres amies, pendant qu’il vivait encore avec moi.

Aucun de mes maris n’a pas pu supporter ce qui leur a plu d’abord. Ma force, mon envie d’apprendre (et ma persistance), le fait qu’ils respectaient et admiraient mes résultats (au début), qu’ils s’appuyaient sur moi pour pas mal des choses, mon attitude interne de ‘dame’ ; mon grand attachement à mes enfants.

Ils n’ont pas supporté non plus (et ceci encore moins que le reste) mes succès. Plus j’en avais, plus ils s’éloignaient. Plus ils se sentaient incapables, relativement à moi. Et dans le cas de Sandou, aussi relatif à papa. Était-ce ma faute qu’ils étaient mauvais en relations humaines, les uns comme les autres?

Je réfléchirai une autre fois sur pourquoi ils étaient attirés, puis éloignés, et pourquoi j’étais moi, d’eux.

Non, je ne convoite pas les fauteuils du salon de mon enfance, mais je convoite encore et toujours le lampadaire de porcelaine de la table de nuit de maman, accaparé par le frère de Mimi, l’oncle de mon fils. Sandou a dû le laisser (ou donner) à son frère et celui-ci l’offrir à sa maîtresse, puis épouse. Ils nient qu’il est jamais appartenu à nous, mais j’ai vu et m’en souviens, gravé dès ma toute petite enfance dans ma mémoire. Comme disait hier une dame au kiné, «je me rappellerai et la réclamerai cent ans plus tard ce qu’on m’a pris, ce qui était à moi».

Pourquoi en fait cette lampe de porcelaine de maman plutôt que les fauteuils? Je crois, c’est un souvenir de mon tout petit enfance et les fauteuils, la tante de Roumanie les a fait retapisser d’une façon tape l’œil. Ils ressemblent peu à ceux, discrets, dont je me rappelais. Je ne verserai pas une larme si les fauteuils, que Mimi ne voulait pas me confier septembre dernière, disparaissaient avant que nous réussissons à les récupérer, je laisse le soin à Lionel.

Il a déjà laissé tant des choses derrière lui, pourquoi tient-il juste à ceux-là ? Il lui reste un pied-à-terre en centre ville de Bucarest, dans l’ancienne maison familiale. «Mais pas l’appartement de grande mère que j’aurais voulu» dit-il. Celui-ci, Mimi avait vendu dès la mort de sa mère. Une maison pratiquement barricadée, aujourd’hui. Mais ces temps vont passer et un temps plus tranquille reviendra en Roumanie aussi, un jour.

ps 2008: tant les fauteuils que la lampe de maman sont dans le logement de mon fils à Bucarest, quand j'y étais pour quelques jours cela m'avais fait énormément plaisir de les regarder, j'ai réussi à lui récupérer finalement, si pas facilement.

Caresses

26 octobre 2002


Depuis que j’ai nettoyé mon secrétaire, réussi de le débarrasser de la saleté des dernières dizaines d’années, à chaque fois que je passe à côté de lui, ma main le caresse. Caresse. Le bois laqué propre et glissant caresse ma paume. Mon âme.

J’ai réussi lui redonner l’éclat et soyeux, de nouveau. Le sortir de sa longue léthargie.

Je passe, le caresse, je souris.

J’aime toucher. Caresser.

Ma paume s’en souvient des tant des caresses…

Ma petite fille l’apprécie aussi et aussi le merveilleux bois couleur chêne claire du meuble. Le ou la? Qu’importe. Oh! L’anniversaire de la naissance d’Agnès! Julie, n’oublie pas de l’appeler!

2008: maintenant je caresse mes petits enfants