23 mars, 98
sujet de site « Étincelles »
Je me rappelle de nos luttes sur le lit : j’avais à peine plus de six ans.
Les garçons de l’école que je commençais à fréquenter m’avaient attaqué dans le cour pendant la récréation.
Maman conseilla : parle-en à ton enseignant.
- Défend-toi ! dit papa.
- Comment ?
- Apprends à te défendre, te battre.
D’abord, il m’a offert un canif.
Dans son enfance, son école, c’était ainsi que les enfants « secui » luttaient. Maman m’a interdit de le prendre avec moi. Alors, mon père s’est mis à m’apprendre à lutter. Et le canif est devenu l’instrument pour décorer de bois et des marrons.
Nous luttions sur le divan de mes parents « pour se faire moins mal ».
Maman nous observait, sceptique.
Mon père, petit à petit, m’a appris à utiliser tout ce que j’avais à ma disposition pour lutter, comme mes bras étaient faibles : les dents, les pieds, ma tête, ma ruse. Lutter, si on m’attaque, sans pardon. Pour se défendre, il a dû quelquefois me serrer le bras ou l’immobiliser douloureusement et ça arrivait que nos luttes se terminaient par mes pleurs. Le lendemain pourtant, je redemandais.
Dès lors, je répondais tellement vicieuse à l’attaque que les garçons ont renoncé et l’on m’a laissé en paix pendant les quatre années d’école communale.
Je n’aime pas me battre, mais quand on s’attaque à moi, je deviens une adversaire à craindre, faisant, utilisant tout pour gagner. J’ai appris beaucoup plus que me défendre à l’école pendant ces séances. J’ai appris, quoi d’autre ? Si déjà je dois lutter, ce que je n’aime pas, si on marche sur mes pieds, ne pas donner de grâce et utiliser toutes mes forces, quelles qu’elles soient, pour vaincre l’adversaire.
Je ne me suis pas battu seulement avec mon père ‘pour jouer’. Plutôt des leçons avec explications et avec le droit, de ma part de le heurter, si je le pouvais. Je n’ai frappé personne, mordue personne qui ne m’a d’abord attaqué, fait mal. Mais gare à vos cheveux, peau, renom, vos… si vous vous attaquez à moi. Et comme papa me l’avait appris, si l’adversaire était trop grand pour moi, je m’enfuyais, me retirais, l’évitait, mais non sans avoir d’abord essayé de riposter, si c’était possible.
Plus tard, mon père m’a appris à vaincre ma peur de revenir le soir tombé de l’autre côté de la ville. Après qu’un gamin a arraché ma lampe de poche, il m’a offert une ombrelle à porter avec le conseil de frapper avec si jamais s’avérer encore une fois nécessaire. Je ne l’ai pas utilisé, mais mon cartable oui, plus tard, revenant de lycée si un garçon voulait mettre la main sur mes seins. Je savais me défendre.
Il m’a aussi appris à serrer les dents, remonter ma bicyclette les deux étages en chantant « Je passe à travers vaux et vallées, je travers à travers difficultés, vaux et vallées ». J’en ai passé et rebondi, dans ma vie, je le dois en grand partie à papa.
Encore plus tard, j’ai appris à ne plus lui obéir, ne plus tout lui dire. Puis, divorcée, j’ai appris à faire semblant de m’incliner, l’écouter. J’avais besoin de son aide. Alors, il a enfin relâché les reins, m’a fait confiance, comprenant que je me débrouillerai aussi avec des autres. Il n’a pas eu le fils qu’il désirait, mais il m’a donné du courage, d’endurance, d’assurance dont j’ai bien profité dans la jungle de la vie.
François sait, lui aussi, que s’il s’attaque à moi, me critique sans raison, il reçoit mon sentiment sur ce qu’il dit, puis une avalanche de contre-attaques.