La dynamique de l’éponge

Un homme va proposer sa souffrance à une femme. « Je fais dépendre mon bonheur de toi, donc tu es responsable de mon malheur. » "; Je ne peux quand même le laisser seul dans cet état. Si je le quitte, il ne s'en remettrait pas » se dira-t-elle.Il lui proposera sa dépression, ses plaintes, son amertume face à la vie et sera pris en change avec beaucoup de générosité, au début de la relation, par la femme dévouée et convaincue que « elle réussira l'en sortir»

L'un produit de la souffrance et l'autre l'absorbe. C'est si bon d'être entendu, il ne sera pas prêt à scier la branche sur laquelle il est assis en cessant de souffrir. Ce n'est pas tous les jours qu'on trouve un sauveur persévérant.

L'éponge peut arriver à saturation, frustrée dans son besoin de restaurer. Commencent à souffrir : l'éloignement, mouvements de rejet, reproches et accusations. Le prince se sent torturé par l'héroïne qui venait le délivrer. Elle devient à la fois sauveur impuissant et persécuté, commence à se considérer comme victime harcelée de demandes impossibles et culpabilisée d'oser espérer un changement. Blessée, commence à reconnaître ses besoins propres.Il produira de plus en plus de souffrance jusqu'à en faire déborder la capacité d'absorption de son partenaire qui tombera malade ou prendra la fuite. Il sera victime d'accidents, puis verra l'abandon comme un soulagement.

« Il a besoin de moi », se dira-t-elle. Il faut rester fidèle, d'abord, à soi–même.

(Recopié, je crois, d'un livre de Salomé)

À midi, tout allait encore bien, le soir le drame éclate.
- Je ne comprends rien. C'est une fourmilière incompréhensible!
- Lionel t'as laissé des notes
- Confus, il a emporté le livre.
- Alors, détends-toi, joue avec le programme, l'ordinateur.
- Il m'a demandé un conseil pour réaliser quelque chose...
François n'arrive plus à bien respirer. Il a un peur panique.
- Je suis fini, me dit-i de nouveaul. Je ne sais plus rien, je suis dépassé.

Le lendemain il se lève des yeux hagards. Nous allons acheter des légumes à pied et il arrive à peine de marcher et respirer.
- Lis un peu, je lui conseille.

Il lit quelques minutes dans le jardin à mes côtés, puis il disparaît.
À midi, ses yeux brillent de nouveau.
- Je commence à comprendre! dit François et me montre ses papiers.
- Alors, tu les as lus ?
- Au moins vingt fois. J'ai enfin compris ce qu'ils cachent.

Il disparaît de nouveau.

Vers quatre heures, il me dit :
- Ça commence à marcher ! Je commence à piger !
- Alors, tes objets, composants disparus hier, tu as réussi à les récupérer ?
- Oui, oui ! Et ce qu'il m'a demandé à faire, marchera! Je suis déjà à la troisième version, amélioration. Et ils marchent, tous!

Vers dix heures le soir, après le dîner, je voudrais me coucher.
- Viens François, arrête. Il fait tard.
- Non, non, je veux terminer la cinquième version généralisée. Et tu sais, tous marchent.

Il doit travailler presque jusqu'à minuit et se couche heureux. À force d'insistance, de volonté, combiné avec son expérience et génie, il a réussi ce qu'il s'était proposé. Réaliser une partie de ce que mon fils avait envie de faire, mais n'arrivait pas à s'en sortir tout seul, manquant des bases de l'informatique.

Il fait chaud et nous dormons mal. Ils auraient dû arriver jusqu'à minuit.

Onze heures, minuit, une heure, deux heures. Personne. Je m'inquiet. Enfin, je m'endors et je rêve. Je rêve qu'ils sont arrivés, bien arrivés.

- François, j'ai rêvé qu'ils étaient là !
- C'est juste un rêve. Dors encore...
Mais à peine cinq minutes plus tard, j'entends des pas dans le jardin. Ils arrivent! Avec un énorme matelas acheté à Amsterdam qu'ils ont aidé confectionner à la taille désirée. Heureux, bronzés.

Je me lève et leur raconte rapidement nos déboires, celui de François, réussi, celui sur moi et le chat sympa, le jardin agréable... sauf les moustiques qui m'ont massacré les bras.

François est fâché.
- Pourquoi tu as tout raconté ?
- Je n'ai pas dit 'tout'.
- Mais c'était mon histoire, à raconter à ma manière !
- Je regrette, François....
Il menace:
- Demain, je serai malade de nouveau malade, à cause de toi! Tu auras dû te taire.

Cela me donne à réfléchir: exagèrent-il ses maladies pour m'influencer? Je n'aime pas les menaces! Je lui promets de ne pas « tout raconter » à Lionel, le laisser s'expliquer à sa façon son travail et ce qu'il a réalisé. On le fera le lendemain soir, puis nous partirons. Mais je prends la plume pour le décrire comment c'était passé. Au moins pour moi !

- Pourquoi était-tu si mécontente, hier nuit?
- Ce n'était pas à deux heures de matin de raconter les histoires de chat...
- Je croyais que tu es fâché à cause de ce que j'ai dit sur toi.
- Non, pas de tout, répond François.

Plus tard, toujours assis à côté de l'ordinateur, il s'écrie :
- Julie, ça marche! Presque toute marche!
- Alors, mets s'il te plaît les haricots à cuire.

Je ferai la viande panée, mais les légumes, ce sont sa spécialité. Bien.

Mais il continue à travailler à l'ordinateur et moi, je continue à écrire.

Ainsi coule notre vie.

Bonheur, malentendus, incompréhensions.

Était-il simplement jaloux la nuit dernière? Je délaissée notre lit et je me suis plongé dans la chaleur d'interaction avec nos (grands) enfants. Il aurait pu venir, lui aussi, il ne dormait pas encore. Il est arrivé quelques minutes plus tard. Puis, il s'est retiré de nouveau, maussade. Personne ne l'a empêché à la chaleur de retrouvailles que lui-même, son éducation, son caractère.

C'est dur quelquefois de se mettre à la retraite.

Le lendemain soir

Le lendemain soir, nous devions rentrer chez nous. Une heure de route au maximum. Notre voiture était en piètre état. François n’arrivait plus à se soutenir, le siège à côté de conducteur ne tient plus, le moteur souffle, l’amortisseur craque.

- Mais au moins, tu lui as réalisé... tu as appris...

- Rien de tout. Je n’avais rien compris. J’ai fait tout trop compliqué. C’est trop confus. Et je t’avais dit de ne pas prêter la voiture. Maintenant... Mais tu ne m’écoutes jamais. Oh ! mon dos ! Oh ! mes reins. Tu ne m’écoutes jamais...

Je lui avais suggéré, moi aussi, d’étudier, tester, avant de créer, de jouer avec avant de l’utiliser. M’a-t-il écouté ? Puis-je lui rappeler ?

Hélas, il faudrait lui chercher d'autres préoccupations. Dans ce domaine-là, François paraît dépassé par mon fils qui a énormément appris en trois mois et adore ce qu’il fait.

Que trouvera François à aimer faire, hors de son fauteuil et ses anciens livres? Nous verrons...

Demain, j’estimerai les dégâts causés à la voiture.

Négligence de Lise comme François le prétend? Julie! ne sois pas si méchante, méfiante! Je dois admettre d’avoir sous-estimé les risques de prêter pour cinq jours notre voiture, déjà fatiguée. Lionel est avant les examens, ses derniers, je ne peux pas le déranger maintenant, même pas m’en plaindre de ce qui est arrivé à la voiture pendant leurs vacances, je risque de l’énerver, trop. Ce n’est pas le moment.

Sinon, je suis très heureuse de tout que mon fils a appris. Savoir quelque chose en informatique que François, le spécialiste, ne sait pas encore, il faut le faire !

Quelques jours plus tard

Quelques jours plus tard, revirement.

Lionel téléphone et raconte avec enthousiasme à François qu’il a pu utiliser 90 % de ce que François avait réalisé à Argenteuil et il voudrait qu’on revienne dimanche pour résoudre encore un problème. François est de nouveau heureux : il peut aider, ses conseils sont importants.

Il faisait très chaud ce jour-là et nous sommes revenus très fatigués. J’étais mangé par des puces du chat ou ... de quoi ? Tout mon corps plein des taches rouges, ça démange horriblement. Je gratte et c’est pire.

Une semaine plus tard, je trouve un petit garage sympa. Son jeune garagiste me recommande d’aller à la casse. J’achète pour pas chère une chaise remplaçant celui cassée, on m’échange le radiateur, on ajoute un roulement, met d’huile qui manquait et voilà la voiture sauvée encore pour une année au moins, sa vie prolongée, nous sommes tranquillisés, au moins en cela.

François par contre a beaucoup de mal à continuer à travailler ici, à Celles, sans ordinateur et sans les livres informatiques, oubliés chez Lionel. Alors, s’installant dans son fauteuil préféré, il se replonge dans ses livres policiers.

En gardant le chat de mon fils

Argenteuil, début juin 1998

Mon mari m’appelle.

- ­Viens voir !

Pour avoir « presque fini » ce programme, nous avons dû passer cinq jours chauds, cinq jours des joies intenses et des énormes désespérances : François ne fait rien à moitié.

J’y vais et regarde le résultat de programme qu’il a fait sur l’ordinateur de Lionel à Argenteuil où nous sommes pour quelques jours pendant qu’ils sont allés en Hollande.

Superbe, François !

ça a de gueule ! C’est ça que ton fils voulait ?

Absolument…

Je n’ai pas encore fini tout à fait, mais…

Ce n’est pas encore lié ?

Si ! Mais tout n’est pas encore fini. Ce soir…

Tu en parleras ce soir avec Lionel.

Lionel est en stage payé pour six mois. François à la retraite depuis peu, supporte mal ce changement. Je fais ce que je peux pour l’aider. Contribuer à modèle que Lionel est en train de faire, lui fait plaisir.

Lionel et Elise sont partis en vacances pour cinq jour avec notre voiture.

Nous pourrions rester chez toi, avec l’ombre du jardin et l’ordinateur à la disposition de François, ai-je dit à mon fils.

Et mon chat à nourrir, a répondu aussitôt Lionel.

Le chat ? Alors, je n’irai pas !

Juste pour lui donner à manger, me répondit Lionel.

Et si ton chat saut sur moi, la nuit, pendant que je dors ?

Tu le chasses… Je blague. Il arrive seulement quand tu te lèves, il miaule, demande à manger aussitôt que tu bouges et allume la lumière.

Grand dilemme.

J’aime Lionel mais pas son chat. J’aime François, mais il n’a pas envie de bouger – pourtant il en a besoin de sortir de son fauteuil. Il adore l’informatique et n’a plus qu’une vieille bécane. François rêve d’en avoir un comme mon fils. Et l’air de jardin, (hélas, nous n’en avons pas) lui fera bien, le changement aussi. Mais le chat ? Non, je n’aime pas les chats.

Aussitôt arrivée, la voilà, que leur chat saute sur moi.

C’est l’amour ! me dit Elise, la compagne de Lionel.

Je n’ai pas besoin de l’amour d’un chat, de ses griffes et ses moustaches. Heureusement, il sent mon effroi, mon dégoût et me laisse en paix, s’en va. Ouf !

J’aime Lionel et Lilli, ils s’en vont vers les mers de Nord. J’aime François, il veut bien rencontrer les copains de Lionel qui arrivent pour prendre un CD et restent finalement à parler d’informatique avec François pendant... cinq heures.

Enfin, nous pouvons diner. François est aux anges.

Oui, j’avais raison. Les gens, les discussions lui manquent. Je suis une bonne épouse, mais je ne remplace pas son métier.

C’est dur le début de la retraite !

Le lendemain matin, jardin d’Argenteuil

Ce matin, François est à l'ange ce matin, heureux comme un petit garçon avec un nouveau jouet qui vient en plus de marquer un coup. Les discussions d'hier et en plus les garçons, l’un d’eux s'est un de ses anciens élèves, a apporté un nouveau programme, environnement à faire des programmes, qu’il va pouvoir découvrir... et puis, m’avoir rendu heureuse, si heureuse ce matin... C’est un bon lit et un mari qui aime faire plaisir.

François est toujours à l’ordinateur.

Je sors, je m’installe contente à l’ombre des fleurs et de feuilles dans le grand fauteuil blanc et je lis avec fébrilité un livre passionnant qu'Elise m’a laissé.

18 avril 1997, matin

Je suis assis dans l’avion pas très confortablement. Tant pis, encore une heure et nous arrivons à Paris. Je souris à la jeune noire qui est en marge.

- Excusez-moi ! et elle me laisse entrer.

Je lui demande :

- Vous allez à Paris ?

- Juste pour quelques heures, puis à Cote d’Ivoire. Je travaille pour Hopkins.

- Je connais, j’ai travaillé trois ans pas très loin de cette université.

- Vous habitez à Paris ?

- À Montmartre. Connaissez-vous ?

- Non. C’est long à visiter ? Plus de trois heures ?

- Non, ce n’est pas trop loin de Roissy.

- L’aéroport De Gaulle ?

- Oui, voulez-vous y aller ?

- Je vais dormir à mon hôtel de l’aéroport.

- Vous n’allez pas profiter de Paris ?

- Je ne suis encore jamais allée.

- Peut-être à votre prochain voyage…

- Je sais, Paris est belle. Combien coûte d’aller à Montmartre ?

- Si vous venez, je vous le montre. Mon mari, organiste, ne revient qu’à deux heures d’après-midi. J’ai le temps de vous montrer Paris, du haut.

- Mon ami est organiste, lui aussi. Je verrai la tour Eiffel ?

- De loin, mais bien. Si on a du soleil.

- Je serai de retour à deux heures ?

- Sans problèmes.

Nous attendons les bagages, ils arrivent rapidement. Je prends en charge le taxi aller. Nous arrivons vite au sommet du Butte Montmartre, où j’habite. Nous laissons nos bagages chez moi, puis nous voilà, Paris est à nous.

Je lui montre d’abord les peintres de la Butte, les cafés.

Nous passons devant la boulangerie. Nous entrons.

- Connaissez-vous les croissants ? Les chaussons aux pommes ?

- Vous ne deviez pas, dit elle rougissant mais ravie.

- Encore un ?

- Non merci. Est-ce vrai qu’on fait du pain chaque jour, frais ?

- Deux fois par jour, tout chaud.

Nos croissants sont chaud encore. Elle mange avec plaisir. Le soleil se lève. Je lui montre la tour Eiffel, l’Arc de Triomphe de loin. Elle est ravie.

- J’ai vu Paris ! L’arc de Triomphe ! La tour Eiffel. Et je suis rentrée dans une vraie boulangerie ! Merci, merci !

- Mon plaisir.

Devant la basilique beaucoup de monde, musiciens, artistes, clowns. Pendant la période de Paques c’est toujours la foule.

- C’est comme dans les films, et je suis ici !

Plus tard, nous entrons dans le parc devant le Sacré-Cœur. Fleurs, arbres, l’eau qui s’écoule. Tranquillité. C’est mon jardin. Je lui raconte mon deuxième mariage réussi. Elle raconte sur son ami qui l’évite depuis un temps. Pourtant, elle voulait avoir des enfants. Je raconte de mon mari. La fatigue me tombe dessus subitement. Elle se rend compte. Elle prend un taxi et parte.

- Revenez une autre fois pour une journée entière, nous descendrons à Paris, je vous montrerai les boulevards, les monuments, les marchés, les boutiques, la Seine.

- Merci, merci pour tout. Je reviendrai avec mon mari. J’entrerai à la boulangerie !

Pourquoi ?

J’habite hélas fort loin de mes petit-fils. L’année dernière, Alexandre, dit « Coco », avait à peine un an et demi et je lui avais appris à pointer. « Ça ? » il voulait apprendre les noms de tous les objets autour de lui. Cette année, que vais-je lui apprendre?

Cette fois, son mot préféré est « Pourquoi? » en chaîne.

Ils sont venus à m’accueillir à l’aéroport, ma fille, Coco, et le petit Tom qui répète les mots. Coco à trois ans et devenu le grand frère à imiter.

- ­Maman, pourquoi ces camions sont sur la route ? commence Coco.

- Ils réparent la route.

- Pourquoi ?

- La route est abîmée.

- Pourquoi ?

- Trop de camions ont passé par là.

- Pourquoi ?

- Ils viennent de l’aéroport.

- Pourquoi ?

- Ils apportent des produits venus en avion.

- Pourquoi ?

Hier matin, ayant peur de me plonger dans le dédale des « pourquoi », je l’ai pris de court et je lui ai raconté une histoire.

- Un petit garçon dort dans son lit et un chaton vient gratter à sa porte, miaule.

- Pourquoi ?

- Elle voulait entrer.

- Pourquoi ?

- Elle voulait jouer avec le petit garçon.

- Pourquoi ?

- Le chaton se sentait seul. Le petit garçon dormait toujours.

- Pourquoi ?

- Il avait joué beaucoup, il était fatigué. Le chaton continuait à miauler.

À force de lui raconter des histoires, nos voix, le sien ou même la mienne, à la place de chuchoter a dû augmenter et son petit frère s’est réveillé. Tom me regard avec ses énormes yeux marron. Il ne se souvient pas de moi, la dernière fois que j’étais ici, il avait à peine sept mois. Pourtant, sortir du lit, l’intéresse. Puis avec son « grand » frère à mes côtés, il se sent rassuré. Ce qu’il fait Coco doit être intéressant. D’accord.

Il tend ses bras vers haut, me signalant qu'il veut monter dans le lit, près de moi.

Les voilà, tous les deux dans le grand lit pour les invités. Coco a ma gauche, Tom à ma droite sous la couverture, sur mes bras.

- Continuons.

- Recommençons !

- Je te dis encore une fois l’histoire de chaton, Coco ?

- Oui !

- Tom, veux-tu l’histoire avec le chaton ?

- Chaton, répète Tom.

- Et le petit garçon.

- Garçon.

- Qui dormait tranquillement. Mais le miaulement l’a réveillé.

- Pourquoi, intervient aussitôt Coco.

- Parce que le chaton, seul, s’ennuyait et miaulait de plus en plus fort. Comme nous, tout à l’heure.

- Pourquoi ?

- Comme toi, Coco, tu voulais que je t’écoute. N’est-ce pas, Tom ? T’as entendu Coco ?

- Coco, répète Tom.

- Oui. Coco et Tom.

- Om, maman !

- Je suis ta mamie.

- Pourquoi ?

- Je suis la maman de ta maman Agnès.

- Pourquoi ?

- Quand j’étais jeune, j’ai eu un bébé.

- Bébé! intervient Tom, comprenant enfin quelque chose de notre discussion.

- Ce bébé, mon premier, était une petite fille.

- Fille.

- Cette petite fille, c’était Agnès, votre maman.

- Maman!!! dit vite Tom.

- Je suis venu vous voir, jouer avec vous.

- Pourquoi ? demande encore une fois Coco.

- Je vous aime ! J’aime votre maman, toi Coco, toi Tom.

- Pourquoi ?

- Vous êtes mes petits-enfants chéris. Vous m’aimez aussi. Souviens–toi Coco ce que tu m’avais dit au téléphone.

- Je t’aime mamie.

Je fonds, bien sûr.

- T’aime, répète Tom aussi, et en français !

- Après que vous m’avez appelé, j’ai pris l’avion.

- L’avion, pourquoi ?

- Avion.

- L’avion m’a apporté ici, chez vous. Pour vous serrer près de moi, pour vous raconter l’histoire de petit chaton.

- Chaton.

Ainsi a commencé le premier réveil à Washington, la première matinée avec mes petit-fils. Mais ce n’était pas terminé !

- J’ai faim, mamie !

- Faim.

- Bien. Changeons Tom, puis descendons manger.

- Pipi. Je n’ai plus besoin de couche, je veux faire pipi.

- Vas-y pendant que je change Tom. Tu sais le faire seul, n’est pas ?

- Coco ! crie Tom inquiète aussitôt que son frère disparaît. Je joue avec lui et il rit de nouveau.

Nous descendons les marches de l’escalier interne, Coco seul, portant un grand livre dans sa main, Tom dans mes bras. Il marche, court, mais a encore peur de l’escalier.

- Lait ! déclare-t-il aussitôt dans la cuisine.

- Voulez-vous aussi du pain ?

- Pain !

- Pain, oui mamie, s’il te plait.

- Un peu de banane ?

- Non! crie Coco.

Tom secoue sa tête, il n’en veut pas non plus. Puis il se décide d’ajouter :

- Nanane, non.

- Yaourt ? je sors le yogourt aux fruits. C’est bon !

Aussitôt, Tom ouvre tout grand sa bouche et Coco déclare :

- Tout seul ! Je sais, je mange tout seul.

Voilà. Le petit-déjeuner est fini.

- Voulez-vous que je vous lis ? Apportez-moi un livre.

- Livre.

- Oui, mamie, lis-nous.

Chacun apporte un livre, d’abord Coco, puis Tom l’imite. Chacun vient avec son livre préféré. Tom apporte son dernier livre français que je lui apportée hier. Son titre est «Je veux un bébé.»

- Read «I want a baby» me demande Coco.

- D’accord. Je veux un bébé.

Je ne l’ai pas choisi par hasard, ma fille attend son troisième enfant. (2007: Henry)

- Bébé.

- Bien Tom. Nous lirons d’abord sur le bébé, puis le livre que Coco a apporté sur le petit chat.

- Chat ! Maman ! Coco !

Coco grimpe à côté de moi sur le sofa et Tom suit aussitôt. Ils pointent tous les deux vers le petit garçon, le chaton, les jouets, les animaux.

Tom tout heureux, reconnaît :

- Banane! puis il imite le petit chien: wau, wau.

- Maman!!!

Ma fille est descendue doucement.

Elle a essayé de prendre son petit-déjeuner, profiter de ma présence. Peine perdu. Tom veut dans ses bras, ou, au moins, sous ses jambes. Coco embrasse sa mère, puis vient me réclamer le reste de l’histoire avec le chat qui miaule à la porte. Il ne l’a pas oublié.

- Pourquoi ?

- Le chaton se sentait seul, mais le petit garçon dormait. Brrr. Brrr.

- Ha, ha !

- Finalement, miau, miaou, puis le petit chat a réussi d’entrer par la porte et réveiller le petit garçon.

- Viens te promener, demanda le petit chat au garçon.

- Où ?

- En bas, buvons du lait ! proposa le chaton. Ils descendent et le garçon ouvre le frigidaire. Le lait est en haut. Le petit garçon grimpe sur une chaise.

- Oui, sur une chaise, répond Coco, contente de la solution.

- Mais le lait est lourd, le petit garçon le laisse tomber et le lait se répand par terre.

- Il faut éponger, maman sera pas contente.

- D’autres petits chats entrent et lèchent tout le lait.

- Comment ? Il faut éponger !

- Oui, mais il n’y a plus de lait. Maman dort. Que faire ? Allons acheter du lait, dit le petit chat au garçon. Ils partent acheter de lait à la boutique.

- En voiture.

- Non, à pied.

- En voiture ! persiste Coco qui n’est jamais allé acheter à pied.

- Mais le petit garçon ne sait pas conduire.

- Le grand frère.

- Oui, bien, le grand frère conduit.

Oh, la différence de culture, des habitudes! Dans leur quartier, le supermarché est loin, dans les environs, il n’y a que des villas et jardins.

Agnès part au travail emportant Tom. Elle va le déposer chez une nourrice à côté de l’école où elle enseigne. Aujourd'hui, je reste avec Coco pour la journée.

- Viens !

- Où ?

- Faisons un puzzle.

- Je ne sais pas, dis-je.

- Moi, je sais. Je te montre.

À trois ans, Coco m’apprend, m’explique toutes les logiques et stratégies pour rassembler un puzzle. Couleur, figures, trous, coins, marges, souvenir d’images.

- Hurrah ! Nous l’avons réussi.

Finalement, c’est lui qui m’a plus appris.

Le temps, les heures, les jours passent vite. Deux semaines se sont écoulées depuis que je suis avec eux. Coco sent que je pars demain, en plus, il est aussi fatigué.

- Je ne t’aime pas! Je veux papa! I want daddy!

Je m’attriste.

Il descend. Il est fiévreux, il a dû attraper une grippe. Son père le prend dans les bras, il s’endort.

Le lendemain matin, notre brouille est oubliée. Pour la dernière fois, les deux gosses grimpent sur mon lit.

- Dis nous l’histoire avec le petit chat.

Ils le savent déjà mieux que moi, nous le disons ensemble. Je suis fatiguée, l’idée de partir me fatigue, m’épuise.

Agnès m’accompagne à l’aéroport avec Coco.

- Ainsi, il comprendra que t’es partie, en avion. Loin.

- Bien, si tu crois…

Nous avons encore quartant minutes.

- Allons au restaurant.

- Bien, je voudrais une glace, un sorbet.

- Moi un gâteau, pour les enfants, on prendra un shake.

Les gosses n’aiment pas le shake cette fois-ci, ni le gâteau. Tom ouvre la bouche toute grande et point vers mon sorbet.

- Ça !

- Mais c’est très froid.

- Moi aussi, je voudrais ça, dit Coco et attrape une cuillère, se sert de sorbet. Hmm, c’est bon. Encore !

- C’est à mamie, ne lui prenez pas, dit leur maman.

- Laisse-les. Coco, prends un peu à chaque fois, je sers Tom.

Ma fille n’est pas très contente, moi si. À chaque gorgé qu’ils avalent, je sens avec plaisir, comme si s’était moi qui le mangeais, mais il a encore meilleur goût. J’avale avec eux et avec plus de plaisir que si je l’avalais. De toute façon, j’ai déjà fini la moitié, c’était assez. Leur offrir quelque chose, la dernière minute m’enchante.

- Agnès, allez-y, retournez chez vous !

- Non, on vient jusqu’à l’avion, jusqu’à la porte d’entrée.

Elle a trahi son angoisse, ses regrets pour mon départ seulement sur la commande de gâteau. Mon cœur se serre, je n’aime pas les adieux longs, même quand c’est moi qui part.

- Pourquoi mamie part ?

- Papy l’attend.

- Pourquoi ?

- Il est seul. Mamie part avec l’avion. Ensuite, elle prendra un taxi.

- Taxi ? Pourquoi ?

- Sa voiture est chez ton oncle, Lionel.

L’avion, la voiture, lui paraît normal. Le taxi l’intrigue, tout comme aller à pieds faire des courses. Pourquoi compliquer l’histoire? Pourquoi dire davantage?

Mon mari joue de l’orgue à la messe les dimanche, je lui ai dit d’y aller comme d’habitude, je reviendrai seule à la maison. Fatiguée, après huit heures de vol de nuit, je dormirais un peu à la maison, jusqu’à ce qu’il arrive. Le hasard a voulu autrement.

Pourquoi?

Mais ceci, c’est une autre histoire.

« L’interaction avec votre père? »

23 mars, 98

sujet de site « Étincelles »

Je me rappelle de nos luttes sur le lit : j’avais à peine plus de six ans.

Les garçons de l’école que je commençais à fréquenter m’avaient attaqué dans le cour pendant la récréation.

Maman conseilla : parle-en à ton enseignant.

- Défend-toi ! dit papa.

- Comment ?

- Apprends à te défendre, te battre.

D’abord, il m’a offert un canif.

Dans son enfance, son école, c’était ainsi que les enfants « secui » luttaient. Maman m’a interdit de le prendre avec moi. Alors, mon père s’est mis à m’apprendre à lutter. Et le canif est devenu l’instrument pour décorer de bois et des marrons.

Nous luttions sur le divan de mes parents « pour se faire moins mal ».

Maman nous observait, sceptique.

Mon père, petit à petit, m’a appris à utiliser tout ce que j’avais à ma disposition pour lutter, comme mes bras étaient faibles : les dents, les pieds, ma tête, ma ruse. Lutter, si on m’attaque, sans pardon. Pour se défendre, il a dû quelquefois me serrer le bras ou l’immobiliser douloureusement et ça arrivait que nos luttes se terminaient par mes pleurs. Le lendemain pourtant, je redemandais.

Dès lors, je répondais tellement vicieuse à l’attaque que les garçons ont renoncé et l’on m’a laissé en paix pendant les quatre années d’école communale.

Je n’aime pas me battre, mais quand on s’attaque à moi, je deviens une adversaire à craindre, faisant, utilisant tout pour gagner. J’ai appris beaucoup plus que me défendre à l’école pendant ces séances. J’ai appris, quoi d’autre ? Si déjà je dois lutter, ce que je n’aime pas, si on marche sur mes pieds, ne pas donner de grâce et utiliser toutes mes forces, quelles qu’elles soient, pour vaincre l’adversaire.

Je ne me suis pas battu seulement avec mon père ‘pour jouer’. Plutôt des leçons avec explications et avec le droit, de ma part de le heurter, si je le pouvais. Je n’ai frappé personne, mordue personne qui ne m’a d’abord attaqué, fait mal. Mais gare à vos cheveux, peau, renom, vos… si vous vous attaquez à moi. Et comme papa me l’avait appris, si l’adversaire était trop grand pour moi, je m’enfuyais, me retirais, l’évitait, mais non sans avoir d’abord essayé de riposter, si c’était possible.

Plus tard, mon père m’a appris à vaincre ma peur de revenir le soir tombé de l’autre côté de la ville. Après qu’un gamin a arraché ma lampe de poche, il m’a offert une ombrelle à porter avec le conseil de frapper avec si jamais s’avérer encore une fois nécessaire. Je ne l’ai pas utilisé, mais mon cartable oui, plus tard, revenant de lycée si un garçon voulait mettre la main sur mes seins. Je savais me défendre.

Il m’a aussi appris à serrer les dents, remonter ma bicyclette les deux étages en chantant « Je passe à travers vaux et vallées, je travers à travers difficultés, vaux et vallées ». J’en ai passé et rebondi, dans ma vie, je le dois en grand partie à papa.

Encore plus tard, j’ai appris à ne plus lui obéir, ne plus tout lui dire. Puis, divorcée, j’ai appris à faire semblant de m’incliner, l’écouter. J’avais besoin de son aide. Alors, il a enfin relâché les reins, m’a fait confiance, comprenant que je me débrouillerai aussi avec des autres. Il n’a pas eu le fils qu’il désirait, mais il m’a donné du courage, d’endurance, d’assurance dont j’ai bien profité dans la jungle de la vie.

François sait, lui aussi, que s’il s’attaque à moi, me critique sans raison, il reçoit mon sentiment sur ce qu’il dit, puis une avalanche de contre-attaques.

Le lundi 16 mars 1998

Internet est fantastique ! Il y a un mois, j’avais l’impression de me noyer. Je ne trouvais pas ce que je voulais. Finalement, quelqu’un m’a aidé, m’a conseillé, un autre m’a guidé. J’ai trouvé dizaines de liens vers des sites m’intéressant. Je récolte énormément de matériel, je discute et étudie. En quelques minutes, j’ai contacté divers sites, j’ai voyagé un peu partout dans le monde.

Mais attention à mon temps et à la note de téléphone !

Il est temps de m’occuper de ma retraite, sérieusement, vraiment.

Occupe‑toi, Julie! Il faut, il le faut. Muszàj. (En hongrois) You have to do it (anglais). Trebuie, (roumain) Sie must, (allemande) At tarih. (hébreux). Autres langues? C’est tout. Fais-le!

(PS.. Retraite arrangé, bien et à temps. Pas beaucoup, mais mieux que je le craignais. au moins probablement le Smig.)

Réponses aux questions d’un revu

Ton idée de bonheur ?

Me blottir près de François, en me sentant aussi dorloté qu’un enfant. Me plonger dans l’écriture d’un roman et imaginer, voir devant mes yeux ce qui se passe jour à jour avec ses personnages.

Actuellement qu’en penses-tu ?

J’écoute avec délices François jouer au piano et j’espère qu’il s’en sortira de sa dépression.

Quand et où était-tu la plus heureuse ?

À la naissance de ma fille. En allaitant elle et mon fils plus tard. En rencontrant quelqu’un qui me regard, vraiment. Souvent. Pierre, pendant un an. Abe, cinq jours. Larry, trois fois, mais des mois de rêveries.

Quel est ton héros favori de fiction ?

Rhett, de Autant Emporte le vent.

Quels sont tes héros en vie réelle ?

Mon amie Stéphanie de 85 ans presque aveugle maintenant, elle enseigne toujours de sculpture, se tient toujours debout, toujours guérit des gens psychologiquement même quand cela la fatigue beaucoup, fantastique, une bonne sorcière et être humaine extraordinaire. Et François que je peux admirer. Mon fils, bon, courageux, finissant l’université et trouvant de travail, finalement acquérant de confiance en soi.

Comment voudrais-tu mourir ?

Soudain. Après que je sais que mes écritures ne se perdront pas, et assurément avant mes enfants. Pas seule. Quelqu’un me tenant la main. À la maison, pas dans un ‘maison pour vieux’.

Que je voudrais encore ?

Finir mes livres, les voir paraître et discuter avec les lecteurs. Je voudrais voir François rebondir, sortir de sa dépression, venir se promener avec moi.

le nuit du 13 à 14 mars 1998

On dit que le vendredi treize apporte un changement radical: j’ai recommencé à écrire dans mon journal à cause de l’Internet, ce réseau toile d’araignée. J’ai trouvé sur le Web un groupe de copains qui tiennent de journal et les discutent.

Michelle m’a envoyé un e-mail (traduit de l’anglais) : Julie, tu pourrais commencer par: Je ne peux plus écrire dans mon journal parce que… et continuer de là. Tu te retrouveras probablement avec un autre journal formidable. Ou alors, donne‑lui le nom de non–journal.

Pourquoi je n’arrivais plus à écrire ?

Je pensais trop souvent comme il paraîtra à… mais celui-ci, est vraiment, seulement pour moi.

J’ai continué à écrire autre chose, bien sûr, pour être lu. Ces derniers mois, j’ai écrit énormément. La princesse aux pieds nus, puis Sans Limites, deux mini romans sur le rapprochement des êtres et surtout, de la guérison après un coup dur. Mais aussi des «gammes.» J’écris mieux.

Il me faudrait quand même un lieu pour écrire n’importe comment, y mettre tout qui sorte de moi, des textes que je pourrais relire plus tard et comprendre ce qui s’était passé.

Je suis excitée de Web et le nouveau Word et surtout, la possibilité de converser avec tant de monde, partout. Tisser ma toile, m’a donné la chaleur, l’élan, le poussé dont j’avais tellement besoin.

J’ai commencé aussi depuis découper mon journal en feuilleton et mettre des bouts sur le net, envoyer à quelques copains.

Je travail aussi avec un nouveau élan sur mon livre sur l’écriture Écrire et lire comme un auteur, comment tenir compte du lecteur en trois volumes :

1. Connaître ses habitudes.

2. Choisir le genre.

3. Séduire et retenir.

Pas si mal. Encore un peu et ça ira.

***

La nuit dernière, mon mari m’interpella :

- - Julie, arrête de tourner !

Je ne me rendais pas compte.

Rongée par inquiétude, (récits sur l’enfance et famille de mon mari et son déprime ne finissant pas) je me tournais et retournais à gauche et à droite jusqu’à trois heures, en bougeant sans cesse.

Il s’est réveillé.

Inquiet, ne pouvant tenir sur une place sans bouger, je descends à la cuisine et je mange des corneflakes au lait.

François arrive, furieux :

- Tu ne veux pas me laisser dormir ?

Mais justement…

- - Viens.

J’ai compris. Moi non plus, je ne dors pas s’il est loin. Ou mal, fort mal. Il m’a pris dans ses bras, puis en tournant, je l’ai pris dans mes miens. Tout près l’un de l’autre, finalement, me forçant, je me suis endormie.

1er mars 1998

Bientôt, j’aurais 64 ans. Je serai retraitée, officiellement. En réalité, je le suis depuis quatre ans: j’écris, je vis.

À vingt ans, j’attendais avec craint: qui m’offrira un ‘marcisor’, signe en Roumanie le premier mars de ‘je pense à toi’ tout comme les muguets de premier mai en France.

Plus tard, j’attendais des fleurs.

Il a fallu que j’atteigne mes 45 ans pour découvrir: je peux m’offrir des fleurs à moi-même!

Je viens de m’offrir mes fleurs préférées, des magnifiques tulipes rouge feu, ils resplendissent dans mon petit appartement. Je suis enfin devenue mature. Presque.

J’attends que l'orage passe ou je passe à autre chose.

Comment enseigner quelqu’un à faire face avec ses difficultés? Ce matin, j’ai conseillé François de regarder la moitié pleine de la coupe et ce qu’il peut en faire et cesser de ressasser la moitié vide, tout qui ne peut plus être. Ou alors, arrive seulement si on lutte l’avoir, mais ne s’offre plus sur un plateau, de soi.

Je pourrais, moi aussi, faire une liste de ‘pas possible’ et de ‘je ne peux pas’. Je refuse de m’arrêter sur mon chemin à les contempler en perdant mon temps. J’espère toujours qu’ils se résoudront d’une certaine façon, dans son temps.

Entre-temps, je fais ce que je peux.

J’apprends sans cesse et je transmets ce que je peux à qui je peux. J’améliore mes textes. Je travaille comme une abeille, une fourmi. Je ne suis pas géniale, mais persistante.

Et, il y a tant des plaisirs sur la route !

Bienôt, pensionné

François termine dans un mois sa carrière universitaire, d’enseignant informatique et déjà, il a devant lui plein de possibilités comme organiste et chanteur... Il a déjà commencé sa nouvelle carrière de musicien. Il joue à l’orgue, moi j’écris. Chaque jour pendant des heures, tout comme moi.

Hier nous ne sommes pas sortis hors de la maison, nous nous sommes réveillés trop fatigués. François a joué sur son piano, dont le son s’améliore de plus en plus.

Non, c’est mon phrasé, ma façon de jouer qui s’améliore surtout, dit-il.

On commence à voir ce qu’il y a de l’autre côté du tournant. S’en réjouir, au lieu d’avoir peur. Sa santé s’est aussi améliorée. Juste son ventre le dérange encore... mais il a dû manger trop de prunes ramassées par terre, pourtant je l’avais prévenu.

J’en ai mangé moi aussi, deux, mais bien nettoyés, et puis, deux prunes cueillies directement sur l’arbre - et hier soir la bonne compote de prunes que François a préparée avec celles que nous avons cueilli.

Je m’inquiète encore, de l’inspectrice des impôts, le saisi pas encore levé sur son orgue de Paris, comment sera... qu’arrivera.

***

François ne sait même plus où sont ses papiers. « Ça s’arrangera ! » C’est fantastique ! Il est déjà allé plus loin...

***

- J’ai froid.

Je lui apporte un pull.

- Ce pull ne change rien, le froid, il est dedans, dit François

Je lui demande :

- Puis-je te lire ce que j’ai écrit ?

Il commence à trembler davantage.

Où est mon mari? Est-ce que la 23e heure est déjà passée? Je supporte de moins en moins, ses comportements.

La sacristine

Madame Rose est chauffeur d’école pour trois communes. En plus, elle est la sacristine de l’église. Nous avons longtemps cherché cette après-midi l’impasse où elle habite.

Finalement au café, un habitant sympa qui jouait aux cartes, nous y a conduit, il nous a précédés dans sa voiture. C’est vrai, la première fois, ce n’est pas facile à retrouver l’impasse.

Elle nous amène sur une large véranda couverte. Dans la cour, un piscine, des gosses.

- Voilà mon fils et ses copains. Veux-tu nous chauffer le café ? Un, deux, trois !

- Merci !

Elle nous raconte :

- Ici, dans cette commune, pendant longtemps nous n’avons pas eu de curé. L’ancien est resté trente-cinq ans, mais, pendant tout ce temps, il n’a pas tenu les papiers. Mariages, baptêmes, enterrements, après son départ il a fallu tout reconstituer à partir de bouts de papiers. Nous avons travaillé pendant deux ans, tous les samedis avec le vieux curé de village voisine à refaire les papiers. Le curé pour qui vous allez jouer la messe ce soir, dit-elle à François.

Elle ajoute :

- Mais on dirait presque qu’ils ne sont pas de chrétiens, pas bons, c’est presque incroyable ! Ceux du village voisin étaient jaloux qu’il vienne trop souvent chez nous. On lui a fait tellement des reproches ‘Vous êtes Notre curé’ que finalement il a renoncé à venir chez nous.

- Et alors ?

- Après, rien. Récemment, le curé d’une commune voisine vient, le même qui va à Chaumes où le vieux curé a pris sa retraite. Mais on dirait qu’il vient en hâte. Nous ne sommes plus qu’une trentaine à la messe.

- La semaine dernière, dit François, on n’était pas plus à Mouille, non plus.

- Nous croyions que cela démarrait seulement mi-septembre, mais non, le curé a décidé de commencer deux semaines plus tôt.

- Il chante bien ce curé, pendant la messe.

- Chez nous, il chante peu. C’est vrai que personne ne le suit. Comme on n’a pas d’organiste à la messe depuis fort longtemps... nous avons peur de démarrer, puis nous ne connaissons pas bien ses chants.

- Je peux commencer les chants pendant que je joue à l’orgue, répond François.

- Cela serait très bien, alors, nous pourrions vous suivre.

- Je viendrai si vous voulez jouer à la messe, le premier dimanche de septembre, juste avant d’aller à Chaumes.

- On en sera heureux, si vous le pouvez.

- Oui, de toute façon cette semaine-là je ferai trois messes. Une, le samedi soir et deux, le dimanche.

- Voilà les clés, j’attends aujourd’hui des invités, mais la prochaine fois, je viendrai avec vous à l’église, quand vous vous exercerez.

- Bien sûr, dis-je, et à ce moment-là...

On se fait un clin d’œil. Je lui ai promis que François pourrait lentement l’initier à l’orgue, comme elle le désirait. Nous partons.

Encore un bel orgue pour François, il est ravi.

Devant l’église

C’est divin ici, assis dans la petite cour devant l’église à l’ombre d’un saule.

J’ai mis une chaise pour tenir ouverte la petite porte de l’église, ainsi je peux écouter François jouer à l’orgue. C’est un petit orgue de 19e mais très bien entretenu, très bien accordé, il a un son très agréable.

François est heureux, on le sent à sa façon de jouer, il exprime sa joie à travers l’orgue. Tout à l’heure, il voulait presque y renoncer, mais je ne l’ai pas laissé.

- Demandons encore une fois où c’est, ou alors, je l’appelle du café.

- Tu ne vas rien comprendre.

- Mais si, donne-moi un peu d’argent.

François exprime par sa musique sa joie pour l’orgue, pour cette église, les messes qu’il pourra y tenir.

Heureusement, nous sommes passés ici par hasard un jour et nous sommes tombés sur un enterrement. François était monté aussitôt à l’orgue.

L’organiste qui jouait, lui avait dit, hautain :

- J’ai l’exclusivité, ici je suis le professionnel !

Même après la messe, elle ne l’a pas laissée jouer. François était redescendu, tout triste.

Entre-temps, moi en bas, j’ai observé de qui dépendait le tout et j’ai parlé avec la sacristine pendant qu’elle rangeait les cierges.

Hélas, nous n’avons personne pour les messes, me dit-elle. Cette dame vient depuis pas longtemps d’ailleurs, elle s'est arrangée avec les pompes funèbres. Mais de toute façon, les enterrements sont tristes. Je travaille à la mairie, si votre mari le veut, il pourra faire les mariages, c’est plus gaie. Et, ajouta-t-elle avec espoir, peut-être aussi pendant les messes ?

Oh, quelle idée merveilleuse d’avoir apporté une chaise dans la voiture!

François m’avait demandé pourquoi je le prends. Pour pouvoir m’asseoir où je veux, quand je veux. Avec un appui pour mon dos. Ma vertèbre me fait mal souvent, mais ainsi, c’est bien.

Que l’herbe et les arbres sont beaux après l’orage ! Le soleil a vite séché ce qui était à la surface, mais les feuilles brillent encore, plus que d’habitude. Cela sent si bon, après la pluie. Il y a de magnifiques forêts près d’ici.

C’est si paisible dans cette cour d’église, comme si j'avais un parc privé, juste pour moi. J’ai fermé la grille devant la cour, mais je ne l'ai pas verrouillée. Ma voiture est garée juste devant sur le chemin.

Je me sens protégée, à l’abri, en paix.

François joue, toujours. Il m’inspire et m’enchante.

Un petit vent se lève de temps en temps en soulevant un peu ma jupe, mais personne ne me voit, ne la voit. Depuis une demi-heure que je me suis assise ici, je n’ai vu qu'une seule voiture se garer de l’autre côté du parc devant l’église. Un seul homme est allé vers le café qui se trouve de l’autre côté de la place. L’ombre des arbres danse sur l’herbe, le bruissement des feuilles accompagne doucement le jeu d’orgue de François que seulement le bruit d'une voiture ou d'une moto lointaine le trouble de temps en temps.

Heureusement, j’ai pris ma jaquette jaune. La pluie a refroidi l’air, alors qu'au soleil il brûle, ici, à l’ombre, le vent devient frais. Je le sens souffler sur mon dos.

Quelle joie d’avoir autant d’orgues, d’églises, cours d’églises... à « notre disposition ».

Oh, que c’est beau, ce qu’il joue maintenant ! Je lui demanderai que c’était.

(C’était Marchand, les fugues de Pachuelbel puis Louis Couperin.)

Il y a quelque mois encore, François avait peur de ne pas trouver d’orgues pour jouer.

Dans cette région à quarante kilomètres de Paris, et seulement à 15 kilomètres de notre maison de Celles, il en a déjà, combien ? environ six orgues différentes ! à sa disposition, sur lesquels il peut jouer autant et à chaque fois qu’il veut.

Bon, à Crécy, ils ne veulent plus de lui pour la Messe depuis qu’un dimanche il a fait des observations sévères à la remplaçante de directeur de chœur, elle dirigeait trop lentement.

- Comme pour une marche funèbre ! avait dit François. Comment vous accompagner ?

Il a fait pleurer la pauvre femme, qui se défendait :

- Mais sur la cassette c'est ainsi, encore plus lent et pas gai.

- C’est une cassette pour les « scouts » pas de la VRAIE musique, répondit François.

Mais à Voulais, ils l’appellent régulièrement, à Chaumes ils sont heureux chaque fois qu’il peut jouer à une messe et ici il aura un orgue nouveau sur lequel jouer encore des morceaux différents. Et à Crécy, il peut aussi jouer, pendant que j’aide le vieux curé sympathique se débrouiller avec son ordinateur.

Chaque orgue a un son différent, d’autres jeux et combinaisons, mieux adaptés pour certains morceaux, de tel ou tel compositeur, de telle ou telle époque.

Puis à la maison, il a le sien, électronique comme à Crécy, mais encore d’autres sons, c’est plus moderne, plus proche d’un véritable orgue à tuyaux comme celui de Mouilles. Et au conservatoire où il s’est inscrit cette année, il a un grand orgue de concert. Il sera gâté cette saison.

On lui a déjà demandé de faire une grande messe spéciale sur un clavecin dans quinze jours à Villiers où nous ne sommes pas encore allés.

Propre, c'est quoi?

Dialogue imaginé

- François était toujours 'propre.'
- Comment ? Tu parles du même ? Le mari de Julie ?
- Oui. C’est un des hommes les plus pures que j’ai connu.
- L’as-tu vu jamais avec une chemise repassée, un habit et veste tout à fait propre ?
- Veste ? Je parle de lui, pas de ses vêtements.

- As-tu vu son logement ? Plein de bric-à-brac, par terre, sur le sofa, partout. Même sa voiture est toujours remplie.
- Il a des yeux purs. Il ne s’est jamais mouillé dans des combines.
- Mais il paraît toujours négligé.
- Il fait pourtant tant d’efforts. Mais est-ce que tu lui as parlé ?
- Il argument toujours.
- As-tu essayé de le convaincre ?
- Souvent. J’ai renoncé. Seulement une fois…
- Une fois ?
- Il a dit qu’il comprend. Il a laissé tomber la discussion, comme s’il avait pensé toujours comme moi.
- Tu l’as convaincu.
- Mais les autres fois…
- Il défend passionnément son point de vue.

***

- Pas comme Paul ! Il vous donnait toujours raison.
- Ah Paul ! Quel sale type !
- Sale ? Au contraire! Il était toujours propre. Bien habillé, net.
- Est-ce qu’il t’a regardé une seule fois en face ?
- Je crois qu’il avait des yeux marron, non ?
- Troublés, bleu, il nageait en eaux troubles.

- Il avait une manière de noble hautain.
- Un comportement de noble entretenu, ne fils de famille.
- Il mangeait impeccablement, pas comme un porc.
- Il avait toujours vécu sur le dos des autres.
- Il m’a fait une impression propre, nette. Élégant.

- L’as-tu vu ivre mort ?
- Même en titubant, il était encore impeccable.
- Il s’est mis dans tas de salles draps.
- Oui ?
- Et il a tenté de salir tous autour de soi.
- Il disait, que c’était son frère qui…
- Oui, tas d’histoires louches.

- Et il vivait modestement, il m’avait dit…
- L’as-tu vu commander au restaurant ?
- Je lui avais dit de choisir.
- Qu’a-t-il choisi ?
- Un très bon vin.
- Cher ?
- Assez. Oui. C’était sur l’entreprise.

- Tu l’as convaincu ?
- Finalement, c’est Julie qui a décidée l’affaire, pas Paul.
- Il lui a laissé un sacré ardoise. En plus, il a fait des chèques sans provision, et…
- Paul ?
- C’était un individu louche.
- Il m’avait fait une telle bonne impression !
- Mieux que François, si je comprends bien.
- Il marchait tout droit, comme un officier.
- Prusse, profiteur, peut-être même fasciste.

- François ne se tient pas droit, courbe le dos. Il parait toujours froissé comme s’il sortait du lit,. Et avec sa barbe, ses cheveux à tout vent…
- As-tu vu ses yeux ?
- Bleu, souvent furieux.
- Au moins, avec lui, on sait à quoi s’en tenir.
- Je ne sais jamais quand il tonnera, éclatera. Quand le foudre tombera.
- Il se défendra, attaquera. Sur Paul les paroles coulaient sans l’atteindre, il ne répondait jamais en fait.

- Je pouvais parler.
- T’écoutait-il vraiment ?
- Hmm.
***

- Et François, est-ce qu’il t’écoute ?
- Quelquefois, il me surprend avec un grand silence.
- Il réfléchit, considère sérieusement ce que tu dis.
- Puis, il répond. D’un coup, j’ai peur de poids de mes mots, ils deviennent très importants, lourds de sens.
- Oui, je l’ai senti, moi aussi.
- D’autrefois, j’ai l’impression de parler en vent, comme s’il n’était pas là, mais…
- Oui ?
- Quelques semaines plus tard, il y revient. Je me rends alors compte qu’il avait écouté et tenu compte. Il s’en souvient parfaitement. Il a un mémoire d’éléphant.

- Il tient compte des autres. Il aime aider. Il est bon et l’on peut s’y appuyer.
- Ah, oui ?
- C’est quelqu’un de propre, net.
- Propre, net ? François ?
- Intérieurement, là où ça compte.
- Quand même, l’apparence… l’environnement…

- Préfères-tu un filou extérieurement net pour mieux duper les autres, un sale type propre en apparence seulement?
- Non, mais…
- Nous avons, je vois, des opinions très différentes du mot 'propre'.

L’un des hommes brodait, affirmait 'je t’aime' pour mieux endormir Julie, quand en fait il la haïssait déjà. François dit 'je t’aime un peu' mais il démontre cent fois par jour son amour par des faits et gestes qui contredisent le 'peu'.

Lequel est le plus propre ?

Je suis un pauvre mari.

Je suis un pauvre mari.
Non ! Tu es riche, tu as un tas de choses en toi.
Tu crois ?
T’es celui qui me faut.
Je suis un mauvais mari.
Tu es un homme que je peux aimer !
C’est déjà ça…
Tu m’aimes, toi aussi.
J’essaie, alors, je réussis pas trop mal ?
Pas mal du tout.
T’as tellement de richesses en toi !
Nous sommes des gens riches, alors.
Riche en ce qui est important, l’un pour l’autre.
En ce qui est important pour nous. Viens plus près.
Hm…

C’est pour cela qu’on n’envie pas les autres, qu’on n’essaie pas non plus d’étaler une richesse extérieure.
Comme ces dames étalant leurs bijoux. En toi, tes yeux brillant si chaud, valent mieux que tous les diamants.
Ta main caressante, plus qu’un...
Châteaux en Espagne ?
Plus, plus, plus ! Et tes yeux qui me sourient, me caressent...
Alors, je ne suis pas un trop pauvre vieux mari ?
Tu es celui qui me faut ! Monsieur, je suis heureuse avec toi ! Et toi ?
À peu près... dit-il me souriant chaleureusement, enfin détendu.
***

Il descend et démarre une pièce de Chopin sur son piano bien accordé enfin et sa musique monte les marches, elle arrive jusqu’à moi, me parle, m’enchante, me caresse.

Comme son jeu a changé!

Et quand je pense que tout aurait pu s’arrêter, et plusieurs fois! Cette harmonie entre nous, cette quiétude en moi, et cette liberté pour lui à s’exprimer par sa musique gagnée après tant d’années!

On vient pourtant de loin, que de chose se sont passés pour en arriver là.

2007: Ma coeur se serre en lisant ceci, j'avais encore tant d'espérance! Je voulais tant y croire, la vivre en pleine.

Après la fin

Après la fin d'un cahier commence bien sûr un autre. Une page blanche ouverte, pleine d'espérance, même si quelquefois avec des mauvaise pressentiments.

Je ne sais plus si ce n'est pas vraiment le 15e de mes cahiers. Ou plusieurs à la fois? Je les avais mise dans un volume qui s'appelait "Il neige à Paris!"

Mon mari argumentait de plus en plus, voulant toujours avoir raison.

Cette fin d'année, il n'a pas neigé à Paris, mais sous le tour Eiffel ils ont fait une spectacle sur glace artificielle et ont projeté de temps en temps du neige artificielle sur les danseurs. En regardant la télévision (la, le?) il me dit: "il neige a Paris". Nous habitions Paris à l'époque.

Je regards par la fenêtre.
- Non! c'est juste pour le spectacle et seulement de temps en temps, tu vois?

Il n'y eu rien a faire.

Pour lui, il neigeait à Paris, il l'a vu de ses propre yeux et finalement, je me suis tue. J'avais l'impression que cette incident était le symbole du volume qui suivra. Dès demain.

En regardant ce volume (où j'ai rassemblé notes, dialogues, scène de vie notés, journal sur notre vie) j'ai l'impression d'avoir réussi à y mettre ce qui se passait autour de moi, plus encore qu'avant. Je crois que les dialogues que j'ai noté aussi près de comme c'était passé y contribuent beaucoup. En plus, il m'encourageait à écrire, ce dont je ne peux jamais assez le remercier. Au contraire de mon premier mari qui n'aimait pas du tout qu'on note ses faits et gestes et provoquant ainsi un trou dans mon journal, ma vie que je ne saurait jamais vraiment combler.

Les souvenirs, ne donnent que peu de ce dont on vie jour à jour.

Je te quitte

Fin décembre 1997

Quand on s’est habitué à une place, on le chérit, on s’y sent bien, on est passé des bons moments là, c’est toujours douloureux de le quitter. Je ne suis que depuis soixante jours avec toi, mon cher cahier et déjà je t’ai rempli. Dans toi reste, lors que je te quitte, une partie de moi.

Ton couverture faite de liège, créé avec soin, était agréable à toucher, à tenir dans la main. Tes cinquante pages blancs cassés sont aujourd’hui remplis par une écriture serrée à l’encre noire ou bleue, suivant les jours. Mais il y a en toi aussi quelque chose d’immatérielle, une partie de ma vie, une partie de mes joies et mes souffrances, une partie de mes souvenirs.

Bien sûr, je les recopierai et en partie c’est déjà fait, je les mettrai dans mon Mac portable, je les relirai, j’emporterai ton souvenir avec moi.

Bien sûr, de temps en temps, je reviendrai vers toi, te feuilleter, te caresser, te regarder. Puis tu resteras enfuis, avec les autres.

Mais j’aime écrire dans toi, tu m’inspirais, j’ai passé de bons moments en ta compagnie, j’ai du mal à m’en séparer. Plus la fin s’approche, plus mon cœur se serre, plus j’envie d’aller lentement, faire durer une peu plus encore.

Encore quelques lignes et c’est fini pourtant, définitivement fini. Je te regarderai, je te caresserai, je recopierai ton contenu, au moins une partie. Non! Cela me fera trop de mal. Avant de m’en séparer, si définitivement, je commencerai à choisir le prochain cahier.

Vais-je prendre un cahier ordinaire ou ta sœur jumelle? J’en avais acheté deux, toi et une autre en même temps. Non, à une année d’intervalles. Longtemps, j’ai pensé que tu étais trop beau pour être rempli avec n’importe quoi, pêle-mêle. Je te conservais pour des pensées « importants », pour des « écrits spéciaux ». Puis, un jour, mon cahier « ordinaire » rempli au milieu d’un récit, j’ai décidé à le continuer sur tes premiers pages. J’ai sauté dedans même sans m’arrêter à réfléchir. Les premiers pas faites, les premiers pages remplis, continuer paru naturelle.

Je t’ai amené avec moi un peu partout, de Paris à Évry et Celles.

Tu as même fait avec moi un tour à l’étranger. Mais le plus souvent, j’ai écrit… dans mon lit, comme maintenant, en écoutant François, d’une demi oreille, jouer de l’orgue ou de piano électronique, les oiseaux chantant dehors.

Que c’est dur de quitter, renoncer. Le lieu cher, mais surtout, tout où l’on s’est mise quelque chose de soi, tout à quoi l’on s’était attaché. Je sais pourtant par expérience des autres départs douloureux ou faciles, je sais qu’après le coin, un nouveau lieu m’attend, guète déjà mon arrivée. Lequel ? Il y aurait plusieurs voies, il faudrait choisir, décider lequel prendre.

Je sais, de nouvelles joies m’attendant là-bas, mais malgré tout, c’est avec le cœur serré, des polices serrées que je te dis : « Adieu ! »

Le foudre tombera-t-il sur nous ?

Vraie histoire raconté comme un récit.

5 août, 1997 Celles

Nous sommes sortis dans la nuit tombée, main à main. La fraicheur de la soirée nous a accueillie. Toute la journée a été d’une chaleur torride. J’aurais dû me réjouir qu’enfin, on peut respirer. Alors, pourquoi je frissonnais ?

J’accélère le pas, troublée et ne voulant pas qu’il s’aperçoive, lui aussi. J’aurais une envie inexplicable de retourner à la maison, à l’abri. À l’abri de quoi ? Sans un mot, il me sourit et me serre la main. Bien sûr, il lit en moi. Il s’est aperçu de mon trouble injustifié.

- Viens ! Je voudrais cueillir des prunes.

À peine arrivés à l’allée centrale qui menait vers les champs et les vergers, un éclaire frappe en face de moi. Je reste sidérée. Le ciel est presque clair, quelques nuages gris ici ou là. D’où vient l’éclaire ?

- Revenons, rentrons ! J’ai vu des éclaires.

- Éclaires ?

Il regarde longuement par où je lui montre à l’horizon.

- Je ne vois rien, tu te l’es imaginée.

- Non, je les aie vus !

Il regarde de nouveau. Devant ses yeux et doigts de magiciens les éclaires mêmes se sont arrêtés stupéfaits, en attendant patiemment qu’il regard ailleurs. Voilà, c’est fait. Il tourne et va vers la grange à pailles.

- Viens ! Cela sent si bien.

J’obéis, comme toujours il me subjugue avec son charme et ses cadeaux. Ce soir, c’est l’odeur de paille fraîchement coupée qu’il m’offre en souvenir inoubliable.

- Oui, merci. Quel parfum !

- Restons-nous sous la grange ?

Je le regarde.

Il répond non avec ses yeux, il veut continuer la route. Le verger l’attire.

Tiens, me dit-il une fois arrivé entre le verger et les champs. J’ai trouvé un merveilleux prune, sucré comme le miel.

Il mord la moitié et m’offre l’autre. Ma salive coule sous la saveur aromatisée de ce fruit mûr et parfumé, mon cœur se réchauffe. Qu’il aime partager tout avec moi! Quelle chance! Quel cadeau merveilleux la vie m’a donnée!

Mais est-ce sage de rester sous l’arbre? Inquiète, je regarde le ciel ; médusée. La colère tombe et frappe. Un, deux, trois… dix, vingt éclaires l’un après l’autre. Et ça continue. Chacun est différent et semble s’approcher de nous de plus en plus.

Qu’avons-nous fait ?

Une prune partagée? Une pomme dérobée? Avons-nous trop essayé lors notre vie apprendre encore et encore? Approfondir et élargir nos connaissances? Est-ce mal, vraiment?

Cette fois, il regard, lui aussi, fasciné.

- Oui, maintenant je les vois, moi aussi. Mais ils sont encore loin de nous…

Cet « encore » me dérange. Ils vont arriver bientôt tout près, nous entourer, le foudre frapper, nous frapper.

- Viens, rentrons rapidement alors.

- Tu veux te mettre à l’abri ?

- Oui. J’ai peur, je le reconnais, cette fois ouvertement.

Il me serre contre lui. Il embrasse mes lèvres. Je tremble. De quoi? Comme d’habitude, je frémis sous ses doigts. Je l’attire de mes bras en essayant d’oublier les éclaires se rapprochant rapidement de nous. Arrive ce qui doit arriver.

Et voilà, maintenant c’est lui qui regard le ciel, subjugué.

- Je n’ai jamais vu tel déchaînement.

J’ai l’impression qu’il n’arrive plus à bouger. Est-il devenu statue? Je ne veux pas le perdre!

- S’il te plait, viens !

Il semble se réveiller d’un rêve, prend ma main sans sourire cette fois-ci. Nous hâtons le pas. Les nuages sombres arrivent au-dessus de nous. Comment? Rien ne paraissait bouger, l’air, tout était, est encore, en suspense. Notre vie, aussi?

À peine nous réussissons d’arriver à l’abri de la maison du bout du chemin, le ciel tombe sur nous, l’orage se déchaîne, le tonnerre gronde. Cette fois-ci, il nous a rattrapé.

Mais nous sommes déjà presque là, nous sommes bientôt rentrés à peine mouillés. Sain et sauf!

Il se met à lire. La lampe vacille.

J’essaie à téléphoner, il me semble qu’un éclair le grésille, la foudre risque de tomber.

- Arrêt ! Plus tard.

- Plus tard ?

- Attends que cela passe.

Se passera-t-il pour nous? Je me le demande, mais c’est seulement mon visage qui en parle.

Je n’arrive jamais à lui cacher quoi que soit. Il lit en moi. Je l’aime pour cela. Pouvoir dire avec ou sans mots ce qui se passe, communiquer en trente-six façons… Est-ce puni par le destin ? Dieu, providence, chance, gens? A-t-on le droit de s’ouvrir, de s’aimer tant? De se réjouir tant l’un de l’autre?

Et quand enfin nous nous croyons à l’abri, échappés, l’eau entre en trombe sous la porte d’entrée, dans la maison et entraîne tout qui est par terre. Avec l’eau, toutes les saletés du jardin, de la cour entrent et nous entourent de leur pourriture. Devons-nous construire une barque? Étions-nous assez prévenants?

Est-ce le vent emportera le toit? La maison tremble.

- Qu’arrive-t-il ? demande mon amour.

- Rien de grave, j’essaie le rassurer cette fois-ci. Un peu d’eau. Des éclaires. Du tonnerre. Avons-nous un paratonnerre ?

- Crois-tu vraiment que nous aurons besoin ?

- Nous sommes au plus haut du village.

- Bien éloigné de la rivière s’il déborde, me répond-il.

- À la merci d’un foudre qui frappe.

Nous avons réussi à sauver les papiers les plus importants et nous en sommes sortis avec la vie… et plus unis que jamais.

Tout cela, c’est passé un soir chaud d’été.

***

Il m’expliqua la différence de vitesse entre la propagation de son et de la lumière. Il le savait depuis longtemps, mais il se mit à partir de ce moment là à l’étudier davantage, se disant que peut–être il y a de nouveau depuis le temps.

Je ne comprenais pas grand chose, mais des fois, j’ai des intuitions. Il commence à croire qu’il vaut mieux de m’écouter… quelquefois.

Il s’ennuyait depuis quelques mois. Je suis toute contente qu’il se passionne de nouveau pour quelque chose. Pourvue que cela dure.

Pourquoi pas ? Son amour pour moi est durable. Depuis dix ans, il ne fait que croître. La mienne de même. Oui, je l’aime. Mieux que la maison, mieux que le ciel, mieux que les prunes, mieux que les éclaires. Est-ce un pêché ? Existe-t-il ce truc là où est-ce inventé ?

Pour chacun, c’est différent. Je crois surtout à la bonté ou méchanceté.

Je ne connais pas grand-chose à l’électricité et il ne me dira pas cette fois–ci : «Tu devras savoir !» Ou me le dira-t-il, comme d’habitude ?

Je ne sais pas grand-chose, mais je sais que je l’aime. Je l’ai su aussitôt que je l’ai aperçue la première fois.

Je me suis éloigné de l’histoire, mais les éclaires m’ont fait peur et l’eau nous a bien inondé, nous a fait suer. Nous a fait craindre le pire, nous a fatigué. On a réussi toutefois ne pas perdre aucun papier important qui gisait par terre. Ce soir-là. Le foudre n’a pas tombé sur notre tête, n’a pas brûlé notre maison. L’eau entrée en force et sans crier gare aurait pu pourtant les attirer, les emporter à jamais.


Consigne : avec la même histoire, aller plus loin et faire croire à l’incroyable

Ils sortirent de la maison voisine juste avant que le soleil s’assombrisse, main en main. Se promener ainsi à Butte Montmartre était habituel, mais ici, ce petit patelin de la cour du bout du chemin, ils paraissaient indécents, surtout à leur âge !

Ils ne s’occupaient bien ni de leur maison, ni du petit bout de terrain devant leur fenêtre : un énorme rosier laissé pousser à sa guise, quelques fleurs se perdant au milieu du verdure sauvage, les herbes sauvages menaçant le jardin des autres. Pourquoi donc ne peuvent-ils pas se promener comme nous, comme tout le monde, sagement l’un à côté de l’autre ? Un jour, ils seraient punis par le ciel ! Et ce soir-là n’était pas loin de s’accomplir.

À peine ont-ils sorti, disais-je, main en main dans la fraîcheur de soir, de cette journée de chaleur torride, elle lui sourit. Quel sourire indécent vers son mari, en public ! Plein d’admiration, plein de sensualité. Heureusement encore, la voisine n’a pu l’observer, encore moins voir la réponse encore plus indécente du mari qui lui tournait le dos attentif seulement à sa propre femme. Il lui serra la main d’une façon suggestive ! Pourrions-nous encore être étonné si le ciel a écouté la voisine écœurée à surveiller de sa fenêtre ses voisins sortant d’habitude à peine dehors, négligeant leur travail quotidien de jardin et de bavardage voisin.

Sitôt que la voisine le pensa, un foudre tomba devant les yeux de la femme tenant la main de son mari. Ce premier foudre la fit trembler et lui donna envie de s’enfuir, rentrer chez eux. Mais lui continuait sa route imperturbable, l’attirant avec lui plus loin.

- Regarde, un foudre ! Encore un !

- Je ne vois rien. Absolument rien !

- Rentrons.

- Je voudrais trouver des prunes, ceux qui sont à côté des champs de petit pois sont les meilleurs. Après une pareille chaleur, elles doivent être bonnes.

- Mais ces éclairs, annonciateurs de…

- Quels éclairs, quelles foudres ? Regard le ciel au-dessus de nous. Tout est calme, rien ne bouge.

- Justement, c’est l’atmosphère lugubre, annonciateur du danger. Rentrons. (Elle l’aimait trop pour le laisser là, seul, cette idée ne lui vint même pas.)

Un peu plus loin, le ciel s’obscurcit par une grange d’où sortit un parfum esquisse et fraîche la rassurant.

- Quelle bonne odeur de foin !

- De paille.

- De paille, acquiesça-t-elle, sans ajouter à haute voix : Quelle différence ?

Ils arrivèrent sous les pruniers.

Une route étroite sépara le verger et les champs à perte de vue. Tout préoccupé, il cueillit des fruits d’un verger voisin, ceux qui penchaient dehors ou tombés par terre et s’extasia sur leur goût. Il offrit un à son épouse, amie et amante et tourna vers elle. Celle-ci était pétrifiée : les éclaires de toutes dimensions et formes frappèrent devant elle formant un rideau.

- Vite ! Retournons ! C’est dangereux de continuer ainsi.

- Oui, j’entends dorénavant le tonnerre. Mais il est encore loin.

Il tendit la main, serra sa femme des épaules. Fascinés, ils regardèrent le déversement et colère du ciel s’approchant si rapidement d’eux qu’ils n’eurent pas le temps de bouger.

Et maintenant, ils se serrent, s’embrassent !

Le ciel, plus clément que leur voisine, aimait les amoureux, respectait l’amour sincère aperçu sous lui. Il fit un bond pour que les éclairs les épargnent. Les amoureux étonnés de vivre encore, regardèrent les éclairs et les larmes de plus en plus gros du ciel s’éloigner aussi soudain qu’elles s’étaient approchées auparavant. Alors seulement, main à main, ils entrèrent et trouvèrent les larmes même dans leur maison.


En relisant plus tard, je me suis dit que ce récit, même si vraiment passé a peu près ainsi, était prémonitoire de la fin.