Et moi? Nouveau journal

12 décembre 1998

Je commence à écrire un nouveau journal dans ce cahier magnifique, presque comme un livre. Je l’avais réservé jusque maintenant pour écrire un roman ou quelque chose de spéciale. Sa couverture Une terrasse de café à Arles de Van Gogh et son papier vélin, tout dans ce cahier m’invite à m’y mettre, écrire de nouveau un journal pour moi-même.

Depuis trois ou quatre ans ne j’écris pas, et quand cela pressait trop, je le faisais à l’intérieur de mes cahiers d’étude, de gammes d’écriture, pêle-mêle et mélangé. Non seulement cela m’empêchait de les relire plus tard en ordre, mais en plus, cela leur donnait une importance qu’ils n’ont pas. L’intérêt d’un journal intime et d’y déverser ce qu’on ressent sur le moment sans réfléchir à ce qu’on écrit, le déverser quand personne n’est là à qui d’autre on pourrait le dire.

La pharmacienne m’a répondu toute à l’heure « c’est vrai, les problèmes arrivent souvent en séries ».

Tout ne va pas mal.

Mon petit-fils Alexandre vient de m’écrire sa première lettre par courrier électronique. Agnès partira pour deux semaines dans ce qui serait presque ses premières vraies vacances depuis qu’elle est devenue mère, elle ira loin de ses trois enfants fort sympa mais fatigants, en Roumanie, puis viendra pour trois jours à Paris.

Survivrai-je jusqu’alors ?

J’ai une peur déraisonnée.

Lionel vient de m’annoncer qu’ils auront une fille ( 90 % sûr), ma première petite fille puisque Agnès n’a que des garçons, trois petits diables intelligents. Non, si elle agirait autrement, ils le fatigueront moins. En plus, Lionel vient de raconter à François (j’ai écouté au téléphone) que ses projets, ses modèles et codes sont adoptés dans l’entreprise, et j’ai l’impression, de plus en plus appréciés.

François joue merveilleusement. Est-ce l’orgue ou le clavecin ?

Il aurait préféré de sortir, mais j’ai mal. Il m’a fait que des grimaces d’insatisfaction, d’affolement, depuis le matin. Tout cet état n’apparaît pas du tout à travers sa musique qui sonne claire, limpide, chaude, comme est son cœur en fait.

Que veut dire cette dualité ?

D’abord, j’ai commencé à saigner.

Bon, c’était l’été, en juillet, pendant le stage d’écriture. Je ne comprenais pas ce qui m’arrivait

Revenu à Paris, mon gynécologue a constaté que j’avais des fibromes. Avec les œstrogènes qu’il m’avait prescrits, les fibromes ne faisaient pas bon ménage. Alors, analyses. Échographie effrayant. L’un des fibromes est de 5 cm sur 3 cm et caché, au-dessous. De quoi ? Puis un autre examen de quoi j’ai eu peur, c’est finalement bien passé et apparemment les fibromes ne sont pas cancéreux. Tant mieux. Le docteur spécialiste de MGEN dit « ce n’est rien ».

J’ai aussi un sciatique, arthrose ou quelque chose dans ce genre. Je ne suis pas tout à fait convaincue que c’est seulement ça.

J’ai profité pour voir une dermatologue. Elle me brûle avec nitrogène gelé sur la main et le front « n’allez jamais au soleil sans crème ! » dit-elle, mais j’ai aussi des « basal cell canceroma » là où le soleil n’a pu pénétrer. « Cela arrive » me répond-elle. Par contre, à la base de nez, il faudrait voir un chirurgien. À contrecœur, j’y vais. « Pas ici ! »

On le traitera à l’hôpital. Anesthésie. Tout un cirque.

Le lendemain j’y vais voir l’anesthésiste. L’hôpital de la Montagne. Quel scandale a eu lieu là? De toute façon j’ai l’impression qu’il n’a pas bonne réputation. Mercredi, on m’enlèvera tout le mauvais tissu en bouchant le trou résultant. J’espère, pas trop grand. J’espère que j’en sortirai bien.

« Pas de douleur »

Ah, oui, ces docteurs n’ont jamais mal.

Et si je tousse ?

La pharmacienne vient de me donner des pilules, peut-être ils m’aideront.

Lundi, je discuterai avec le gynécologue pour qu’il m’explique le résultat de toutes les analyses, mardi, j’ai rendez-vous avec le rhumatologue pour voir que faire de ma sciatique.

Hier, j’ai introduit dans le Macintosh tous les jolie textes intéressants des participants à l’Atelier d’écriture de cet été. Dimanche, nous avons une réunion de «Regards Croisés Anglo Français» avec qui j’ai fait le stage. J’ai préparé et corrigé les écrits de tous, je les ai imprimés, nous allons avoir un beau livre.

Tout n’est pas tout à fait noir.

1er décembre 1998

Souvent, j’ai fait l’inventaire de l’année vers la fin, me rendre compte comment c’était passé, ce qu’elle m’a apportée de bon, de moins bon.

Cette année ?

La deuxième année de dépression de François. L’année de fatigue nerveuse et gain de poids d’Agnès. Mais bientôt, elle ira en Roumanie chez sa tante et se reposera quelques jours, la première départ sans ses enfants depuis cinq ans. L’année quand Ionel a reçu son premier bon engagement et il m’a annoncé que bientôt il sera père, il a bien mûri.

L’année où le fils de Valérie est née.

L’année où je viens commencer mon premier atelier d’écriture.

L’année où mon livre a avancé. Peu. Beaucoup de travail mais loin de la fin du tunnel.

L’année où j’ai trouvé des copains sur Internet.

Nous sommes restés trop à la maison. Mais en juillet, il y avait l’atelier d’écriture Regards Croisés à La Châtre et puis un voyage avec François pour visiter les trois petits–fils. En Amérique, découvert de nouveau livres, nouvelles idées.

Je devrais être nettement plus heureuse que je le suis: c’était une année pleine de bonnes choses.

Que me manque-t-il? Le sourire de François?

2007: fin du cahier et des notes "il neige a paris", commencera "Et moi?"

Novembre 1998

Je dois déposer mes papiers de la retraite « définitive ».

Lundi, je suis allée déposer mon dossier à Ircam, mais ils m’ont dit « C’est complet mais trop tôt, revenez en mai, l’année prochaine."

Mardi, j’ai déposé le dossier Capriciel, ils l’ont prise, mais là aussi m’ont dit : « trop tôt pour l’instruire ».

Mercredi, je suis allée pour la retraite complémentaire, j’ai égaré le papier sur lequel j’aurais dû répondre. Où puissent-il se cacher ? Je ne le retrouve pas. Lundi suivant j’irai à CNAV. J’avais oublié de prendre avec moi mon dossier la dernière fois.

Nous allons faire des courses. Grand fatigue. Il y a des jours où les catastrophes pleuvent en cascade. «Certains jours, tout paraît gris, même le soleil est caché dans le brouillard.»

Ai-je le droit de vouloir?

13 novembre 1998

- Il y a une chose que je veux lire. (Sur le Web).
- Veux ? hurle François. Attends!

« Veux, désire, crois », sont des mots prohibés par lui, sauf, quand il s’agit de lui-même. Alors il agit, il ne le reconnaît pas. Plongé dans son travail, mes veux lui indifférent, n’existent plus, mes besoins ne sont même pas enregistrés. Au moins, tant qu’il n’a pas terminé, il suit ses propres idées, selon ses nécessités.

J’ai mal au dos, j’ai un maladie de peau et je devrais arranger ma pension. Peut-être, j’ai même un cancer à l’utérus.

- Autre chose ? Non. Alors, tu peux…
- Et si tu as le temps, tu pourrais appeler Lionel et lui dire que je lui ai envoyé un chose important et gros.
- Où ?
- Les deux.
- Où tu lui a envoyé ?
- Mon Dieu, les deux !

Il pleut dans mon coeur

30 octobre 1998

Il pleut dans mon cœur,

Il pleut sur la ville…

Pourquoi cette furie noire ? Qu’est-ce qui bouillonne en moi ?

Je sais ce que l’a provoqué ce matin : voir François étouffé de panique (ou maladie ?) en cherchant quelque chose avant notre départ vers la maison de campagne.

Il cherche toujours quelque chose avant sortir, j’y suis déjà habituée, je m’y suis fait. En même temps, il ne supporte pas que je continue tranquillement à « tapoter sur mon macintosh », il faut que je bouge, je m’agite, prépare notre sortie. Il ne veut surtout pas de l’aide à rechercher ce papier, ce bas, cette paire de lunettes, enfin cette chose qu’il lui manque la dernière minute. Mais ce matin, il était plus angoissé que d’habitude et j’avais l’impression qu’il arrivait à peine respirer.

- Va contrôler ta respiration à l’hôpital, François.

- Je n’ai rien avec ma respiration.

- Va voir un docteur, Mayer (Il s’est bien occupé de son embolie).

- Non, pas lui.

- Alors un autre.

- Quel docteur ?

Si je demande, ce qu’il a, ce qui ne va pas, il répond :

- C’est moi qui ne vais pas.

Combien de temps ?

Deux ans déjà qu’il est dépressif. D’habitude, je le soutiens, tendre, patiente. Pourquoi j’étais tellement énervée ce matin, et le suis encore cette après-midi ?

Il passe son agitation sur moi.

Ensuite, il est en train de jouer, merveilleusement, au piano. Mélodieusement. Le piano accordé, quels beaux sons ! Il s’y perd, il s’y retrouve.

Je l’écoute de loin, son jeu me rassure un peu. Mais la fureur est toujours en moi. Un peu moins, depuis que j’écris, mais mes bras, mon corps sont encore crispés, tout n’est pas encore retombé. Et surtout, je voudrais savoir, pourquoi est–ce arrivé ?

J’ai encore quarante minutes, puis je dois le conduire à l’église où il a un rendez–vous avec une femme qu’il a commencée à enseigner à jouer de l’orgue. Je me mettrai au café habituel entre temps où j’irai à la petite librairie près de la place centrale. Il ne conduit pas.

Quelquefois, le poids est trop lourd à porter.

Puis, depuis quatre ans je tremble : s’il disparaissait d’un coup? Il a failli. Il a mauvaise mine. Ses malaises, sont-ils psychosomatiques ou physiques? Comment savoir? Que faire?

Quelquefois, comme hier soir, il se dispute pour des petits riens. Ensuite il demande pardon, il s’excuse, il regret. Trop tard. Je suis toute retournée. Hors proportion, je sais. Quelque chose arrive de loin, avec quoi ceci est lié. Pas avec lui. Nous le savons. Hier soir, pour dormir j’ai dû prendre un somnifère, je tremblais. Je ne lui ai dit, il n’aime pas les médicaments. Ni pour moi, ni pour soi. Mais j’ai dormi sans insomnie jusqu’à ce matin.

Il m’a encore serré contre lui au réveil. Je l’ai serré, moi aussi. Comme s’il ne voudrait jamais se lever. À un moment donné, je me suis éloignée, préparé le petit-déjeuner. Nous avons mangé, bu, il s’est remis au lit écouter la télé et moi j’ai commencé à travailler dans la pièce voisine. Puis il s’est mis à préparer à s’en aller. J’ai tout ramassé de la cuisine, pris ce dont j’avais besoin pour mon travail, il n’y avait pas beaucoup à emporter et ça est allé vite.

Comme il n’arrivait pas à se à ce que prendre encore avec lui, j’ai nettoyé la cuisine. Il n’était toujours pas prêt. J’ai pris les messages Internet, j’ai répondu aux miens. Il était enfin en veste. Bon. J’ai fermé l’ordinateur.

- On s’en va ?

C’est alors que je l’ai aperçu blanc, paniqué, cherchant à respirer.

- Qu’arrive–t‑il ?

- Je ne le trouve pas !

- Quoi ?

Il ne répond pas. Il fouille. Dans notre grand tas de merdes.

- Le papier pour répondre.

Il a un tas d’ancien journaux à la main, mélangés avec des quittances.

- Quel papier ?

- Arrivé d’Amérique.

Probablement un abonnement.

- Maintenant ? C’est urgent ?

- Je ne trouve pas tous mes bas non plus. (Pour serrer ses jambes)

- Tu as lavé la dernière fois.

- Ils se salissent vite.

Il voulait partir, il ne voulait pas bouger non plus.

- Si on n’y va pas maintenant, les boutiques seront fermées là-bas.

- On y va, on y va. Je suis prêt.

- Prends tes lunettes.

- Où sont-ils ?

- Sur le bureau.

Il les trouve.

- Et ta carte intégrale, ton portefeuille.

- Je sais, je sais.

Il regard autour de lui les yeux perdus.

- T’as pris ton médicament ?

- Oui, bien sûr.

- Que cherches-tu encore ?

Il ne répond pas.

Non, il n’est pas malade, non, nous avons encore toutes nos facultés, au moins mentales. Il est plus génial que moi.

Mais hier il m’a dit « Tu as plus d’élèves que moi. » (Au club des retraités)

Et alors ? S’ils restent… Il enseigne l’informatique à haut niveau, moi j’anime un groupe d’écriture, et malgré tout il m’envie. Est-ce vrai?

Quand j’ai une période pendant laquelle le travail coule, profite de temps quand il joue de piano ou orgue ou regard un feuilleton de télévision qui le passionne et j’écris, je corrige, je me perds dedans. Il ne le supporte pas. Il me réveille de ce que je fais, crie:

- Tu as encore pas fait ça et ça. Bon, alors je ne mange pas, bon, alors je m’en vais.

Il ne s’en va pas.

Pas plus loin que le lit, ou quelquefois le fauteuil dans l’autre pièce où il boude dans le noir pendant quoi je m’inquiète.

Mais ce matin, rien de ceci ne c’était passé. Qu’est-ce qui m’avait tellement sortie de moi? Que m’est‑il arrivée?

J’écris, j’écris, je ne trouve rien.

J’envie de dormir, je ne peux pas.

François joue toujours, mais moins fluide.

Bientôt, il me demandera : « Alors, tu viens ? ! ! »

J’irai.

Je voulais me plonger dans l’écriture, mon travail, mais pour cela il me faudrait de temps et du calme. Comme on dit, on doit écrire des heurtes de passé à partir d’un lieu douillet, agréable. Je suis bien dans les bras de François. En général.

Suis-je une bouée de sauvetage pour lui ? C’est passager. À la longue, si on n’arrive pas à la rive, une rive quelconque, il peut se trouer, se dégonfler, se fatiguer. Exploser. Couler. Lui, et le poids qu’il soutient, sont lourds à porter.

Il pleut. C’est humide et gris. Triste. Vide.

Je sens un grand désespoir en moi, ce soir.

Jeudi, à quatorze heure, le 22 octobre 1998.

La secrétaire vers qui le président de l’association m’a envoyé, m’a rassurée :

- Il y aura plein de salles, un à la deuxième, l’autre au premier étage.

- Alors, décidons, attribuez un à l’atelier d’écriture.

- On a le temps, tout dépend combien serez-vous. Rencontrez-les au début au Foyer.

- Il y a eu des inscriptions ?

- Un seul pour le moment, mais peu s’inscrivent avant la première réunion.

- Aurai-je des participants ?

Ai-je bien expliqué de quoi s’agit-il dans la revue? J’avais seulement quelques lignes, il y a beaucoup d’activités diverses dans ce club de Paris et depuis sept ans déjà. Je suis pour eux « novice », inscrite dans le club seulement depuis une année.

J’ai tenu mon cours habituel d’Informatique aux trois étudiants présents, juste assez pour qu’ils puissent suivre mes explications devant l’écran de Macintosh. Je les laisse ensuite s’exercer devant trois ordinateurs et je vais manger rapidement des brochettes dans le petit resto japonais de coin.

Une demi-heure avant l’atelier, je vais voir la secrétaire.

- Au foyer, aujourd’hui, me dit-elle.

Je fais rapidement des affiches, je les colle et je m’assois à côté d’une grande table du foyer. Sept autres chaises autour. Trop? Assez? Nous verrons.

Il faudrait qu’on soit au moins cinq, au maximum douze. Le temps passe lentement. Encore vingt minutes à attendre.

À deux heures moins dix, la première participant arrive.

- Je ne suis pas enseignante, je n’ai pas écrit beaucoup. J’ai regardé mon journal, que j’ai tiens…

- Alors, ça ira sûrement.

- Vous croyez ?

- Nous sommes là pour nous exercer, chacun de nous s’améliorer relativement à soi.

Un deuxième arrive. Troisième. À deux heures, il faut ajouter des chaises autour du table. Un homme et onze femme, retraités.

Nous faisons le premier tour de table, puis nous nous lançons dans un jeu d’écriture collectif, ça démarre bien. On commence à relire.

Le président du Club tout rouge, fait son apparition.

- Vous auriez dû commencer à deux heures et demie seulement.

- Vous êtes bien venue.

- Non, il ne s’agit pas de cela, on ne peut pas tenir l’atelier au foyer et il ne peut pas avoir lieu jeudi.

- Mais c’était prévu pour jeudi, deux heures.

- Nous avons tous programmé notre temps pour les jeudis après-midi, disent les participants, les uns après les autres.

- Il n’y a pas de salle libre jeudi, ni mardi. Tenez-le mercredi.

- Mercredi ? nous gardons nos petits-enfants.

- Vendredi après-midi alors.

- Moi, je pourrais venir le vendredi, mais les autres protestent.

- Bien, faites une liste pour voir quel jour vous convient. Mais pas le jeudi.

- Il y a une semaine, on m’a dit…

J’argumente.

- On nous a promis jeudi, c’était écrit dans le magazine, ajoute furieusement une des participants.

Le président sort, furieux.

- Qu’allons-nous faire ? dit l’un.

- À peine nous avons pris goût… dit l’autre.

Cela ne fait rien. « Impossible », j’ai déjà entendu. La plupart de temps, on trouve un moyen. Cette fois, aussi.

- Mettons-nous à écrire !

Ils ne se sont pas arrêtés jusqu’à cinq heures.

- La prochaine fois, nous pourrions rester d’avantage ! disent-ils.

- Mais où allons nous le tenir ? me demandent-ils.

Pendant qu’ils écrivaient, je suis allée parler avec la secrétaire et j’ai demandé un sursis, encore un jeudi dans deux semaines, puis, on verra ce que nous ferons dans un mois. Quelque chose surgira d’ici là.

Bien. Peut-être dirons-nous au groupe poésie de ne venir qu’une fois sur deux, comme vous ou de le tenir la deuxième fois une autre journée.

J’étais convaincue qu’on trouverait quelque chose avec le temps. Je reviens optimiste vers le groupe plongé dans l’écriture depuis un quart d’heure.

« De quoi je ne me souviens pas ? » Lisez ce que vous avez écrit.

Nous avons entendu des textes fort divers qui nous ont plu, nous ont ému.

Une d’eux ne se souvenait pas de ses rêves, pas comme ses copines, qui elles… L’homme ne se souvenait plus du visage de son copain d’enfant, mort en Algérie. La troisième, ouvre son frigo plein et se dit : « je ne me souviens pas d’avoir fait cela dans ma jeunesse, ma mère n’avait ni de frigidaire, ni des provisions d’avance.

Des textes forts, puissants.

- Au revoir ! dans deux semaines.

- Et si nos n’aurons pas une salle ici, nous irons écrire au café.

Un d’entre eux : probablement je vous proposerai un lieu.

Nous trouverons, nous écrirons, nous avons pris confiance, nous voulons continuer Marcher, apprendre, s’embrasser, s’épanouir, se rencontrer. Écrire.

Ce ne sera plus ‘la première fois.’

La première fois

La première fois, nous craignons, la première fois, nous nous réjouissons. Les premiers pas tâtonnants, le premier jour à l’école, la première flamme, le premier baiser, et même, le premier divorce. Craints et joies.

Il y a toujours une autre première fois.

Même après la retraite.

Aujourd’hui, j’animerai, pour la première fois un atelier d’écriture.

La première fois, le club des retraités de l’Enseignement auront un atelier d’écriture. J’espère que j’aurais du monde, j’espère qu’il se déroulera bien.

J’ai fait après mon dernier travail un cours de préparation d’animateur à Évry, dans le cadre du Réseau d’Échange de Savoirs, mais ne n’ai pas animé qu’une journée teste, entre nous. Il y a une semaine, je m’inquiétais que dans la revu paru il y a un mois, on a noté la date, l’heure mais pas la salle de notre première réunion.

Temps libre

Il fait froid. Aujourd’hui. Sombre. Gris. Je me sens, moi aussi, mal à l’aise.

La nuit, je me suis réveillée. C’est la troisième nuit à penser et repenser aux mêmes choses. Nous ne savons, surtout François ne sait pas, que faire son temps. Trop d’heures libres, des jours sans projets précis.

Ma fille, si loin de moi, à l’autre côté de l’océan, ne sait pas comment se trouver quelques minutes libres. Comment trouver de temps à s’acheter une nouvelle paire des lunettes à la place de l’ancienne, cassée. Elle ne voit pas sans lunettes, tout est dans le brouillard.

- J’ai mis un scotch, ça va, me disait Agnès par téléphone.

- Va le réparer.

- Quand ?

- C’est important. Trouve-toi de temps.

- C’est le dixième sur la liste. Il faut repeindre les bords de fenêtres, réparer le tuyau qui fuit dans la cuisine.

Les trois enfants, trois petit anges et diables, elle n’en parle pas. Je sais. De son travail avec les enfants handicapés de neuf à onze ans, des repas, des vêtements mouillés à laver, couches à changer, ordures à sortir devant la maison. Elle se sent la 10e roue de la charrue. Fatiguée, épuisée.

La nuit, son mari ne se réveille pas, ne se lève pas. Chaque nuit, au moins un des enfants se réveille et elle s’y précipite pour qu’il ne réveille pas les autres. Depuis quatre ans que cela dure.

Trois enfants aussi rapprochés, un mari pour qui les priorités ne sont pas dans le confort de sa femme. Sa mère lui avait dit : «Moi aussi, j’ai eu des petits, rapprochés. Quatre. Et mon mari partait souvent. Je m’en suis occupé.» Alors, il sent qu’alléger le poids d’Agnès, serait un affront vis-à-vis de sa mère. Qui ne fait presque rien pour les aider. Pourtant, elle, n’est pas loin d’eux, comme moi.

Agnès est tellement fatiguée que les enfants en profitent de sa résistance faible. «En bras!» Elle les prend. Les promène. Trop fatiguée même de leur parler. Elle commence à manger. «Maman!» L’un d’eux la réclame. Alors, elle mange de plus en plus. Vingt-cinq kilos gagnés en dix mois. Encore plus fatiguée.

J’étais là pour trois semaines. J’ai aidé un peu. Pas assez. Je me fatigue rapidement. Après sept heures avec les petits, j’étais crevé. Porter le bébé Henry me fait mal à la vertèbre, ma vertèbre tassée.

C’est vrai, vers la fin, je me suis rendu compte que Henry. Il a treize mois et marche déjà, peut et adore remonter les marches tout seul et même descendre à quatre pattes, toujours à recoulons, si je me met derrière lui pour lui donner confiance et être là au cas où. Je me suis rendu compte qu’il demandait à être pris dans le bras, je le prenais assise sur la chaise, mais presque aussitôt, rassuré, il avait envie d’aller se balader, découvrir le monde, parcourir les pièces, tâter les objets, étudier les formes.

Je me suis rendu compte aussi qu’Alexandre, quatre ans hurle «Je veux papa! Je veux maman» , seulement pour faire impression. J’ai hurlé aussi une fois, en l’imitant. Il a commencé à rire. D’une minute à l’autre, l’immense chagrin était oublié.

Agnès avait dit : «Il a du chagrin, il faut le prendre dans le bras. Lui donner ce qu’il veut. Le laisser manger à sa guise. Le laisser ne pas manger. Laisser…»

Est-ce qu’on la laisse se reposer, elle ?

Personne. Agnès ne se demande pas comme François «Que faire aujourd’hui?» Elle n’a pas le temps, pas une minute à s’ennuyer. Quelques minutes le soir à peine, volés de sommeil, pour lire quelques pages. En mangeant. Son mari s’est endormi pendant son travail, dans le sous-sol aménagé dans bureau, les petits enfin couchés.

Dans les romans d’amour période Régence qu’elle lit, il n’y a pas de couches, des enfants se réveillant au bon milieu de la nuit, des soucis d’argent, de mari adoré laissant presque tout sur l’épaule de sa femme.

Elle se fait tellement de soucis qu’elle n’arrive même plus à accepter quand moi, son mari ou sa belle sœur lui offre de temps en temps de s’occuper des trois. «Ils ne m’ont pas vu la journée! Ils ont besoin de moi.»

J’ai été une bonne grande mère pour Henry, Thomas, Alexandre. Je leur ai lu des histoires, participé dans leur jeu, préparé leur repas, aidé à les habiller, parlé avec eux… en deux langues. Je n’ai pas été une assez bonne mère, je n’ai pas réussi à alléger assez le fardeau.

Comment l’aider davantage ?

Et mon fils? Enfin, Lionel a un travail. Bon, intéressant. Le payant bien. À trente ans, il pourra maintenant se marier. Ils sont ensemble depuis cinq ans. J’ai l’impression que dorénavant ils pourraient avoir d’enfants. Ils ont encore des craintes, probablement "Veux-je vivre toute ma vie avec celui-ci, celle-la, perturber ce qui vient à peine commencer" Il ne me dit rien, elle non plus. J’observe. Agnès leur a envoyé un roman sur «un papa». Bien sûr, elle est mère, heureuse, ne regrettant pas, comme moi non plus mes enfants.

Les périodes dures passent. Mais ils laissent des traces. Je me fais des soucis. De loin, trop loin.

Je ne m’ennuie pas comme François. Je lis, j’écris, demain j’irai m’occuper de ma petite fille « par alliance ». Valérie attend un deuxième pour bientôt. En France, les crèches et les maternelles sont moins chères et plus faciles à trouver qu’aux États-Unis. Agnès, il y a trente-six ans, était accueillie gratuitement chez les bonnes sœurs dès ses deux ans. Lionel, avait une petite boniche pas cher pour que je puisse retourner vite au travail. Mes enfants dormaient la nuit.

Ma vie, agitée, n’était finalement aussi dure que celui de ma fille.

Je n’ai pas eu une grande maison dans un beau cartier, ni une minuscule d’ailleurs, même encore maintenant. Je n’ai pas eu deux grandes voitures, jamais acheté une neuve. Ni une montagne de jouets pour mes enfants, une machine à sécher le linge non plus. Ni un jacuzzi. Mais j’ai eu une vie plus simple, plus commode.

J’ai passé de mauvais moments, mais pas coulé sous le travail, manque de sommeil, fatiguée. J’avais peur de mon mari, ses réactions, c’est vrai. J’étais désillusionnée. Il me trompait avec une très jeune femme.

Au même âge qu’Agnès se sent moche, grosse, je me sentais vieille. Est-ce un âge ingrat?

Plus tard, je me suis ressaisie. J’espère qu’elle la fera aussi.

Et François ? Que ferait-il ?

Avec ou sans lui

Septembre 1998

François bouge, bouge, il ne s’arrête pas.

Il lit, vérifie s’il veut jeter ce journal, le parcourt page par page. Il s’agite. M’agite. Nerveux, mal à l’aise. Il prend le prochain, il en a un tas. Comment travailler, comment se détendre dans ces conditions?

Maintenant, j’entends l’eau ou lait couler, versée dans un verre. Des pas.

- Bon, alors, mais...

Une porte s’ouvrir. Non, il n’est toujours pas parti. J’entends ses pas à l’intérieur.

« Bon. » Silence. « Bon ».

Des cartons, des papiers qu’il déplace. Il devrait sortir, il n’en a pas envie. Alors, il ‘range’. Met des sacs en plastiques en sac en plastique, les déplace en réfléchissant s’il devrait les jeter vraiment. Notre appartement est plein d’emballages. Croule des emballages, papiers, revues et tout le reste.

- Il est déjà quatre heures.

- Moins quart, je réponds.

- Bon, il faut que j’aille à la banque.

Il va dans l’autre pièce.

Bon Dieu, pourquoi il ne s’en va pas !

- Aïe aïe, puis Qu’est-ce qu’il y a ? me demande-t-il.

Silence.

- Ah ! dit-il ensuite.

Je n’arrive plus à lire.

- Quoi ?

- Ils mettent le Solde en Euros sur le papier.

- Oui.

- Je croyais qu’il me reste moins.

La porte se ferme.

-Il fait froid.

-Non, il pleut, c’est tout.

-Prends un parapluie.

A-t-il pris un ? Je ne crois pas. Il est parti. Me manque.

Écrire encore cinq minutes sur le même sujet.

Quel sujet ? L’inquiétude de François ?

Depuis ce matin, il ne se sent pas à l’aise.

-Je voudrais me cacher sous le lit, m’avait-il dit.

Bien sûr, il n’y aurait pas assez de place.

-Me mettre dans un trou, ajoute-t-il, puis précise. Je ne sais que faire.

Je lui avais proposé quelques activités, rien ne lui plait aujourd’hui.

Hier, j’ai eu un mari heureux, rayonnant.

Le feuilleton « Compte de Monte Christo » version nouvelle l’a enchanté, après qu’il ne voulut pas le voir à cause du souvenir du vieux film mélodramatique avec Jean Marais. Ce n’était pas seulement Dupardieu, mais la mise en scène, les mots modernisés, les images. Un tableau de Monet prenant vie. Le jeu de tous les acteurs, cette subtile émotion qui s’y est dégagée.

Je regardais François, enchantée de voir son visage inondé de bonheur. Depuis longtemps, me disais-je.

À haute voix, j’ai seulement dit :

- C’est bon de te voir ainsi.

Il m’a répondu, me regardant :

- T’es si belle ce soir !

C’était hier.

Rêve 2 et 3

Nous sommes dans une voiture, Lionel dit à François : la première à droit. François est au volant et prend le deuxième à droit. Bon, peut-être, nous pourrons rattraper la route. Mais le trottoir devient de plus en plus étroit. Des réparations. On n’arrive plus à avancer.

Je descends avec un ami et nous faisons de place en déplaçant ce qui empêche d’avancer. Un ouvrier proteste : remettez ! Après que la voiture est passée, nous remettons les pièges mis pour ne pas laisser la circulation de passer. On sort de la ruelle et l’on arrive à une place. C’est ici que Lionel voulait déboucher dès le début pour aller vers là.

- Regards, dis-je, les maisons ont été rénovés, refaites.

- Oui, me répond l’autre, je reconnais à peine cette place.

- Bon, montons dans la voiture.

- La voiture ?

- Où sont-ils ? Où est parti François ?

- Il ne nous a pas attendu.

Comment le retrouver ?


Rêve 3

Il est nuit. Je vais vers un immeuble connu, je me perds.

Je cherche le chemin longtemps, sans le trouver.

Quelqu’un me prend par l’épaule.

Un ami ? Je lui dis ce que je cherche. Il connaît le chemin, me montrera. Il m’emmène, mais je suis de plus en plus convaincu qu’il me veut de mal. J’ai peur.

Premier reve

1e rêve

Train. Nuit. Long. On arrive à la destination, enfin à la gare finale. Relativement, nous avons peu de paquets. J’attends. François ne se réveille pas. Tous sont descendus.

Je parle, secoue François, il ne se réveille toujours pas. Finalement, je réussis à le réveiller, il commence rassembler nos affaires, mais entre-temps, sans se soucier que nous sommes dedans encore, le train est reparti. Où nous mènera ? Il va au dépôt.

« Nous sommes déjà fatigués, nous devrions faire à pied le chemin de retour. »

François ne répond pas. Enfin, le train s’arrête, nous descendons. Où est la sortie? À travers l’atelier de réparation, on nous montre une porte. Un long corridor déjà plein du monde qui doit passer devant un contrôle, puisque ceux qui ne sont pas descendus à la gare sont suspects.

« Vous avez le droit de donner ou non votre empreinte digitale.»

Je me dis, pourquoi pas, mais j’offre le mauvais doigt, puis je renonce, puisque ce n’est pas obligatoire. Aussitôt, le douanier, policier me dit :

« Alors, je vais vous contrôler. »

Je montre mon petit sac à dos.

- C’est tout que j’ai.

- Ah, me dit-il. Vous avez un accent étranger, vous n’êtes pas français.

Je veux lui expliquer que je ne suis pas née ici, mais j’y habite depuis fort longtemps. Il me demande mes papiers. Où sont mes papiers ? Je ne les trouve pas. J’étale le bric à brac, le contenu du sac et je cherche fébrilement. Entre-temps, François volubile, parle de moi, de nous, de notre voyage, de ses « qualifications » militaires.

Vous pouvez partir.

Mes papiers ?

Je n’en ai pas besoin.

Je commence à rassembler le contenu de mon sac éparpillé et jusqu’à ce que j’ai réussi, François a disparu. Où ? Il doit être plus loin, m’attendre vers la sortie.

Tous sont partis. Je suis seule.

J’arrive à côté d’une petite sortie, comme de métro. Je regarde et François n’est pas là. Il fait nuit dehors, le sol est humide et brillant. C’est un coin perdu. Il a dû suivre le long souterrain et aller vers la sortie principale. Je me lance.

Il est de plus en plus sombre. La sortie sera illuminée, me dis-je. Je suis de plus en plus fatiguée. J’arrive vers un bout où je croyais trouver la sortie. Bouchée. Deux corridors courts à gauche et à droit, non illuminés. Que faire?

De fatigue, je m’assois. Je suis emportée vers l’un des corridors, je glisse, il mène aussi à un mur. Il faut se retourner, me dis-je, mais aller où? D’où je suis venue, suivre le long corridor et sortir par la petite porte aperçue au début. Je suis de plus en plus fatiguée, presque incapable de bouger, comme si je perdais connaissance. À la place d’avancer, je suis couchée et je recule, lentement.

« Pourquoi bouge-tu ? »

Il y a de monde ? Des clochards dormant dans ce corridor ? Je prends peur, davantage. Je veux sortir ! Je n’arrive pas à bouger que très très lentement à reculons. Enfin, je suis au bout, où les trois corridors se rencontrent. D’où suis-je arrivée? Lequel prendre? Comment sortir?

(Je me réveille effrayée.)

Rêves me hantant : que veulent-ils dire ?

Je me sens perdue - dans mon sommeil.

Presque chaque nuit, ces derniers temps, je le vis différemment. Une fois, je cherche un hôtel, une autre je n’arrive pas à trouver une station de tramway ou prendre le bon train, cette nuit, je cherchais François.

À chaque fois, je cherche la voie, ma vie.

De nuit en nuit, je me sens perdue et les voies que je prends ne me mènent pas vers où je veux arriver. Je n’arrive même plus à expliquer ce que je cherche, je n’arrive pas à y mettre un nom.

Se suis découragée, et même quand consciemment je ne le suis pas, cela revient dans mes rêves. Je cherche une place où j’avais été, où je n’arrive pas retourner. Est-ce le plaisir d’écrire un roman jour par jour ?

Depuis cinq mois, les participants à l’Atelier d’Écriture que j’anime ont fait d’énormes progrès. Relatif a eu, je piétine. Mais j’étais toujours coureur de fond, jamais un sprinter. J’ai beaucoup de plaisir à observer leur progrès, taper et relire leurs textes, ils sont sur la bonne voie.

Et moi ?

Je cherche. Un lieu, par où j’avais été déjà. Que signifie-t-il ? Que veulent me transmettre mes rêves ?

Je me sens plus perdue que je l’admets une fois réveillée.

Mais même dans mes rêves, je ne suis pas immobile, je me déplace, je cherche activement. C’est malgré tout, accompagné par une immense angoisse dont j’essaie me débarrasser en me réveillant.

En vadrouille

Dimanche, après la dernière messe tenu par François à Le Châtre, il rendit les clés de l’orgue et de l’église. Il n’était plus fatigué et triste comme quand nous avions quitté Paris, il était plein de vie et c’était lui qui plein d’élan me tire plus loin.

- Viens découvrir la Vallée de la Creuse, ce n’est pas loin.

- Allons-y.

François qui ne voulait même pas quitter Paris il y a dix jours, me dit : allons visiter ! Et il me promène. Enfin, c’est toujours moi qui conduit.

Nous mîmes de nouveau toutes nos affaires dans la voiture, bien sûr, deux fois autant que nous avons eu besoin, quatre fois ce que nous aurions dû prendre, en désordre, pêle-mêle.

Oublions et allons-y !

Loin des autoroutes, sur les départementales. J’ai dû m’arrêter à chaque église, chaque ruine, avant d’arriver à la rivière de Creuse, nous avons suivi chaque signe disant « ici il y a quelque chose de vieux, intéressant à voir », des gens ont vécu ici il y a fort longtemps déjà.

- Regarde les tuiles anciennes de cette église.

Je m’impatiente un peu.

Nous arrivons en haute d’une colline. Je n’oublierai jamais la petite vieille église penchée tout en haut. Nous sommes entrés et je ne pouvais plus m’éloigner. François est sorti regarder ce qu’il y a dans la boutique à côté et j’entre encore une fois, seule.

Bâtit au XIe siècle, il avait encore des décorations du 15e, les couleurs de l’orient de Sienne ! Des colonnes, j’ai imaginé une femme païenne célébrant des cultes anciens. Temple romain ? Non, grec ! Je me sens transporté dans un autre âge. Des couleurs turcs, espagnols. Je vois des déesses, non, des femmes en arborant des toges chantant et dansant autour de ces colonnes rondes. Je vois la cérémonie se dérouler devant mes yeux. Je me perds dans le temps. J’oublie l’heure, la fatigue, tout. Même François qui me cherchait entre-temps. J’étais là pourtant.

Non. J’étais dans l’autrefois. Dans ailleurs. Je vous jure, je les ai vus. Même si eux n’étaient pas présents au vingtième siècle, c’était moi qui est parti loin dans le temps.

François me réveille de mes visions. Dehors il fait très chaud.

-Oui, François, ça valait la peine.

Il est fier, heureux.

-Ça valait la peine, répète-t-il aussi.

Il est un bon guide. Voyager avec lui était toujours une aventure culturel, intéressant, agréable. De nouveau !

Tout n’est pas perdu.

Mais d’un coup, las je demande:

- Allons chercher où dormir ce soir.

-Encore un peu, nous arriverons à la rivière des impressionnistes.

Nous sommes arrivés tard dans la soirée à la rivière Creuse. Hélas, il y eu des inondations il y a quelques années, et la rivière a été détournée, le tourisme a souffert et la plupart des hôtels se sont fermés. De nouveau, un office de Tourisme ouvert, dimanche !

- Plus de touristes, donc plus de l’hôtels. On les a fermés, les uns après les autres.

- Il n’en reste pas, aucun ?

- Un à cinq kilomètres, mais cher, à cause de la piscine.

- Combien ?

- Dans les 260 francs la chambre.

- Allons-y. Piscine !

Nous descendons vers la rivière.

L’auberge est appelé « Moulin noyée ». Nous a aidé de trouver un lieu agréable, avec une petite piscine au-dessus de la rivière et ses roches rouges. Nous nous sommes rafraîchis dans la piscine puis nous avons commandé et reçu un énorme potage préparé exprès pour nous que nous avons consommé dans une belle et grande sale vide.

Avant de s’endormir, assis pour quelques minutes dans le jardin de roses avec odeurs fantastiques, nous étions fort heureux.

***

Après une journée de conduit sur des petits routes au long de la Creuse, nous avons décidé de nous diriger vers la région des étangs, vers le nord d’ici. Après avoir demandé l’après-midi où trouver un hôtel et qu’on nous a dit « pas par ici », nous demandions que faire ? Aller vers une grande ville ? De nouveau, un office de Tourisme qui nous a aidé et nous a trouvé une agréable auberge avec des fenêtres sur un étang. Nous avons pu admirer les canards et d’autres oiseaux sauvages de notre chambre, le soir et le matin.

Le lendemain, nous avons admiré près d’un petit étang d’étranges oiseaux et nous sommes tombés sur des buissons de mures sauvages. Comme tôt le matin avait plu, ils étaient fraîchement lavés. Presque sans bouger, nous avons cueilli un boite de fromage plein, après les avoirs goûtés en partie sur place.

Plus à Nord, nous sommes tombés sur la région des Châteaux, après avoir admirés certains et bien mangé dans un restaurant Routiers, nous avons visité d’intérieur des petits châteaux de 14e qu’on essayait de refaire.

Toujours plus au nord, on tombe sur une ville pas très intéressante, sauf son église ayant un orgue de 17e refait récemment à neuf. François a obtenu la clé et enchanté a joué toute la journée et le lendemain toute la matinée. Pendant ce temps, j’ai visité le musée de parchemins et trouvé un resto sympa et pas cher.

Nous étions toujours à 250 km de Paris.

Nous nous sommes arrêtés encore à Tours pour admirer sa cathédrale, mais surtout pour admirer la Loire couler doucement.

De là, j’ai pris de nouveau l’autoroute et deux heures et demie plus tard, nous sommes rentrés chez nous à Paris, Montmartre.

Chez nous est bien aussi ! Peut-être, mon mari est guéri. Sinon, il y a de l’espoir, plus qu’auparavant.

Je ne me souviens pas ?

L'histoire que j'ai lu devant l'audience.

Je ne me souviens pas de... d’avoir remarqué que j’avais un long nez. Toute mon enfance, toute mon adolescence, j’avais honte des taches de rousseur sur mon visage et mon corps, mais jamais je ne remarquais la longueur de mon nez. Bien sûr, on se regarde dans le miroir de face, pas de profil.

Je ne me souviens pas que la longueur de mon nez m’eût dérangé... jusqu’à mon divorce. Quelques mois avant de nous séparer, mon mari avait fait quelques photos de moi, de profil.

Était‑ce vraiment moi ? Ce nez ? Ce profil ? Ce visage triste, anguleux! Je regardais ces photos, tout en songeant que dorénavant personne ne voudrait de moi.

Je ne trouverais plus aucun homme à qui plaire. Puis, de nouveau, mon regard tomba sur les photos. Normal, me dis-je, à mon âge et avec CE NEZ. Et tout.

J’étais sur le point de passer un examen important, pour obtenir un diplôme qui m’aiderait à mieux nourrir mes enfants. Je partis chez mon père, me reposer pour quelques jours avant le contrôle final. Ma tante n'habitait pas loin de là.

Mon père avait été ravi d’apprendre que je divorçais, il n’avait jamais aimé mon mari. Sa femme, la marâtre était furieuse, craignant que mon divorce et mon diplôme ne me rapprochent de mon père et qu’il lui laisse moins, à elle.

Naïvement, je racontai à ma belle-mère ma solitude, les hommes absents de ma vie, les photos et mon nez. Aussitôt, elle me conseilla, tout miel :

Aucun problème ! Je connais un bon docteur, il te raccourcira le nez sans douleur, t’en fera un, un nez comme il faut.

Mais je ne reste pas longtemps ici.

Il te prendra, rapidement. Appelle-le tout de suite !

Le rendez-vous fut pris pour le lendemain matin. Quand j’avertis mon père, il devint furieux (tout comme sa femme l’espérait).

- Pas question de changer ton visage! Quelle idée extravagante, maladive!

- C’est mon visage, tu n’as rien à y dire.

- Fais-le, et je te déshérite.

- Tu ne vas pas me commander, je suis adulte dorénavant! Tu ne peux plus diriger ma vie, même si j’ai divorcé.

Je n’avais pas besoin d’un nouveau tyran, de quelqu’un qui me dise quoi faire ou ne pas faire, comment vivre. Je me ferais raccourcir le nez le lendemain.

Je quittai mon père en pleurant aussitôt, pour aller dormir chez ma tante.

La sœur cadette de ma mère avait à l’époque 66 ans, elle était restée veuve depuis deux ans. Elle avait eu de la chance, elle savait comment prendre les hommes. Elle venait de trouver un homme qui l’aimait passionnément, un charmant vieux monsieur de près de 80 ans. Ce soir-là-là, il était chez elle et c’était lui, fin cuisinier, qui préparait le dîner. Délicieux. Je leur racontai mes ennuis avec mon père et... mon nez.

- En quoi ton nez te dérange? demanda-t-il après le dessert. Tu es charmante, telle que tu es.

- Il est trop long ! Aucun homme ne me regarde depuis des mois.

- Et toi, les regardes-tu ? Il faut leur faire signe, puis les laisser venir et lutter pour toi.

- Ton nez fait partie de ta personnalité, de ton caractère. Très intéressant, très séduisant. À ta place, je ne le changerais pas, cela touchera ton expression piquante, ton caractère. Sois toi-même ! Reste avec ta personnalité, ton visage à toi. Cela te donne ton style intéressant, personnel.

- Vraiment ?

- Sûrement. Tu verras, telle que tu es, tu n’auras qu’à faire un petit signe et plusieurs hommes courront après toi. Autant que tu voudras. Et, avec ta personnalité, ils ne pourront plus te quitter, c’est toujours toi qui décideras.

Il me rendit confiance.

Ma belle-mère perdit cette bataille. J’ai conservé mon nez, tel qu’il était. Mon vieil ami avait raison, quelques mois plus tard, dans une nouvelle ville, j’ai commencé à plaire de nouveau.

Je ne me souviens pas que mon nez m’eût jamais dérangé depuis.

***

Et depuis, chaque jour amène une nouveauté, des autres textes. Certains publiables, d’autres réutilisables, la plupart me servirent comme gammes pour m’exercer, mais je les conserve tous. Jamais plus je n’ai de difficulté à plonger, à me lancer et l’écriture est une telle joie !

À chacun sa voie.

Où est-ce que ça mène ? Qui sait ? Mais le chemin est beau. Une fois qu’on s’y est lancé, j’ai continué. J’espère, vous aussi.

Chacun de nous a quelque chose de fascinant dans sa vie : ses récits à lui. Selon la façon dont on le tourne, votre récit peut dire aussi des vérités générales, voire éternelles, mais sera fait selon votre personnalité, avec votre style, votre voix. Égayé de petits détails vrais, il prend vie et l’on s’en souvient, devient part de l’expérience de l’autre.

Le stage d’écriture anglo-français

Lundi, François est parti tôt, après un énorme petit-déjeuner, à leçon Chopin. Café, lait frais, croissants, pain au chocolat et toast beurré avec confiture, jus d’orange. Les « classes de maître » commencent à neuf heures.

Mon atelier d’écriture seulement à dix heures.

Nous étions attendus avec café, jus de pomme fait maison de leur propres pommes.

Nous sommes dix-huit, une Américaine, quelques Britanniques vivant en France et des Français de partout. Certains jeunes, d’autre âge moyen, quelques-uns plus âgé comme moi. Je suis le seul pas né en France ni l’Angleterre et l’organisatrice m’a regardé étrangement « Comment pourrais-je écrire ? » Je ne sais pas encore en quel langage j’écrirai, français ou anglais.

Une des jeunes femmes, née en Australie a vécu longtemps au Japon a publié une livre de voyage pour des jeunes filles japonaises. Un français, enseignant d’anglais, a écrit un livre sur la littérature anglaise. Un homme d’âge moyen arrivant de Guyana nous parle de comment les gens et enfants mixtes s’entendent là-bas.

Chacun de nous parle français et anglais.

Les animateurs, deux français, deux anglais, sont des auteurs connus, chacun ayant sa journée et sa soirée et sa méthode propre. Lentement, nous sommes arrivés nous connaître et nous avons commencé à écrire chacun son récit que nous devrions lire aux autres, à la fin de la stage. Les matins nous les passons ensemble, les après-midi, les écrivains sont à notre disposition pour discuter un à un de nos problèmes, le soir, dîners et discours.

Certains écrivent des romans, l’une un scénario, d’autres des poèmes, quelques-unes juste de récits courts, mais nous sommes tous passionnés de l’écriture et nous exprimer.

À six, je suis allé en ville prendre François qui ne conduit pas et nous sommes allé au monastère. Un dîner magnifique, un lieu agréable. Soirée de chants et de rire. Puis, l’écrivain français nous a parlé de son enfance en Belgique, de son grand père et mère qui n’était jamais là et sa sœur toujours fière de lui.

Même François était heureux que nous sommes venus.

Un soir, on commence à chanter des chansons à boire amusants et piquants. François s’y est pris au jeu et chanta avec verve, il eu du succès. Le lendemain, la tristesse retomba sur lui. Bon, j’avais l’habitude.

***

La semaine fila rapidement[1].

Vendredi soir, dans le jardin du vieux monastère, nous avons lu chacun devant l’audience dans le noir, avec une lampe dirigé sur celui qui lisait. C’était la première fois que je parlais devant des gens que je ne voyais pas, mais à la place, ils ont réagi vivement sur mon récit.

J’ai lu mon texte « sur le nez » la mienne, assez long.

- Avez-vous la traque ? me demande Jules Pierre Ôte.

- Non, je suis habituée à enseigner, parler devant un audience.

Je l’avais cru sérieux, cette histoire sur ‘mon nez’, mais j’avais mis au début une phrase amusant et en le lisant, j’ai montré mon nez de profil.

Un énorme rire !

Je lisais et exagéré un peu la mimique et à presque à chaque deuxième phrase, rires. Pour les trois pages, je crois qu’ils ont ri vingt-cinq fois.

J’étais fort contente. Ils ont aimé mon récit ! Et même à travers les rires, le message passe et ils ont trouvé dedans certains messages dont je ne me suis pas rendu compte.

Je nage en bonheur et pour une fois, François n’est pas jaloux de mon succès. Il me dit que je l’ai fort bien lu. Avec mimique et tout. Mon texte a plu à tous. Tout au moins beaucoup m’ont félicité et m’ont regardé après plus chaleureusement.

(Je ne savais pas encore qu’à partir de là rien n’ira plus entre nous).

Le lendemain, c’est lui qui joua de l’orgue à la messe. Quelques copains de l’atelier d’écriture sont venus aussi l’écouter. Il a fort bien joué et heureusement, il ne s’est pas aperçu ceux qui sont partis avant la fin.

L’un d’eux est resté, François le présente au curé.

- Vous venez demain aussi, demande le curé.

Voilà une preuve de plus de son utilité et succès d’organiste. Mais dimanche midi nous devons quitter l’hôtel, où allons-nous dormir ?

Voilà mon récit lu ce vendredi-là :

[1] Pendant mon stage, quelques goûtes de sang m’avertissent, il y a une problème. Des douleurs, comme pour des règles, pourtant je n’en a pas depuis longtemps. Qu’arrive-t-il ?

« Un petit coin tranquille »

Où allons-nous dormir ce soir ?

Nous avions de réservations dans l’hôtel centre ville, mais seulement à partir de demain. Il n’y a pas de place ce soir, c’est le festival Chopin.

Ami de George Sand, une femme écrivain d’il y a environ cent ans, aussi fameuse de ses romans que ses amants (Musset, Chopin, List, etc) et pour changer quand elle en avait envie, autant que j’ai lu sur elle au moins. Sand écrivit ici, dans les environs. Ils sont très fiers d’elle ici, une pièce de théâtre sur Chopin et Sand jouera samedi prochain.

Chaque matin, de 9 à 12, un musicien fameux commentera les talents jeunes jouant Chopin, François veut aller et assister à ces leçons et mieux comprendre ainsi la musique de Chopin. Entre temps, j’irai à un atelier l’écriture franco-britannique à cinq kilomètres de Le Châtre.

Où dormirons-nous ce soir ?

Pendant que François était dans l’église se préparant à la messe de ce soir, j’ai découvert l’Office de Tourisme près de la Mairie et du théâtre. Ils nous ont trouvé une auberge à trois kilomètres seulement de Le Châtre, dans un petit village tranquille, je suis allée la voir. Un gentil petit église, un village minuscule au milieu des champs.

"Nous serons tranquilles ici", me suis-je dit.

La femme du propriétaire attend un bébé, pour bientôt et le propriétaire m’explique comment entrer après neuf heure du soir «probablement, le bar sera fermé déjà.» ajoute-t-il.

Hélas.

Le bébé n’est pas encore arrivé, par contre un groupe de jeunes du village arriva, pour discuter de tout et boire un coup. Il faisait chaud, notre fenêtre ouverte. Les jeunes, bruyants, se sont assis devant le bar, dehors, juste devant notre fenêtre.

Je ne pouvais pas dormir.

L’horloge de l’église sonne dix heures. Puis dix et demi. Ensuite onze.

Dans le minuscule village tranquille, il n’y avait qu’un seul bar, un seul lieu de rencontre. J’étais épuisée par la route et je devins de plus en plus furieuse, François fatigué et furieux contre moi parce que j’ai fermé une fois la fenêtre en le claquant. Maintenant, j’étais furieuse contre mon mari. Nous n’avons pas dormi jusqu’à minuit quand enfin le bruit se déplaça plus loin.

J’ai rêvé de mon appartement tranquille au milieu de Paris.

Je voulais quelque chose de différent, je l’avais eu.

Je dois l’accepter, tel quel.

Le lendemain, dimanche, nous sommes toujours fâchés l’un avec l’autre.

François est triste comme d’habitude ces temps-ci.

- Pourquoi m’as-tu tiré ici? Que vais-je faire dans cette ville morte, pendant toute la semaine que dure ton stage d'écriture?

- Tu joueras à l’orgue. Et puis, tous les matins, il y a quelque chose « Les classes de Maître » sur la musique de Chopin.

- Tu crois que cela m’intéressera ?

- Va voir, c’est gratuit. Au théâtre, collé à la Mairie.

Le matin, l’aubergiste du village nous offrit un énorme petit-déjeuner, il fallait manger rapidement, la messe que François devait tenir bientôt et il était nerveux comme d’habitude avant et il en a eu peur.

Allons-y.

Il a payé et pendant qu’il met nos bagages dans la voiture, je dis à la propriétaire :

Alors, votre femme n’a pas eu encore le bébé.

Je ne pouvais pas les jeter dehors, ils étaient du village. J’ai du en plus, rester près d’eux tard.

Il comprit ce que je voulais dire sans que je doive le prononcer.

Mais la petite déjeuner a été merveilleuse.

***

Nous rentrons à La Châtre, François entre dans l’église préparer l’orgue et essayer quelle musique convient mieux à celui-ci et je conduis jusqu’à l’hôtel.

C’est trop tôt pour entrer dans votre chambre, vous pouvez laisser vos bagages ici, nous allons les mettre dans votre chambre dès qu’elle se libère. Revenez vers midi, après midi.

- Serait-elle tranquille ?

- Je vous donnerai une chambre s’ouvrant vers le jardin.

J’ai laissé la voiture devant l’hôtel et, à travers le marché vide ce matin, j’arrive à l’église. Tout est vide, personne nulle part, tout paraît déserté. J’entre et j’écoute François jouer, c’est effectivement un fort bel orgue et il joue inspiré. Nous sommes sortis vers midi.

La ville paraissait morte, toutes les boutiques fermées sauf la boulangerie. En achetant un gâteau local, je demande :

- Y a-t-il un restaurant ouverte ?

Il n’y a qu’un seul ouvert aujourd’hui, le dimanche. Nous n’avons pas aimé, il paraissait trop cher et trop snob, tape l’œil, nous avons décidé de pique niquer avec ce que nous avions pris de Paris avant le départ.

- Allons dans le parc de la ville.

- Où c’est ?

- Près de la Mairie, comme presque tout. Je te montrerai où est le théâtre, c’est là qu’ils se tiendront les leçons sur Chopin.

Surprise ! L’office de tourisme est ouverte! François est entré et demandé des renseignements sur le festival Chopin et a pris des cartes des environs. Après avoir mangé, nous sommes montés dans notre chambre tranquille et ouvert nos bagages. Comme d’habitude, nous avons pris trop avec nous. Finalement, dans cet hôtel, au milieu de la ville, près de marché nous avons eu une nuit silencieuse.

François aurait voulu tout prendre avec lui. Rapidement, il a réussi à faire le même désordre dans cette chambre que chez nous. La petite pièce est plein des vêtements, des boîtes. Ce n’est pas une évasion.

Pourquoi suis-je venu ici ?

Après la messe de Le Châtre

On peut se méfier de l’accueil, mais au pays de Berry, à trois cents kilomètres de Paris, on tombe mal rarement.

À l’église, après la messe, le curé remercie François et son épouse pour sa présentation de l’orgue et dit :

« Et maintenant, asseyons-nous, et écoutons l’artiste jouer. »

A-t-il dit l’artiste ? Oui.

Silence.

François ne l’a pas entendu parler et il guette un signe pour la sortie. Finalement, il l’entame. Tous l’écoutent assises.

Quand il s’arrête, ils applaudissent. Il n’entend pas les applaudissements non plus, et ne continue pas à jouer. Il croit, tout perché en haut, que comme l’habitude, tout le monde est déjà sorti. Le curé me remercie, même moi d’être venu.

Le lendemain, personne n’est plus là quand François descend, il est profondément vexé, déçu. Je lui avais raconté de hier et il s’attendait à la même chose, mais la messe, cette fois-ci avait été célébré par un autre curé.

Heureusement, à la longue, les classes se sont avérés intéressants pour François, tout comme mes matinées de stage. Et les soirées littéraires avec dîner aussi, François y participa.

Loin des autroroutes

Je suis partie de Paris par l’autoroute, tôt le matin.

Il y avait une lourde circulation, mais la plupart des voitures arrivaient vers la ville, en direction opposée. J’ai pris Paris - Chartres, puis direction Orléans et Vierzon. Après deux heures, j’en avais assez de conduire ma vieille voiture rapidement, j’étais prêt à m’arrêter, suivre mon propre rythme. Prendre des petits routes. N’étais-je en vacances ?

Je me sens uni avec le paysage, petits hameaux, champs de blé, tournesols me sourient, la route devient de plus en plus vallonnée. Peu de circulation, enfin je roule à l’aise en regardant ce qui passe, admirant les jardins fleuris, les roses crémiers, prenant mon temps. De toute façon, nous arriverons au Le Châtre avant midi.

Je me sentais seule.

Depuis presque deux heures, mon mari, pourtant assis près de moi n’a pas dit un mot: il lisait pendant que je conduisais.

- Allons boire un café et manger quelques croissants, proposa‑t‑il enfin.

Nous sommes entrés en Vierzon. Je n’ai pas aimé le premier café rencontré et ensuite, nous nous sommes trouvés dans la banlieue, sur la route vers Issodun.

- Issodun ?

Je me suis arrêtée. Mon mari regardant la carte routière me répondit :

- Ça va, c’est même plus direct, mais c’est seulement un départemental, pas une voie rapide.

- Et les croissants ?

- On va en trouver plus tard, grogna‑t‑il.

Nous en avons trouvé dans le premier village de grand croissants, croquants, frais et aussi des chaussons à pomme avec de sauce encore chaude à l’intérieur.

La route nous attendait avec des surprises à chaque tournant.

Plus de autoroutes, plus d’appartement étouffant de plus en plus, jour après jour. Du mais et un merveilleux champ des tournesols avec leur visage tourné avec curiosité vers nous : sommes nous en train de les déranger dans ce matin tranquille ? Presque aucune autre voiture à vue d’œil. Puis un autre petit village, de nouveau des champs avec des vaches paisibles broutant l’herbe.

Nous voilà à Issodun : est maintenant?

Nous nous arrêtons devant l’église, mon mari les aime, joue de l’orgue et il est intéressé par leur architecture aussi. Je n’entre pas mais me promène, c’est beau, le centre de cette petite ville et l’air est si frais ! Loin de Paris, presque à 200 kilomètres.

- Bien, encore soixante et nous sommes à Le Châtre, me dit François.

- Alors, tu pourrais parler avec le curé avant midi.

On passe par Nohant où George Sand a écrit Petit Fadet, sans s’arrêter, et, après un virage et de merveilleux saules, nous voilà sur la rue principale de Le Châtre.

Nous arrivons à onze heures et cherchons l’église, nous trouvons le marché. Samedi, c’est le jour de marché dans cette charmante ville, la place centrale est plein de gens. Après avoir réussi de parquer la voiture pas très loin, nous faisons un tour et trouvons un panier de fraises sauvages pour presque rien et quelques très bonnes framboises. De fromage frais aussi, le tout trois fois moins cher qu’à Paris, en 18e arrondissement. Et meilleur.

Puis, François va à la paroisse, il trouve le curé qui lui donne la clé de l’orgue pour toute la semaine.

- Pourriez-vous jouer à la messe, ce soir ? demande le curé.

_ Bien sûr, répond mon mari, ravi.

_ Et demain matin ? À onze heures ?

- Je jouerai aussi, avec plaisir. Et le samedi suivant, comme convenu.

Le curé n’ose plus demander aussitôt pour le dimanche suivant qu’après la messe de samedi soir quand il remerciera spécialement l’organiste en visite pour son jeu. Et curieusement, les gens applaudissent, comme après un concert. Tout dans sa musique, François n’entendra même pas.

Mais nous ne sommes pas encore là.

Pendant que François découvre l’orgue sur lequel il jouera les dix jours suivants et fera quatre messes, je goûte les framboises. Je sens le foret, je me sens libre, échappée. J’ai réussi de l’emmener ici.

Et maintenant?

À midi, nous trouvons un bon restaurant, le repas est lourd mais fait avec beaucoup de soins. Plus tard, nous découvrons qu’ils ont le même menu chaque jour, le même repas.

S'éloigner

 Avant notre départ, 15 juillet 1998

- C’est pas ca ! Écoute, Julie !
- C’est quoi ?’
- Qu’on puisse parler sans que tu fais de drame de tout. Ou tu n’écoutes pas, ou tu fais des drames.

Longue silence. Que dire à ça ?
- Tu recommences à râler. Il n’y a pas moyenne. Pourquoi tu ressasses les mêmes trucs! me dit alors François.
- J’ai rien dit.
- Tu es venu avec une mine…
- C’est pas normal ?
- Alors, il n’y a moyen de s’en sortir !
- Je ne t’as rien répondu, François.
- Ce n’est pas une raison de faire des histoires, je m’en vais…
- Pourquoi se fait-on de mal ?
- Sans faire un drame de tout !
- Je n’ai rien dit.
- Tu as interrompu les communications. Quatre heures à ruminer. Ça ne sert à rien. Tu es un mur.
- Ça dépend ce que tu dis et comment tu le dis. Je t’écoute.
- De quoi ? Tu supportes rien de sérieux, Julie.
- Dis-moi quelque chose de sérieux.
- Tu objectes alors. Bon, ca ne sert à rien tout ca.
- Alors ?

Butte Montmartre, à l'aube

12 mai, 1998

Ce matin je me suis réveillée à sept heures.

Exceptionnellement, je n’ai pas passé la journée au Butte Montmartre, mais avec Nadia, ma petite fille par alliance. Valérie, a mère, la fille cadet de François, m’a permis d’être sa grande mère et ainsi Nadia en a trois. L’une d’elles vis en Algérie, Nadia a hérité un peu de sa peau de pêche et de son père ses longs cheveux de jades noirs bouclés et luisants, qui lui tombent souvent dans les yeux. Ses énormes yeux marron irisé et ses longs sourcils, elle les a hérités de sa mère, une beauté de madone espagnole. L’intelligence vient de François et bien sûr aussi de ses parents.

Nous entendons fort bien, Nadia est heureuse de passer la journée avec moi.

Elle a la rougeole et ne peut pas aller à la crèche. C’est fou tout qu’elle sait déjà pour ses deux ans et demi. Valérie passait pour la bébête de la famille de cinq enfants, elle m’a raconté qu’elle le faisait expresse, pour qu’on la laisse en paix, par sa mère, son frère aîné et la secte dans laquelle ils sont tombés. Son autre frère, fils cadet de François, résistant aux pressions des membres de la secte, peut-être en était mort à douze ans ne le supportant plus, m’avait-il raconté.
***
Le matin, Montmartre est vide mais pas sans vie.

Pas de touristes encore, si tôt. Les camions livreurs passent: Picard, le laitier, le boulanger pour livrer les restaurants. Une petite voiture de voirie verte jette l’eau, les ouvriers en vert ballaient les détritus de hier soir.

Les cafés s’ouvrent les uns après les autres, les garçons sortent les chaises et les tables sur devant le café. Quelques rares passants comme moi se dépêchent vers le funiculaire qui démarre dès sept heures du matin. Le mini bus ne commence à circuler qu’à huit heures.

Les concierges sortent les ordures, les jardiniers arrosent les fleurs. Les boutiques de souvenir ouvrent leurs portes plus tard. Les peintres ne sont pas encore arrivés non plus.

Tiens, un portraitiste à l’arrêt de bus, pas loin de station de taxi, place Saint Pierre. Ou alors est-ce un flic déguisé ? Plus loin, une voiture de police passe et ralenti à côté d’un petit bus d’où l’on entend de musique. Ils ont campé là cette nuit? C’est inhabituel et interdit, mais tout le monde ne peut pas se payer un hôtel. Vont-ils les chasser? La femme prépare le petit-déjeuner.

Je dois me dépêcher si je veux être à huit heures chez Valérie. Ils attendent un garçon, tout heureux. Mon fils, que Valérie appelle ‘cousin’ vient tout juste à être engagé et trouver son premier boulot, dans la boîte où Valérie travaillait. Il n’a pas encore d’enfant. Mes trois autres petit-fils sont fort loin, nous parlons par le téléphone.

La Butte Montmartre est fait par…
Les peintres et les portraitistes
Les musiciens et les chanteurs
Les touristes étrangers et français
Les couples qui se tiennent la main
La boulangerie et la pharmacie
L’escalier devant l’église pour admirer Paris
Les restaurants et les boutiques de souvenirs
Les crêperies et l’odeur qui s’y dégage
Les flics déguisés et les gens du lieu
Le minibus et les conducteurs de bus
Les deux églises, Sacré-Cœur, Saint Pierre
Les escaliers et l’air de la colline
Les sons de musique et tous langues
L’odeur de crêpes et les couleurs des fleurs
Les pigeons roucoulants,
Les boulistes, les enfants,
Et Paris vue de haut.