Madame Rose est chauffeur d’école pour trois communes. En plus, elle est la sacristine de l’église. Nous avons longtemps cherché cette après-midi l’impasse où elle habite.
Finalement au café, un habitant sympa qui jouait aux cartes, nous y a conduit, il nous a précédés dans sa voiture. C’est vrai, la première fois, ce n’est pas facile à retrouver l’impasse.
Elle nous amène sur une large véranda couverte. Dans la cour, un piscine, des gosses.
- Voilà mon fils et ses copains. Veux-tu nous chauffer le café ? Un, deux, trois !
- Merci !
Elle nous raconte :
- Ici, dans cette commune, pendant longtemps nous n’avons pas eu de curé. L’ancien est resté trente-cinq ans, mais, pendant tout ce temps, il n’a pas tenu les papiers. Mariages, baptêmes, enterrements, après son départ il a fallu tout reconstituer à partir de bouts de papiers. Nous avons travaillé pendant deux ans, tous les samedis avec le vieux curé de village voisine à refaire les papiers. Le curé pour qui vous allez jouer la messe ce soir, dit-elle à François.
Elle ajoute :
- Mais on dirait presque qu’ils ne sont pas de chrétiens, pas bons, c’est presque incroyable ! Ceux du village voisin étaient jaloux qu’il vienne trop souvent chez nous. On lui a fait tellement des reproches ‘Vous êtes Notre curé’ que finalement il a renoncé à venir chez nous.
- Et alors ?
- Après, rien. Récemment, le curé d’une commune voisine vient, le même qui va à Chaumes où le vieux curé a pris sa retraite. Mais on dirait qu’il vient en hâte. Nous ne sommes plus qu’une trentaine à la messe.
- La semaine dernière, dit François, on n’était pas plus à Mouille, non plus.
- Nous croyions que cela démarrait seulement mi-septembre, mais non, le curé a décidé de commencer deux semaines plus tôt.
- Il chante bien ce curé, pendant la messe.
- Chez nous, il chante peu. C’est vrai que personne ne le suit. Comme on n’a pas d’organiste à la messe depuis fort longtemps... nous avons peur de démarrer, puis nous ne connaissons pas bien ses chants.
- Je peux commencer les chants pendant que je joue à l’orgue, répond François.
- Cela serait très bien, alors, nous pourrions vous suivre.
- Je viendrai si vous voulez jouer à la messe, le premier dimanche de septembre, juste avant d’aller à Chaumes.
- On en sera heureux, si vous le pouvez.
- Oui, de toute façon cette semaine-là je ferai trois messes. Une, le samedi soir et deux, le dimanche.
- Voilà les clés, j’attends aujourd’hui des invités, mais la prochaine fois, je viendrai avec vous à l’église, quand vous vous exercerez.
- Bien sûr, dis-je, et à ce moment-là...
On se fait un clin d’œil. Je lui ai promis que François pourrait lentement l’initier à l’orgue, comme elle le désirait. Nous partons.
Encore un bel orgue pour François, il est ravi.
Devant l’église
C’est divin ici, assis dans la petite cour devant l’église à l’ombre d’un saule.
J’ai mis une chaise pour tenir ouverte la petite porte de l’église, ainsi je peux écouter François jouer à l’orgue. C’est un petit orgue de 19e mais très bien entretenu, très bien accordé, il a un son très agréable.
François est heureux, on le sent à sa façon de jouer, il exprime sa joie à travers l’orgue. Tout à l’heure, il voulait presque y renoncer, mais je ne l’ai pas laissé.
- Demandons encore une fois où c’est, ou alors, je l’appelle du café.
- Tu ne vas rien comprendre.
- Mais si, donne-moi un peu d’argent.
François exprime par sa musique sa joie pour l’orgue, pour cette église, les messes qu’il pourra y tenir.
Heureusement, nous sommes passés ici par hasard un jour et nous sommes tombés sur un enterrement. François était monté aussitôt à l’orgue.
L’organiste qui jouait, lui avait dit, hautain :
- J’ai l’exclusivité, ici je suis le professionnel !
Même après la messe, elle ne l’a pas laissée jouer.
Entre-temps, moi en bas, j’ai observé de qui dépendait le tout et j’ai parlé avec la sacristine pendant qu’elle rangeait les cierges.
— Hélas, nous n’avons personne pour les messes, me dit-elle. Cette dame vient depuis pas longtemps d’ailleurs, elle s'est arrangée avec les pompes funèbres. Mais de toute façon, les enterrements sont tristes. Je travaille à la mairie, si votre mari le veut, il pourra faire les mariages, c’est plus gaie. Et, ajouta-t-elle avec espoir, peut-être aussi pendant les messes ?
Oh, quelle idée merveilleuse d’avoir apporté une chaise dans la voiture!
François m’avait demandé pourquoi je le prends.
Que l’herbe et les arbres sont beaux après l’orage ! Le soleil a vite séché ce qui était à la surface, mais les feuilles brillent encore, plus que d’habitude. Cela sent si bon, après la pluie. Il y a de magnifiques forêts près d’ici.
C’est si paisible dans cette cour d’église, comme si j'avais un parc privé, juste pour moi. J’ai fermé la grille devant la cour, mais je ne l'ai pas verrouillée. Ma voiture est garée juste devant sur le chemin.
Je me sens protégée, à l’abri, en paix.
François joue, toujours. Il m’inspire et m’enchante.
Un petit vent se lève de temps en temps en soulevant un peu ma jupe, mais personne ne me voit, ne la voit. Depuis une demi-heure que je me suis assise ici, je n’ai vu qu'une seule voiture se garer de l’autre côté du parc devant l’église. Un seul homme est allé vers le café qui se trouve de l’autre côté de la place. L’ombre des arbres danse sur l’herbe, le bruissement des feuilles accompagne doucement le jeu d’orgue de François que seulement le bruit d'une voiture ou d'une moto lointaine le trouble de temps en temps.
Heureusement, j’ai pris ma jaquette jaune. La pluie a refroidi l’air, alors qu'au soleil il brûle, ici, à l’ombre, le vent devient frais. Je le sens souffler sur mon dos.
Quelle joie d’avoir autant d’orgues, d’églises, cours d’églises... à « notre disposition ».
Oh, que c’est beau, ce qu’il joue maintenant ! Je lui demanderai que c’était.
(C’était Marchand, les fugues de Pachuelbel puis Louis Couperin.)
Il y a quelque mois encore, François avait peur de ne pas trouver d’orgues pour jouer.
Dans cette région à quarante kilomètres de Paris, et seulement à 15 kilomètres de notre maison de Celles, il en a déjà, combien ? environ six orgues différentes ! à sa disposition, sur lesquels il peut jouer autant et à chaque fois qu’il veut.
Bon, à Crécy, ils ne veulent plus de lui pour la Messe depuis qu’un dimanche il a fait des observations sévères à la remplaçante de directeur de chœur, elle dirigeait trop lentement.
- Comme pour une marche funèbre ! avait dit François. Comment vous accompagner ?
Il a fait pleurer la pauvre femme, qui se défendait :
- Mais sur la cassette c'est ainsi, encore plus lent et pas gai.
- C’est une cassette pour les « scouts » pas de la VRAIE musique, répondit François.
Mais à Voulais, ils l’appellent régulièrement, à Chaumes ils sont heureux chaque fois qu’il peut jouer à une messe et ici il aura un orgue nouveau sur lequel jouer encore des morceaux différents. Et à Crécy, il peut aussi jouer, pendant que j’aide le vieux curé sympathique se débrouiller avec son ordinateur.
Chaque orgue a un son différent, d’autres jeux et combinaisons, mieux adaptés pour certains morceaux, de tel ou tel compositeur, de telle ou telle époque.
Puis à la maison, il a le sien, électronique comme à Crécy, mais encore d’autres sons, c’est plus moderne, plus proche d’un véritable orgue à tuyaux comme celui de Mouilles. Et au conservatoire où il s’est inscrit cette année, il a un grand orgue de concert. Il sera gâté cette saison.
On lui a déjà demandé de faire une grande messe spéciale sur un clavecin dans quinze jours à Villiers où nous ne sommes pas encore allés.