La réalité change…

25 janvier 02

La réalité change. Dans le passé, mais même dans le présent. C’était écrit dans un livre que je viens de lire, par un auteur, à travers un de ses personnages.

'La réalité change': cette notion m’aurait choquée à un moment donné de ma vie. Aujourd’hui je sais que suivant comment on le regard, des nouveaux faits appris, avec la sagesse ou simplement les changes en nous, le passé, notre passé paraît différent de comme nous l’avons vécu, vu.

Ma vie avec Sandou, Paul, François aussi.

La relation avec la cousine disparu en fumée, a paru dans une lumière tout à fait nouvelle quand, d’un coup, je me suis rappelé les matins allant la chercher, en lui tenant la main et l’encourageant, la mettant dans mon banc, luttant pour qu’elle y soit mise à côté de moi. Me rappelant tout ceci et non pas seulement les mauvais pensés que j’ai eu un matin après que ses parents ne m’ont pas donné les bonbons que maman m’avait achetés et que maman m’a expliqué au téléphone que nous étions plus riches qu’eux et que j’étais fort contant… mais, même à ce moment-là j’ai partagé les bonbons reçus sans regret avec elle. Donc je ne me suis pas comportée affreusement envers elle, comme je me le rappelais pendant des années en même temps que je la pleurais.

Revenons au présent.

Je me suis mise à réfléchir. Comment peut se modifier 'la réalité' qui arrive, qui vient juste d’arriver? De la même façon que celle du passé: suivant comment nous le percevons, regardons, sentons, interprétons. Nous nous en rappelons.

Et j’ai trouvé un exemple.

Lundi, je voulais aller à Paris, prendre le reste de mes affaires (ceux de cuisine). Au téléphone, monsieur a dit «Demain, probablement, mais je te dirai ce soir, rappelle». Ni à sept heures, ni à dix heures de soir, ils n’étaient pas encore là. Le lendemain matin, je l’ai enfin trouvé et d’une voix lasse et fatiguée il me dit: «Non, ce n’est pas possible, en ajoutant: Aujourd’hui, je dois préparer les réunions de demain, jeudi je dois aller à une visite médicale, vendredi» et ainsi de suite.

Réalité ? Avant, j’aurais été vexée. Peut-être, même furieuse. La femme jalouse lui interdisait d’être seul avec moi pendant qu’on «touche» à 'sa' cuisine. Notre cuisine! La 'sienne'?! Le leur? Ils partiront dans une semaine. Elle veut décider, toucher, choisir, regarder. 'Aider'. Être là. Le défendre contre moi, soi-disant (c’est elle qui me l’affirme ainsi).

Réalité ? La seule chose importante que j’avais tirée était la lassitude de François après sa discussion plus que probable avec son ogresse négresse mais en fait se comportant comme 'la mère juive' de l’horrible pièce de théâtre qu’il m’a fait voire en juin dernier. Il doit obéir. Peut-être, François a besoin d’obéir, être 'guidé', mais je ne crois pas qu’en réalité, il aime cela.

J’ai décidé de laisser aller, ne pas insister, ne plus demander d’y aller, laisser couler.

Cette fois, attendre qu’ils déménagent (la fin de mois arrive dans une semaine) et je me suis dit aussi, qu’en réalité, je n’ai pas besoin ni du cuisinier, ni de réfrigérateur, ni de la vaisselle et même pas des appareillages de cuisine restants. J’attendrai pour que ce soit lui qui se manifeste, appelle Lionel, puisque je ne lui ai pas donné mon numéro. Sinon?

Je peux renoncer à tout ou aller les récupérer à la fin du mois. Je pourrais ainsi contempler mon ancien logement, en étant seule, rêver aux heures, jours, vingt années que j’y avais passé, sans que personne perturbe mes réflexions et sentiments.

***

Je peux y rêver, d’ailleurs, même d’ici, de loin.

Je ne dois même pas fermer les yeux et je m’y vois.

La première fois. Découvrant la vue derrière de la fenêtre du salon vide. J’ai senti aussitôt que ceci était 'mon logement'. Je m’y suis sentie aussitôt bien, 'chez moi'.

La première semaine. Sans gaz, sans électricité. Un matelas par terre pour dormir. Mes valises. Des bougies et mes livres sur une petite étagère laissée là par mon précurseur, un jeune peintre de Buttes, ne pouvant pas payer souvent le loyer. À la fenêtre, le soir, j’observais le dîner à deux de mes voisins, dans la maison vis-à-vis de ma chambre à coucher future, tant qu’ils ne se sont pas rendu compte que quelqu’un habite dorénavant en face. Alors, leur réalité a changé et ils tiraient les rideaux le soir.`

Ma vieille voisine m’apportant de l’eau chaude le matin pour que je puisse me faire un café ou thé chaud et la déposant devant la porte d’entrée, tant que le gaz n’était pas réouvert.

Un peu plus tard, mon premier lit et puis, presque aussitôt, moi, couchée, le pied foulé. Mes soucis pour trouver de travail, refaire une nouvelle vie. Ma découverte de voisinage de la Butte Montmartre et ses environs plus lointains.

Ma joie de l’arbre devant la fenêtre, celle de salon et celle de la chambre à coucher. Le partage de l’appartement quelques mois plus tard avec mon fils et le bonheur qu’il n’a pas passé toute l’année avec son père mais a voulu revenir habiter avec moi.

J’ai beaucoup travaillé, beaucoup apprise dans ce logement.

Je me vois devant l’Apple II, mon premier ordinateur personnel, à moi, travaillant, découvrant, tâtonnant. La table était alors près du mur dans le salon et il y avait un grand fauteuil près de la fenêtre et moi, souvent recroquevillé avec un livre à la main. Le petit lit au salon et le sergent de rue qui… j’en souris encore.

Mes hôtes venus de Hongrie, Roumanie, tous bienvenus. Sauf un, inoubliable... j’avais tellement peur qu’il me prendrait de force finalement. Avant, je le regardais comme l’ami de mes enfants, le fils de cousine de mon ex. Après, l’homme qui m’a fait sentir l’épouvante la plus grande de ma vie. J’ai échappé, mais rien n’était comme avant. Mon psy a pris un sacré coup. Cette nuit, il revenait encore et encore, sortait de la chambre à coucher et se penchait sur moi, couchée sur le sofa, il revenait encore et encore, grand, fort, pouffant comme un taureau en rut (chaleur ?). S’approchant trop.

Puis Paul. Mon fils dans la chambre à coucher, nous sur le sofa ouvrable au salon. Paul me racontant de sa vie. J’essayais de comprendre et compenser toutes les douleurs de son enfance, adolescence, vie. Je l’adorais aveuglement. Aveuglée. Par lui, mais surtout, par moi-même.

Heureusement qu’il ne voulait pas se marier vraiment. Je me sentais aimée. Alors. La réalité changeante : il ne m’aimait pas. Il aimait, au moins au début, le confort offert, l’argent à disposition, la position.

Les soirs, deux ans plus tard, je l’attendais, ne sachant pas quand il reviendrait et surtout, en quel état il sera. Ivrogne complètement? Froid? Indifférent? Amoureux gentil? Ce dernier, de moins en moins.

Je me rappelle quand même avec plaisir, la fenêtre toujours ouverte de la chambre à coucher, même la nuit froide. Cette nuit, j’ai ouvert ici la fenêtre et j’ai mieux dormi par la suite. Les 'petits déjeuner complets' qu’il m’offrait. 'Tout service' compris.

Pas de 'grand amour' mais de sexe sain, au moins. Puis, une fois, quand il était très heureux, quand j’avais aidé sa fille trouver un bon logement à Londres, oh, qu’il m’ait bien aimé. Partout. Oh, que c’était bon. C’est aussi lié au logement. Ce n’était pas durable, mais les bons souvenirs sautent aussi dehors du quotidien. C’était passé déjà dans la chambre à coucher et nous avions déjà un grand lit. Où était Lionel à l’époque ? Pas à la maison, c’est sûr.

Et puis, en revenant d’Amérique, après ma rupture avec Paul, je dormis pendant des mois sur le sofa dans le salon pour laisser la chambre à mon fils et sa copine américaine. Ensuite, ils sont partis, l’un après l’autre, à Boston. J’avais de nouveau l’appartement pour moi seule.

J’avais mis alors le fauteuil vert dans la chambre, devant la fenêtre ouverte. J’écoutais le bruit et la musique de la butte et j’écrivais dans mon journal. J’étais heureuse.

Je suivais le régime Scardale, la même que je viens de commencer, il y a quelques jours. Un jour, mon beau-frère (ex) est venu me visiter à midi mais n’est pas reparti que vers minuit. Il parlait, parlait et parlait. Mais ce jour-là, il m’avait aussi fait de bonnes photos. J’avais énormément maigri déjà et j’en étais fort fière. Le salon était alors si agréable et chaud.

De temps en temps revenaient amères du souvenir de Paul qui ne m’avait pas apprécié pour moi-même. Pouvait-on ? je me demandais pourtant.

C’est alors que j’ai découvert Spinoza et c’est dans ce logement, un peu plus tard je suis tombée amoureuse de Dürer (à travers 500 ans de distance). Dans la chambre à coucher, j’ai découvert PostScript sur Mac et le LazerWriter emmené du travail à la maison pendant ma maladie et j’ai imaginé le livre qui est devenu 'PostScript à votre Service.'

Dans le salon, discutant avec Brandeiss, nous avons planifié le livre. Là aussi, que j’ai écrit le canevas des autres livres : HyperCard, paru, et PostScript II, HyperCard II, Édition Électronique, jamais finis. À cause de François et ses promesses de m’aider et l’effort qu’il a déployé pour éloigner mon co-auteur de moi. Il a réussi à éloigner Ain qui aurait pu m’aider, elle aussi, pour le français. Mon amour, plus grand alors que l’envie de publier. Pas pour écrire. J’ai continué à écrire, mais de plus en plus seule.

La première visite de François. La première dîner, ensemble chez moi. Après, moi assis sur le sofa, lui, assis par terre à mes pieds et commençant me caresser mes jambes. Son premier baiser. J’étais perdu, vite. Perdu ou conquise ? Enflammée, de tout de façon. « Je te ferai l’amour toute la nuit ». Promesses, mensonges… je ne le savais pas encore.

Pourquoi ne pas reconnaître ? Je suis très sensuelle et influençable par le bon sexe, ou moins, bonne satisfaction. Il savait me combler par des caresses et baisers savants, il m’a fait découvrir tellement de points sensibles de mon corps. Une fois ici, une fois là. Ses doigts sensibles de pianiste jouaient sur mon corps comme sur un instrument ultra sensible 'violon bien accordé', disait-il alors. Et puis, il était intelligent, émotif, sensible, chaud, cultivé. Mais fort étrange.

Je me suis méfiée de cette étrangeté au début, tout en me réjouissant d’être comblé d’attentions. Être désirée.

Il avait vraiment besoin de moi de tellement de façons. Je me sentais jeune, je me sentais revivre.

Un soir, il m’a appelé de la gare. J’étais déjà au lit, c’était vers neuf ou dix heures. Peut-il venir me voir quand même ? Sa voix m’implorait. À partir de ce soir-là, quand sentant son besoin de moi je l’ai accueilli malgré ma fatigue dans ce logement, dans ce lit, je n’ai plus vécu seule rue Mont Cenis. Et dans la lettre de François, il dit: elle m’a obligée d’y aller, d’y habiter. Il était là, présent de plus en plus. C’était en 1988.

Trois ans après, nous nous sommes mariés. Je me rappelle le bonheur au matin. Le découvrant près de moi au lit et m’étonnant de l’atmosphère de sérénité entre nous, d’entente profonde. Me disant: il est un bon mari. Il s’était calmé, n’était plus tant agité, inquiète qu’avant. Il était mieux après mariage qu’avant.

Au moins, un certain temps.

Le passé, sa réalité, change aussi.

Assez pour cette fois-ci.

Je n’ai aucune envie de me rappeler aujourd’hui tout qui m’a fait mal là-bas, dans ce lieu, à cause de François. Peut-être, ce qui m’a plus frappé était quand il hurlait sur moi pendant que je parlais avec mon fils au téléphone. Et l’espace disponible pour moi rétrécissant en peau de chagrin, devenant de plus en plus restreint.

Le plaisir d’être seule dans l’appartement, l’année dernière, en avril, quand il était parti pour dix jours avec sa fille en vacances. Chaque jour, avec l’amour de ce logement, je l’arrangeais un peu plus, je faisais plus d’espace pour bouger, respirer, me sentir bien, puis je me réfugiais dans le fauteuil vert enfin vidé de ses vêtements et cartons et je lisais, écrivais. Travaillais.

C’étaient les derniers moments, jours heureux, de l’appartement avec moi, lui et moi seul et sereins, nous deux.

Je me souviens avec plaisir de François revenant, jouant à son piano - orgue électronique, moi, l’écoutant ou travaillant.

Puis en mai, Montreux, Caux. Tourisme, souvenirs. Moi, me plongeant dans le passé de ma grande mère et François hélas, avec ses démons revenants d’un coup.

L’épouvante trouvée dans le logement après mon retour de Washington, début août. Ce n’était plus la même, ce n’était plus la mienne. Ça puait. On ne pouvait même plus passer. Sur la table, encore des restes de la réception d’une femme « joueuse de cornemuse australienne » invité par lui pendant mon absence. Les draps de lit puaient aussi. On n’avait pas de chemin à passer jusqu’au coin douche. Pas d’aliments au frigo, l’évier et table pleines de vaisselle sale.

Cinq jours à peine et l’on partait vers sa ville d’adolescence et je suis revenue de Lectoure décidée à divorcer.

La dernière nuit, épouvantable, passé dans la chambre à coucher. François n’arrêtait pas à bouger dans le salon, bousculer des choses, faire de bruit au milieu de la nuit. Puis, il vint, vers trois heures près de lit, me parler, me blesser. Jusqu’à finalement, j’ai quitté. L’appartement et François. François et l’appartement.

J’avais espéré pouvoir y rester seule. C’est lui qui y est resté.

J’ai finalement trouvé refuge chez Lionel et Annelise, puis ici, l’ancienne maison de Sandou, (père de mes enfants).

D’autres réalités de passé qui commençaient se modifier. Quand François me blessait au téléphone, le rose nommé « ma femme » par Sandou fleurissait, l’automne avancé me souriait.

Trois heures difficiles

16 janvier 2002

Trois heures très difficiles hier près de François.

D’abord, à la banque.

Il s’est avéré que le maximum de plan d’épargne logement était 400 000 et non 550 000 comme il prétendait dans sa lettre. Aussi, la responsable de la banque a dit que même si j’avais eu de signature (je ne l’ai pas eu), je n’aurais pu toucher son compte d’épargne spécial logement, transférer de l’argent sans qu’il contresigne. En plus, ce compte n’était pas ouvert que de 1992 à 1994 et il l'avait fermé depuis. Il a reconnu déjà pendant que nous étions à la banque qu’un grand parti la vente de sa maison héritée est parti directement pour payer le prêt d’achat de sa maison de Celles, comme j’avais d’ailleurs indiqué.

Au début, il prétendait encore que j’avais fait des transferts d’argent vers ou à travers Amérique, en prenant du sien. Puis, il a abandonné ceci quand je lui ai rappelé que ma fille s’est mariée presque en même temps que nous et que depuis son mariage je n’ai pas dû lui envoyer d’argent. Et d’un.

Il m’a ensuite, au café, parlé des trois mille francs mensuels que je versais à mon fils pendant ses études, ses cinq ans d’études.

J’avais oublié de lui rappeler que lui aussi a payé les études de ses trois filles; que mon fils ait travaillé pendant les premiers deux ans et pendant la dernière année et que le fait de le déclarer avec nous a sérieusement réduit nos impôts les années restants. Je lui ai dit par contre que maintenant, c’est mon fils qui m’aide: il m’a acheté la voiture dont j’avais besoin et il m’a prêté sa maison. J’ai oublié aussi de lui dire que, s’il vivait de SMIG, comme moi, il pourrait mettre rapidement à côté pas mal d’argent et pourrait rapidement payer ses dettes qu’il a fait tous, depuis notre séparation.

Il a reconnu, (pourquoi ?) que les derniers cinq ans de son enseignement universitaire étaient basés sur ce qu’il a appris de moi, à travers moi, dû à mon déchiffrage du terrain des «objets, évènements, scripts» et de la documentation que je lui fournissais au fur et à mesure. Il a aussi reconnu (pourquoi ?) qu’il est intervenu et arrêté ma collaboration avec mon co-auteur dans l’écriture de mes livres, avait promis mais pas tenu le remplacer. Il a arrêté ainsi macarrière fort prometteur d’écrivain technique.

Il m’a demandé seulement de dire à sa nouvelle campagne que je ne veux plus vivre avec lui en aucun cas, comme il m’a affirmé qu’il n’en voudrait pas, non plus.

Somme tout, il crée, il paraît heureux, même avec les poids qu’il porte. Peut-être il a trouvé quelqu’un qui sait « le diriger » bien, comme il lui faut. J’espère que sa nouvelle 'femme' va rester près de lui longtemps, qu’il sera heureux avec sa nouvelle famille. Elle a sept enfants et pleins de petits-enfants et en plus, des frères et des sœurs. Lourd charge…

Il a oublié de payer son loyer depuis des mois…

Ils vont déménager bientôt. Je devrais vider la cave, moi aussi, d’ici-là, cave plein d’anciens souvenirs, mais d’abord, il veut en retirer quelques affaires anciennes de ma société qui ne me manqueront pas.

L’important était que j’ai pu lui expliquer - j’avais pas mal réfléchi dessus - que le dernier goût d’eau qui a fait déborder le vase était quand il est venu me dire que «Mireille, la femme plus intéressante et intelligente que j’avais jamais connu» en ajoutant aussitôt «Toi, tu ne vis pas sur terre, tu ne vois pas les réalités». C’est vrai, j’avais supporté de n’être pas (plus) jeune, mince, la plus belle, mais non pas être dégradée par lui quant à mon intellect. Et susciter son intérêt. De n’être plus en rien «la plus…».

Il a eu donc la réponse à sa question qu’il m’avait posé une centaine de fois cet été, sur la route, dans le train vers Paris et après «Pourquoi?»; une réponse qui l’a satisfait, je crois, au moins, il l’a compris, profondément.

« Toi, tu ne croyais pas en ce que je croyais » a-t-il aussitôt répondu pour se justifier.

Nos mondes s’étaient éloignés l’un de l’autre : c’est pour cela qu’on divorce. Et aussi, puisqu’on ne se supportait plus et on le montrait. On se blessait. Peut-être, lui davantage, plus violemment en paroles que moi, mais je le blessais aussi de mes yeux et en ne croyant plus « tout » ce qu’il disait. Divaguait. Alors, il prétendait que c’était moi qui invente, divague.

Enfin, tout ceci est le passé, vieux.

Heureusement, il ne me heurte plus.

Heureusement, il a une autre.

J’espère que dans un mois la demande de divorce sera déposée et d’ici avril ou mai, nous serons définitivement, irrévocablement séparés l’un de l’autre. Alors, on pourrait peut-être évoquer aussi de bons souvenirs.

Nous avons payé chacun nos consommations au café. Il n’a même plus offert me payer mon orange pressé. Bon. Je lui aurais payé son café s’il aurait voulu. Il a payé avec des Euros, mois avec mes francs. D’ici un mois, je finirai tous, alors je me mettrai aussi à utiliser des euros.

Euros et divorce. Euros et indépendance. Euros et futur !

11 janvier 2002

Aujourd’hui, j’ai ouvert la fenêtre du salon (et bureau) : j’avais entendu des bruits curieux dehors. Non, pas au grenier, les bruits que j’avais eu l’impression d’entendre venant du grenier devaient venir de la chambre à coucher de mes voisins se trouvant dans leur grenier, transformé en logement.

Leur bruit s’était arrêté.

Alors, j’ai pu me régaler avec les cui-cui des oiseaux.

Le printemps arrivera ! Un peu de patience encore, Julie, il arrivera dans ton jardin, mais aussi dans ton cœur, puis, même si plus tard, dans ta vie.

Chaque jour, mon logement devient plus agréable. Je change la place d’un meuble, réarrange des fleurs, déplace un bibelot.

Aujourd’hui j’ai préparé du lapin aux champignons et des pommes grenada cuites à la cannelle. J’ai des roses thé odorants dans une vase, maman les aimaient aussi de cette couleur.

Ce week-end je l’ai passé tout à fait seule.

Je me suis sentie bien. Samedi, j’ai fait des courses : j’ai oublié seulement le lait, mais il m’en reste encore un peu. J’ai acheté des timbres et envoyé les dernières lettres de nouvelle année. Dimanche j’ai acheté un pain ficelle: c’est aujourd’hui. Est-ce le onze? Environ. Je suis déjà au lit et je ne me lèverai pas juste pour m’en assurer la date exacte.

La télé ne me manque pas et je n’ouvre pas le radio non plus. Sauf, quand je roule en voiture qui a un bon radio, stéréo.

Ce matin j’ai passé l’aspirateur. Même blessé, avec quelques petits trous, c’est un fort beau tapi roux.

Mon mariage a abimé certaines choses. Entre autres, mon apparence. Mais quinze ans auraient compté de tout de façon aussi. Mon visage s’est nettement amélioré déjà depuis quelques semaines.

Je garderai soigneusement la dernière photo agrandie que François a fait de moi 'la vraie Julie' disait-il en me l’offrant, pour me souvenir à quoi il m’a finalement acculée, à quoi je me suis échappée. Il n’y a qu’à comparer cette photo avec celle qu’il a fait de moi il y a quinze ans, aux premiers mois de notre connaissance. On se demanderait si c’est la même femme. L’une, mince et d’aspect jeune, plein d’espoir et joie de vivre et regardant le photographe avec admiration. L’autre, une femme âgée amère, furieuse et au regard accusateur. Malheureuse. Mais même cette femme est loin déjà. C’était il y a six mois. Déjà? Seulement?

Laissons les blessures se cicatriser.

5 janvier 02

La mémoire est très importante dans la culture juive. Se souvenir de son passé intervient dans le conscient et l’inconscient. La fin de l’année 1987 était fort importante pour moi. L’année 2001 a été aussi une année ‘charnière’ dans ma vie.

Demain, je prendrai mes anciens meubles de la rue Mont Cenis. Je les ai réclamés et je m’en rends compte que je n’en ai pas vraiment envie. Pourquoi ?

Ils encombreront ici? Apporteront-ils avec eux des souvenirs douloureux? Mais il y en avait aussi des agréables. Puis, je pourrais bien utiliser les étagères pour mes livres, encore en doubles rangés.

La vérité est peut-être que je n’ai pas envie de bouleverser la maison, telle que j’ai réussi à la rendre: agréable, mais aérée.

Je crois que les prendre, donne surtout une impression de quitter définitivement un lieu que j’ai aimé, un endroit où je me sentais bien. Comme si avec le départ de derniers de mes meubles, je le quitterais davantage, plus qu’avant. Définitivement.

En fait, je voudrais pouvoir dire tranquillement « au revoir » à mon logement où j’avais habité pendant vingt ans et cela sans avoir François devant moi pour m’interdire d’entrer par ici ou regarder par là. Contempler une dernière fois l’ancien chez moi. M’assoir quelques minutes sur le fauteuil et ne rien faire. Ne pas avoir personne qui bouge autour. Ou, au plus, François jouant du piano ou l’orgue. De loin, mais même de près, attentive à sa musique ou non, j’aimais l’écouter.

Heureusement le François, mon prochain ex-mari, ne m’émeut plus, ne me fait plus mal. N’existe plus.

Il n’existe plus depuis que je l’ai vu à Celles, près de la table où je triais, le dos voûté, l’épaule courbée, visage d’enfant châtié, pris sur un méfait et tremblant presque de peur devant sa maîtresse. Écoutant avec peur quand elle l’admonestait pour avoir déformé certaines vérités et essayant se justifier «expliquer son carnet de notes». Que c’était loin de l’homme sûr et bien dans sa peau qu’il affichait être le jour où l’on eût prononcé notre séparation!

Un homme soumis, se humiliant à ce point n’avait rien avoir avec mon ancien François. Probablement, s’il ne m’aurait rencontré en 1988 il y a quinze ans, c’est ce qu’il lui serait arrivé à ce moment-là. Déjà à l’époque il était dans le SM. Mais avoir entendu ce qu’il racontait alors et le voir maintenant devant moi, ainsi soumis, sont deux choses tout à fait différentes.

C’est encore à l’intervention de sa fille que je dois si demain ça se passera bien, mais cette femme, me répétant presque mot à mot ce que Stéphanie lui avait conseillé, n’en ait pas probablement étranger non plus.

Il faudrait que je décrive l’année passée mais c’est trop tôt pour moi. Trop près. Trop douloureux?

Laissons les blessures se cicatriser.

Nouvelle année. Nouvelle vie?

1er janvier 2002

Nouvelle année, nouvelle page, nouveau stylo. Nouvelle vie ?

Nouvelle monnaie! Vive l’euro de douze pays!

Ce matin je suis allée au centre ville et j’ai passé d’un distributeur à l’autre. Finalement, au Crédit Lyonnais du centre ville (bravo !) j’ai eu mes premiers billets de banc en Euros. Ensuite, à la poissonnerie et aux légumes, on m’a rendu des euros. En plus de billet de vingt, j’ai un dix et un cinq maintenant. Et aussi de pièces.

Je me sens moins étrangère avec les Pays unis, au moins, par la même monnaie. Encore un pas important franchi.

Bientôt, Hongrie fera aussi partie de l’Europe à part entière.

Je me suis acheté des huîtres « claires », du saumon frais, des haricots plats, une endive et une petite brioche pour fêter la nouvelle année, ma nouvelle vie.

Une crampe le matin, dès le réveil, m’a averti de bouger et marcher davantage. Nager ? L’eczéma de mes mains prévient : soignes toi.

Malgré tout, la vie et l’année nouvelle est devant moi !

L’année dernière, Noël dernier, chez Agnès, avec Lionel et tous mes petits-enfants réunis, me parait aujourd’hui si loin, si éloignée !

J’ai changé, ou plutôt, ma façon de voire a changé. Par son comportement impossible, ses propos horribles et délirants, François m’a délivré de l’obligation, mais aussi du rêve qui n’était plus, n’avait plus rien de réel.

« Tu vis dans l’imaginaire » a-t-il affirmé plusieurs fois l’été dernière. C’était vrai, mais pas tel qu’il l’entendait. Il est libre (tant qu’il peut, veut) maintenant à vivre dans son monde « réel » à lui. Je suis libre, enfin, de vivre tel que je l’entends, tel que je pourrai.

Il m’a fallu des semaines et des mois de « purification » de lui, de mariage, des illusions (perdus ? non, dissipés, piétiné dessus avec des bottes lourdes). C’est fait, écoulé.

Cette année quelque chose nouvelle commence. Encore quelques semaines et tout entre nous sera rompu officiellement. Tout, sauf les souvenirs.

Hélas, la fin amère teinte de gris même les bons. Il faudra de temps pour s’y retrouver, se souvenir qu’il y a eu aussi quelques bons moments.

Pas vers la fin. Non, pas du tout.

Bon. Je vais manger, me régaler. Je suis bonne cuisinière, j’ai une intérieure chaude. Un ordinateur, des livres, j’habite une bonne rue. Dehors, givre. À l’intérieur autour de vingt degrés.

Vive l’Euros !

Je pourrais visiter à ma guise tous les pays de l’euros si je veux. Et même, Angleterre et toute la Grand Bretagne, un pays après l’autre, petit à petit.

28 décembre 2001

Maman, je t’es acheté deux pots de cyclamens hier, pas un seul. L’un, à trois fleurs roses ouvertes, grandes, fortes et belles, et des bourgeons qui sont en train d’ouvrir. L’autre est un énorme bouquet des fleurs rouge foncé. Je verrai lequel tient davantage. Je les ai mis dehors, un à chaque fenêtre, selon le conseil de Christian, mari de sœur d’Anelise et jardinier de métier. J’admire l’un du lit, l’autre du salon. Il leur faut peu de chaleur, beaucoup d’eau de bas, a‑t‑il dit.

Ils me chauffent le cœur. Les cyclamens, sont-ils féminins ou masculins ? Qu’importe! C’étaient les fleurs que tu désirais recevoir pour le vingt-six décembre, date de ta naissance, maman.

Bientôt, nous entrerons dans l’ère des euros. Presque comme les dollars, pour moi.

J’espère que Lemac, le chat de Lionel, reviendra manger aujourd’hui, comme hier après-midi et soir. Je ne devrais pas me faire de soucis pour lui, mais je m’en fais malgré tout. Plus pour Lionel que pour le chat? Je voulais qu’il puisse se promener, et Lemac se promène, alors? Où est-ce qu’il a pu dormir? Je le croyais devant ma fenêtre, mais ce matin, il n’y était pas. Est-il avec l’autre chat, noir, qui vient dans notre cour surtout pour demander à manger des voisins?

Je m’habille et vais chez Valérie. Je n’ai pas vu Nadia depuis six mois ou plus. Elle restera ma petite fille, même après ma séparation avec son grand père. D’ailleurs, entre eux la distance est devenu beaucoup plus grand qu’avec moi.

Valérie doit penser que c’était moi qui avais demandé que son père vienne d’avantage chez eux, et c’est vrai, avant et pendant mon départ pour l’Amérique. Elle ne m’a pas dit, mais elle doit m’en vouloir. Je voulais qu’il ne reste pas seul et comment pouvais-je deviner ses pensés maladifs de grand-père ! « Mes petits-enfants me font bander ». Comment on peut arriver à penser, écrire ça ! Voir une séductrice dans sa petite fille de cinq ans!

Je me sentais bien chez la mère d’Anelise, au milieu d’une grande famille, des gens biens, différents les uns des autres. Grand fête, bon vin, enfants. Mais je me suis rendu compte, par deux occasions, que je ne suis pas « sortie de l’auberge » complètement. J’ai si mal supporté les querelles. Les voix, l’intonation, le volume, la répétition.

J’avais envie de hurler, m’enfuire, m’échapper, loin de là. Je me suis échappée de François et non pas pour retomber ailleurs, au milieu des querelles et reproches sans fin. Même s’ils ne me concernaient pas, je les ai supportés fort mal.

Il faut de temps pour guérir, Julie! Et malgré le temps, les cicatrices vont rester et se faire sentir de temps en temps.

21 décembre 2001

J’ai presque commencé à idéaliser Sandou. J’avais presque oublié qu’après son décès, nous sommes venus ici et j’avais réussi à convaincre mon fils de se débarrasser du fusil de son père, un vrai, pas à l’air comme il prétendait. Lionel l’a passé à son oncle.

Sandou avait aussi ses côtés très noirs.

Les accidents qu’il a provoqués; le chien qu’il a écrasé; l’homme à la bicyclette, tué en Serbie avec la voiture, alors que notre fils était avec lui. Et qui sait quoi encore dont je n’en sais rien.

Il ne buvait pas pour rien : il avait des choses sur sa conscience.

François, a-t-il un conscience? Comment le supporte-t-il? En créant des contre‑vérités? En s’imaginant au-dessus de tous, puis au‑dessous de tout?

Chacun porte sa croix d’une autre façon.

Mais on paye ce qu’on a fait - un jour ou l’autre.

Y a-t-il de récompense pour le bon? Ça, c’est une autre histoire. De tout de façon, pas par ceux à qui l’on a offert, au moins la plupart de temps.

En fait, il y a bon et mauvais en tous. Même si pas les mêmes tares, même si pas en même proportions.

***

Depuis hier soir : grande joie !

La pièce la plus moche de cette maisonnette, avec le plafond horrible, difficile même de l’imaginer si on ne l’a pas vu, est dorénavant merveilleuse: normal. Un plafond lisse, blanc luisant. Les prises sont accrochées au mur et ne se baladent plus, les plus parts des fils cachés. Elle est devenue 'une pièce comme les autres', ou presque. Le reste, suivra.

En plus, il ne manque plus des plaques sur le plafond de salon, même si Annelise aimait y voir mieux 'les traces de ses mains' à la place. Encore plus importante, la poutre de toit est renforcée et je n’ai plus peur que le toit tombe sur ma tête.

L’homme qui a réalisé tout ceci est un Portugais d’environ 55 ans et il m’a affirmé que cette maison, fait de briques, ne risque pas de s’écrouler: il sera là encore pour les enfants, petits-enfants, après que nous ne le serons pas.

Les idées, les choix pour la transformation de ce pavillon mes enfants à une époque étaient motivés par certaines raisons. Une fois habituée à l’idée que mes ressources ne sont pas sans fin, j’espère que les Portugais vont m’aider à le rendre de plus en plus agréable; déjà, il est bien.

L’important aussi c’est de voir quels choix faire, quoi changer, comment et pourquoi.

Ce matin, cette nuit plutôt, j’ai fait un bain à deux heures. Quelle joie d’avoir une baignoire, quelle joie de pouvoir l’utiliser quand j’en ai envie !

Je me suis imaginé cette nuit la pièce au-dessus de la cuisine refaite, transformé de grenier inutilisable et ayant même deux fenêtres. Et, bien sûr, des marches y menant du garage. Transformé dans un salon agréable. Avec la porte d’entrée séparée du garage, en fait on pourrait avoir un deuxième petit logement, ou presque. Je n’ai pas pensé au W. C., l’eau, gaz, mais il pourra être un lieu habitable pour des jeunes. Je me suis imaginée mes petits-enfants, étudiants, près de moi.

Où serai-je en dix ou quinze ans ?

Pour le moment, 'petit à petit, l’oiseau bâtit son nid.'

Si un de mes enfants voulait un jour venir? Il ne faut rien exclure. Avoir un peu d’intimité pour les petits, un coin à jouer.

Des rêves.

J’ai besoin de bâtir des rêves.

Quelle joie cette découverte des anciens journaux de Lionel. Quelle âme sensible. Oui, il était naïf à dix-huit ans. J’admire cette naïveté, cette fraîcheur d’âme, cette abnégation, tout flamme dehors, c’est vrai, la sensibilité à fleur de peau cause aussi de blessures et laisse des cicatrices. Mais provoque aussi des joies intenses, des sentiments profonds. Je le sais. Un jour, peut-être, il lira mes journaux, lui aussi, et me pardonnera, s’il lit ses lignes, d’avoir lu (et adoré l’être qui en sort) les siens.

Bientôt, je rencontre Stéphanie et Andrée, sa fille. Je vais m’habiller et « aller en ville », à Paris. Paris ne me manque pas. Pour le moment. Elle est là, de tout de façon, pas loin, si je la veux. Je n’y suis pas allée qu’une ou deux fois par mois et je n’ai pas eu envie de m’y promener. On verra.

J’ai habité 20 ans à Montmartre. C’était bien. Aussi petit, sans baignoire, sans jardin. Je suis bien ici, de mieux en mieux.

Madame Filipetto, admirative de chaque nouvelle pas que je fais, reconnaissante pour un repas ou un bol de soupe qu’elle ne doit pas faire elle même, appréciant les changements ; les voisins souriants, contents eux aussi que la maison n’est plus vide et délaissée.

La province, la banlieue a ses avantages.

Il fallait que quelque chose de passe pour m’obliger, me pousser à tourner la page.

Depuis que le plafond est refait, le toit renforcé, ici n’est plus un horrible tanière mais un logement chaud. Et la secrétaire de Paula, mon arrière grand mère, brille, me sourit, ou au moins, approuve.

2008: il faut rêver! même si tous les autres transformations de maison sont restés des rêves.

Enfin; je m’y suis mise

12 décembre 2001

J’ai toujours réussi à rendre le logement où je vivais accueillant, chaud. Il a fallu que je vive presque quatorze ans dans un bordel à cause de toi.

Enfin, j’ai de nouveau un « home » agréable à habiter!

Je ne me suis pas rendu compte combien ceci m’avait manqué. Si. Quelquefois, quand lors des absences un peu plus longs de François j’avais réussi à rendre de nouveau agréable notre logement, rendre quelques grands surfaces vides, ranger tant que je pouvais le bric-à-brac, ramasser les tas.

Oui. Ce n’est pas le logement de Butte Montmartre qui me serait le cœur mais les quelques jours autour de Pâques où il était de nouveau un havre de paix, un lieu sereine de travail.

François avait un besoin maladif de s’étendre, d’utiliser chaque place libre, plat ou non, y mettre ses trucs. Journaux, revus, livres, vêtements. Au début, ce fut la table. Puis, le fauteuil. Ensuite le sofa. Et puis par terre. Traverser, bouger, devenait de plus en plus périlleux. Même le lit où l’on dormait était souvent encombré. « Ranger » pour lui c’était étaler davantage : trier. Faire encore plus de tas.

'Cacher' dans l’armoire? Impensable! Jeter? Pêché.

Au début, j’ai essayé. à Vincennes, à Celles, à Paris.

Lentement, je cédais du territoire où remplissais avec mes livres pour qu’il ne s’étale pas là aussi. Finalement, hors une étagère, il ne me restait que moitié d’un fauteuil double pour travailler assise et le lit pour dormir. Mon espace devenait de plus en plus restreint, étroit.

Jusqu’au jour où il a réussi me pousser dehors complètement de mon propre logement et ensuite m’interdire d’y entrer. Il m’a fait fuire tout en clamant ensuite que je suis partie de moi-même.

«Si tu n’auras où aller, tu ne partiras pas à cinq heures de matin» affirma-t-il d’un ton accusateur, après qu’il m’avait accusé des pires méfaits les uns après les autres depuis trois heures de matin, sortant son poison sans cesse pendant la moitié de la nuit.

Et avant, à mon retour d’USA, il avait rendu l’appartement complètement dégoutant et inhabitable. Pour ajouter une touche en plus, il avait même laissé sur la table à manger de l’entrée les bougies, flutes de champagne et bouteille de vin servi à son invité - femme une semaine avant que je revienne. Celle qu’il avait ensuite poursuivi avec pompiers entrant dans son logement et qui l’avait accusé de harcèlement.

C’est normal que je me délecte avec ce petit pavillon que je peux arranger, ranger à ma guise et avec tant des espaces vides ! Et des livres ou fleurs posés ici et là seulement. Je n’aime pas un logement trop rangé non plus, mais de là ce que j’ai trouvé en rentrant cet été, il n’y a pas de mots pour décrire la distance.

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Quand j’avais écrit le petit roman Sans limites et aussi d’ailleurs La princesse aux pieds nus, je ne me rendais pas compte tout ce qu’ils exprimaient et aussi, tout que j’avais envie et pas fait, ou plutôt, fait comme elles, malgré l’envie d’agir autrement. Elle était fâchée contre lui, ou tout simplement avait besoin de se prouver, revenir à sa contré natale, c’était mon intention de le décrire.

Au lieu de cela, il tombe malade, elle l’apprend, elle revient, le soigne. Reste près de lui.

François était tellement déprimé à l’époque qu’il ne sortait pas pendant trois mois que pour les courses et même ceci rarement. Je restais avec lui, enfermée à Celles, dans sa maison de campagne et j’écrivais. Ce que venait et s’écrivait presque seule. « L’amour, la joie, la peine, n’a pas de limites, » voulait exprimer ce roman. Mais la renonciation, les soins, non plus ? J’écrivais. Je me réfugiais dans le récit, l’un après l’autre. Cette jeune femme revenait, le soignait, l’autre pardonnait.

Ces romans peuvent paraitre durs, crus à certains, en fait les deux décrivent comment on s’en sort, on se retrouve. L’épreuve, mais aussi et le chemin après. S’en sont-elles vraiment sorties ou seulement tombées d’un à l’autre ?

Aucun de livres écrits alors n’a pas commencé avec un but, ils sont venus à chaque fois d’un questionnement que je me suis posé. «Comment pense le violeur de guerre et pourquoi croit-il que les femmes venaient d’elles mêmes, ‘la demandant’?» C’était le début de la Princesse aux Pieds nues ; «Qu’arrive-t-il quand les sadiques s’emparent de force et ruse d’une jeune femme? Comment s’en sort-elle après psychiquement?» est devenu Sans limites.

Ces questions m’ont propulsé vers les centaines de pages écrits en hâte, les uns après les autres, rêvés la nuit ou au petit jour, immobile dans le lit pour ne pas réveiller trop tôt monsieur. Attendant de pouvoir se lever, me plonger, mettre la suite du film déroulé devant moi, se passant dans ma tête, sur papier.

Je n’ai plus besoin de tranquillisant. C’est bien. Je lis, mange et cuisine, dors, mais je ne fais rien d’autre encore. «Lèche mes blessures» disent les Anglais. En attente que ça passe.

Hier, je crois, Stéphanie a du être opéré de cataracte. J’ai pensé à elle dimanche, mais finalement je n’ai pas appelé.

Je suis allée nager seule. J’ai passé des agréables heures avec des livres de Judith Ivory. Elle a pris le canevas des divers contes de fées: la belle au bois dormant, la belle et la bête, l’histoire de Pygmalion (à l’envers), etc. et les a modernisés, en écrivant des merveilleux romans. Elle a créé des héros (mieux que ses héroïnes) inoubliables. Humains, vivants, amusants. J’ai une nouvelle romancière préférée. Merci Ivory de m’avoir tenu compagnie lors des jours difficiles!

Me suis-je enrichie ?

2 décembre 2001

Je ne me suis pas enrichie sur le dos de François, comme il le prétend.

Est-ce vrai ?

Non.

En fait… si je compare comment j’étais il y a quinze ans et comment je suis aujourd’hui, je me suis enrichie.

Intérieurement.

Pas avec de l’argent.

Je suis plus riche, je suis autre que j’étais il y a quinze ans, avant le connaître. Mais lui aussi, au moins autant que moi !

Bon, c’est vrai que j’étais un auteur d’un livre devenu quelques semaines seulement après notre connaissance un best-seller, c’est vrai que ne l’aurais-je connu j’aurais continué à publier d’autres livres, les uns après les autres. Le Hypercard N° 2 que j’avais déjà dans la tête ; le PostScript 2 était déjà quant à lui en grand parti sur papier et celui qui est sur l’édition Électronique qui m’était si chère au cœur et sur lequel j’avais fait tant de recherches. À cause de lui et ses actions, ses promesses, mais aussi de mes priorités changées, je n’ai plus rien pu publier depuis.

Et je n’ai plus découverte (oh que si !) rien comme Spinoza ou Durer (dans qui j’étais tombé amoureuse à l’époque à travers les 500 ans qui séparaient nos vies).

C’est le côté négatif.

Mais j’ai connu quelqu’un, fauché d’argent à l’époque et dépourvu des élèves et de buts, néanmoins riche, très riche à l’intérieur. Et à travers lui, je me suis compris mieux. Nous avons donné, lui et moi aussi, beaucoup de notre richesse intérieur l’un à l’autre.

Je me suis donc enrichie.

Ne crois pas, François, que je te dois de l’argent pour cela. Je t’ai sauvé la vie plusieurs fois, je t’ai donné beaucoup des années riches, équilibrées, « normales » tant que possible, sereines. Je t’ai énormément enrichi, moi aussi !

Tes dents (tu n’en avais que deux à l’époque). Ta musique : piano, orgue, mais surtout « ta frasé ». Tu écoutais seulement, tu agis, joues, fais des concerts - conférences sur les compositeurs baroques français.

À travers moi, tu as connu l’HyperCard, le PostScript, la programmation Objet, le Scripting ; à travers mon fils le Visual Basic et beaucoup d’autres choses nouvelles. Tu a appris à parler avec les autres (et quelquefois même, les écouter). Tu as dansé de nouveau. Tu as vu du monde, mieux profité de ta vie. Tu as eu à côté de toi, en bien et en mal, quelqu’un qui t’aimait, t’appréciait, t’estimait, t’encourageait. T’acceptait et sortait ce qui était le meilleur en toi.

Non pas en poussant, en t’encourageant.

Je ne crois pas que, malgré les apparences, (truc rose, SM, domination etc.), tu es retombé tout à fait dans ce que tu étais il y a quinze ans.

Pas possible.

Certaines richesses, certains acquis, on porte en nous. Restent.

Ne crois pas que je pars riche et tu restes pauvre. Et je ne parle pas de ta maison, l’appartement resté en ta jouissance, les ordinateurs, les meubles, tes orgues et livres, tous ces vêtements acquis depuis qu’on se connaît. Je parle intérieurement.

Malgré tout, si tu compares, tu es un meilleur homme, plus riche, plus plein que tu étais quand tu m’as connu.

Peut-être, nous vivions sur des mondes différents avant de nous connaître, peut-être que tu vivras de nouveau dans un autre monde que moi à mille lieu lumières à part.

Tu emporteras où que tu sois quelque chose de… non, pas de moi, de « nous ». Le nous qui a disparu était riche, le nous qui s’est cassé, dissipé, ne s’est complètement évaporé.

Il faudra du temps pour se rendre compte, de temps pour comprendre. De toute relation, et la nôtre était intime et forte, reste, non seulement les points qui pèsent, font mal, mais aussi des acquis positifs.

Qui m’a le plus trompé, utilisé que Paul ? Pourtant… Quand j’ouvre la fenêtre la nuit pour laisser l’air pénétrer, je pense à lui. C’est lui qui m’y a habitué. Quand je marche un peu plus à pieds, je pense à lui, c’est lui qui m’a forcé, montré que je peux. Il m’a apporté des choses, même lui ; danse sur la terrasse avec la musique venant de loin, découvert des plats gastronomiques, d’une autre Paris. etc.

Pour toi, je dois attendre, je suis trop rempli d’amertume aujourd’hui pour ressortir ce qui reste après « nous ». Toi aussi.

Il nous faut de temps.

Des mois.

Des années ?

Le futur le dira.

Mais François, je t’ai donné au moins autant que tu m’as donnée. Tu es resté beaucoup plus riche que t’étais avant notre rencontre.

Je n’ai pas vécu sur ton dos - comme tu le prétends! J’ai contribué équitablement, comme tu t’attendais d’ailleurs dès le début. Pas comme Sandou qui voulait, aurait voulu au moins, tout m’offrir, assurer notre vie matérielle. Tu voulais que je contribue et moi aussi je trouvais cela naturelle.

Au début, j’ai contribué de l’argent reçu de la publication de mes livres et les articles réguliers sur l’Hypercard. Puis de mon travail comme responsable Macintosh. Tu m’a offert des voyages. Moi aussi. Tu m’a offert des cadeaux. Moi aussi. Et tendresse, amour, confiance. Trop de confiance? L’avenir le dira.

30 novembre 2001

François m’a dit « La princesse est très sévère et exigeante » et il ne se plaignait pas! Il l’a rencontré à travers le Web rose et SM. Domination! Ça doit être cela… Je l’avais ‘sauvé’ de ceci il y a 15 ans, il y est retombé. Ça doit être son destin. Souhaité par lui?

Il en avait peur, mais en même temps il était fasciné. Sauf, qu’à l’époque, j’avais cru qu’il était plutôt à l’autre côté. Mais non, sa nature est probablement plutôt d’obéir, se faire guider. Courber les épaules sous fouet… au moins, métaphoriquement.

Est-ce vrai ? Cela expliquerait beaucoup.

Il était d’accord avec un divorce tranquille, accommodant. Puis, d’un coup, il vient de m’accuser de tout, invente n’importe quoi pour me soutirer de l’argent. Lui, que tous disent « bon, généreux. » Sauf, quand on lui ordonne de… Mais il avait aussi un grain de très grand méchanceté en lui. Vilenie envers d’autres, se délectant de marcher sur les points faibles, appuyer sur les blessures qui faisaient le plus mal. (Au moins à chaque conférence et même au travail.)

Dehors, il pleut depuis deux jours. 

Dedans, il fait chaud. Il ne pleut plus dans mon salon! Mais que sont ces gouttes dans la cuisine?

En quoi s’est-il encore mis cet homme ?

Julie, ce n’est plus ton problème ! ! !

Bon, je me replonge dans mon livre. Celui-ci n’est pas si bon que Proposition, mais il est amusant néanmoins. Et puis quelle richesse de vocabulaire, expressions modernes jamais encore rencontrées.

Je suis heureuse

29 novembre 2001

Il pleut. Je suis heureuse: il ne coule pas dans la maison. Le toit paraît bien réparé. Le soleil apparaît. Je suis heureuse, j’aime la lumière et le jardin illuminé sous les rayons de soleil de l'après-midi.

Après avoir réécrit trois ou cinq fois ma réponse détaillée, j’ai finalement envoyé une lettre tout écourtée à l’avocat. Je n’ai rien expédié directement à ‘monsieur François’.

Je ne regrette pas ce que je lui ai donné au fil des années. Il y a eu des moments, heures, peut-être même, des jours heureux.

S’il regret, lui, ce qu’il a pu offrir, tant pis pour lui.

Il n’a jamais offert une jota de plus qu’il voulait, ne faisait qu’à sa tête. Voire nos relations sexuelles. J’offrais ce qu’il demandait, pas lui à moi. Alors, pas de regrets. Juste pour les rêves, mes rêves. Irréels (dit-il). Possible. J’ai cru fort, de nouveau, au happy end dans ma vie. Pas au début de notre relation. Pas à la fin, pas depuis plus de trois ans. Au milieu ? Entre les goûtes ?

Ce n’est pas aujourd’hui encore que je vais l’analyser en détail.

Aujourd’hui, j’ai posté la lettre, mangé trop, acheté un petit tapis, des casseroles et une poubelle. Lu un bon livre. Un très bon livre. Dormi, quand j’avais sommeil.

La voisine a pris le paquet de nouveaux livres pour moi et le postier s’est souvenu de lui laisser en mon absence. C’est calme. Pas de bruit. Ma voiture est une merveille. Je l’ai rempli avec 25 litres, 25 euros en cheque.

Un jour j’en sortirai, commencerai à voir du monde, faire de nouveau amis et amies. Je publierai un ou plusieurs livres. Édition normale ou sur l’Internet, sur CD ou DVD, le temps le dira.

Je dors, je lis, je mange. Range. Nettoie.

Souris, Julie ! Qu’il pleut ou que le soleil brille.

24 novembre 2001

Monsieur est très contant de la voiture : «Elle a démarré d’un coup». Monsieur a des responsabilités : «La princesse (de Cameroun) a sept enfants dont un a des problèmes avec un gang, là-bas.» Monsieur ne veut «que ce qui lui est du tenant compte de notre contrat de mariage». Ses exigences sont «très raisonnables», affirme-t-il.


Monsieur est prêt à élever une nouvelle famille (noire, pourquoi pas?!) mais fort exigeante : «J’ai l’expérience des gosses», ajoute-t-il avec un grand sourire tout fier de soi même.

J’irai voir un notaire et un conseiller, moi aussi. Qui ?

D’autres côtés, monsieur se plaint des 89 francs! demandés (par erreur deux fois) de notre avocat commun.

Ensuite, il ajoute : "Fais une liste de ce que tu veux encore".

Que veux-je 'encore'? En fait : la paix.

Je ne lui donnerai rien de plus, je veux rien de plus de lui. J’en ai marre, mais si on marche sur mes pieds, je sais lutter, me défendre, même attaquer pour avoir ensuite la paix. D’une façon plus propre que lui mais pas moins efficace.

Pour obtenir quoi que ce soit de moi, il faudrait encore qu’il prouve ce qu’il affirme, ce qui est tout à fait faux. L’intimidation ne marchera pas! Je n’ai pas pris son argent ou viré nulle part - comme il le prétend, je n’ai pas ses bijoux de famille, non plus.

Je n’ai pas grand-chose à moi. Mais… ai-je peur de «la grande famille camerounaise?»

J’ai survécu les nazis, les Ceausescu, la Securitate, des chefs impossibles les machinations de ma belle-mère et mon oncle, un mari infidèle, et je vais survivre celui-ci, ignoble aussi. Et si je mœurs, il n’en gagnera rien. Rien de plus que je lui ai déjà donné.

Bon voyage avec l’AIX, bon courage avec l’appartement de la butte Montmartre, qui ne me manque plus, et aussi avec sa grande maison à Celles.

En mai, je serai «libre» de lui définitivement, sinon?… en dix ans. Ce n’est pas moi qui veux me remarier !

Deux fois, c’était amplement assez. Je n’ai même plus envie de cohabiter ou dormir à côté de quelqu’un. Non, merci. J’ai trop donné, trop cher payé. Maintenant, je me réveille à trois heures du matin, je lis à ma guise. Je fais des courses et de la bonne cuisine saine, je mange ce que j’ai envie, quand j’ai envie. Avec le temps, je travaillerai aussi davantage.

Je me suis bien programmée et mercredi, avant l’audience au tribunal, j’ai reçu des livres, dont une amusant, magnifique (Proposition par Judith Ivory) et aujourd’hui est arrivé un paquet d’autres livres. Je ne bois pas, ne fume pas, ne me drogue pas : je lis…

***

Je viens de relire mes journaux écrits de 1988 à ce jour. Que je suis contente de ne plus vivre avec François, ne plus devoir écouter ses interminables monologues ! Être loin.

Julie : tu ne le rencontreras plus que devant un juge au tribunal.

Julie : tu ne l’appelleras plus avec aucun motif.

Julie : va chez le notaire, écrit à l’avocat et ensuite

OUBLIE-LE !

Sors-le de ta tête !

N’y pense plus !

N’empoisonne pas ta vie avec !

Sois heureuse. Travaille.

Construis-toi une vie.

Recommence à écrire. Sortir. Être.

C'est officiel

23 novembre 2001

Après onze ans de mariage (et plus de 14 de cohabitation) je suis enfin officiellement séparée, si pas encore divorcée, mais en bonne voie.

Il est venu en retard au tribunal (pas trop) et surtout, il avait une excellente mine et ‘look’: blazer de cuir, le meilleur costume beige, un microphone à l’oreille. Une allure mais surtout une assurance de soi qui m’a fait plaisir.

Le fait qu’il était d’accord pour le divorce et notre convention temporaire signée en septembre m’a fait encore plus plaisir.

Je suis séparée !

Officiellement. Enfin !

Il restera au Mont Cenis.

En sortant du Tribunal, je lui ai rendu les clés et les papiers de la voiture laissée près de là, au centre de Paris. Je lui laisse tous les meubles de notre ancien logement jusqu’il déménage en décembre ou en mars. Sauf la bibliothèque que j’avais promise à Anelise. Il était, après, en très bonne humeur.

Il m’a passé un papier complètement abracadabra me réclamant non moins qu’un million! Il prétend dans ce papier haineux et sans sens, qu’en 1988 je l’ai 'obligé' de venir habiter chez moi! En fait, il me suppliait de le laisser venir, d'y rester. Ça, c’est telle que je me le rappelle. Il y parle aussi de sa dette de 100 000 francs à sa banque de province et que j’étais pendant deux mois chez Agnès ce temps-là (après mon intervention chirurgicale) mais il oublie que c’était lui qui les avait dépensés avant et pendant mon absence en s'achetant n'importe quoi.

Il a une magnifique mémoire, sauf, quand il n’a pas envie de se souvenir, reconnaitre ses propres bêtises et torts, alors il ment carrément ou tord la vérité. Il est ignoble. Non pas malade.

Il prétend aussi d’avoir payé tout pour notre ménage pendant notre mariage, oubliant que jusqu’à récemment c’est moi qui payais le loyer, l’électricité, le téléphone et tous les frais de réparation et entretien de la voiture. Et même, fort longtemps, la moitié des impôts. En plus, un virement permanent de 3000 francs en compte commun pour les dépenses courantes de ménage.

Il parle dans sa lettre de sa maison parentale vendu en 1992, niant qu’il avait mis l’argent dans un conte d’épargne à part auquel, heureusement, je n’avais pas de signature et qui lui a servi en grand parti pour rembourser son prêt Cofinoga et autres prêts pour l’achat de sa maison de Celles, et l’achat, avec énormes intérêts, de son ancien Mac couleur, et ses dettes pour couvrir l’abus d’utilisation de Minitel rose avant notre rencontre. De tout de façon, tout s’était il y a dix ans. Au moins.

Il prétend en plus que j’aurais gagné avec l’argent que je lui ai subtilisé et mis à part, le double. Donc, il réclame de moi le double de ce qu’il a jamais pu avoir (et qu'il a dépensé lui même.) Quel culot!

Cette femme noire est 'très sévère, très exigeant' dit-il. Le poussant à n'importe quoi. A-t-elle subtilisé les bijoux de famille qu’il réclame aussi de moi? Quand je lui ai dit que je serai contente s’il se marie avec elle, il était étonné. Il n’est pas quelqu’un qui aime être seul, peut vivre seul.

« Toute sa famille m’a acceptée. »

Bien sûr. Besoin de papiers, besoin d’argent et heureux des cadeaux. Entre autres, mes CD à moi, à nous. Mais il est aussi devenu, grâce à moi, beaucoup plus ouvert, plus communicatif. Il a des dents : je l’ai emmené au dentiste.

Je l’ai aidé à survivre, je lui ai aussi sauvé la vie, au moins deux sinon trois fois.

Quand ?

Réfléchis!

Je l’avais prévenue de n’attendre rien de moi et ne pas se faire des fausses illusions. L’avocat a dit qu’il peut provoquer des saisies du fisc. J’ai ajouté qu’il n’a pas intérêt de m’accuser à cause de sa propre réputation et ses petits-enfants.

Il a un très mauvais conseiller juridique, il n’a pas trouvé le procès avec le propriétaire du Mont Cenis.

« C’était une manipulation pour me tromper » prétend-il.

Pourtant c’est notre avocat commun qui s’en était occupé alors, et bien.

Si ‘tout va bien’, fin février nous pouvons déposer la demande finale de divorce. Le juge lui a signalé clairement que si nous ne déposons pas jusqu’à août la demande du divorce définitif, tant la procédure de séparation que le divorce sera annulé.

Donc, au pire, je suis légalement séparée jusqu’à la fin août et, au mieux, divorcée vers avril 2002.

Paul m’a coûté deux ans de loyer et des frais de procès. Je ne croyais pas dans mes pires rêves que François pourrait vouloir m’exploiter davantage. Je ne comprends toujours pas qui il est, qui il était. Qu’est-il devenu, comment peut-il oser?

Comment cet homme que j’avais tant aimé et dont je suis toujours contente de le voir en bonne forme, peut être ainsi, fabuler comme ça, tordre, malgré sa fameuse mémoire tout et au lieu d’offrir, demander de l’argent à sa femme, son ex-femme. Je l’avais soutenu pendant 14 ans. Épaulé. Aidé. Encouragé.

Je me suis débarrassée de l’ancienne voiture et il était enchanté de l’avoir.

J’avais renoncé à beaucoup pour lui pendant ces presque quinze ans. J’étais sa confidente. Son chauffeur pour plus de 200 000 kilomètres. Prouvé qu’il était encore capable d’être homme. L’aidé qu’il puisse chanter, jouer de la musique, danser de nouveau. Je l’ai soigné, je suis restée à côté de lui pendant sa maladie, après l’embolie pulmonaire et pendant qu’il récupérait, pendant ses dépressions, ses crises quelquefois profondes. Je l’ai serré contre moi quand il se sentait perdu. Combien de fois, je lui ai rendu courage! Combien de fois, je m’y suis épuisée, sentie vidée ensuite. Encouragé d’innombrable fois.

J’étais une bonne épouse, fidèle, extrêmement patiente, compréhensive. J’avais appris, il y a longtemps de ne pas attendre de reconnaissance des gens pour les biens qu’on leur fait. De quoi je m’étonne alors?!

Bientôt, ce sera matin.

Aujourd’hui je garde David. Il a tombé et s’est blessé hier à la crèche. Il est fort mignon, énergique et volontaire. Ça sera une longue journée.

Lionel m’a dit hier qu’il adorait ma nouvelle voiture: il l’a utilisé les derniers deux jours. Oui, l’automatique est fort agréable.

Maintenant je dois me reposer encore un peu mais surtout aller au-devant vers le reste de ma vie. Petit à petit, recommencer à travailler sérieusement et connaître des gens intéressants avec qui communiquer, échanger.

Agnès vient de m’appeler. Elle dit que c’était la fête de Thanksgiving, je croyais que c’était début novembre. Non, juste le 22, jour du tribunal ici, fête là-bas. Je fêterai mon divorce, pas la séparation, même si je me sens plus soulagée déjà.

Le secrétaire immuable, ancien, me rassure, il durera, après moi aussi, longtemps. Il est là, devant moi, près de moi.

Le soir

Ça fait tellement mal.

Dès le mois de mai François savait que bientôt nous allons nous séparer!

Il y a quatorze ans, il a déjà essayé de s’appuyer financièrement sur moi et sur ma société Bip et m’amener à investir dans un projet chimérique qu’il s’était imaginé à l’époque. Il m’avait réveillée, à trois heures de matin, au milieu de la nuit, au cours du premier nuit passé à Vincennes, chez lui. Il hurlait, me faisait peur, me dégoûtait. Je suis presque partie, au milieu de la nuit définitivement. Pour toujours. Pourquoi ne l’ai-je fait, alors ?

Le journaliste rencontré chez lui à ma première visite, (celui avec qui je travaillais à Bip de temps en temps,) m’avait pourtant bien dit de se méfier de lui. Pourquoi ne l’ai-je pas écouté ?

J’étais déjà pris, éprise, conquise. Aveugle.

Il n’a pas changé. Il s’est seulement très adroitement caché. Déguisé. Tant que cela lui convenait, tant que…

Tant que, quoi ?

Qu’il tenait à moi ? Je ne crois pas. Que je lui servais ? Oui. Qu’il croyait que je l’adorais, admirais? Oui. Sûrement.

Ouf. La vie est dure. La réalité triste, sale.

Je tousse, David, ce bébé admirable de 14 mois m’a passé sa grippe, sa toux. Mais être avec lui de huit heures de matin à sept heures de soir était un régal. Au moins jusqu’à cinq heures quand j’ai commencé à être fort fatiguée. Pas lui. Il est neuf heures. Je m’endors. Bonne nuit. Je l’espère.

2008/ ajouté:

il demandait de l'argent, lui de moi, peut être pour que je ne lui demande pas, il avait quatre fois plus de retrait que moi. Qu'importe s'il l'a fait de lui même ou poussé par la sorcière qu'il a marié aussitôt que possible, il était ignoble. Mais à l'époque je pleurais encore plus 'la réalité' différente de mes rêves.

J'ai payé cher

Jeudi 15 novembre

Encore une semaine. Plus tôt, plus tard, tout arrive.

Comment ai-je pu vivre avec lui tout ce temps ?

Depuis le début, il était impossible. Vicieux. Malade. Jaloux de tout que je réussissais. Près de ses sous. Plein de lui-même. Etc.

Malgré cela, j’ai eu des moments, des jours heureux. Je les ai payés cher. De plus en plus cher.
Jusque je n’étais plus prêt ni capable à continuer et qu’il voulait encore et toujours davantage - et surtout d’autres. Maintenant il pourra avoir toutes les femmes qu’il veut, toutes qui l’acceptent, pour une raison ou autre.

Non seulement il est malade, mais il a un côté cruel, mesquin. Plus je suis loin de lui, le mieux je me porte. Encore une fois je le verrai dans une semaine, puis, si tout se passe normalement, dans quatre ou cinq mois. J’essaierai aller à Celles une fois sans lui, sinon, je vais passer tout le reste de mes affaires aux pertes et profits. Lui donner le câble de l’ordinateur (alors que je sais qu’il en avait plusieurs d’autres venant de ma société ancienne) m’a coûté trop, émotionnellement. Il n’aura plus de moi rien, sauf si absolument nécessaire.

Je ne lui dois rien. J’ai déjà trop donné. De moi-même, mon temps, attention. Chaleur. Aide. Écoute. Renoncements. Surtout ça. Fini.

Lundi 12 novembre, 2001

Depuis quelques jours, je me sens bien : je ne dois même pas prendre des tranquillisants.


François n’a pas payé sa facture de téléphone. C’est encore à mon nom (comme il était depuis toujours) mais c’est lui qui l’utilise maintenant. Et c’est toujours la ‘dame’, faisant toujours le ménage, qui répond au téléphone. Mais cette fois-ci à la place d’aboyer François a été normal, sinon aimable. Il aurait besoin de la voiture. J’ai répondu, ce qu’il m’avait dit lui la dernière fois quand je demandais les étagères ‘après le 22, après le juge’. Ce n’est plus que dix jours.

9 novembre 2001

Je suis revenue de Bucarest le dernier jour du septembre. À peine 5 à 6 semaines et j’ai beaucoup accompli.

L’eau ne coule plus dans l’intérieur de la maison. Le robinet d’eau ne fuit plus. Il y a deux beaux tapis couvrant les deux pièces dont l’un j’ai lavé, récuré, récupéré moi-même de… ses cendres, ou presque. Il fait vraiment froid dehors, mais, à l’intérieur, c’est agréablement chaud.

Tant la chaudière à gaz du salon que celui d’huile dans la cuisine marchent bien. Mes livres, mon travail, tous autour de moi.

Mon lit est bon, le duvet agréable, les anciens meubles ont trouvé leur place. Un cyclamen pour maman me sourit de la table : hier j’ai réussi à le faire revivre et aussi rétablir mon courrier.

François viendra selon toute vraisemblance devant le juge, puis - Inch Allah. J’ai fait tout qu’était humainement possible pour lui. Ma conscience est tranquille.

Je n’entends que le tic-tac de la montre, le bourdonnement du feu et le stylo qui crispe sur le papier.

Loin, loin, un avion passe de temps en temps. Des voitures aussi même si rarement, mais le pavillon est au fond du cour.

Je regarde dehors, il y a des fleurs devant la fenêtre sur la table, de la verdure et quelques feuilles rougissantes encore dans mon jardin.

C’est devenu mon nid.

Les murs jaunes satin de salle de bain sont presque terminés, ceux vert claire de la cuisine aussi et au lieu de l’horrible plafond avec des fils d’araignée tombant de noir, c’est blanc presque partout, même si ce n’est pas régulier.

Un jour, il faudra l’isoler et cacher les murs irréguliers, le plafond blessé de temps. Lionel m’a viré sans brancher encore 15.000 francs sur mon compte. J’ai de quoi vivre un certain temps et dans un mois ma pension, presque le SMIG entrera aussi. Les gosses se sont couchés hier soir sans broncher (j’ai même oublié de les changer tellement ils étaient fatigués).

C’est calme ici ce matin et même en moi.

Depuis 48 heures, j’étais perturbée. Je suis encore fragile, un rien me bouleverse trop et pour trop longtemps.

Je souris maintenant.

Au revoir mon ami fidèle,

mon journal.

Raisons d'être heureuse


8 novembre, 2001


Mariée il y a onze ans… bientôt divorcée. Mais on vivait ensemble depuis presque trois ans déjà. En fait, cela fait quatorze ans. Bientôt quinze.

J’ai plein des raisons d’être heureuse :
  • Il pleut dehors, mais l’eau n’entre plus dans la maison, ne coule plus dans le salon. Il fait chaud à l’intérieur.
  • La liaison Internet marche de nouveau et je peux de nouveau lire mon courrier: Agnès m’a écrit et j’ai pu lui répondre.
  • J’ai réussi à les récupérer à la Poste les colis postaux qui ne sont pas arrivés hier, ainsi j’ai trois nouveaux romans à lire.
  • J’ai une découverte de cinq mille francs à la banque, mais ma nouvelle voiture est super! Elle a 90.000 km, mais elle paraît comme neuf.
  • Hier j’ai invité ma voisine à déjeuner et nous avons mangé le lapin aux olives que j’avais préparé. Elle était enchantée de l’invitation et du repas.
Je suis moins nerveuse qu’hier et en deux semaines j’irai devant le juge. Je voudrais qu’il soit déjà le lendemain. Un jour, il le sera.

5 novembre 2001

Je me suis fait de mauvais sang pour François pour rien. Valérie l’a appelé dimanche: c’est la femme qui a répondu. François lui a dit fièrement qu’elle faisait du ménage. Valérie: «Tant mieux, il a une femme de ménage pour rien.»

En fait, je ne crois pas que c’est ‘pour rien’ mais cela montre comment sa fille apprécie cette femme-là. Comme son téléphone est occupé presque continuellement, il doit l’utiliser pour faire l’Internet. C’est pour cela qu’il n’utilise plus le Câble. Le reste, qu’importe…

Il n’a probablement aucun envie que je prenne les étagères, les fauteuils, la table… qui pourtant étaient tous à moi avant de le connaître. Est-je vraiment besoin d’elles?

Je regrette davantage le livre sur Dürer.

J’ai peint 2/3 du plafond de la cuisine qui était un cauchemar jusqu’ici. Il est maintenant blanc, même si pas tout uniforme et c’est beaucoup, beaucoup mieux. J’ai aussi peint complètement le mur du fond, le seul ayant eu un mur lisse de béton, en vert pâle, comme le reste. Bon travail, Julie!

Je peins les murs

3 novembre 01

Même le Macintosh est devenu compliqué depuis que le système et les logiciels se sont ‘sophistiqués’: le Finder me quitte de temps en temps depuis que j’ai installé le système 8.6 et le ‘soquet réseaux’ fais les siens aussi. Je persiste, change, et, heureusement, ça redémarre.

Je suis fort heureuse avec ma nouvelle Peugeot automatique et avec ce logement et ses environs. J’ai de moins en moins besoin de tranquillisants et même moins mal à l’estomac, ou au moins, plus rarement.

De temps en temps, dans un élan d’énergie, je range, je peins les murs et le plafond. Puis, je me repose.

Et je mange ce que je veux !

Ce soir j’ai dîné seulement des fruits : moitié de pomme, moitié de banane, moitié de kiwi. Merveilleux! Bon soir.

2 novembre 2001

Aujourd’hui j’ai commencé peindre la cuisine, en verte claire sur les peintures et une sous-couche blanche pour le béton. Petit à petit, puisque je me fatigue vite, mais ça progresse.

Lionel est étonné que je me suis attaquée même au plafond irrégulier de la cuisine ancestrale (dont pleines de petites toiles d’araignées pendaient depuis des années) « nous n’avons pas eu le courage ». Si pas autre chose, du courage, j’en ai.

Je me suis rappelé les murs dans l’entré énorme de la maison paysanne de 1963, la première en France, j’avais peint ses quatre murs en quatre couleurs. Propre, amusant et tuant en même temps les toiles d’araignées, la saleté accumulée. Énorme entré en bas qui ne servait qu’à cela puisque nous vivions en haut.

Ici la cuisine est aussi l’entrée. Elle sera verte claire, tant qu’on peut. Au moins, plus propre que le jaune marron sale d’avant.

1 novembre, 2001

La première nuit froide dehors. Dans les deux pièces, c’est agréablement chaud, la chaudière à gaz fonctionne bien et ma couette que je viens acheter de Carrefour aussi. Au moins, l’hiver.

J’ai acheté hier de magnifiques chrysanthèmes. Pour moi. Pour maman. Pour tous mes morts. Pour Sandou. Le remercier pour la maison. En souvenir de mon arrière grande mère, pour la Secrétaire qui est vis-à-vis de mon lit, grande mère. Et les hommes. Ma chère amie Anna décédée trop tôt, elle aussi, tout comme maman.

Je ne vais pas au cimetière (sauf pour accompagner ma voisine à la tombe de son mari) mais je pense à eux, en contemplant ces fleurs. Comme j’ai eu un petite bête volant le matin, j’ai mis finalement les fleurs sur la table, dehors, sous la tente.

Je m'inquête encore de lui?

Samedi 27 octobre 2001

C’est pas normal. Moi, je m’inquiète de François, que lui est arrivé, pourquoi il se tait d’un coup, n’appelle plus personne, et lui continue à divaguer de plus en plus.

Sa dernière invention: je me suis allié avec son ancienne ex-femme contre lui. Comme dit sa fille «et tu n’as jamais même rencontré maman». C’est vrai, elle m’a toujours évité comme la peste.

Je ne veux pas appeler François, mais je m’inquiète ce qui lui arrive. Valérie, Lionel, Stéphanie, de leur côté, sont contents qu’il les ait laissés un peu en paix, qu’il n’appelle plus tous les jours pour parler et se plaindre sans cesse. Divaguer, de plus en plus.

En fait, je l’ai vu, il y a douze jours, Lionel l’a rencontré il y a une semaine à peine. Des choses curieuses arrivent, mais je peux seulement me l’imaginer.

Et hier, je me suis acheté une voiture ! Elle a moitié l’âge et kilométrage de l’ancienne. Ainsi Lionel et moi aussi aurons chacun une voiture. Ici, en banlieue, c’est utile d’en avoir. Pour manger, il n’y a pas beaucoup à faire, j’aurais pu me débrouiller bien sans. Mais les grands magasins sont plus loin et avoir un truc pour transporter est utile.

Hier soir, j’ai fait du garde d’enfant chez Lionel et Annelise, c’est bien de pouvoir être prête et disponible en quelques minutes. Vers minuit et demi, je n’arrivais pas à bien dormir, j’ai constaté qu’ils sont rentrés et je suis venue à la maison.

Chez moi.

J’aime être chez moi.

J’aime dormir, me réveiller chez moi.

Chez moi !

J'ai acheté ma voiture!

23 octobre 01

La première comparution devant le juge est dans un mois, le 22 novembre. Cela me parait si loin!

J’ai décidé de ne rien prendre de plus, ne pas le rencontrer de nouveau. Mais, outre que les étagères ou les fauteuils dont je peux me passer, il y a encore le livre de Durer en allemand que j’ai acheté avant le connaître. Et d’autres choses qui étaient près de mon cœur, qui m’étaient chères.

Hier soir j’ai acheté une voiture sur un coup de tête; coup de cœur? J’aurais dû l’essayer, mieux regarder, marchander : mes défenses sont en bas… Un 205 Peugeot automatique et si je me souviens bien, gris métallisé. En bon état, très bon état extérieur, malgré ses sept ans. Même si toutes mes économies y vont, j’aurai de quoi vivre, manger. Pour le reste, j’arrête les achats pour le moment. Et si j’aurai besoin, Lionel me prêtera.

Mon état psychique est lamentable. Il n’y a rien spécial à craindre, au fond, alors que m’arrive-t-il?

Je devrais partir de nouveau pour une semaine ou deux, m’éloigner. Où? D’où? Puis-je m’éloigner de moi-même?

2008: et voilà, j'ai la même voiture encore!

Je suis bien seule

18 octobre, vendredi

Depuis hier, j’ai le chauffage. Il marche! Il fait trop chaud même. D’ailleurs c’était juste le temps, dehors il est humide et frais. Pas encore froid. C’est un automne chaud qui a attendu que le chauffage à gaz soit vérifié et mis en route!

Chaque jour je range un bout, je lis (énormément), j’écris (pas encore beaucoup mais cela viendra aussi), je fais un peu d’Internet, je discute avec ma voisine, madame Filipetto, je fais des courses. Puis je recommence.

Aujourd’hui, je n’ai pas de voiture (hier non plus) et comme j’ai un rendez-vous à la banque qui n’est pas à la porte à côté, je devrais bouger un peu. Ou découvrir une voie pour y aller par bus. Les deux, en réalité. Pour le moment je n’ai plus de courage de ranger ni de bouger ou sortir. Ça viendra.

J’ai décidé mercredi midi de ne plus revoir monsieur que devant les autorités. Stéphanie me dit que c’est une décision sage, puisqu’il devient… malade, enragé pour de bon, en fait.

Soit disant, il m’a envoyé un cheque en euros, mais bien sûr, je ne l’ai jamais reçu. A-t-il demandé sa nouvelle «associée à mettre à la poste le chèque» (puisqu’il prétend de dormir seul quoique c’est toujours elle qui répond au téléphone), ou a-t-il inventé seulement qu’il m’aurait envoyé ce qu’il me doit? Où va-t-il le retrouver dans un coin quelques semaines plus tard.
(Ajouté plus tard : Il ment comme il respire.)

Je me suis rendu compte qu’il croit effectivement, au moins jusqu’il ne les retrouve, que tout qu’il ne trouve pas sur le moment, c’est moi qui le lui est prise ou caché. Pourtant, je ne suis pas retournée seule à Mont Cenis depuis début septembre, l’aurore quand je suis partie de là-bas. Il a hélas une imagination débordante et de plus en plus moche, ou de plus en plus malade.

Relativement à lui, Sandou s’est comporté comme un ange lors notre divorce comme un gentilhomme. Il espérait m’amadouer encore, c’est vrai. Mais même après. Les roses cueillis de la branche qu’il avait baptisé ‘ma femme’ sont beaux et surtout ont une odeur subtile, élégante, fin.

Je suis bien ici.

Je suis bien seule.

Finalement, c’est d’être seul, tranquille, qui m’a enchanté en avril dernier et pas le logement lui-même comme j’avais cru.

Mon nid

17 octobre 2001

Je me suis réveillée ce matin avec ce sentiment : la maisonnette est devenu dorénavant ‘home’, mon ‘chez moi’. J’avais oublié une de mes qualités: rendre une place, un lieu où j’arrive rapidement chaud, accueillant, agréable à vivre.

Hier je suis partie pour trouver de cash et pouvoir payer celui qui a réparé le toit et je me suis arrêtée au bazar arabe, juste pour regarder. Sur la table du premier étage, j’ai aperçu un tapis mise n’importe comment, probablement après qu’on l’a montré à quelqu’un qui n’en a pas voulu. Je l’ai ouvert: c’était exactement ce dont j’avais besoin pour le salon, 3 m sur 2. Les dimensions, les couleurs, tout allait. Combien? 300 francs. Trois cents? Oui, répondit-il m’épiant si je veux bien les payer. C’était moins qu’aurait coûté le nettoyage du tapis persan que madame Filipetto m’a incité à nettoyer moi-même et qui est dans la chambre à coucher. Une réussite.

Le tapis, acheté, aussi. Je n’en reviens pas encore. Un aussi beau tapis pour seulement ce prix-là! Et en plus, lavable. Durera ce que durera, mais il adoucit le salon, embellit la maison, ma vie. Les rend plus élégants, plus Julie, plus moi.

J’avais espéré hier d’avoir les étagères - bibliothèques de Paris, à la place, je me suis offerte ce tapis que j’ai porté aussitôt chez moi sur mon épaule. Enchantée, ensorcelé par lui. Comme il sied, sa grandeur est tout à fait ce qu’il le fallait. J’avais l’intention d’acheter un 2 X 2 mais c’aurait été dommage, il y a besoin d’un 2 X 3 dans cette pièce. Pas plus, à quoi servira de l’avoir sous le sofa et même impossible à cause du chauffage du coin.

Je me suis habituée avec mon duvet et j’ai même dormi cette nuit au milieu du lit. Quelle chance qu’il fait si beau dehors, si chaud relativement à la saison. Et demain, celui qui vérifiera et mettra en route le chauffage arrive.

François divague complètement de temps en temps, comme hier matin, puis il devient ultra aimable la prochaine fois. Maladie? Peut-être.

Une chance, que je contemple et entend tout ceci de loin.

Je souhaite du courage à celle qui me suivra. Si elle n’est pas complètement maléfique. Comment le savoir? Qui le sait? Je savais que François a besoin d’une ‘maman’, quelqu’un sur qui s’appuyer, qui l’admire en même temps et lui dit aussi que faire. D’un guide.

« Je ne voulais être ce guide-là » me disait-il relativement à sa première femme. Était-ce une ‘projection’? Ces derniers temps, il a projeté sur moi, de choses qui se passaient en lui, il a pu faire autant avec elle.

Bon, je vais récupérer encore ce que je peux et puis je le mets aussi loin de moi physiquement et mentalement que je peux. Je fais le point, pour le moment, oui, à chaud, pour aider à faire ‘mon deuil’ plus vite et ensuite je passe à autre chose.

Avoir une chez moi agréable, aide. Beaucoup.

Où que je sois, devient rapidement un vrai foyer.

Il prétend

16 octobre 2001

Je viens de parler avec François, il est encore, hélas, mon mari. J’espère pour pas trop de temps: il déraille complètement.

Il prétend que j’ai transféré dans un compte à moi tout l’argent de la succession venant de ses parents. Il prétend que c’est moi qui a provoqué et maintenu sa dépression en ne le laissant pas faire de travail intéressant depuis des années. Il prétend que j’ai prise à chaque fois que j’allais aux États-Unis de grands sommes en dollars pour lui donner.

Il prétend même que je n’ai pas voulu lui apporter le Laser Writer, alors que je venais lui dire que je lui porterais aujourd’hui. Je l’ai déjà préparé et mis dans la cuisine pour l’emporter.

Il prétend aussi qu’alors que j’avais plus de gains que lui (était-ce jamais vrai?) je ne contribuais pas à part égale à notre ménage. Il veut de l’argent, il veut récupérer, il veut vengeance.

Comment a-t-il pu en arriver là ?

Il est un salaud.

Pourtant, la plupart des gens me disent «ne fais pas attention à ce qu’il dit: il est malade.» Un malade a-t-il le droit de dire n’importe quoi?

Je suis hors moi, malgré tout.

Combien je me suis démenée pour qu’il économise son argent et ne le dissipe pas, combien je me suis démenée pour qu’il trouve quelque chose intéressant à faire, avant et après sa retraite. Combien je l’ai aidé! Combien peu d’argent j’ai dépensé à chaque fois pour moi, mes enfants. Combien j’ai eu soin de ne pas donner à mes enfants que de mes propres moyens.

Combien je l’ai soigné, et supporté, soutenu quand il se sentait en bas.

"Il est malade."

On peut tout se permettre avec ceci?

Il est un salaud! Comment je ne m’en suis pas aperçu avant?

Enfin, sur le web!

Le dimanche 12 octobre 2001

Hier je me suis fait des cadeaux : une imprimante couleur et un petit scanneur (que je n’ai pu utiliser encore) et une couette bien chaude pour le lit pour que je puisse rendre celle d’Annelise.
J’ai aussi travaillé : préparé le buffet, donné à manger au chat, acheté de la lessive pour madame Filipetto.

Enfin, j’ai aussi réussi à me connecter au web!

C’est désolant la lenteur avec laquelle il travaille et c’est ennuyeux d’attendre à chaque fois qu’une nouvelle page doit arriver, mais ça marche! Ça marche! Et j’ai écrit à plusieurs… Un jour, ils me répondront.

Ce matin, en parcourant de loin le courrier web de Mont Cenis, j’ai constaté que François ne me transmet plus mes messages, il ne les met pas non plus dans le dossier à mon nom. Tant pis. J’habituerai mes correspondants de m’écrire à Club Internet ou La Poste. J’ai actuellement trois adresses e-mail (quatre avec l’ancienne).

J’aurai dû emporter jusqu’à aujourd’hui (ou mettre quelque part) tous mes meubles et affaires d’après la convention que nous avons signée devant l’avocat. J’essayerai d’appeler François ce matin, sinon lundi Maître M. pour lui signaler qu’il faudra prolonger la séparation des « biens » à la fin du mois. Je pourrais aussi la considérer « fini » puisque ce qui avait été le plus important est déjà ici.

Je ne l’aime plus. Mais il m’est encore trop proche. Et tout cela me fait encore mal. Le « deuil » n’est pas encore terminé.

La visite de Michel a été décevante, sinon agréable. Il n’a pas admiré le Secrétaire et a dit seulement «en France il n’y a pas comme cela». Ce n’est pas vrai d’ailleurs, j’en ai vu un à Versailles, au petit Trianon. Bien sûr, Marie-Antoinette était Autrichienne comme ma Secrétaire. Il n’a même pas jeté l’œil sur mes livres. «Vous devriez habiter un studio à Paris». Non, merci. Je suis bien ici. C’est vrai que nous avons été surtout dans le jardin : hier il a fait un temps d’été, magnifique, été indien…

Hier ? Non, il m’a visité avant-hier. Enfin, pas important. Je me suis rendu compte qu’il est, comme je le supposais, une fort bonne connaissance, mais il ne me comprenne pas vraiment. Il a même fait des allusions, plusieurs fois, qu’il veut, lui, des voitures et femmes «vierges» et pas «utilisés, mis au rebut».

Nous n’avons jamais été autre chose que de bons aides l’un pour l’autre, sans rien que tâche notre amitié. Ce qu’il faisait entendre, m’a heurté pourtant.

Bon, c’était la première fois que je l’avais invité chez moi, alors, il a dû sentir la nécessité de préciser. Faire allusion. D’ailleurs, moi aussi, l’invitant s’assoire plutôt dans le jardin je pensais à la même chose, je ne voulais pas qu’il se méprenne de mon invitation, moi non plus. Et puis, il faisait si beau dehors!

Oui, le beau temps dure depuis quelques jours et chaque jour le soleil brille davantage. En moi aussi.

J’ai réussi à ranger une partie, d’écrire ou transcrire un peu plus, nettoyer, faire des achats, cuisiner, pleines de choses ! Bavarder avec la voisine, demander de l’aide au voisin d’en face. Faire savoir au chat de ne plus me visiter.

Me connecter aux autres par le Net.

Dormir. Même si par intermittence. Je me réveille. Je m’endors. Hier, épuisée, je me suis couchée à 7 heures et demie. Pourquoi pas? François aurait considéré «indécent», inacceptable. Maintenant, je me repose quand j’en ai envie, besoin.

J’ai dormi jusqu’à neuf et demi le soir. Puis jusqu’à trois et demi le matin. Puis, finalement, jusqu’à cinq. Petit-déjeuner, relevé du courrier Web (personne encore ne m’a répondu), puis retour au lit pour écrire ceci. Il est six heures et demie du matin.

Miracles

11 octobre 2001

J’ai fait un bain chaud hier après-midi qui m’a drôlement détendu. Après, j’ai pu travailler de nouveau.

Un miracle est arrivé : l’eau ne coule plus sous la baignoire! En plus, tout à l'heure, l’eau a dégringolé comme des seaux jetés du toit de garage et resté un temps devant la porte de la maison, mais n’est pas rentrée dans le salon à travers le toit! Deux miracles.

J’ai la journée d’aujourd’hui pour moi.
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Je viens de relire, feuilleter mes 11e et 12e journaux. Dès le début de notre connaissance les signes étaient là, sauf qu’on choisi à ne pas les voir, passer outre, essayer de les minimaliser tant que possible. Les supporter, ne pas leur donner leur importance.

Un des titres, avant celui de Nième chance du troisième partie de mes journaux était ‘devenir nous, rester soi’: est-ce vraiment possible?

Dimanche, 8 octobre 2001

J’ai ma voiture. J’ai le Laser Writer et j’ai déjà réussi à imprimer les derniers textes entrés en Mac. J’ai récupéré aussi les albums photos anciens de ma vie, mes anciens écrits et les copies de mes livres imprimés.

«Et puis, tu veux encore?» me demanda mon fils quand je voulais prendre aussi les cassettes vidéo (2007: hélas perdus pour toujours avec les voix de mes petits enfants aussi). «Tu veux aussi des choses de la cuisine, des étagères? Et ensuite, tu voudras quoi encore?»

Je voudrais surtout qu’aucune d’autre que moi ne touille pas dans mes écrits, mes papiers. Mes affaires personnelles. Ni la future «heureuse mariée de la 18e» comme se vante déjà François, ni lui.

Je suis sortie aujourd’hui de mes bonds.

François a prêté sans aucune liste tous nos CD's variété au fils de 'son amie'. Nos CD. Sans attendre que je choisisse, qu’on en discute.

Oui, c’est vrai, mes journaux et papiers officiels étaient les plus importants. Puis, les meubles de maman et sa grand-mère. D’accord. Puis mes livres. Mais est-ce veut dire abandonner tout mon ancien travail, mes anciennes choses rassemblés au fil des années?

Je pourrais vivre ‘sans’… beaucoup de choses.

Je pourrais lui rendre aussi la voiture qu’il ne sait pas conduire (2007: je lui a rendu), et qu’elle, sans papiers n’ose pas conduire au moins en ville; le LazerWriter qu’il n’a pas réellement besoin. J’ai lui est laissé sans même brancher ses orgues, son piano; plusieurs Mac entre eux, aussi celui de mes enfants; et l’imprimante couleur achetée récemment par Agnès et son mari pour moi. Beaucoup, et de bon cœur.

« Elle a beaucoup rangé ! » me disait-il.

Oui, avec ses mains sales fouillant dans mes affaires, c’est ce que je ressens.

Pourquoi elle y met le nez et moi je n’ai pas le droit de les trier?

Aujourd’hui, j’ai poussé ou frappé, François parce qu’il continuait à touiller et choisir dans mes papiers sur la petite table près du fauteuil, après que je lui ai demandé plusieurs fois de ne pas toucher là parce que c’étaient mes papiers, les derniers de travail d’avril.

Ce Pâques-ci, pendant qu’il était avec Sophie près de la mer, j’avais rangé l’appartement et j’avais réussi à le rendre de nouveau agréable et j’avais mis cette petite table près du fauteuil dans lequel assis, le Mac sur mes genoux je travaillais tout en savourant l’appartement rangé, tranquille, agréable. De nouveau à moi pour quelques jours.

Les étagères, je le voudrais récupérer aussi, j’ai tas des livres à ranger, mais dans cette petite maison où les mettre? Je prendrai ce qu’il voudra bien me donner… un jour. Quand il le voudra.

Je devrais me sentir divorcée, François bien remarié. Qui sait, il peut même être contant. Il est heureux qu’elle rouspète contre lui!

«Elle me dit ce qui ne lui plait pas et elle a une famille adorable qui m’accepte».

Au moins, il le veut ce divorce aussi vite que moi.

Ne pas entendre ce qu’il dit, comme m’a conseillé Stéphanie, Agnès, c’était impossible. Ne pas être heurté par ce qu’il suggère, aussi.

Il m’a parlé et heurté sans cesse pendant les trois heures que je récupérais mes cahiers et albums. Jusqu’à ce qu’il a réussi à me sortir de mes bonds. Ensuite, et cela en douce, sans que personne l’observe, il est fort dessus, il m’a très fort serré le bras, j’étais contente qu’il ne l’a pas cassé. Son regard m’avertissait, qu’il aurait pu, que je dois faire gaffe. Je suis partie, sans prendre tout. Je n’en pouvais plus.

Je suis enfin au lit, j’ai arrangé ce qui était le gros. Le reste, demain matin. Tant que je pourrais.