Pourquoi ?

J’habite hélas fort loin de mes petit-fils. L’année dernière, Alexandre, dit « Coco », avait à peine un an et demi et je lui avais appris à pointer. « Ça ? » il voulait apprendre les noms de tous les objets autour de lui. Cette année, que vais-je lui apprendre?

Cette fois, son mot préféré est « Pourquoi? » en chaîne.

Ils sont venus à m’accueillir à l’aéroport, ma fille, Coco, et le petit Tom qui répète les mots. Coco à trois ans et devenu le grand frère à imiter.

- ­Maman, pourquoi ces camions sont sur la route ? commence Coco.

- Ils réparent la route.

- Pourquoi ?

- La route est abîmée.

- Pourquoi ?

- Trop de camions ont passé par là.

- Pourquoi ?

- Ils viennent de l’aéroport.

- Pourquoi ?

- Ils apportent des produits venus en avion.

- Pourquoi ?

Hier matin, ayant peur de me plonger dans le dédale des « pourquoi », je l’ai pris de court et je lui ai raconté une histoire.

- Un petit garçon dort dans son lit et un chaton vient gratter à sa porte, miaule.

- Pourquoi ?

- Elle voulait entrer.

- Pourquoi ?

- Elle voulait jouer avec le petit garçon.

- Pourquoi ?

- Le chaton se sentait seul. Le petit garçon dormait toujours.

- Pourquoi ?

- Il avait joué beaucoup, il était fatigué. Le chaton continuait à miauler.

À force de lui raconter des histoires, nos voix, le sien ou même la mienne, à la place de chuchoter a dû augmenter et son petit frère s’est réveillé. Tom me regard avec ses énormes yeux marron. Il ne se souvient pas de moi, la dernière fois que j’étais ici, il avait à peine sept mois. Pourtant, sortir du lit, l’intéresse. Puis avec son « grand » frère à mes côtés, il se sent rassuré. Ce qu’il fait Coco doit être intéressant. D’accord.

Il tend ses bras vers haut, me signalant qu'il veut monter dans le lit, près de moi.

Les voilà, tous les deux dans le grand lit pour les invités. Coco a ma gauche, Tom à ma droite sous la couverture, sur mes bras.

- Continuons.

- Recommençons !

- Je te dis encore une fois l’histoire de chaton, Coco ?

- Oui !

- Tom, veux-tu l’histoire avec le chaton ?

- Chaton, répète Tom.

- Et le petit garçon.

- Garçon.

- Qui dormait tranquillement. Mais le miaulement l’a réveillé.

- Pourquoi, intervient aussitôt Coco.

- Parce que le chaton, seul, s’ennuyait et miaulait de plus en plus fort. Comme nous, tout à l’heure.

- Pourquoi ?

- Comme toi, Coco, tu voulais que je t’écoute. N’est-ce pas, Tom ? T’as entendu Coco ?

- Coco, répète Tom.

- Oui. Coco et Tom.

- Om, maman !

- Je suis ta mamie.

- Pourquoi ?

- Je suis la maman de ta maman Agnès.

- Pourquoi ?

- Quand j’étais jeune, j’ai eu un bébé.

- Bébé! intervient Tom, comprenant enfin quelque chose de notre discussion.

- Ce bébé, mon premier, était une petite fille.

- Fille.

- Cette petite fille, c’était Agnès, votre maman.

- Maman!!! dit vite Tom.

- Je suis venu vous voir, jouer avec vous.

- Pourquoi ? demande encore une fois Coco.

- Je vous aime ! J’aime votre maman, toi Coco, toi Tom.

- Pourquoi ?

- Vous êtes mes petits-enfants chéris. Vous m’aimez aussi. Souviens–toi Coco ce que tu m’avais dit au téléphone.

- Je t’aime mamie.

Je fonds, bien sûr.

- T’aime, répète Tom aussi, et en français !

- Après que vous m’avez appelé, j’ai pris l’avion.

- L’avion, pourquoi ?

- Avion.

- L’avion m’a apporté ici, chez vous. Pour vous serrer près de moi, pour vous raconter l’histoire de petit chaton.

- Chaton.

Ainsi a commencé le premier réveil à Washington, la première matinée avec mes petit-fils. Mais ce n’était pas terminé !

- J’ai faim, mamie !

- Faim.

- Bien. Changeons Tom, puis descendons manger.

- Pipi. Je n’ai plus besoin de couche, je veux faire pipi.

- Vas-y pendant que je change Tom. Tu sais le faire seul, n’est pas ?

- Coco ! crie Tom inquiète aussitôt que son frère disparaît. Je joue avec lui et il rit de nouveau.

Nous descendons les marches de l’escalier interne, Coco seul, portant un grand livre dans sa main, Tom dans mes bras. Il marche, court, mais a encore peur de l’escalier.

- Lait ! déclare-t-il aussitôt dans la cuisine.

- Voulez-vous aussi du pain ?

- Pain !

- Pain, oui mamie, s’il te plait.

- Un peu de banane ?

- Non! crie Coco.

Tom secoue sa tête, il n’en veut pas non plus. Puis il se décide d’ajouter :

- Nanane, non.

- Yaourt ? je sors le yogourt aux fruits. C’est bon !

Aussitôt, Tom ouvre tout grand sa bouche et Coco déclare :

- Tout seul ! Je sais, je mange tout seul.

Voilà. Le petit-déjeuner est fini.

- Voulez-vous que je vous lis ? Apportez-moi un livre.

- Livre.

- Oui, mamie, lis-nous.

Chacun apporte un livre, d’abord Coco, puis Tom l’imite. Chacun vient avec son livre préféré. Tom apporte son dernier livre français que je lui apportée hier. Son titre est «Je veux un bébé.»

- Read «I want a baby» me demande Coco.

- D’accord. Je veux un bébé.

Je ne l’ai pas choisi par hasard, ma fille attend son troisième enfant. (2007: Henry)

- Bébé.

- Bien Tom. Nous lirons d’abord sur le bébé, puis le livre que Coco a apporté sur le petit chat.

- Chat ! Maman ! Coco !

Coco grimpe à côté de moi sur le sofa et Tom suit aussitôt. Ils pointent tous les deux vers le petit garçon, le chaton, les jouets, les animaux.

Tom tout heureux, reconnaît :

- Banane! puis il imite le petit chien: wau, wau.

- Maman!!!

Ma fille est descendue doucement.

Elle a essayé de prendre son petit-déjeuner, profiter de ma présence. Peine perdu. Tom veut dans ses bras, ou, au moins, sous ses jambes. Coco embrasse sa mère, puis vient me réclamer le reste de l’histoire avec le chat qui miaule à la porte. Il ne l’a pas oublié.

- Pourquoi ?

- Le chaton se sentait seul, mais le petit garçon dormait. Brrr. Brrr.

- Ha, ha !

- Finalement, miau, miaou, puis le petit chat a réussi d’entrer par la porte et réveiller le petit garçon.

- Viens te promener, demanda le petit chat au garçon.

- Où ?

- En bas, buvons du lait ! proposa le chaton. Ils descendent et le garçon ouvre le frigidaire. Le lait est en haut. Le petit garçon grimpe sur une chaise.

- Oui, sur une chaise, répond Coco, contente de la solution.

- Mais le lait est lourd, le petit garçon le laisse tomber et le lait se répand par terre.

- Il faut éponger, maman sera pas contente.

- D’autres petits chats entrent et lèchent tout le lait.

- Comment ? Il faut éponger !

- Oui, mais il n’y a plus de lait. Maman dort. Que faire ? Allons acheter du lait, dit le petit chat au garçon. Ils partent acheter de lait à la boutique.

- En voiture.

- Non, à pied.

- En voiture ! persiste Coco qui n’est jamais allé acheter à pied.

- Mais le petit garçon ne sait pas conduire.

- Le grand frère.

- Oui, bien, le grand frère conduit.

Oh, la différence de culture, des habitudes! Dans leur quartier, le supermarché est loin, dans les environs, il n’y a que des villas et jardins.

Agnès part au travail emportant Tom. Elle va le déposer chez une nourrice à côté de l’école où elle enseigne. Aujourd'hui, je reste avec Coco pour la journée.

- Viens !

- Où ?

- Faisons un puzzle.

- Je ne sais pas, dis-je.

- Moi, je sais. Je te montre.

À trois ans, Coco m’apprend, m’explique toutes les logiques et stratégies pour rassembler un puzzle. Couleur, figures, trous, coins, marges, souvenir d’images.

- Hurrah ! Nous l’avons réussi.

Finalement, c’est lui qui m’a plus appris.

Le temps, les heures, les jours passent vite. Deux semaines se sont écoulées depuis que je suis avec eux. Coco sent que je pars demain, en plus, il est aussi fatigué.

- Je ne t’aime pas! Je veux papa! I want daddy!

Je m’attriste.

Il descend. Il est fiévreux, il a dû attraper une grippe. Son père le prend dans les bras, il s’endort.

Le lendemain matin, notre brouille est oubliée. Pour la dernière fois, les deux gosses grimpent sur mon lit.

- Dis nous l’histoire avec le petit chat.

Ils le savent déjà mieux que moi, nous le disons ensemble. Je suis fatiguée, l’idée de partir me fatigue, m’épuise.

Agnès m’accompagne à l’aéroport avec Coco.

- Ainsi, il comprendra que t’es partie, en avion. Loin.

- Bien, si tu crois…

Nous avons encore quartant minutes.

- Allons au restaurant.

- Bien, je voudrais une glace, un sorbet.

- Moi un gâteau, pour les enfants, on prendra un shake.

Les gosses n’aiment pas le shake cette fois-ci, ni le gâteau. Tom ouvre la bouche toute grande et point vers mon sorbet.

- Ça !

- Mais c’est très froid.

- Moi aussi, je voudrais ça, dit Coco et attrape une cuillère, se sert de sorbet. Hmm, c’est bon. Encore !

- C’est à mamie, ne lui prenez pas, dit leur maman.

- Laisse-les. Coco, prends un peu à chaque fois, je sers Tom.

Ma fille n’est pas très contente, moi si. À chaque gorgé qu’ils avalent, je sens avec plaisir, comme si s’était moi qui le mangeais, mais il a encore meilleur goût. J’avale avec eux et avec plus de plaisir que si je l’avalais. De toute façon, j’ai déjà fini la moitié, c’était assez. Leur offrir quelque chose, la dernière minute m’enchante.

- Agnès, allez-y, retournez chez vous !

- Non, on vient jusqu’à l’avion, jusqu’à la porte d’entrée.

Elle a trahi son angoisse, ses regrets pour mon départ seulement sur la commande de gâteau. Mon cœur se serre, je n’aime pas les adieux longs, même quand c’est moi qui part.

- Pourquoi mamie part ?

- Papy l’attend.

- Pourquoi ?

- Il est seul. Mamie part avec l’avion. Ensuite, elle prendra un taxi.

- Taxi ? Pourquoi ?

- Sa voiture est chez ton oncle, Lionel.

L’avion, la voiture, lui paraît normal. Le taxi l’intrigue, tout comme aller à pieds faire des courses. Pourquoi compliquer l’histoire? Pourquoi dire davantage?

Mon mari joue de l’orgue à la messe les dimanche, je lui ai dit d’y aller comme d’habitude, je reviendrai seule à la maison. Fatiguée, après huit heures de vol de nuit, je dormirais un peu à la maison, jusqu’à ce qu’il arrive. Le hasard a voulu autrement.

Pourquoi?

Mais ceci, c’est une autre histoire.

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