La fin du monde

11 août 99

La lune va obscurcir le ciel. Fin de siècle. Fin du monde?

L’éclipse doit arriver en quarante minutes.

Le ciel est ouvert à Paris, mais les nuages gris sont menaçants. Je fais comme rien n’était. Comme les Français en juillet 1940.

Je viens de prendre le bus, en quarante-cinq minutes il devrait me déposer près de mon dentiste à l’autre bout de la ville, mais Lionel avec Annelise et leur nouvelle née de trois mois sont allés près de Reims. Mon fils a pris spécialement congé cette semaine pour pouvoir admirer le phénomène. Le beau-fils d’Anna vivant en Toronto croit à la fin du monde, il n’a pas retrouvé sa place dans la vie après avoir émigré de Hongrie.

Le bus part de Pigalle. Nous passons près de salle de ventes Druout, pas loin, l’Opéra. Bientôt, nous arrivons devant l’ancien Bibliothèque National. Au retour (s’il y aura) le bus passe derrière la Bourse près des Halles et Saint Eustache. Il est dix heures et demie. La statue de Molière nous regarde : nous sommes arrivés à la Comédie Française. Tiens ! La fontaine est arrêtée ! C’est triste ainsi, quelque chose manque à cette place. Et voilà Louvre nettoyé et une partie de parc Royale.

Nous sommes arrivés à la Seine, au Pont Neuf. Quand c’était neuf? L’autre côté le Samaritaine, et maintenant on voit les tours de Quai d’Orsay, Ile de France, Notre Dame. Le cœur de Paris.

Nous sommes arrivés près de l’Hôtel de ville blanchi, lui aussi. De loin j’aperçois quoi? Montparnasse grise ou le tour central de Jussieu? Il dérange l’horizon?

Les bouquinistes de quai sont fermés, un policier à bras croisé près du pont que nous venons de traverser. Île Louis, rue des Deux-Ponts. Les contrôleurs sont montés, nous passons le deuxième pont, vue superbe de derrière Notre Dame.

Nous passons près de Monde Arabe vers l’université Jussieu, fermé. Et voilà le jardin de plantes où je ne suis jamais entré. Si, mais de l’autre côté. Nous passons derrière Sorbonne 3.

Il est dix heures quarante-cinq minutes. Le ciel est encore clair mais couvert. À travers boulevard de l’Hôpital, nous allons vers Place Italie. À l’arrêt Art et Métiers les contrôleurs, bredouilles, descendent. Nous fonçons plus loin.

Place Italie, Mairie 13e. Des marronniers aimés depuis mon enfance me rassurent. Le soleil perce derrière les nuages, est-ce le dernier éclairci avant le…?

Il est onze heures, place Rungis, je descends. Je ne peux plus penser à la fin du Monde : je tremble pour ce que le dentiste me fera bientôt. Brrr!

***

Je me suis trompé d’une heure. Nostradamus de 1500 probablement de quelques mois. Le ciel s’est nettement éclairci, on voit du bleu à travers les nuages devenus blancs. Le ciel bleu et avoir fini avec le dentiste me donne une humeur plus rose.

Assis, place Rungis, près d’un verre transparent, buvant de jus d’orange pressé, goûtant un délicieux croissant acheté à la boulangerie, la fin du monde paraît tout à fait improbable.

Mes dents ne sont pas dans l’état catastrophique même si la dent qui me manque et qui a disparu serait difficile à faire tenir sur place, la racine restante est trop courte.

"Mais rien grave", me dit le dentiste, "si les dents se détachent, on les remettra, pas la peine de les refaire, de tout recommencer. " Bien sûr, si je les 'attrape' En estomac, c’est dangereux. Perdu, est perdu. À surveiller quand même. Faudrait traiter mes gingives fragiles. Bon, j’y survivrai à ça !

Le ciel s’éclaircit davantage. Il est 12 heures. Peut-on avoir une éclipse avec un ciel si bleu clair? Ceci paraît incroyable. Des nuages gris poussent l’éclaircis plus loin. Du soleil ! La première fois depuis ce matin! Tout le monde le guette, pas seulement moi. Tout le monde sur la place regarde vers le ciel. Tiens! Voilà un jeune avec des lunettes spéciales.

À quelle heure ?

Cela ne va pas tarder.

Le soleil a disparu de nouveau, les nuages gris épais ont gagné, les gens qui regardent vers haut montrent du doigt, quoi ? Tant que le ciel est bleu comme ça, je n’y crois à rien. Midi et quart, tout autour du place des gens assis, regardent, attendent. Je bois mon café. Non, je sortirai aussi.

« C’est la nuit ! »

***

Un bel homme sympa avec une barbe nordique me prête les lunettes spéciales. J’ai vu! Le soleil comme s’il était la lune, une huitième croissante, puis commence à croître. Et les rayons. J’ai regardé juste pendant un second sans lunettes. Quels yeux chaud a cet homme d’environ mon âge et quelle conversation agréable.

« Vous écrivez l’histoire! Il faudra l’entrer dans l’ordinateur pour qu’il ne brûle pas, comme avant ? Vous venez de l’Est. Ils sont conservateurs. Un de mes fils est parti loin, en Iran pour suivre quelqu’un. Depuis cinq ans déjà. »

Il ne dit pas d’où ils étaient ses parents. Il a soixante ans, il a fait la guerre d’Algérie. « Mais on n’en parle pas, elle a laissé des traces trop lourdes, me dit-il. » Il me parle de difficultés d’être loin de son fils, parti ailleurs, suivre une femme. Moi, je raconte de mes enfants lointains.

Il me regard avec sympathie. (Lui)

***

Midi quarante, le soleil est ressorti de la lune presque complètement.

Je suis de nouveau dans le bus 67, en direction inverse cette fois. En bas les gens regardent encore vers haut, au moins ceux ayant des lunettes. Les autres vaquent à leurs occupations. Quel contact agréable j’ai eu pour quelques minutes! Avec quelle sympathie il m’a regardé, parlé!

François me dit des choses agréables, mais je ne le ressens pas vraiment, en même temps il me regarde autrement. Il ne me regard plus comme quelqu’un d’intéressante, avec sympathie et compréhension.

Est-ce 'un jour comme autre' ou 'un jour historique'?

Mes yeux sont fatigués « c’est dangereux de regarder le soleil en face! »

Nous arrivons à la statue des déportés près de l’institut du monde Arabe, puis nous passons le pont Sully et arrivons à un petit parc de l’Ile Saint Louis. J’aime la Seine!

De loin, j’aperçois le jeune garçon du milieu de Bastille, oui, quelle déception pour les étrangers : plus de Château sur la place, pas la moindre trace. Nous longeons la Seine. Pont Marie, près d’ici la bibliothèque technique dans un vieux château. La première bibliothèque que j’ai fréquentais à Paris, dans une autre vie.

Le bus a quitté les quais, bifurque vers le nord, de très vieilles maisons et puis nous voilà, sur Rivoli à BHV puis à la Mairie, on voit de loin Beaubourg et puis nous arrivons à Châtelet. Des touristes, plein de monde mais personne ne regard plus le ciel.

De plus en plus de couples se tient la main. Le bras, c’est autre chose.

Nous voilà à la Samaritaine et rue du Louvre, la Bourse de Commerce et la Poste Centrale de Paris, rue Montmartre avec Le Figaro et ses tulipes rouges sur son mur.

Au station « grands boulevards » une boulangerie avec énormes pains de tout sort, puis un fast-food cacher, un couscous Bagdad, un Viennoiserie, Lotus de Chine, Bazar Archan. Des petites boutiques de partout de monde près l’un de l’autre.

Place Kossuth, le révolutionnaire hongrois de 1848. Rue des Martyres un merveilleux étalage des légumes. Tiens, encore des jeunes qui regardent le ciel bleu avec leurs lunettes spéciales. Le soleil brille. Les tourtereaux picotent des morceaux de pain qu’une dame aux cheveux blancs leur donne.

Je suis arrivée Place Pigalle, le petit train touriste est là, mais j’attends Montmartrebus. Il vient d’arriver. Il est une heure vingt.

Nous avons survécu, d’autres catastrophes arriveront.

Métro Abbesses « le poète de bute Montmartre » monte, sans sa cape noire et foulard rouge, il s’excuse et bavard avec le chauffeur du bus. Et voilà nous arrivons à Place de Tertre, il descend, moi aussi.

Un père donne à manger aux pigeons puis leur faire admirer à son bébé dans une poussette, des gens sur le banc déjeunent avec leur sandwich, un peintre peint au coin Norvins et Lepic assis, tourné vers la boulangerie et la rue montant vers place de Tertre, lieu des peintres commerciaux et illustrés (de plus en plus belles).

Je préfère prendre la rue Saint Rustique, parallèle, tranquille, étroite, la plus ancienne rue du But Montmartre avec un petit canal au milieu pour l’écoulement de l’eau ou pour les ânes.

Mon épaule gauche me fait mal, mon œil droit et mes chevilles aussi, mais je suis presque arrivé à la maison.

Les dessinateurs travaillent en plein, c’est leur pleine saison. De la musique ! Un saxo et un harmonica, qu’ils jouent bien ! C’est chez moi, mon bute Montmartre. J’y habite depuis presque vingt ans.

Les gens devant les restaurants ou café, la musique mélancolique. Connu : « Larra » Mont Cenis, ma rue. Les voitures ne passent qu’en marchant, presque, sur les pieds des gens. Puis voilà, commence l’escalier qui descend. Des souvenirs.

Une dernière dame entêtée, ne voulant pas renoncer, regarde avec toujours le ciel, pourtant l’éclipse est finie, le soleil caché de nouveau derrière les nuages. La musique s’éloigne en pleurant : de bonnes musiques tziganes ! Combien d’émotion dans leurs sons.

Le soleil revient. J’aime Paris, j’aime Montmartre. Je n’ai pas trop envie de rentrer.

Après quelques minutes, je rentre à la maison, ça sent très bon dans l’appartement. Le radio joue du classique mais moins chaud que le musique mélancolique dehors.

François est fatigué. Il n’a pas encore mangé.

Où sont mes pantoufles ? demande-t-il.

Puis il éclate : « Ça recommence ! » hurlant. Parce que je lui ai demandé qui est ce Castel avec qui nous avons rendez-vous demain.

À peine arrivée, je suis fatiguée, moi aussi.

Cris, hurlements. Yeux blessants.

Je lui trouve ses pantoufles.

Écoute! ce que j’ai écrit pendant le voyage aller et retour en bus.

— T’as repris ta plume, très bien madame. T’as apporté mes pantoufles, c’est gentil. Enfin un joli sourire.

La fin du monde n’est pas arrivé. Et la fin du mien ?


2007: comme c'est long, je vais compter deux jour avant d'ajouter la suite

Les relations humaines sont fragiles


Quelques semaines plus tard

Mon mariage a failli se désintégrer.

Aujourd’hui, je sais que tu es malade, tu as le maladie « maniaco-dépressif », bipolaire. Cette maladie te mène, comme une course folle sur les montagnes russes, tantôt te projetant vers le ciel, tantôt te précipitant dans les enfers.

Tantôt se sentant nul et incapable de réaliser quoi que ce soit ; tantôt s’imaginant à tout puissant, ayant le droit d’écraser tout qui se pose sur le chemin des réalisations.

Après avoir été très bas, tu est monté trop haut. Des médicaments l’ont sorti, j’espère pour longtemps.

De nouveau, j’espère, nous pouvons lire assis tranquillement dans la même pièce, sourire l’un à l’autre. Nous promener, nager. Agir, mais sans la précipitation frénétique d’avant. Parler et s’écouter, l’un l’autre.

Je viens de lire un livre dans lequel tout que tu as fait, y compris acheter frénétiquement et utiliser toutes les économies et même faire des prêts, y est. Être irritable, ne supporter aucune observation. Tu as eu de la chance, finalement, tout autour de toi ne s’est pas abîmé pendant cette période, pourtant nous y étions près, si près hélas.

Les relations humaines sont fragiles.

Et en plus, comme c’était arrivé dans la période autour de mon opération, quand je mets ma tête sur ton épaule, je ne le mets pas sur quelqu’un sur qui je peux compter, aux coups lourds, ce qui lui enlève de charme.

Je suis devenue plus indépendante. Avec la tête, je comprends bien dorénavant ce qui s’était passé, mais le cœur prend longtemps à guérir. Tu t’en est sorti mais notre relation a pris un coup.

Il renaîtra, rebondira. Que c’est bon, notre entente. Va‑t‑elle durer ?

Jamais plus!

Je ne vais pas me laisser dévaluer encore une fois.

L’expérience avec mon premier mari, les mois amers, les mots blessants et les claques, qui l’ont suivie plus tard : la défense d’un être faible à imposer méchamment par force, heurtant. Jamais plus.

J’agis, réagis, je me rebiffe plus vite.

Non, François, je ne veux pas que tu retombes dans ta dépression. Je désire que tu retrouves un équilibre. Cette frénésie d’aujourd’hui me fatigue et m’effroi. Tu ne dors plus assez, ne me laisse pas dormir autant que j’ai besoin non plus. Tu parles sans arrêt, tu dis même tes pensés tout haut comme si je n’avais rien à faire que t’écouter. Tu fais, tu vas, tu parles, tu te moques, tu exagères, tu persifles, tu te lie et délie aux gens. Bien. Sauf que ton haut tension est fort fatigant, autant pour toi que pour moi. Et dangereux. En retombant, où vas-tu te retrouver?

Je veux t’avertir de certains dangers, quand tu me racontes et sollicite mon approbation, mais je ne suis un « yes man », un « oui - oui », « bien bien » tout le temps. Je suis fatiguée par mon opération et par le flot incessants de tes paroles.

Quand tu sens que je ne les approuve pas, tu répètes l’idée encore et encore. Je me tais. Cela ne va pas. Je dis mon opinion. «C’est bête, idiot» tu me réponds. Tu commences à hurler. Tu défends ta dignité, tes idées, 'la vérité', en marchant sur moi, en ne tenant pas compte de ma dignité. Je ne sais jamais à quelle observation ou conseil anodine tu éclateras de nouveau.

Tu me veux présent, t’admirant, t’aimant, te conseillant, t’approuvant, t’aidant en tout. Complètement envahi par cent tâches, milles informations nouvelles, tous importants, essentiels, sacrés, urgents, inévitables. Comme quelqu’un mourant longtemps de faim, se retrouvant devant un buffet abondant, tu avales, saute, te gouffre, t’agite excité.

Oubliant les autres, les écartant, les négligeant, blessant même ceux qui t’ont invité, blessant tous qui mettent la moindre observation sur ton chemin. Cajolant, puis tonitruant, jouant théâtre ou charmant.

« Tu ne dois pas croire ce que je dis », as-tu affirmé quand je me référais à une phrase que t’avais prononcée deux jours avant. Mais gare à moi, si je te dis : «Non, ce n’est pas ainsi», quand tu le sors de ta bouche.

Est-ce le même bonhomme ? Un autre? Une facette pas vue depuis longtemps?

Tour à tour, tu joue le faible, malade et le détenteur des vérités suprême. Tu es devenu plus actif, bravo, mais très dur à vivre, encore plus qu’avant. Reste, comme tu veux, mais gare à toi si tu essayes m’écraser comme jadis mon premier mari!

Tensions partout

Mon fils n’est pas allé à la mairie signer la demande de mariage. Il dit que les dernières semaines était plein de tension, il veut le jour de mariage comme une grande fête entre eux. Elle enceint du deuxième bébé, est profondément fâchée.

il y a un mois, elle avait bien dit que s’il ne l’aide pas davantage faire la vaisselle, les travaux ménagers, ce n’était pas la peine de se marier, mais elle ne se rend pas compte de la profondeur de heurts que cela a causé en lui, son élan de tendresse rabroué. Ni le sérieux avec lequel il prend ‘mariage’. Non, elle n’est pas seulement fâchée, aussi heurté. Les deux le sont, d'ailleurs.

C’est la situation. Le problème. Que faire, que dire? Rien, quelque chose?

Que c’est facile de mettre la responsabilité sur un autre!

La première réponse de mon fils a été pourtant : « Elle est plus sensible depuis cette deuxième grossesse. »

Et j’étais tellement contante qu’ils se marient enfin, j’aime ma future belle-fille, même si elle s’énerve contre moi (aussi) de temps en temps.

Le vrai drame

27 juillet 99

Pendant que se déroulait le mini drame entre François et moi, un vrai drame se déployait autour de moi et je n’en savais rien.

Agnès ne va plus avoir en février un bébé, l’embryon est mort, son cœur ne bat plus.

Elle a teinté ses cheveux d’un peu auburn brillant hier après-midi, je l’ai vu danser en souriant devant ses garçons. Je me disais ‘tout va mieux’, mais en fait, elle a décidé de le ‘laisser sortir naturellement’ au lieu de faire un curetage pour le nettoyer. Le docteur a dramatisé le choix ‘anesthésie, longue opération, deux jours d’hôpital’ ou ‘laisser faire la nature’.

Non merci, j’ai appris, il y a trente-cinq ans à mes dépenses ce que cela veut dire ‘laisser faire la nature’, qu’est ce que cela cache d’hypocrisie médicale. J’ai failli mourir, le sang ne s’arrêtait plus. Et finalement, ils ont dû le faire le curetage, nettoyer longtemps après que douloureusement des bouts sont déjà sortis, il y a longtemps. Et ils hésitaient encore…

Comment expliquer à ma propre fille que ce docteur est rétrograde et la religion, la culture juif met la vie de la femme avant celle d’un embryon mort ou vif.

Au moins, elle ne court plus le danger d’avoir un enfant anormal. Comment son mari a pu me dire (et il le croit) «Mieux aurait valu un enfant handicapé qu’un mort». Embryon mort! Enfant prenant tout le temps des autres, bouffant celle de sa mère aussi?

Ce n’était (qu’inconsciemment) parce qu’elle ne voulait plus d’enfant de tout de façon, un quatrième et cinquième comme son mari le voudrait. En général, un stérilet défend bien. En fait, on aurait du la nettoyer dès le début non pas ‘laisser faire la nature.’

Je suis inquiète pour elle, même si j’espère, comme son mari aussi, que ce répit, ce temps, lui permettra se refaire, maigrir, s’arranger mieux au travail, etc. Mais avant, il faut qu’elle soit nettoyée ! Passer le temps difficile d’ici-là, puis apprendre un autre moyen à se défendre, ayant probablement perdu la confiance dans celui-ci.

François d’un coup est très avec moi et il m’a affirmé que le docteur d’Agnès doit faire partie d’un vieux moral. «Tout est nouveau, nouvelles moyennes», disait hier Don. Mais morales anciennes, de civilisation loin du nôtre, hélas, souvent prédomine encore dans ce nouveau monde.

«On ne dévoile pas ici ce qui est intime», disait Don encore hier soir. Ils le savaient, sans être cent pour cent sures, depuis plus d’une semaine. «Ma sœur ne m’aurait jamais dit, ajouta-t-il». Sa famille pèse encore trop sur lui et surtout, trop sur Agnès.

Que faire ?

J’essayerai parler encore à Agnès, aujourd’hui ou demain si je résiste autant, mais je dois trouver le bon moment. Puis, que sera, sera. M’inquiéter, ne pas dormir, ne penser qu’à ça, ne va pas l’aider, au contraire.

Je ne reviendrai donc ici en février

‘Mais tu viens quand tu as envie, Maman.’

Mais pas l’été, quand Don est libre, davantage. On verra. L’important maintenant est de passer le cap.

P.S. Stéphanie dit qu’il n’y a rien à faire. J’ai appelé quand même Dina, qui est restée encore la seule amie d’Agnès. Elle est de même avis que moi et essaiera de la convaincre. Si quelqu’un peut, c’est elle.

"Tu ne réfléchis pas!" me dit-il.

25 juillet 99

« Tu ne réfléchis pas ! » me dit François.

Il est arrivé à Washington.

Qui ne réfléchit pas ? Moi ? Ou alors lui, en me blessant ainsi. Pourquoi sont-ils ainsi ?

On parlait, on bavardait tranquillement et soudain, à un de mes observations, il a explosé. Il s’agissait, d’un de ses idées fixes, d’une manie ? Il a décidé que c’est ainsi, qu’il sera ainsi et il n’admet pas qu’on dise même « mais jusque ceci arrive… »

Ce n’est pas le fait que j’ai pensé à 'professeur' dans ce qu’il disait naturellement à 'professeur universitaire', tout de suite après qu’il avait parlé des 'fiches des professeurs' d’une enseignante universitaire en dérision, puis des gosses avec lesquels il faudrait interagir différemment. Comment deviner qu’il parlait de ceux en collèges ?

Valait-il la peine de faire tout ce scandale, de hausser le ton, de me parler avec telle méchanceté? Non. Mais bien sure si on y tient comme à une religion à laquelle les gens bêtes autour de lui ne veulent pas croire… Entre eux, moi.

Comme c’est difficile à supporter certaines maladies !

J’ai sens que ma tête éclate. Et pourtant 'intellectuellement' j’arrive à raisonner, le comprendre. J’ai écrit depuis trois ans un livre qui a déjà 600 pages et je ne sais pas ‘raisonner’?

« Pourquoi il a fallu que tu sois d’une méchanceté, et encore une fois » demande-t-il. On ne peut pas alors dormir?

Et puis : «Quand je dis un mot, ce n’est pas un autre, EST C’EST TOUT!»

Avec quel ton, il le dit!

Oui, il le dit, lui aussi : «On parlait si bien, puis d’un coup…»

Et ajoute :

« Tu me prends pour un idiot… »

Est-ce vrai ?

Le fait de ne pas croire toute la théorie, que tout est, tout sera en quelques mois tel qu’il l’imagine, d’exprimer ‘peut-être un peu plus tard, est-ce le prendre pour idiot? Ne pas comprendre qu’il a sauté de l’université et les fiches aux enfants, ne pas admettre qu’à cause des nouveautés en interactivité des jeux vidéo

« Tout changera aussitôt, tous les enfants, tous les ordinateurs, rien ne serait plus comme avant. »

Les gens existent depuis des milliers des années et ils changent mais fort peu et surtout lentement.

Je 'ne réfléchis pas' parce que je n’ai pas décelé que les 'gosses' n’est pas un mot pour les étudiants des professeurs universitaires? Ou parce que je conteste que le monde sera bouleversé de fond en comble par la venu des nouveaux consoles de jeu à lesquels il croit maintenant avec ferveur, depuis peu de temps d’ailleurs.

Non ! Criera-t-il, «pas de jeu, on pourrait les utiliser à tout, on les utilisera dès l’automne. Dès l’année prochaine», ajoute-t-il. En fait, s’il serait tellement sûre de ce qu’il s’imagine «Non, ce qu’il EST», alors il aurait plus de patience avec moi. Il est arrivé seulement hier matin et déjà c’est dur, dur. Pas toute la journée, heureusement. Pas avec tout le monde, heureusement.

Non, pas parce que nous sommes mariés. Peut-être, parce que je suis la seule qui le prend assez sérieusement pour, de temps en temps, lui répondre sérieusement.

Une conversation apparemment innocente, agréable et puis POUF ! tout dégringole. Il tremble de nerfs et continue à rouspéter jusqu’à ce que je perde mon sommeil.

Si la situation continue ainsi, je serais incapable de réfléchir réellement, de créer. Dans telle tension, telle atmosphère, comment peut-on vivre? À ne pas parler de création…

***

François dort, fatigué après dix jours épuisants, le tour des orgues de la région Parisienne, des conférences et expos visitées et le voyage. Agnès, Don et les trois enfants sont dehors. Pour quelques minutes, la maison est calme et silencieuse. Je peux écrire ! J’essaierai d’écrire pour douze minutes sans m’arrêter, juste pour m’exercer, juste pour voir ce qui en ressort.

On entend quand même les voitures qui passent sur la rue, leur maison et au coin et cette pièce donne sur une rue assez fréquentée. On circule dès tôt le matin jusqu’au soir. Probablement, si j’habiterais ici je m’habituerais avec ce bruit, je n’entendrais plus les voitures passer.

Quand mes petits-fils jouent, je ne m’en rends pas compte, leurs cris, bavardages, querelles, demandes occupent l’espace, toute mon attention. Et voilà, juste quelques minutes de tranquillité et déjà ils me manquent. Combien ils vont me manquer une fois qu’il y aura de nouveau un océan, plus de trois mille kilomètres entre nous.

Bon. Le calme n’a duré que cinq minutes, ils sont entrés, j’entends leur voix monter de la cuisine. « Maman ! You know… »

Agnès voulait passer aujourd’hui une journée tranquille à rien faire. Mais peut-on 'rien faire' entouré d’un garçon de deux ans, un de quatre et un de six? Je suis là, leur père est plus disponible aujourd’hui aussi, mais les gosses veulent leur mère. Interagir avec eux, sauf avec Henry le plus petit, est surtout possible quand les parents sont ailleurs. Quand ils n’ont pas de choix. Heureusement, je suis devenue, ou je suis, au moins momentanément, beaucoup moins susceptible que j’étais d’autres années. Quand tellement de monde lutte pour l’attention d’une personne, normal qu’elle n’a pas de temps (pas beaucoup) pour toi aussi (moi).

J’adore écouter Agnès lire à ses gosses. J’adore moins quand elle me dit 'non!' ou dit à mes petits-enfants différemment de moi, sans m’expliquer. Chaque fois que je conseille quelque chose, elle me réponds 'Bien maman' d’un ton d’enfant sage, et puis elle met à côté ce que je dis, ce que je suggère, comme on éloigne une mouche.

«J’ai trente-sept ans, tu sais!» Je sais, et alors?

Mon mari m’écoute davantage que ma fille. Ma bru aussi. Bientôt, en dix jours je serais à la maison et près de Gabrielle. Elle aura alors trois mois. Lionel m’a prévenu par téléphone : maman, tu ne le reconnaîtras plus!» Mon fils n’aime pas non plus mes conseils, mais Annelise me le demande.

Moi, j’aurais été heureuse d’avoir maman près de moi quand mes enfants étaient petits, je n’avais personne pour me conseiller. Au début, j’allais à l’infirmerie pour apprendre comment la baigner, comment la langer, puis je l’apprenais des livres comment l’élever, m’en comporter.

Maman, tu as quand même quatre petit petits-enfants adorables! Tu serais contente si tu serais encore là. Tu es encore avec moi, en moi. La preuve est que je te parle. Je te montre à Alexandre qui comprend déjà un peu le passage de l’âge, il comprend qu’un jour sa maman avait été mon bébé.

« Don’t ! » dit Henry (Non). Je le comprends mieux puisqu’il parle en mots courts. « Ha, ha ! » crie Thomas qui aime tout expérimenter comme son frère Alexandre aime tout comprendre. Et Henry ? Tout imiter, mais en plus, il adore manger, jouer, découvrir, sauter, se plonger jusqu’à cou dans l’eau, monter, se laisser glisser vers le bas des marches. Il est téméraire, courageux plutôt, puisqu’il les fait tant avec force qu’avec attention.

Vingt minutes sont passées.

François dort toujours.

Il est midi, mais nous allons manger seulement quand François se réveillera. Peut-être, il est temps de mettre la tourte au four.

21 juillet 1999

Deux semaines de distance entre nous et lire sur la maladie bipolaire (dépressif et maniaque à tour de rôle) m’ont aidé. Ce matin, j’ai envie d’appeler François qui vient d'arriver à New York, et lui souhaiter, pour commencer, une bonne journée en lui parlant avec chaleur «Jo reggelt!» Bonne matinée, pourquoi on ne le souhaite pas en français?

Peut-être, d’éloignement plus fréquent pourrait sauver notre couple.

Au fond, on a besoin l’un de l’autre de plusieurs points de vus et, si l’un d’eux tombe, restent les autres, quelquefois même plus profonds.

Je suis fatiguée.

Lire un livre qui contient quantité de bonnes idées et conseils (comme le Writer’s Digest Handbook of Novel Writing) peut être épuisant, je ne peux le prendre qu’un ou, au maximum, trois cuillères à la fois.

Lire les autres, les résumer rapidement, en prenant quelques bonnes idées (presque chacun en a) n’a pas pris longtemps, ne m’a pas fatiguée. Je n’ai pas dû me concentrer tant, ils ne m’ont pas fait venir tant d’idées d’adaptation, tant de pensés où les mettre. Surtout, me montrer combien j’ai encore à mettre dans mon livre sur «l’écriture et le lecteur».

Ma ou mes livres? Ceci est à décider encore. Aussi, il faudrait mettre des exemples plus courts ou alors, mettre le reste séparément en annexe (suivant l’accord avec divers auteurs ou éditeurs). Réfléchir, s’il ne serait pas mieux aussi d’y mettre moins sur moi, de moi, comme me conseille l’inspectrice d’école qui a lu l’avant–dernière ébauche.

Peut-être, serait–il bon de mettre toute la biographie derrière tous les volumes et ranger les parties mieux, ils sont encore trop pêle‑mêle. Les éparpiller un peu partout, les mettre à «leur place».

Je croyais tout comprendre sur l’écriture, heureusement ce n’est pas le cas, et heureusement je trouve quand j’ai besoin, surtout avant l’enseigner des idées et recettes nouvelles.

Finalement «formula» se traduit dans ce cas par «recettes» et en plus, l’utilisation des outils, les éléments, les trucs du métier d’écrivain. Comme dit l’un des auteurs: «Apprenez-les, puis oubliez-les. Au besoin, ils resurgiront instinctivement.»

J’ai encore beaucoup à travailler, mais le travail ne me fait pas peur, heureusement que j’ai quoi faire. Je suis convaincue qu’il est utile, qu’il sera, le deviendra efficace. Déjà pour moi, puis aussi pour l’atelier que j’anime et ensuite, j’en suis convaincue, pour d’autres qui le liront.

Ces jours-ci, je n’ai pas le courage à travailler sur la traduction de la fin du journal de ma grande mère Sidonie, ni à l’amélioration de la mienne, ni même écrire des récits courts dont l’idée me vienne pourtant…

Surgissant d’une phrase d’Agnès, quand je n’ai pas mis ma ceinture de sécurité : «Mais c’est illégal, maman!» accompagné d’un ton qui disait davantage, que de chose me sont venues pourtant.

Que signifiait ‘légal’ avec les lois nazies qui pleuvaient en 1944 en Hongrie et réduisaient tout en poussière? Que signifiait ‘légal’ quand les pratiques communistes tordaient les lois à chaque fois et détruisaient la vie d’un groupe à chaque fois ou d’un homme ou d’une femme, en se referant à ‘l’intérêt du peuple’ mais en réalité servant les tyrans déguisés, cachés derrière les ‘lois’ promulgués aussi souvent en hâte? Ce terme ‘légal’ qui signifie tant à ma fille, a tué ma grand‑mère paternelle y croyant comme dans la Bible, a tué tant des gens, ruiné tant d’autres, il signifie donc presque rien pour moi. Ce récit, je l’écrirai une autre fois.

Encore une journée tranquille. Et ensuite ?

15 juillet 1999

Inkàbb irok mint beszélek ? Jobban vagyok megszokva, de nem könnyü magyarul irni, màr nagyon elszoktam tölle. Na és, ha elolvassa ? Inkàbb tudja. De ugyis sejti. Mondtam màr, kimondtam. Ugyan nem komolyan kigondolva, de sértésre vàlaszolva, haragbol, haraggal. Inkàbb fenyegetve. Ez nem jo !

Traduction :

J’écris plutôt que parler ? Écrire en hongrois ne m’est pas facile, je m’en suis trop déshabituée. Et alors, s’il le lit ? Au moins, il le saura. Il le soupçonne déjà de toute de façon. Je lui ai déjà dit, prononcé. C’est vrai, pas sérieusement, réfléchissant, mais en répondant aux injures, furieuse, déchaînée. Plutôt en menaçant. Ce n’est pas bien !

« Nous allons avoir une nouvelle de miel,» me dit-il au téléphone.

Est ce encore possible ?

Il fait des efforts maladroits et sporadiques vers moi, mais en réalité, il est complètement perdu dans ses propres soucis, son environnement, son désir de devenir « grand ». Grand organiste, organisateur de concerts, conseiller de conseillers informatique et ainsi de suite.

Il parle, parle, parle, même sur la ligne, il n’admet d’interruptions même quand il s’arrête pour respirer. Il répète ce qu’il a déjà dit. Il a des arguments enfantins, comme à notre rencontre se liant aux renoms des autres pour se hisser. Il critique, il parle, il devient mal à supporter pour tous qui sont autour de lui.

La question extrêmement grave est : dois-je rester autour de lui? Ai-je encore envie? Que faire?

Il me fatigue, il m’énerve. Un compagnon? Il avait été. Est-il encore? Pourrait-il encore devenir, une fois qu’il sortira de cette phase de sa maladie, que lui le voit comme « guérison » et pourtant est pire pour les autres qu’avant. Peut-on guérir et devenir… comment?

C’est-il vraiment intéressé à ce que je fais ? L’a-t-il jamais apprécié?

Peut-être, plus que je crois. Pourquoi suis-je tellement blessée? Il a l’ego tellement bas? Que le pousse à exagérer ainsi?

Que c’est calme ici, sur cette terrasse à l’ombre, le soleil pas loin, les arbres avec les oiseaux qui chantent. Même les voitures passant pas loin ne me dérangent pas. Je suis loin de Paris, de lui.

Tranquillité. Sauf quand il m’appelle et parle, parle, au téléphone. Ce qu’il dit m’inquiète.

Étrange aussi, comment il ne veut pas écouter de conseil, puis quand la chose tombe sur sa tête, il le prend avec un calme extraordinaire. Il n’a plus de PC avec le Câble et auparavant, il n’aurait pu vivre un jour sans. Il l’a donné, on ne lui a pas rendu, il n’est même pas sûr qu’on lui rendra. Finalement il passe, saute d’une chose à l’autre, s’accrochant ici ou là. Il ferait moins des bourdes s’il ne serait si désespéré au fond de soi. Il a de génie, du tallent, de l’expérience, de l’endurance et souvent il abîme ses chances en allant trop loin trop vite. Il n’apprendra jamais ?

Et moi ? Ai-je appris de mes mésaventures ? Réfléchir ? À quoi ?

C’est le temps qui résoudra.

Non, de tout de façon, je ne me laisserai pas dévorer, détruire !

Un des pires choses est son irascibilité. En fait, il ne me supporte plus. Il veut mes opinions, et en même temps c’est un miroir insupportable pour lui. Alors, il me met, moi aussi, entre les «méchants» qui veulent l’empêcher, qui ne le croient pas, qui sont «bêtes et méchants». Ennemis. Il pique où cela me heurte le plus.

Promet, et ne tient pas.

Il m’aide une fois, puis essai de me dévier de mon chemin, me tenter avec des gâteaux, rompre mon régime, par exemple. Ce que je dois tenir compte : à la place de lutter avec lui, le mettre devant des faits accomplis. Comme il a fait lui d’ailleurs.

Toutes ses économies sont partis en deux mois seulement. «Maladie d’achats» et ce n’est pas fini encore hélas. Il se persuade d’avoir besoin absolu de ceci ou de cela pour réussir un ou l’autre de ses projets qui se dissipent ensuite sous ses doigts…

Pourquoi m’a-t-il acheté tant ? Un crème contre soleil, je comprendrais encore, mais cinq, six, sept ! Moi, qui ne vais jamais au soleil. Et de lotions solaires pour la cuire chevelure ? Le soit disant « trou ». Où est le trou ? Se laisse-t-il persuader par les vendeurs ? Une vendeuse ? Qui se cache derrière tout ceci ? Et il m’a acheté deux sacs d’été, l’un après l’autre, et en plus, a lavé les deux autres que j’avais déjà et dont je ne me servais pas non plus. Combien des sacs ai-je besoin ? J’ai le mien qui me plait depuis seulement trois mois !

Il m’avait raconté, quand je l’ai connu, comme une « horrible histoire » celle où, vers la fin de leur vie ensemble avec Michèle, il lui avait acheté un sac fantastique à son amie qui ne l’avait pas apprécié. Il essaie (et probablement réussi) de reproduire avec moi la même scène, la même ambiance ?

Aujourd’hui, j’ai été davantage avec Henry. « Mamie ! » Il me regard avec de tels yeux chauds, enthousiastes ! Il me fête presque, assuré de son charme. Et ça marche !

L’argent est bien, mais pas décisif. Heureusement, je pourrais aussi vivre de 7000 francs de pension. Ce qui est sûr est que je dois retrouver (regagner ?) le calme, la tranquillité nécessaire pour créer. Peut-être m’éloigner plus souvent, davantage. Voir ce que cela donne.

Il devient trop lourd pour moi, il pèse trop sur mes épaules. Hélas, ces derniers temps, il empoisonne mes jours. Chacun est responsable pour soi. Et de ses enfants, tant qu’ils ont besoin. Bon, on verra.

Alors, le happy end n’existe pas ? L’entente, l’amour n’est pas durable ?

13 juillet 1999

Les heures sont passées et ni François, ni mon fils n’ont pas appelé pour me souhaiter bonne anniversaire pour mes 65 ans.

Je n’ai reçu aucun cadeau de ma fille ni de son mari. Par contre mon petit-fils Alexandre, dit Coco, l’aîné des trois petit-fils est entré chez moi à six heures du matin avec : «Bonne anniversaire Mamie!» et il m’a offert, accompagné par une « joyeuse anniversaire » chanté une création à lui, des feuilles collées sur papier avec amour. Tom, le deuxième, a chanté en anglais et il a mis dans une enveloppe des magnifiques feuilles d’automne. Je me suis baignée avec mon petit-fils Henry qui avec le temps a pris courage et s’est assis et joué avec délices dans le bain de mousse qu’Agnès m’avait préparé.

Nous aurions dû aller dans un restaurant, mais finalement ils ont renoncé et Don m’a acheté un poulet froid (et gras). J’étais la seule à en manger. Le repas familial, mon seul souhait d’anniversaire, ne s’est pas matérialisé. Quelle curieuse famille! Malgré tout j'étais mieux loin de François et ensemble avec cette merveilleuse famille ici!

Le soir, après minuit temps de Paris, François m’a appelé et m’a raconté des histoires centrées sur son propre importance et la nullité des autres. En voulant trop s’imposer, il se fait mal et je me fais mal à moi aussi en n’arrivant pas à me taire, ne pas l’avertir c’est dur. Pourtant, comme dit Dan «Il est un grand garçon».

Apprendra-t-il jamais ? Et moi ? Quand apprendrai-je à me taire?

Cette nuit, Henry s’est réveillé en hurlant et finalement je l’ai pris dans mon lit. Il a continué jusqu’à j’ai commencé à lui parler sans arrêt. D’abord en roumain, puis, quand il s’est un peu calmé, j’ai continué en français pour qu’il comprenne. J’étais morte de fatigue, je commence à mieux comprendre l’épuisement de ma fille. Henry n’a pas encore deux ans, mais il comprend énormément (en anglais et en français également). Quand il est de bonne humeur c’est un charmeur extraordinaire, comme le plus petit, un peu gâté. Hier, dans la salle de bains, il m’a fait découvrir des choses que je n’avais pas vues ni observées. Un petit de deux ans observe, regarde le monde avec telle attention à tout ! Expérimente, essai, teste. Et quel appétit il a!

Tomas a quatre ans, Alexandre déjà cinq et demi. Le temps passe vite! Il n’y a pas longtemps je jouais avec Alexandre au ballon : il avait à peine sept mois alors. Pour le moment je n’ai pas de l’énergie à jouer avec eux autant qu’alors, mais je crois qu’ils sont plus faciles quand leurs parents ne sont pas là. Et moi, un peu fatiguée encore par mon opération.

J’ai trouvé ici de nouveau livres intéressants sur l’écriture. Un à la bibliothèque, d’autres à la librairie. Je travaille un peu (lire, extraire, noter) mais même ceci me fatigue déjà.

Je voudrais montrer mon travail à Agnès, mes livres en préparation, mais déjà les trois garçons luttent pour accaparer son attention, elle n’a pas beaucoup de temps pour elle même.

Il fait beau dehors, il faudrait profiter pour sortir. Vais-je avoir le courage de m’habiller et proposer une promenade? Peut-être Alexandre voudrait bien venir avec moi.

Enfin, loin de lui!

11 juillet 1999, Washington

Encore quelques heures de 64 ans, puis je serai définitivement du troisième âge et pensionnée. Bien sûr, je n’ai aucune intention de me « retirer », m’arrêter.

Je suis loin de François, mais je me soucie de lui. Je l’aime, même si je suis critique et je le vois avec des yeux ouverts. Il est embêtant, fatigant, ces temps-ci trop plein de lui. En même temps, il est enthousiaste, génial et souvent, plein de bonne volonté.

Ce n’a pas été une mauvaise idée, cet éloignement le jour où j’entrerai en ma 65e année. De distance, je verrai mieux dans ma vie.

En France et en Transylvanie où je suis née, c’est déjà tard dans la nuit, non, la soirée, en deux heures, j’aurai sauté le cap et devenu « retraité de soixante-cinq ans. » Ici, mon 65e année arrivera en huit heures seulement, non, plutôt demain matin.

"C'est ainsi et pas autrement!"

Le soir

Quand j’avais 52 ans, 50 ans, Paul voulait me montrer « comment vivre bien. » à la façon qui lui convenait, qu’il avait souhaité longtemps sans l’avoir. Il voulait me convaincre que c’était bien pour moi.

Aujourd’hui, à 65 ans, François veut me montrer, et pas seulement à moi, à tous les animateurs (12) et participants (200) de l’atelier informatique de retraités de MGEN de Paris «comment il faut bien travailler.»

En même temps, il veut tout changer, tout reformer, tout bouleverser. Bien sûr, sans tenir aucunement compte de des habitudes, des envies des autres: en imposant, en voulant imposer tout de suite et sans transition le futur.

Je viens de m’énerver à essayer de lui expliquer qu’il faut prendre les autres doucement, leurs permettre de travailler comme ils ont l’habitude dans leur contexte usuel, ou alors les habituer doucement au Web, aux nouvelles façons de faire.

Non !

« C’est ainsi et pas autrement. On ne va pas retomber en préhistoire ! On ne va pas permettre!» réplique aussitôt François.

C’est finalement pire qu’avec Paul. Vivre avec quelqu’un qui est sûre de «cela doit être ainsi et pas autrement» devient un enfer.

Hors sa méthode et ses points de vues «la Réalité» me dit-il, pas de salut. Il ne se rend pas compte qu’il heurte les autres animateurs. Vont-ils se défendre ou démissionner en masse, le forçant à démissionner lui? Que sortira de tout cela?

Le reste du texte qu’il m’a donné à lire et commenter est pourtant clair et bien dit, il a beaucoup et bien travaillé dessus.

J’ai lu à haute voix dans un magnétophone, pour l'envoyer à Stéphanie, les textes des participants à mon atelier d’écriture maintenant fini. François, tout en écrivant, m'a écouté :

« Que tu lis, que tu le dis bien ! »

Il paraissait vraiment sincère. Mais cette dernière dispute courte et orageuse m’a fortement épuisée, je n’arrive plus ni à continuer à travailler, ni même à dormir. Je me sens tout énervée, que faire? M’en aller, me promener à Montmartre? M’habiller, m’aérer? Ce n’est pas une mauvaise idée !

Hélas, j’ai pris mon médicament de soir et je ne dois, ne devrai pas sortir du lit. Pourrais-je m’endormir? J’essayerai. Bon nuit mon cher journal.

2007: Au lieu de le calmer, lui, le docteur de l'hôpital, en entendant que j'avais envie de divorcer, m'avait donné des médicaments trop forts. Oui, ils m'ont calmé un peu, mais ensuite, quand j'avais voulu m'arrêter ma tête a tournée pendant dix jours. N'aurais-je mieux fait de divorcer a ce moment-là?

5 juillet 1999

Nous écoutons (c’est François qui l’a mise) la cassette commençant avec la lettre que j’avais écrite à Paul après que je l’ai enfin quitté. Comme c’était bien dit, écrit !

C’est bien que François l’a écouté, maintenant..

Encore cinq jours, de nouveau le temps de réfléchir arrive pour moi : que vais-je apprendre, comprendre là ?

En écoutant, réécoutant cette cassette, peut-être apprend-il quelque chose qui va le faire réfléchir lui aussi. Peut-être, entre nous, tout n’est pas encore perdu.

Tout que je disais alors sur moi et mes besoins reste valable. J’ai besoin d’une atmosphère de tranquillité pour pouvoir créer, écrire. Ne pas devoir lutter pour l’obtenir.

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2007: quand je pense à tous ces cassettes qu'il a confisqué, emporté, offerte à un jeune, tous ces cassettes avec ma voix, avec la voix de mes petits enfants enregistrés, tous les heures de travail et tous ces souvenirs envolés! Bien, c'est la vie. J'aurais dû rompre alors, non pas essayer de le faire encore durer...

Vieillirons-nous ensemble ?

2 juillet 1999

« Tu parles méchamment tout le temps. C’est systématique. C’est complètement inconscient. Tu feras mieux de penser avant de parler. Tourner dans ta tête. Je n’admets pas que tu dises n’importe quoi ! Moi, j’affirme quand j’ai une référence, toi tu affirmes des fantasmes. Non, t’as pas de pub dans… je regret, c’est dans l’autre journal. »

Comment peut-il me parler ainsi?!

Et il me dit tout ceci, après avoir interrompu mon exposé que je faisais devant vingt personnes à MGEN et essayé me désarçonner en public, contredisant ce que je leur avais expliqué.

Je disais, à un moment donné, d’avoir vu dans le magazine MacWord un pub (et il s’y trouve !): Appleworks coûtait seulement 40 dollars. D’accord, il a lu un article dans son journal et n’avait pas vu le pub de quoi je m’inspirais. Est-ce une raison d’agir ainsi ? Parler ainsi ? Et devant les autres, m’interrompre, me critiquer?

Tout est prétexte à des affirmations similaires.

Avait-il besoin d’interrompre mon exposé et me contrer en public? D’affirmer encore que je dis n’importe quoi?

« Je n’affirme pas des choses pour lesquelles il y a pas des références sérieuses. N’affirme pas et je ne serais pas obligé de te contredire. N’oublie pas que je suis conseiller pour plusieurs sociétés. »

Pause, pendant lequel je ne lui dis pas que c’était il y a longtemps.

Il enchaîne.

« Tu veux pas admettre ce que je dis, qui est basé sur une longue expérience. »

Je ne lui réponds plus.

Encore six jours et je m’envole !

Mais que sera après ?

Est-ce mon rêve s’est envolé aussi ?

***

J’étais opérée, anesthésié, il y a à peine un mois. En regardant mon journal, je me suis rendu compte qu’il a commencé à m’injurier à ce moment-là et il ne s’est pas arrêté au cours de ma convalescence fatigante.

Il n’a pas tenu compte du tout de ma faiblesse, mon besoin de repos et calme et il a tout fait pour me mettre dans un état nerveux effroyable et me faire sentir inférieure.

Il s’est abaissé lui‑même dans mes yeux. Il est beaucoup moins qu’il était il y a un mois. C’est un fanfaron, un menteur.

Méchante, moi?

Le méchant est lui : avec tous qui lui tendent la main.

S’ils ne font pas ces quatre, non quatre-vingts volontés, aussitôt qu’ils disent quoi que ce soit qui n’est pas dans ses propres vues, ou même que quelqu’un d’autre lui dit, qu’ils ont dit qui que ce soit le heurte, ou qu’il suppose infère d’un moindre indice, il mord, il déchire la main tendue et si possible le propriétaire avec.

Il a un talent de trouver le point faible, douloureux, et pousser l’épée dans la plaie. Ces derniers temps, il m’attaque sur mon journal

« Ils sont impubliables en France puisque parlant des vrais sentiments, pas déguisés. En FRANCE, on ne dit rien clairement, on le laisse entendre. » Il ajoute : « Tu ne sais pas comment on fête en FRANCE » Ensuite « Les Français… ici… ».

Il fait tout pour essayer de me faire sentir à part, moi, pas née en France.

« Tu parles mal, on ne peut pas comprendre ce que tu dis, personne ne peut te comprendre. »

N’importe quoi je dis, c’est une raison pour commencer à m’abaisser.

Onze ans ensemble, c’était déjà mieux que les trois mois, qu’au début, je pensais qu’on resterait ensemble. Dommage qu’en regardant en arrière, même ses années paraîtrons amères. Non. Des hauts et des bas, plus roses que noires.

Est-ce fini ?

Il ne pense qu’à lui et à ses problèmes et en plus, là c’est plus grave, il veut me détruire la confiance que j’ai en moi-même. Pas seulement en mon écriture, mais en mes paroles, mes pensés, la façon que je suis.

Encore six jours et je pars. Mais après ?

Je partirai chez ma fille en quelques jours, je serai avec Agnès et mes petit-fils, anges et diables. Loin d’ici, en Amérique. Loin de lui. Il viendra deux semaines plus tard, me dit-il. J’espère il serait un peu mieux d'ici là.

Mais peut-on oublier tout ça ?

D’accord « c’est sa maladie ». Et alors ? On n’a pas décrit beaucoup la souffrance des partenaires d’un malade nerveux. Je ne veux pas devenir malade nerveuse, moi aussi!

Il m’a appelé ce matin à sept heures de demi après que je lui ai demandé hier « S’il te plaît ne me réveille pas trop tôt, » et il m’a énuméré tout que je dois chercher et lui apporter. Je n’ai aucune envie d’aller à Celles, le rejoindre, le transporter encore ici et là. Il sent ma réticence croissante de le véhiculer, sa dépendance et il a décidé de passer son examen de conduite. S’acheter une voiture.

Bien sûr, il oublie que ces derniers deux mois, il a claqué tout son argent qu’il avait réussi à accumuler, tout que nous avons réussi à épargner, à ne pas dépenser. Pour s’acheter de la musique, des livres et des revues d’informatique, des conférences sur la musique et informatique, etc. Éparpillé, dans un temps record, tous les économies.

Il a acheté pour moi, chez une droguiste « tellement sympa ! » de crèmes et des lotions pour le cuir chevelu et protection soleil.

-François, je ne vais pas à la plage.

- Mais tu sors, toi aussi.

— Et le crème pour les cheveux ?

J’ai dit que tu avais un trou par où l’on voyait la peau sur la tête. Des cheveux rares.

J’en suis encore furieuse. Ce n’est pas vrai! J’ai toujours eu des cheveux trop fins, mais ils sont plus vivants que jamais. Abondants, et ils croissent trop rapidement même, telle qu’un permanent ne tient pas longtemps.

Souvent, ces jours-ci, j’ai envie d’exploser, je me sens nerveuse.

« À cause de ta maladie » dit-il.

Non, c’est la fureur emmagasinée qui bout même quand la raison d’énervement n’est pas là dans les derniers minutes. Il me parle avec moins et moins de respect et considération.

Il n’apprécie pas sur place que je l’aide, me remercie après. Trop tard.

Est-ce trop tard pour nous aussi? Pourrons-nous vieillir ensemble, comme on espérait? Que me réserve l’avenir? Que faire?

« Dormir, dormir, tu m’énerves ! »

Qu’est-ce qui se passe ?

Que tu me laisse dormir, François.

Dormir, dormir, tu m’énerves ! Et il continue de parler.

Il est onze heures de nuit. J’avais très mal et j’ai pris un Diantalvic, j’ai fort sommeil. Il n’a aucune intention de me laisser dormir. Il parle à haute voix, tout en travaillant à l’ordinateur près de notre lit. Il vient même d’ouvrir la lumière. J e pourrais fermer les yeux et dormir, mais je ne peux pas boucher les oreilles.

Est-ce que c’est possible que tu te taises ?

Oui, pourquoi pas, me répond-il.

Bien, on verra combien des minutes.

***

Une minute et il recommence à parler, me parler. De dix à onze heures de soir, il a rouspété sans arrêter. Il a oublié qu’il avait acheté des billets, il y a longtemps, et qu’on devait aller au théâtre. Bien sûr, c’est ma faute :

Tu penses seulement à pouponner, dit-il.

Je suis malade, François.

Malade ? Tu es malade de pouponne ! J’étais malade pendant trois ans. À cause de toi, nous avons perdu le billet. Tu ne pense à rien.

Il a continué ainsi encore une heure sans arrêt.

« Je n’accuse pas, je dis des choses comme elle sont. »

Aussitôt, il ajoute :

« Tu peux aller ! Non, tu ne peux pas y aller ?

Ensuite une après l'autre :

« Tu ne veux pas écouter ce que je dis, ça ne t’intéresse pas.

Tout est prétexte pour que tu sois méchante.

Tu ne supporte pas que je vive.

Tu fais des scènes stupides à chaque fois que je te raconte ce que je fais. »

Je ne lui réponds pas à tout cela. A quoi servirait-il à répondre à ça?!

Son concert, bien réussi finalement.

Concert du 27 juin 1999, à l’église

Pour ce concert dans l’église, François joue juste après les deux débutants du conservatoire, il sera le premier adulte. Les classes supérieures et le professeur de l’orgue joueront à la fin. François m’avait dit qu’il était le premier entre les adultes, sauf une femme qui est en classe supérieure.

Est-ce comme avec sa fille ? « Tout heureuse de collaborer avec moi ! » disait-il, mais ce que j’ai entendu, moi, de leur discussion signalait plutôt qu’elle était très réticente. Croit-il lui-même à ce qu’il affirme ?

« Ce n’est pas polie, normal de dire ce qu’on pense, » vient-il me dire. Est-ce polie de me dire à tout bout de champ ’tu dis des bêtises’ ? D’après lui, je ne sais ni parler, ni écrire, ni surtout comprendre les autres. « Puisque, ce qui est le plus important n’est pas dit. »

Encore combien de jours avant mon départ ? Onze longs jours !

Le temps semble s’écouler trop doucement. Mais lundi, il ne sera pas là pour longtemps. Mardi après-midi, c’est moi qui irai à MGEN. Peut être déjà dès le matin ? Ses tantrums sont de plus en plus difficiles à supporter.

Il serait beaucoup plus grand s’il ne se gonflera pas artificiellement. Nettement mieux admis, s’il ne piquerait pas tous qui lui ont tendu la main ou attaquerait ceux voulant l’aider.

Hier soir, il a soulevé mon journal, dans lequel il a dû changer les phrases (bon, d’accord) pour prouver que je n’écris ni parle bien le français. J’ai décidé de ne plus accepter, ni demander aucun aide de lui sur mes écritures et de ne rien lui montrer dorénavant.

Peu des gens sont venus pour écouter son concert et je crois que personne d’autre que moi, invité par lui, n’est pas venu. Ailleurs, non plus.

Il joue bien, mais il est rasant. Oui, je crois que c’est le mot qu’il convienne. Rasant.

J’ai montré que je comprends ses préoccupations hier, mais il veut une approbation, une admiration complète. Il veut trop. Il ne regarde pas ce qu’on réalise pour lui, il cherche sans cesse au-delà des mots les mauvaises intentions, en se méfiant de tout.

Comment faire pour avoir mon propre e-mail qu’il ne peut pas lire ? Je devrais m’abonner et aviser tous avec qui je corresponds. Changer encore d’adresse ?

Il y a une cinquantaine des gens à les écouter, mais l’église est énorme et ils sont assis dispersés.
Chantage : « À cause de toi, je ne peux jouer le concert. Tu m’as trop énervé. Je ne vais pas y aller. »

Il était là à l’heure, bien sûr. Mais combien j’ai dû ‘avaler’ avant !

J'en ai marrrrrre!

27 juin 1999

« Tu ne peux pas sortir d’une vue infantile du langage, me dit François. Tes mots n’ont aucun sens. Je ne peux pas admettre ta façon de voir les choses. C’est impossible, puisque ça signifie que je disparais. Si tu dis les mots, cela ne dira que ça. Mais c’est impliqué : il faut regarder derrière les mots. »

Toujours lui :

« Il faut savoir qu’il est interdit de s’exprimer dans les textes, clairement. Tu dois toujours suggérer les choses. On ne dit jamais les choses clairement. Il faut être capable de deviner ce que disent les mots. »

Tout cela, parce qu’il ne m’a pas dit :

« Apporte le sac gris avec la musique et mets le dans la voiture ».

Il ne l’a pas mis lui–même avec les autres affaires à porter à Celles. Nous avons dû (moi, conduisant, seulement quelques jours après mon intervention) faire deux aller retour supplémentaires.

« Tu aurais dû le comprendre. Comment il faut te le dire, en chinois ? Tu ne peux pas comprendre. Tout ça c’est un aspect superficiel… Tu ne veux pas comprendre que ce qu’on veut dire on ne le dit jamais. »

Puis encore :

« Comment veux tu qu’on parle ? Tu n’admets pas que la seule chose importante est ce qu’on ne dit pas. L’important n’est jamais dit. L’interlocuteur le comprend ou le ne comprend pas. Le secret de tout ça réside dans sa thèse à lui

Et ainsi de suite. Il continue ainsi encore longtemps.

Qui était au téléphone ?

- Qui a appelé ? ai-je demandé tout à l’heure.

- Lionel. Que tu m’énerves ! Tu ne l’a pas compris ? Tu écoutes mot à mot. Tu peux pas comprendre. Une partie de la conversation téléphonique est déduire de ce que l’autre a dit, ce qu’il sousentend. C’est ça, l’activité individuelle.

Et puis il plonge en d’informatique :

- Toute l’informatique théorique s’effondre. Je suis en train de démontrer que la théorie des langages s’effondre aussi…

Maintenant il marmonne pour lui-même à haute voix.

-Tout ça c’est complètement secondaire… déconnant… impossible de savoir. On a pris une définition de programme complètement stupide.

Il parle, parle, parle, et continue. Il crie, il s’énerve. Il parle toujours. Je suis lasse de noter davantage, mais il ne s’arrête pas pour autant.

J’essaie de noter encore, de temps en temps.

« Tout ça est le résultat d’un aveuglement total, affirme-t-il encore.

C’est un phénomène de fixation infantile. Du moment que tu admets que tu manipules des composants formés par des objets et que le programme est un composant lui-même, complexe et construit selon la grammaire, pas détruit selon la grammaire.

Tu comprends où est l’ampleur du truc ? »

Et sans arrêt et sans attendre mon réponse, il continue.

Combien de temps peut-il parler sans relâche ?

De plus en plus incompréhensible, hélas.

Que je suis fatiguée !

On nous a envoyé une casette de son concert donné il y a une semaine : c’est de la très belle musique. On y entend François jouer merveilleusement. Il a fait d’énormes progrès. Entre temps, il continue à parler toujours de l’informatique, l’ancienne, et de sa nouvelle théorie. Comme une horloge remontée qu’on ne peut plus arrêter. Avec passion, mais aussi avec désespérance.

Injuriant tout qui existait avant.

« Un langage d’objets : tous ces éléments sont des objets, son but est de manipuler les objets. Renverser les démonstrations mathématiques : Sophie sait le faire. Renverser une théorie ’débile’ par la manipulation des objets. L’algorithmique est débile, bien sûr. Les éléments de langage… etc. etc.

Il parle trop vite, de trop de choses diverses.

Je n’arrive plus à suivre. Gare à moi de demander quoi que ce soit.

-Tu comprends, le langage…

-Non, je ne comprends pas.

- Au début c’était l’action, pas le nombre. Le but n’est pas le calcul, mais de faire avancer… »

Il parle maintenant depuis plus d’une heure sans s’interrompre.

Il s’est arrêté deux secondes.

Enfin !

Non, il continue.

« Le langage écrit est fait avec des caractères. Le langage parlé ce n’est pas ça. Ce n’est pas linéaire, pas des caractères et puis même des idéogrammes… Suivant la façon dont tu le prononces… voilà un argument que je n’ai pas trouvé jusqu’à maintenant. Que ces algorithmiciens sont cônes. »

Et ajoute :

« Alors, Julie, tout ça peut-il être expliqué en trois secondes ? »

Je ne lui réponds pas : « Oui ! » mais je le crois, on le pourrait.

Cet après-midi, il tiendra son dernier concert pour cette saison, je ne dois pas l’énerver. Puis, ce torrent de mots, maladive d’après moi, il ne peut pas le contrôler, se contrôler, le comprendre.

Il parle toujours.

-T’as compris ?

-En partie. Tu as une nouvelle théorie…

- Ce n’est pas une théorie, c’est un fait ! Une justification des faits. Le problème est là. Enseigner une fausse informatique… Ils n’enseignent plus rien de concret. Et…

-Peut-être ce que tu dis n’est pas encore arrivé, j’ose répondre.

-Je ne peux pas supporter ça ! Tu ne comprends rien ! Les discussions avec toi ne servent à rien, parce qu’à la fin tu ‘fais reset’, tu effaces le document avant de l’enregistrer. Tu resteras toujours au même niveau, t'avanceras jamais. Si tu attends de comprendre avant d’admettre tu n’avanceras jamais. Je ne peux pas me reposer, puisque après trois jours de discussions tu refuses à admettre

(Sous-entendu ce qu’il dit).

François me foudroie de regard.

- Il n’y a rien à faire. Il faut que je rentre dans tes trucs, mais toi tu ne rentres pas dans les miens. Ah ! Perdre des heures pour rien.

Oh qu’il a raison !

Je ne demande qu’une chose, qu’il me laisse lire, me REPOSER.

-Tu annules tout que tu fais en bloquant.

-Je t’ai aidé énormément, ces derniers jours.

-C’est nul. Tu ne veux pas faire un changement. C’est important si tu bouges avec moi. Ce que tu ne veux pas comprendre, c’est que c’est quelque chose que tout le monde va devoir faire. Sortir de l’imbécillité.

Et maintenant il commence à m’attaquer de front, me blessant de nouveau là où cela me fait le plus mal, sur mon origine et mon travail d’écriture :

- Un Français a besoin de moins de sincérité dans un texte. Ton texte parle des sentiments ordinaires avec les mots de tous les jours. Cela ne va pas plaire aux éditeurs. Il faut que le style soit tordu. Un truc comme ça ne sera jamais accepté comme une chose littéraire. C’est comme ça. Cela ne vaut pas la peine d’être publié.

Il ajoute d’un ton autoritaire :

« Un style qu’on remarque, tordu, sinon on le publie pas. Je t’explique pourquoi ce que tu essayes de faire ne va pas marcher : ce n’est pas au goût français. Étaler ses sentiments sans les encapsuler, c’est choquant. Le langage précieux, il faut une certaine préciosité pour intéresser les éditeurs. Il faut sortir de l’ordinaire.

Et puis :

« Qu’est-ce que cela veut dire que tout ne doit pas être comme ça, c’est comme ça. Parce que les éditeurs n’éditent pas pour les lecteurs mais l’opinion des autres éditeurs et les critiques. C’est au niveau des phrases, pas aux niveaux de l’ensemble. Il faut qu’ils aient du poivre. Tu vas remplacer une coterie des gens par une autre coterie ? »

J’avais voulu enregistrer cette après-midi le concert de fin d’année de François à l’église. Le dernier minute, j’ai pris la seule casette à vue et je ne me suis rendu compte que je l’avais conservé là-bas parce que je trouvais poignante cette partie de mes journaux. Les jeux d’orgues ont été par erreur enregistrés sur la même face.

L’une moitié de ma casette est restée intacte. Heureusement. Je viens de l’écouter : la période « après Paul » de mon journal intime. Réécouter, m’a pris à la gorge. Oui. Des mots simples de tous les jours. Des sentiments, des émotions sincères.

François dit « des mots ordinaires ».

Oui, si cela veut dire qu’être trompé par quelqu’un, se réveiller, faire face seule, arrive souvent. C’est alors ‘ordinaire’. Très peu l’ont décrit ainsi. Encore moins, publiés.

Je m’en fiche ce que dit François des éditeurs, que c’est vrai ou non, je ferai tout qu’il arrive aux mains des autres femmes. Oui, surtout femmes. Quand j’ai lu des autres à Ham où j’étais tellement malheureuse et seule, les textes des autres femmes qu’on avait trompées m’ont donné courage.

François recommence à rouspéter.

J’en ai marre, marre, marrrrrre.

Depuis ce matin, il est de plus en plus insupportable.

Certains de ces projets lui ont pété dans les mains et il se rend compte qu’il s’est engagé pour cinq pas pour un, il sent, sans vouloir le reconnaître que tout n’est pas aussi rose qu’il le dit. Il est génial, mais il rase les gens sans cesse, il leur dit des méchancetés, il se dispute et scie l’arbre sous ses propres pieds.

Il devient de plus en plus excité, de plus en plus insupportable.

J’ai vraiment envie de foutre le camp. Où ? Quand ? En trois jours, je dois revoir les médecins. Puis, d’ici douze jours je m’envole vers les petits à Washington. Il faut que je leur trouve des cadeaux. Aller à Faremoutiers pour récupérer ma valise, les deux sont là. Peut–être je pourrais aller au congrès sur l’autobiographie à Lyon pour deux jours, voir, écouter.

Est-ce aussi indécent de parler de soi comme François le prétend ? Comment le faire accepter, surtout quand ce n’est pas pour s’auto-encenser.

Silence, depuis quelques minutes. Miracle ! Cela me fait presque peur.

Mais non, il continue à marmonner en soi, toujours audible. Il a tellement de maladies. Difficile de s’en sortir. J’ai envie de recommencer à lire, mais j’ai peur : combien de pages pourrai–je lire avant l’interruption ?

***

J’ai pu lire deux pages et demie, avant qu’il sent un irrésistible besoin d’abord de communiquer ; puis de rouspéter :

« Tout disparaît à mesure ! »

Il prétend bien sûr que ce n’est pas son désordre qui le cause, ni l’accumulation des trop de choses, mais mes efforts (faibles) de tenir un minimum d’espace disponible pour moi-même.

« Tout que je prépare, disparaît à mesure. Je cherche depuis deux heures un document qui était hier soir encore sur le lit. Il a disparu ! »

La place des documents est sur notre lit ?

Avant se coucher je lui ai dit de mettre les papiers ailleurs. C’est lui qui, tout en rouspétant, les a déplacé finalement ailleurs. Où ? Il devrait le savoir.

« Où est le CD pour Sophie ? Évidemment, il a disparu aussi. Hm, oh ! »

Et ça continue sans cesse.

J’ai refermé mon livre.

Je ne peux plus lire un seul paragraphe, pas seulement une page. De toute façon, je n’arrive plus me plonger, m’enfuir dedans.

"C'est ta faute!"

22 juin 1999

Les concerts de François ont fort bien réussi, il a vraiment bien joué et bien raconté la vie et les œuvres des compositeurs présentés. Sauf… qu’il a utilisé l’occasion pour polémiquer sans du tout tenir compte des susceptibilités. Et bien sûre, de moi non plus.

Samedi, je devais faire une heure de route pour le conduire. Mais, il a négligé de mettre à côté toutes les choses qu’il devait emmener, oubliant ainsi à Paris son sac avec la musique pour le concert.

J’ai dû refaire deux fois la route, total trois heures et demie, finalement. Plus, avec les courses. C’était ma première journée d’activité après mon intervention chirurgicale.

« C’est ta faute ! Tu penses à rien, » affirmait-il, bien sûr.

Dimanche matin, nous avons fait des courses et à une heure d’après-midi je l’ai conduit à l’église de Faremoutiers pour des répétitions. De deux à quatre son concert. François et la jeune fille ont joué et il a eu du succès, ensuite fonce Julie à Chaumes pour la deuxième répétition, concert de six heures à sept heures et demie, puis il fallait traiter les gens présents.

À Chaumes, il a encore mis les pieds dans le plat. Il a contredit le maire, puisqu’il sait tout mieux que tous. Son concert conférence était fort intéressant et j’ai bien joué mon rôle moi aussi de « l’épouse du musicien - concertiste ». Nous sommes arrivés à la maison à neuf heures de soir, après que François est encore entré au collège « pour voir ». Encore un bon contact.

Heureusement, tout semble lui réussir ces derniers temps. En plus, quand il se fait trop d’illusions sur un de ces dizaines, vingtaines projets, il l’accepte sans se faire mauvais sang et va plus loin. Bravo !

Finalement plonger dans l’activité m’a plutôt réussi et depuis vingt-quatre heures, je "pouponne» comme dit François, près de Gabrielle qui dort. Elle a dorénavant plus d’un mois.

18 juin 1999

Agnès attend un enfant, le quatrième, j’espère que tout se passera bien, quoiqu’elle eût le stérilet quand elle l’a conçu. Elle m’a demandé d’être près d’elle à la naissance. Don a raison, elle a fait de progrès : elle a appris à demander.

Lionel partira pour une semaine à Londres pour des tests de son produit et moi j’irai quelques jours chez eux pendant ce temps-là. Loin de François ! Loin de l’ordinateur ronronnant encore à minuit à côté de notre lit. Gabrielle me réveillera aussi, mais autrement.

L’intervention, le réveil après l’anesthésie s’est bien passé, mais je me sens épuisée, fatiguée, nerveuse. Encore fragile. Je ne veux plus être bousculée!

Les paroles sans cesse de François me saoulent et ses éclats soudains me blessent. Qu’il coure ici et là, mais s’appuie moins sur mon dos qui est devenu plus fragile. Il fait des efforts sporadiques de plaire, m’achète une montre (bravo !) – mais n’est pas venu me tenir compagnie au réveil à l’hôpital.

« On m’a appelé de la boutique informatique pour une réparation et finalement, ils ne m’ont pas faite ! » se plaignait-il en arrivant, essoufflé.

Heureusement, mon fils était là, il est même arrivé plus tôt que prévu et je ne me suis sentie abandonnée, seule, après l’intervention. Nous partions déjà quand François est paru dans la porte, fatigué, épuisé, centré complètement sur soi, même là, même alors.

Je n’ai pas eu vraiment mal ni pendant ni après l’intervention. Une grande fatigue surtout. Fragilité. Sommeil.

Grand besoin de me reposer dans ses bras.

- Viens te coucher, hurle François, le repos est-ce pour les chiens.

- Mais tu m’as dit : ‘je suis fatigué’ et j’ai cru…

- Pourquoi me blesse-tu toujours ? demande-t-il alors.

Il trouve n’importe quel motif pour me blesser, moi.

« En français, on dit » … et il continue. Il sait avec quoi il peut me toucher à vif et l’utilise de plus en plus souvent.

Lui, il se repose en faisant autre chose.

Puis, épuisé d’un coup, il se plaint :

« Juliiie ! » m’appelant à l’aide, presque comme un bébé criant « Maman ! »

Que puis-je faire ?

Au lit, enfin, il parle, parle, parle sans arrêt.

Je réponds finalement, en racontant moi aussi quelques incidents. Le lendemain, je suis encore fatiguée.

« C’est toi qui ne m’a pas laissé m’endormir ! affirme-t-il aussitôt.

Heureusement, ces jours-ci, tout semble lui réussir.

Jamais, auparavant, n’avait-il pas un aussi bon contact avec les gens. Depuis que je le connais, il n’a pas eu autant de confiance dans ses capacités non plus. C’est ce que je voulais depuis fort longtemps.

Mais a-t-il besoin de se parler constamment à haute voix ? S’affirmer en blessant les autres ? Rouspéter sans cesse contre moi ?

Hier, j’avais mal au dos. Le docteur m’a donné un médicament. Le dos va nettement mieux. J’ai mal à l’estomac et ma tête tournait ce matin. Comme on dit en hongrois : « kederböl vödörbe » : on tombe d’un problème sans une autre.

7 juin 99

« Je ne critique rien, je constate, dit-il. Autrefois, on mangeait la tartine avec beurre, c’était normal. Je peux pas vivre dans le monde d’autrefois, je ne peux pas vivre que dans aujourd’hui. C’est les rites, beurre sur le pain. »

Je suis à l’hôpital, on m’a donné un dîner léger et sans goût, sauf le potage de légumes. Heureusement je suis fatiguée et bientôt je dormirai. Si on me laisse. Je l’espère.

On ne m’a encore fait l’électrocardiogramme, mais ça viendra, par contre l’infirmière sympa m’a pris du sang. J’ai deux oreillers, une bonne lumière, des oiseaux qui chantent devant la fenêtre entrouverte.

Ce matin, de quatre à huit heures j’ai tenu Gabrielle dans les bras. Que cela m’a réchauffé le cœur ! et m’a fait bien à mes nerfs. L’anxiété m’est revenu seulement l’après-midi. Me voilà donc un peu fatiguée mais satisfaite, heureuse. Être grand-mère est une tâche passionnante et fort satisfaisante !

Je suis finalement venue seule à l’hôpital, mais demain Lionel viendra me chercher en voiture.

5 juin, seule à l’hôpital

Ce qui me préoccupait moi, c’était l’intervention chirurgicale devant moi. Et lui me soûlait des paroles avec ses problèmes, ne me laissant pas respirer.

Ses problèmes sont graves. Il se comporte partout en « affreux jojo » avec délectation et ensuite il est indigné que les autres le regardent curieusement et l’évitent tant qu’ils peuvent.

Mais septembre est encore loin et mon intervention est pour demain.

J’ai essayé aussi de lui parler hier du livre des participants à mon atelier d’écriture, mais cela ne l’intéresse pas. J’en était fort fière de ce que nous avons produit.

Il l’avait parcouru en cinq secondes « Bien, pas mal » avait-il affirmé, distrait, et le sujet est clos. C’est tout. Pourtant il y en a 250 pages.

- Tu n’as pas eu le temps de les lire.

- Si, si. La dernière fois je l’a déjà regardé.

- Il y avait seulement 100 pages alors. Maintenant c’est plus de double.

Ce n’est pas la peine de parler de ce qui me passionne, il ne s’intéresse ces derniers temps que de ses propres préoccupations : « ça, c’est du concret » dit-il.

Et le résultat de mon atelier d’écriture, noir sur blanc, n’est pas concret ? !

J’essaie de diminuer la portée de mes opinions sur ce qu’il fait et je commence par ‘Mon impression est que’ ou ‘Je crois que’ et voilà, il en trouve une raison de plus pour m’attaquer.

« Je crois que, ironise-t-il, il ne faut pas ‘croire’ ! »

Il ne s’intéresse pas vraiment, sérieusement à ce que je fais.

C’est–il jamais intéressé ?

Il veut (voulait toujours) que je me passionne de tous les détails de ses préoccupations, mais il ne veut pas discuter des miens. Les siens sont « concrets » et importants. Seulement eux.

Bon, j’y réfléchirai une autre fois.

Attaques sans cesse: j'ai noté une partie

2 juin 1999

François parle, parle. Il voudrait que je sois différente et me fait des reproches sans cesse.

J’ai noté un peu de ce qu’il avait dit au fur et à mesure qu'il parlait :

Tu t’intéresses pas au réel, seulement à tes impressions, t’es systématiquement subjective. Je peux pas vivre en l’imaginaire, dans l’abstrait. Tu vois, c’est pas imaginaire, c’est réel : est-ce que je vais avoir un train, est-ce que je peux suivre le mec qui dirige le cœur, c’est très difficile, c’est pas subjectif, c’est objectif.

Il continue de se parler à lui-même à voix haute encore et encore, puis se tourne de nouveau vers moi:

Tu parles de ce qui te plaît ou non: qu’arrivera-t-il quand je ne te plairai plus ?

— Tough luck, je suis alors implacable, de lui réponds finalement. Mais depuis un temps c’est toi qui critiques tout ce que je dis.

— Tu as changé, affirme-t-il alors. On ne peut plus discuter avec toi des choses concrètes. J’ai des problèmes. Concrets. Pas d’analyses psychologiques, subjectives.

Sous-entendu, ‘comme toi’. Et il continue à m’attaquer :

— J’ai des problèmes. Très concrets. Pas d’analyse psychologique, pas de subjectif. Je dois descendre de la butte Montmartre et je ne sais pas comment je vais remonter. Je serai complètement crevé si je pars pour toute la journée. C’est vraiment pénible d’avoir l’impression que tu me reproches de voir le monde concret et pas de façon stupide.

Il veut dire ‘ta façon stupide de voir le monde’.

Je l’écoute, de plus en plus interloquée, de plus en plus ébahie. Curieusement, il ne semble être dérangé du tout que je note ce qu'il me dit sur un carnet.

Il enchaine, sans s'arrêter.

— Ça m’arrive de discuter de ce que pensent les gens, mais c’est un autre monde. J’ai pas réfléchi avant de leur dire que je veux chanter avec eux, est-ce que je me sentirai bien entre ces gens-là, j’étais trop enthousiaste peut être. Tu vois leurs noms », dit-il encore.

Et il commence à les énumérer, mais je n’ai pas la patience d’écouter après le dixième "de machin".

C’est ça qui te touche ?

— C’est normal. Je vais être opérée dans deux jours, je lui dis.

Sans m'entendre ou m'écouter, et sans s’en soucier du tout, il continue sur son idée :

— Je me pose la question et ce n’est pas une question philosophique… »

J’ai envie de hurler : Et mon opération est-elle philosophique ? Je ne réagis plus, ne lui réponds plus, il n’écoute pas ce que je dis, de toute façon.

Il continue comme un moulin :

Est-ce que je ne vais pas avoir avec eux les mêmes problèmes qu’avec le père Brodard ? Et être dans un groupe et me sentir à part… cela m’est toujours arrivé. Toujours, toujours. »

Je ne dis rien, mais je me rappelle, comment lui s’était mis à l’écart de ma famille, cet été que nous avons passés à Celles.

Et plus le groupe est soudé, se sentir le canard vilain est affreux. Tu comprends, c’est un de mes problèmes et pas facile. J’ai tellement souffert des groupes dans lesquels j’étais. Souvent, c’est moi qui me mettais en marge.

Comme c’est vrai, hélas !

J’étais mal à l’aise. J’ai toujours été à part. Même dans le chœur du conservatoire du 18e.

Je n’arrive pas à lui éviter les pétrins dans lesquels il se fourre, il n’admet pas que je dise quelque chose qui pourrait « défier son autorité ».

Maintenant, il me raconte comment il est parti un soir avec une des choristes l’année dernière

— Et la fois suivante, elle m’a regardé de façon bizarre.

Qu’a-t-il pu lui dire ou proposer ? Se comporter avec elle ?

Il parle sans arrêt.

Je sais que je suis pas facile, j’ai tellement peur de faire une gaffe. Je me tiens un pas plus loin. On ne sait pas et justement, on fait la gaffe. Mon problème est que tous les groupes ont des codes sociaux.

Une toute petite pause.

— Julie, je me préoccupe aussi…

Et ce n’est pas fini… mais je suis trop lasse pour continuer à noter.