Que faire?

24 décembre 1957

C'est affreux comme l’être est compliqué. Une fois il veut ceci, une autre fois ça, puis pas, et à la fin, il ne sait même plus ce qu’il veut.

Avant-hier, j’étais écœurée par Simon, presque dégoûtée et je serais morte s'il m'avait embrassée, je sens encore un malaise quand je me le rappelle. Il me proposa de ne plus nous revoir - et moi, je ne l'ai pas accepté. Je n’en voulais plus, mais le laisser s’éloigner, non plus. Cette fois-ci, ce n'est pas ma tête qui pensait. Ici le cerveau ne joue plus.

Pourtant j’aurais déjà quelqu'un pour prendre sa place, je sors de temps en temps avec Sandou. Et même si je n’avais personne, le temps est arrivé de me mettre à étudier. Malgré tout, le perdre me fait affreusement mal.

Pourtant, cela ne dépend que de moi : lui dire un seul mot, répondre à sa question (oui ou non), et tout sera fini. Je n'arrive pas à le prononcer. Pourquoi ? Ce n'est pas possible, que ce soit parce que c'est lui qui me l'a demandé ; il ne s’agit pas d’amour propre froissé. M'aime-t-il ? Ne m’aime-t-il pas ? L’affirme-t-il seulement ? Chez lui, il peut s’agir d’ambition, mais pas chez moi. Je l'aime ? Je ne l’aime pas ? Je ne sais pas. Mais je suis attachée. Pourquoi ? Et hier, sentant, sachant, qu'il avait été avec une autre, j’ai eu tant de peine, j'étais si bouleversée ! Pourquoi, si je ne veux même pas être près de lui ? Alors, pourquoi ne serait-il pas avec une autre ? Que le monde est compliqué. Je vois bien, je sais déjà, je le voulais ainsi. Il faut prononcer ce ‘non’ (je ne serai pas à lui), il faut en finir, mais je n'arrive pas, je prolonge, je persiste ; je ne le veux pas.

Je n'arrive même plus à réfléchir. Ce n’est plus que l'instinct ou je ne sais pas quoi qui s’exprime. Je le plains ? Je ne crois pas. C’est une des raisons, peut-être. Mais maintenant, je ne pense pas à lui, mais à moi. Ma tête a déjà décidé la séparation, mais mon cœur s'y oppose encore. L'habitude ? Je ne crois pas, ce n'est pas une raison. Pourtant, mon cœur se réchauffe encore en pensant à lui. Que m’arrive-il ?

Qu'est ce que je veux ? Que vais-je faire ? Je n'arrive plus à étudier. Bien sûr, pas seulement à cause de la situation entre nous. Juste un peu, quand même.

Je ne demande plus l'opinion des autres, et hélas, je ne peux même pas demander ma propre opinion. J'avais décidé d’être sincère, je ne pourrais être autrement, et j’avais décidé d’étaler devant Simon la situation telle qu'elle est, avec mon indécision et tout.

Finalement, je me suis tue, nous avons parlé de choses insignifiantes, blagué et j'étais soulagée de ne pas devoir m’expliquer et probablement, lui aussi pensait une chose, disait une autre. La tension flottait dans l’air. Nous faisions semblant, qu’il n'y avait rien de nouveau, parce que c'était notre intérêt (vraiment ?) mais nous savions bien, nous sentions que ça ne pourrait plus durer longtemps ainsi. Il me manquera, et lui - que peut-il penser de moi ?

Pourquoi ne lui ai-je pas dit la vérité ? Comment le sait-il, alors que moi-même je ne le sais pas ? Et où est la vérité ?

J’essaie d'étudier. Je n'ai aucune patience maintenant pour “Comment augmenter la solubilité.” C’est horrible et ne m’intéresse plus du tout. Tout, mais pas ça ! Devrais-je étudier un autre sujet ? ou l’apprendre d’un autre livre ? Il faudra de nouveau me tourner vers Alina, lui demander de l'aide comme autrefois. Maman m’observe, me regarde, elle voit que je n'étudie pas et me bouscule. Elle a raison, elle aussi.

En général, quand deux personnes sont face à face, garçon – fille, fille – fille, parent – enfant, ils ont, tous les deux, raison à leurs propres yeux. Il n’existe pas de vérité absolue. Uniquement relative. L'un a davantage raison, plus de justification que l'autre.

***

Je suis devenue complètement folle. Je ne supporte même plus qu’il m’embrasse et d’un coup j'ai énormément envie d'entendre sa voix, au moins à travers le téléphone. Je suis cinglée. Vraiment. Agitée. Assise tranquillement à la maison, je me sens un "tourbillon sur place".

J’essaierai de me réfugier dans ma chambre, de m’y enfuir entre mes poèmes. Ou en ville ? Que faire ?

21 décembre
Curieux, combien de choses intéressantes et nouvelles m'arrivent, mais je n'ai pas envie d’écrire, de les décrire.

Difficile de rester vierge

10 décembre 1957

J'aurais de quoi écrire, mais je n'ai pas envie.

Je n'ai pas envie de réfléchir, ni de penser, ni même de discuter avec moi-même. Si les gens savaient combien il est difficile quelquefois à une vierge - de rester vierge !

Je devrais me marier rapidement, mais avec qui ?

Il me faudrait un amant comme il faut, mais qui ?

Il faut faire de la gymnastique ou nager: bouger!

Ça me fait très mal

1 déc. 1957, minuit

Qu’il est bête ! Si un jour je l'aime beaucoup et que je suis gentille avec lui, le lendemain il fait le fou et me déçoit. Aujourd'hui, Simon a embrassé presque devant moi, il s'est roulé sur le lit - cela n’a pas d’importance avec qui - puisque ce soir, elle n’était pas la première ni la dernière. Il m'a délaissée et m’a tourné le dos au vu et au su de ses copains. Au lieu de m'attrister, d’être jalouse ou de m'effondrer - et de devenir plus obéissante (lui céder) ou de me quereller avec lui, au lieu de tout cela, j’ai perdu mes dernières illusions sur lui, je me suis guérie de lui de nouveau. Et le fait que c’était le jour de l'anniversaire de naissance de son père incarcéré ou parque qu'il était malade et avait de la fièvre, ne l’excuse pas. Non.

Il l'a fait volontairement. Il n'a pas encore vu cet idiot, n’a pas compris ce sot, que son comportement lui retombera sur le nez. Il me provoque ? Bien. Je lui montrerai que je sais, moi aussi, frapper, dorénavant ça devient facile et ne va pas me demander un trop grand effort.

Demain j’irai au cinéma en matinée, puis à l’hôpital voir maman, puis chez Eve. Lundi, je ne serai pas à la maison pour lui et ainsi de suite. Il faudra le faire de façon que ses amis s’en aperçoivent. Je le laisserai devenir fou de moi sans pitié. Vraiment, il ne mérite pas que je le plaigne. Lonci affirmait qu'il est un bon garçon et qu'il a seulement des défauts superficiels. Ce n'est pas vrai, c'est dans son sang. C'est possible qu'il soit bon ami, mais je ne le crois pas. Que le diable l'emporte !

Heureusement, ça ne me fait pas mal.

lendemain matin
Ça me fait très mal.

Je n'aurais pas cru, que je souffrirais tant, que je sois aussi fâchée. Il faut seulement que je ferme les yeux pour le voir avec cette fille sur mon propre divan. Je ne sais pas si je pourrais jamais lui pardonner. D'un coup il me paraît tellement étranger, tellement méchant. T. m’a raconté que Simon aurait battu Mery, il m’a dit aussi qu’au moins, j'aurais dû jeter quelque chose sur lui ou sur eux, aussitôt.


30 novembre 1957
Oh, que cette opérette est belle ! La valse de l’opérette "Comte de Luxembourg” me caresse le cœur. Et cette petite photo me rappelant la 9e symphonie de Beethoven : un jeune cerisier en fleurs sous des nuages gris menaçants.

J’ai envie de courir

La vie continue avec ses coups et ses joies profondes.

la difficulté de choisir, de décider, la possibilité d’oser.

28 novembre 1957

Le premier jour d'hiver, les premières chutes de neige, comme c’est beau chaque fois ! J'ai envie de courir, flâner. M’enfoncer dans la neige, seulement parce que c'est la première qui tombe. Sortir de la maison, sortir de moi, faire les premiers pas.

Comme j’aurais voulu sortir aujourd’hui, mais je ne suis pas sortie. J'aurais pu pourtant y aller. Seule. Peut‑être, même avec lui. Je n'ai pas voulu aller le chercher, pourtant il était chez lui.

J’irai une fois avec mon mari ou mon amoureux, n’importe où,, dans la neige qui tombe, dans le monde. ça sera merveilleux !

Aujourd'hui, je suis restée à la maison. J'ai lu, j'ai réfléchi. Il fait bien chaud ici, même un peu fatigant, étouffant. Je devrais sortir quand même.

Hier matin, je me suis apaisée, j'ai décidé de rompre avec Simon. Pour le moment, pour une semaine, puis... Je supporterai très bien d'être sans compagnie. Je n’ai même plus pensé, qu'il pourrait me manquer, lui aussi. À midi, nous avons commencé à en discuter. Je suis devenue toute bouleversée, je tremblais même. “Que va‑t-il se passer s'il accepte vraiment ma proposition ?”

Et il s'en est rendu compte.

J’aurai été forte et froide si je ne m'étais pas aperçue d’un coup qu’il avait de la fièvre, pourtant je savais déjà qu'il n’était pas bien. D ’un coup, j'ai eu pitié, et chez moi, cela vainc beaucoup d’autres choses. Je me suis rendu compte que je l'aimais... comme j’aime ma meilleure amie. Mais de trembler comme cela pour ne pas le perdre ! Non, il ne s'agit pas de ça. Et je ne suis pas jalouse, non, pas du tout. Comme ce serait bien si j'étais un garçon ou alors lui une fille et que nous étions amis. Vraiment ?

Je l'ai raccompagné à la maison et nous avons déjeuné et continué notre discussion chez lui. Je lui ai dit enfin clairement, intelligiblement "non" (je ne deviendrai pas sa maîtresse). Avant ou après cela, je ne me souviens plus, il m’a dit qu'il m’aimait tant qu’il n'arrivait pas à se décider à me quitter définitivement.

Hier je me suis rendu compte moi aussi que je l’aimais davantage, j’étais beaucoup plus attachée à lui que je ne le croyais. Je suis très surprise. Je ne comprends pas. J’en suis arrivée là. Je le lui dirai, mais bien sûr, pas comme ça. J'ai fait plein de trucs que je n'aurais pas faits si je m’étais rendu compte qu’il me plaisait tant que ça. Alors, j’aurais été beaucoup plus retenue. Je vais l'être de nouveau, je l’espère.

26 novembre 1957

Je n'ai pas écrit depuis longtemps, pourtant il y aurait eu de quoi. J'ai eu tant de problèmes et tant de choses se sont passées en moi. Et autour de moi. Il y a quand même des choses qu'on ne peut pas décrire. J'ai peur qu’on le lise. Tant qu’il ne s'agit pas de moi, d’accord, je me tais. Mais dans ce cas, il s'agit de moi.

Aujourd'hui je suis satisfaite et heureuse… parce que je vois que je suis faite d'un bois qui réussit à vaincre les difficultés.

Hier à midi j'étais encore malheureuse, somnolente, détruite, ayant mal à la tête, mal à la gorge, je croulais sous des problèmes difficiles à résoudre. Je suis malade ! Je suis seule ! Etc. J’ai fait une sieste de deux heures. Lonci est passé et nous avons parlé, il m'a escortée jusqu’au cinéma. J'ai vu le très beau film « l’Odyssée », revenue, je me suis couchée et endormie aussitôt.

Ce matin, je me suis réveillée plein d’élan : au travail ! Je suis partie résoudre, parler, dire, appeler, demander. J’ai agi. Dans une heure, je repars à l’attaque. Je me suis vaincue ! Je ne vais pas me laisser battre ! Je ne suis pas de ce bois-là. Je serre les dents, les poignets, je souris, je chante et j'attaque ce qui est difficile. Je n'hésite pas, je n'ai pas peur, je ne m'arrête pas au milieu du chemin. Comme si j’étais à la montagne en excursion, il faut continuer.

Je me suis souvenu de la chanson “à travers les monts et vallées” que je chantonnais à Kolozsvàr à douze ans, pendant que je montais, difficilement, ma bicyclette au deuxième étage. Je suis très heureuse d’avoir découvert en moi ce trait de ma personnalité. Je crois l’avoir hérité de mon père - il est fort, résistant, lui aussi. Même maman, quand on a besoin d’elle, montre souvent ce dont elle est capable.

Hier soir, Lonci m'a loué les autres filles du groupe : Anca et Victoria. J’aimerais bien savoir ce qu'il raconte de moi aux autres. Il m'a aussi parlé de Grigore. Et de Simon. D'après lui “Simon est trop bon, il ne peut pas refuser quelqu'un” Il m'a surprise. (Il s’agissait en réalité de son comportement envers les autres femmes, mais il le disait en général). C'est vrai, je suis arrivée depuis un temps à ne voir que les défauts de Simon, pourtant il a aussi un tas de qualités.

15 novembre 1957

J'ai beaucoup aimé le livre de Sàndor Màrai "Un jeu à Bolrano". Époustouflant, énorme. Bien sûr, mon romancier préféré reste toujours Jókai, tous ses livres de son premier à son dernier, (il en a écrit 100), on ne peut pas s’en lasser, ne pas les aimer.

Je suis en crise, je n'arrive plus à étudier et je me réfugie dans la lecture, la musique, le sommeil. Il faut m'en sortir, au plus tard lundi matin. Je peux me permettre de me “laisser aller” encore un tout petit peu. Mais ensuite : fini !

14 novembre 1957

Est-ce toujours comme ça : on t'aime, tu en aimes un autre, et lui, une autre? Quand aurai-je un amour réciproque ? Désir, plaisir. Pendant quelques jours, mon cœur battait sur un nouvel air : Grigore, Grigore. C’est déjà passé. Il n'y avait aucun espoir. Pourtant, il le méritait, il est bien, masculin, sérieux et honnête. Samedi soir, quand j'ai dansé avec lui, il ne m'a même pas serré la main un peu plus. Quand même il m'a bouleversée, je tremblais. Lui, il s'est comporté comme il faut, comme il sied à un ami de Simon. Pourtant moi, à ce moment-là, bêtement, j'aurais voulu qu’il fasse autre chose. Mais ainsi c'est mieux. De toute façon, il est plus jeune que moi d’une année.

Après le dernier samedi Simon s'est comporté comme un agneau et puis il s’est enivré. Il ne sait pas que faire pour me faire plus de plaisir. Il m'a dit qu’il était heureux déjà de me voir. Mais que faire. Il ne m’intéresse plus. C’est comme ça. C’est fini.

Quand viendra enfin le Vrai ? Un grand amour, ou au moins, un amour réciproque. Julie, rien ne vient tout seul. Il faut aller au devant. Je dois sortir en société de plus en plus. J'ai commencé à apprendre à jouer au poker, mais je dois trouver avec qui m’exercer.

Il fait agréablement chaud, je supporte mal le froid. Je dois vraiment recommencer à étudier. Mais ça marche péniblement ce soir. Que c'est beau ce que j'entends à la radio ! Je le connais, c'est quoi ? Un pot-pourri de Grieg.

8 novembre 1957

À mon avis, si quelqu’un veut paraître plus qu'il ne vaut, il paraîtra moins. Seul celui qui se sent amoindri veut paraître différent, n’étant pas content de ce qu’il est. Moi, je ne veux jamais paraître mieux, différente de ce que je suis, ma devise est : "je suis ainsi". Si on me prend telle que je suis, bien, sinon tant pis. Je suis contente comme je suis, (et cela est extrêmement important).

Les garçons de la bande à Simon, seuls, sont pas mal, mais ensemble ils veulent être mieux que les autres, s’imiter l’un l’autre, et à cause de ça, ils deviennent insupportables.

Aujourd'hui Radu, l’ingénieur rencontré en excursion, est venu me voir, je crois qu'il est amoureux de moi. Pourtant, il a deux enfants et une femme, je n’enlève pas son mari à une femme et, de toute façon bien qu’il soit intéressant et intelligent, il ne me plaît pas comme homme. Je le plains, je crois que c’est un chic type et le fait que je lui plais, me donne confiance en moi.

Hier soir, huit garçons sont venus chez moi : Marcel, Thune, Mircea, Grigore, Stéphane, Lonci, Monel, Simon (ils n’ont pas beaucoup de places où aller en groupe). Ils ont joué au rami et au poker. Ils m'ont demandé d’y participer, mais je n'avais pas envie. Ils voulaient m'apprendre à jouer au poker. J'ai finalement regardé Lonci jouant. Stefan m'a aussi appelée près de lui, mais je n'ai pas voulu quitter Lonci qui se vexe vite.

Ce groupe est très bien pour moi, j’apprends comment il faut se comporter parmi beaucoup de garçons. C’est très important. J'apprends facilement. Au début, je ne me suis pas sentie bien parmi eux, j'étais embarrassée. Hier j'étais déjà tout à fait à l'aise. Je suis fière d'être une bonne hôtesse, une bonne maîtresse de maison, j'ai l'ambition de l’être, j'aime recevoir. J'espère qu'Eugène ne s'était pas fâché ce matin, quand j’ai dû le mettre dehors, en réalité il était passé juste pour me rapporter des disques.

5 novembre 1957

J'arrive de chez Marie.

Simon ne mérite pas la chaleur que je voulais lui montrer, il m’a fait faux-bond de nouveau. Encore une fois il avait “à faire”.

La discussion avec Marie était très intéressante. Elle divorce. Elle me l'a raconté sans s'arrêter durant quatre heures. Mais pour bien la comprendre, il fallait que je lui tire les mots un à un.

Elle m’a dit aussitôt qu'elle divorçait.

Elle n'aime plus son mari. Pourquoi ? Elle ne savait pas. Ils sont mariés depuis un an et demi et ils se sont bien entendus, sexuellement. La vérité est qu'elle s'est mariée à cause d’Eugène qu’elle avait beaucoup aimé. Elle a beaucoup souffert de leur séparation. Quand elle a vu que Dan l'aimait, elle a pensé qu'elle ne devait pas l'aimer trop et elle s'est mariée. Elle croyait sincèrement qu'elle n’allait plus autant aimer. C’était un bon mari. Elle cherchait à me dire ce qui n'allait pas chez lui mais elle ne trouvait rien.

Finalement elle m'a dit : “il y en a un troisième”.

Elle en est amoureuse et l'autre l'aime aussi. Et bien sûr, il est plus "homme", plus sûr de lui, plus mûr... mais aussi plus égoïste. Cela n'est pas important, elle aime celui-là, elle veut celui-là. Alors j'ai compris. Qui ? Elle ne voulait pas le dire. Il a 28 ans. Enfin, j'ai commencé à comprendre. Finalement, elle ne l'a plus caché, mais je ne lui ai pas dit que j’avais compris, du but en blanc. Juste avec de légères allusions.

C'est l'ex-mari de Juliette. Je ne connais pas George, mais à un moment donné, j'ai pensé moi aussi, à aller le rencontrer. On m'avait dit que c'était un garçon bien, on m’avait suggéré qu’il ne serait pas mal pour moi. Nous sommes ainsi. Nous nous ressemblons et nous avons des avis semblables sur des garçons d'un certain type.

Pendant que le mari de Marie était à l'armée pour un stage de six mois, elle est allée deux fois faire des randonnées avec l'Autre, il travaille près des montagnes. Et l’Autre est venu la voir presque chaque dimanche. Qu'ils se soient embrassés, c'est sûr. Elle n'a pas reconnu qu'ils aient aussi couché ensemble, mais je sens que cela s’est passé ainsi. J’en sais rien. Mais ils se sont sentis très fortement unis dès la première excursion.

Entre temps, il y a deux mois, son mari est revenu à la maison. Elle lui a dit quelque chose mais, "pour qu'il ne reparte pas trop bouleversé", elle ne lui a pas tout dit, et surtout, elle n’a pas dit qu'elle voulait divorcer. Elle s'est couchée avec son mari, puis elle a eu honte d'elle même.

Elle reçoit des lettres des deux côtés, de son mari et de l’Autre, encore une vient d'arriver. Quelles merveilleuses lettres ! Marie est devenue toute belle et toute heureuse en me relisant les lettres de George. Elle affirme qu'elle ne regrette pas de s’être mariée, mais elle est heureuse d’avoir écouté ses parents il y a un an et de n’avoir pas aujourd’hui un enfant de lui.

Elle veut divorcer. Dans une semaine, son mari revient et elle va devoir le lui annoncer. Mais demain c’est George qui arrive et ils vont passer ensemble les fêtes. Elle plaint son mari qui l'aime. Elle a peur surtout qu'il ne veuille pas divorcer.

Elle sait qu’elle est devant une période difficile.

C'est étrange, mais je l'ai bien comprise et j'étais d'accord avec elle. Je l’enviais même. J'aurais voulu être à sa place. Pourtant, jugé de l'extérieur, c'est moche : le mari est soldat, elle se sépare de lui difficilement pour quelques jours (c’était ainsi), et une semaine après elle tombe amoureuse d'un autre, elle passe toute son temps ivre de l’Autre. Et davantage. En plus, elle vit avec son mari pendant sa journée libre, ensuite elle écrit aux deux...

Mais la vérité est autre d'après moi : elle vient de trouver le vrai. Celui qui lui est destiné pour toute sa vie. Le partenaire de sa vie. Le VRAI. Alors, rien ne compte plus. Elle doit tout faire pour rester avec Lui.

Pour le moment elle divorce. Puis, elle verra. Mais elle ne peut pas réfléchir longtemps, parce que le garçon n'habite pas à Bucarest et ils ne pourront se rencontrer que rarement - s'ils ne se marient pas vite. Sinon, ils vivront chacun avec d'autres. ça serait la fin. Parce que Marie y met du cœur, comme je le ferais aussi. Le plus sérieux est encore d’agir comme elle est décidée et divorcer ; ensuite se marier avec l'Autre.

Elle ira habiter là-bas, ou alors il viendra à Bucarest. Juliette, la première femme de George, était différente, une femme douillette, elle se plaignait tout le temps, elle a l'esprit vif, affûté comme un couteau, c’est une bonne femmelette, coquette, mais ils ne s'entendaient pas bien sexuellement non plus. La vie à la campagne était trop dure pour une fille gâtée comme elle. Je pourrais réfléchir, philosopher beaucoup sur ce que j’ai entendu ce soir et sur toutes les autres choses qu'elle m'a racontées.

Il se fait tard. Nous avons énormément parlé.

Nous avons classé les garçons, comme ceux de Bucarest et ceux de Kolozsvàr. Depuis lors, tout le groupe autour de Simon me paraît insignifiant. Même Stéphane. Tous. [Ils sont presque tous à l'Architecture comme Marie]. Nous avons conclu qu’un à un ils sont tous bien, mais ensemble... ils ne valent pas grand-chose. Lonci est intelligent mais paresseux, Grigore est un enfant de 21 ans, Stefan joli mais c’est tout, Tucu est intéressant et sportif, mais il ment en disant qu'il est déjà ingénieur, il est seulement en dernière année, Marcel est fin mais paresseux à l’étude, Mircea a de bonnes manières mais imbu. Donc, un à un ils ne sont pas si mal que ça, mais ensemble ! Je vais sortir encore un peu avec eux, puis je chercherai autre chose.

Je suis restée longtemps seule après avoir rompu avec Bert, j’ai appris à ne pas partir avant d’en avoir un autre. Les garçons courent seulement après les filles qui ne sont pas seules, hélas. Mais plus tard, je dois chercher ailleurs. Peut-être partir à Kolozsvàr après avoir reçu mon diplôme comme me le suggère Marie ? Que faire ?

J'ai des frissons, bonne nuit !

4 novembre 1957

Aujourd’hui Alina, Bandi et Édith étaient chez moi, Simon a appelé, lui aussi. J'étais très gentille avec lui. Je ne sais pas pourquoi, ça m’est venu ainsi. Il ne pouvait pas nous rejoindre, tant mieux, ainsi je n’ai pas dû le refuser.

Stefan, un des garçons de hier soir, vient de m'appeler, il veut m’apporter deux pages à traduire du hongrois en roumain.. Viendra-t-il vraiment ? Il aime toujours Tamara, je me suis rendu compte hier comme il souffre. Il faudrait le consoler, mais il ne me connaît pas encore assez pour me parler sincèrement. Pour le moment, on devrait devenir de bons copains. Quelle sorte de filles lui plaisent ? Stefan donne beaucoup d’importance à l’aspect extérieur, aux vêtements, aime les filles sophistiquées avec des manières. Devrais-je être ainsi devant lui ? Je verrai. Ce soir j'ai ouvert mon journal parce que mon cœur bat à ce rythme : Stephan, Stephan. Il est tellement beau - et j’ai l’impression qu'il est aussi honnête et sérieux.

Julie attention ! Qu'avait dit Alina ? Pour le moment, étudie !

Demain, théâtre avec Simon. Avant: se cajoler. Je l’ai planifié. Je commence à comprendre ceux, qui, après avoir trompé leurs conjoints, deviennent beaucoup plus gentils à la maison. Moi rien qu'à y penser, et déjà...

2 nov. 1957

Un nouveau samedi. Je n'ai pas voulu faire de projets avec Simon pour aujourd’hui, je savais que depuis un temps nos projets du samedi n’aboutissaient pas. J'aurais voulu rencontrer quelqu’un d’autre. Il voulait coûte que coûte qu’on fixe un rendez-vous, et bien sûr, il s'avère une fois de plus que c’était seulement pour détruire ma soirée. Il m’avait dit que nous allions sortir avec ses copains ou éventuellement, ils viendront chez moi, il m’a affirmé, Gregore sera du nombre et il m’a suggéré donc d’inviter Édith aussi.

Ce soir à sept heures, Simon me téléphone: soi-disant, il doit aider son oncle pendant deux heures, il lui avait promis. Il ne pourrait venir avant neuf heures, mais il me rappellera. Est-ce vrai ? C'est tout à fait possible qu’il dise demain ”c’était trop tard et je ne voulais pas te déranger”.

Je viens d'appeler les garçons. Lonci, (son meilleur ami) était chez lui, mais il n'avait pas envie de passer, il discutera avec Marcel (qui lui était en train de prendre un bain). Édith dit qu’elle ne viendra pas tant que les garçons ne seront pas ici.

Je m’étais préparée à avoir de la compagnie, il sera impossible que cela se réalise, que je me sente bien. Je resterai sûrement seule, ce soir encore, toute préparée, coiffée, bronzée. Si cela arrive, je promets que Simon ne me verra plus aucun samedi. Je ferai d'autres projets longtemps à l'avance. Que je sois considérée sans volonté si je manque à ma parole ! De toute façon, il m'ennuie déjà, c'est seulement par habitude que je ne le laisse pas tomber. Je ne resterai pas à attendre toute la soirée ! À huit heures ce soir, je partirai voir une opérette.
*
Ils sont tous arrivés en groupe exactement à huit heures. Nous avons écouté la radio et ensuite des disques. Plus tard, ils voulaient jouer aux cartes, ils l’ont fait jusqu’à minuit. J'ai regardé. Cinq garçons et une fille. Puis nous sommes allés dîner dans un petit café tout près d'ici (trois garçons + moi.) Je viens de rentrer.

31 octobre
Que dois-je faire ? (réalisé))
Me faire bronzer aux ultraviolets
Demander des conseils cosmétiques
Prendre mon costume trois pièces
Parler avec le directeur de l’Institut, lundi
Que reste-t-il encore ?
Aller chez le coiffeur : une belle coiffure
Bien dormir et enfin longtemps
Aider maman à se faire pensionner
Aller au théâtre ou au cinéma
Essayer d’arranger le problème d’Université

30 octobre 1957

J'ai terminé tous mes examens du dernier semestre. Bien sûr, je devrai recommencer à étudier, à préparer les suivants. Je vais m’y mettre bientôt. J’ai passé bien deux, ceux que j'ai voulu passer absolument. En réalité, j'aurais déjà dû m’y présenter cet été. Tant pis, l'important est qu’ils sont derrière moi.

Pour le troisième examen, le plus difficile (les Matières Plastiques) j'ai étudié le plus - et je ne l'ai pas réussi. Est-ce parce que je ne l'ai pas voulu assez fort ? Je n'ai pas répondu aux questions. Je le préparerai avec plaisir encore une fois. Je serais très malheureuse seulement si je le ratais encore une fois. Je dois la recommencer très sérieusement, en détail avec patience.

La plupart du temps, la réussite dépend beaucoup de volonté. Si tu y vas avec l’idée qu’il faut absolument vaincre, tu as déjà fait les trois quarts du chemin. Si tu y vas te sentant battu d’avance, tu as déjà perdu.

Mais cet examen-ci, je ne le regrette pas, l’échec me servira. Quand j'ai dû repasser la Géométrie Descriptive, j'ai mieux appris le dessin industriel. Et je ne l'ai pas regretté. Celui-ci, non plus.

26 oct. 1957

Je viens de réaliser depuis quand j'ai appris à enfouir mes sentiments. L’année dernière, quand maman se sentit mal, une fois, j'ai eu moi aussi, presque, une crise nerveuse. Depuis, je m’éduque lentement. Hélas, cela a influencé d’autres choses, mais tant pis (ou tant mieux ?).

En regardant dehors : qu’ils sont beaux les nuages, le ciel est bleu clair, moitié ensoleillé, moitié ombré, les feuilles sont d’un jaune verdâtre et il y a un grand silence.

Demain j’ai un examen, comment le réussirai-je ? Je dois y être très tôt.
Á la fin de la semaine, j'irai en excursion, je l'attends avec impatience. Se trouver dehors, au sommet des montagnes, est mon désir ardent aujourd’hui. Bientôt j'y serai.

25 oct. 1957

D. est passé hier chez moi, nous avons parlé de tout. Entre autres, il m’a dit : “Quand un homme aime, il veut prouver qui il est, il lutte, il travaille mieux ou écrit mieux. La femme, quand elle aime, essaie de s'adapter à l'homme.” C'est peut-être vrai, hélas!?

Images souvenir


de ma ville de jeunesse, Kolozsvàr, maintenant Cluj-Napoca,
où j'ai habitais de cinq à quinze ans

23 octobre 1957

En écrivant cette date, je me rends compte que c’était il y a juste une année... Nous ne l’avions pas encore appris, on l'a su seulement deux jours plus tard. La révolution hongroise.

En réalité, j'ai voulu parler d’autre chose. À la radio, on a interviewé plusieurs “personnalités” en leur demandant, entre autres : "Vous vivez selon quel axiome ?" Cette question m’a fait réfléchir. Est-ce que j'ai un fil conducteur ? Je n'en ai pas un, mais plusieurs.

Le premier, je l'ai appris de mon arrière grand-mère (Paula) et je l'utilise avec succès chaque fois que je le peux : cherche le bon en tout (même dans les choses désagréables.)
Par exemple hier, quand j'ai dû aller à l’hôpital voir maman (1 h aller, attente, 1h retour) je me suis réjouie que le tramway 21 passe tout près de chez nous.

Le deuxième axiome est : si tu as quelque chose de désagréable devant toi, essaie d’y passer rapidement. Je m’y mets et alors elle se termine plus vite. En plus, la plupart du temps, il s’avère que le diable n'était pas aussi noir qu'on le craignait. Et puis, même s'il l’est, au moins, c’est passé. À cause de cette raison, je suis allée aujourd’hui plus tôt à l'Institut.

Une autre : sois toujours optimiste - aussi longtemps que tu peux ; et aussi : sois contente avec ce que tu as et de la façon dont tu vis. Je ne sais pas si cette dernière règle est bonne. Est-ce bon que je ne me soucie pas encore de ce qui arrivera quand je terminerai mes études ? Que je n'essaie pas sérieusement de chercher un mari ? en me disant qu’il apparaîtra tout seul un jour. Mais ainsi, je suis plus tranquille. L'important maintenant est de finir mes études, ça s’est sûr. Je trouverai ensuite un autre but, parce qu’on a besoin d’en avoir.

Il faut absolument et rapidement guérir maman, c’est essentiel. Mais la crise vient de passer, elle se sent nettement mieux. Il lui faudra une occupation, mais quoi ?

22 octobre 1957

Domine-toi, reste tranquille ! C'est très important. Ne t’énerve pas, ne sois pas trop sensible, ne t'occupe pas de ce qui ne te regarde pas, il faut l’apprendre. Je suis déjà arrivée assez loin dans ce domaine. J'ai déjà passé deux examens avec "très bien" et "bien". J'ai encore un dernier dans une semaine, le plus difficile, et la cinquième année sera finie !

Maman se sent mal. Je dois m'occuper d’elle.

J'ai demandé à Alina l'adresse d'un docteur, j’enverrai maman chez lui, puis j’irai me renseigner sur l’opinion du docteur pour savoir que se passe-t-il et ce qu’on peut faire. Parler ensuite avec maman (tactique). Puis discuter avec papa sur ses responsabilités.

Mais surtout, ne pas m’énerver ! Me dominer.

La voisine laisse hurler sa radio tard le soir (aussi fort que maman pendant l’après-midi).

Cette nuit, maman a commencé à se disputer avec papa. Vers deux heures, nous avons changé de place, je me suis couchée à côté d’elle, et papa dans ma chambre. J’ai réussi à me rendormir finalement, mais difficilement.

L’important est la tranquillité ! L’esprit clair. Même mes règles ont dû arriver justement. Cela ne fait rien. Combien j'ai changé ! De ce point de vue, à mon avantage : je sais prendre ce qui arrive avec plus de tranquillité (et je suis devenue nettement plus pondérée.)

Bon, assez de pause : étudier !

Oups!

Je viens me rendre compte, que j'ai commencé à publier hier ou avant hier mon huitième journal, sans avoir passé de brouillon à publier les derniers notes du septième. Je viens de le corriger, s'il vous plais, lisez les quelques notes anciennes pour corriger le trou, cette fois, assez important non dans les longeurs des textes, mais dans ce qu'ils contiennent.

20 octobre 1957

Quand il a appris que je suis allée seule en excursion cet été, Nuszi, (le cousin de maman), m’a dit quelque chose de fort intéressant :

L'homme doit transmettre ses sensations de la beauté de la nature. S'il est écrivain, il les décrit, alors il peut voyager seul, sinon il doit les raconter à quelqu’un, c’est pour cela qu’il ne doit pas y aller seul. Si on ne la partage pas, l'impression se perd, pâlit. »

Je ne sais pas s'il en est vraiment ainsi, mais j'ai décrit mes pérégrinations parce que j'ai senti le besoin de le faire. Bien sûr, j’ai eu aussi de la compagnie. J’ai vu chez eux, à la télévision, une émission amusante et intéressante : "Les Heureux Voyageurs ”.Une très bonne idée !

Je viens de regarder la télévision pour la deuxième fois dans ma vie, mais c’est pour la première fois que j’y vois quelque chose qui me plaise.

À 20 h

Je suis l’élève d'Ovide. Il dit : "ce n’est pas un péché de rendre tromperie pour tromperie, mensonge pour mensonge." Dorénavant, je l'écouterai. Simon me fait téléphoner -un samedi soir à 7 h - et encore par son petit frère, qu'il se sent mal et qu’il va rendre visite à son oncle. Très bien. Moi aussi je sais mentir, s'il s'agit de cela. Je n’ai pas encore commencé, mais si je commence !

Ce n'est même pas la peine d’ailleurs, il suffit de me taire. J'ai même de la chance. Non seulement des copines passeront ce soir (déjà intéressant), mais Eugène vient m’appeler et il passera aussi. Demain, j’irai à l’anniversaire d’Alina avec Eugène, s'il le veut. Chez elle, je flirterai avec le premier qui me plaira tant soit peu. C'est bon d'avoir toujours un garçon à la portée, plusieurs autour de moi.

Il est seulement dommage d'avoir heurté Sandou (ce n’était pas exprès) il est un brave garçon sympathique. Par contre, je ne regrette pas mon comportement envers Bandi, il était franchement dégoûtant à notre dernière excursion, il avait tellement peur d'avancer, il a fallu que je le tire presque pour en sortir. Je n’avais jamais pas vu quelqu’un se décomposer ainsi !
Il faudra que je me cherche quelqu’un de nouveau, il le faut.

J'irai voir l'ami de ma tante dont elle m'a tant parlé, mais d’abord, je dois terminer mes examens : je m’y mets. Et je ne romprai pas avec Simon, pourquoi le ferais-je ? Quand il sera en deuxième position, je le lui dirai – à ce moment-là. Mais jusqu'alors, pas question ! Même alors, seulement parce que je ne me laisse pas embrasser par deux garçons à la fois. Ou l’un - ou l’autre !? (Au moins pour le moment).

Maman se sent mal, ses nerfs lâchent. Je devrais aller parler avec le docteur. Aussitôt après mon examen, j’y vais.

Huitième journal

Rompre est dur (Octobre 1957 à janvier 1958)
19 octobre 1957
Je me suis difficilement décidée à écrire dans ce cahier, il ressemble trop aux cahiers d'école. Au moins, s’il était sans lignes ! Je sens trop l’ordre, la régularité, l'encadrement. Mais je m’habituerai. Y a-t-il une différence entre écrire dans un beau cahier et dans un moche ? Hélas, un peu. Mais je ne m'arrêterais pas d'écrire uniquement à cause d’un cahier inadéquat. C'est si bon d’exprimer mes pensées. Comme si je pouvais même mieux penser. Arrivé, peut-être, à cause de ma façon d’étudier. Mais c'est arrivé. Oh, comme ce cahier simple me gêne !

J'ai un tas de problèmes urgents, je les décrirai, mais d'abord je ferais un bilan. Il me montre que ceux qui disent que je suis en retard d’au moins quatre ou cinq ans ont raison, hélas. Mon seul espoir est que ce n’est pas dans tous les domaines. En plus, je parais plus jeune (ce n’est pas si mal) et, je finirai mes études universitaires l'année prochaine.

Des fois je me sens très près de Simon, d'autres fois horriblement loin. Comme aujourd’hui.
Il vient de me dire une grande vérité : "Pilu n’avait pas l'habitude, par contre je suis expérimenté". Il me l’a dit, après que je lui ai fait remarquer qu’Anca était l'amante de Pilu - et pas de lui. Il ne comprend pas. La différence est là, bien sûr. Anca et moi, on se ressemble. Bien sûr, elle a préféré le garçon qui n'avait pas eu de nombreuses liaisons et d’innombrables amantes, qui ne sait pas encore ‘tout’ ; par contre il est un garçon honnête, sérieux et il l'aime profondément. Simon a déjà été avec plusieurs, ses succès l’ont rendu orgueilleux et en plus, il n'est pas assez sérieux, ni assez honnête. Anca a dit à son père “en réalité, c’est comme si nous étions déjà mariés ”. Voilà, pourquoi je ne deviendrai pas l’amante de Simon, : je ne me marierai jamais avec lui.

Que Dieu m’en préserve ! Je me rendrais malheureuse pour toute ma vie. Sans parler du fait que je ne l'aime pas tant que ça, surtout à cause de son manque de sérieux. Je n’arrive pas à avoir confiance en lui. Je viens soudain de comprendre : probablement je suis aussi réfléchie et froide parce que je vois devant moi une épouse souffrante, déchirée et (presque) abandonnée . Est﷓ce bien ou pas d’être réfléchi et froid ? ou est-ce seulement un masque et en réalité je suis différente ? Suis-je devenue véritablement ainsi ? Qui sait.

5 octobre 1957

J'ai commencé à lire "Les quarante jours de Musa Dag" de Werfel.

Je n'ai lu encore que ses trois premiers chapitres, mais je suis stupéfaite. Je n'arrivais pas à m’arrêter. C’est pourtant un livre épais, on ne peut pas le finir d'un seul coup. C’est comme une symphonie. Le futur sombre commence à apparaître, un premier, puis un deuxième accord menaçant, et la masse des gens encore inconscients du danger. Le livre parle de la destruction du peuple arménien par les Turcs et de la lutte d’un chef de clan (marié à une française) pour sauver ce qu’il peut. Il est possible que je le ressente aussi fortement parce que je suis juive. Parce que j’ai vécu, moi aussi la tragédie du peuple juif, sa déportation, sa destruction en masse, même si c'était seulement pendant mon enfance.

C'est vrai que ça n'a pas duré seulement quarante jours et que moi, j’ai survécu. Eux sont des Arméniens, cela ne change rien.

Je ne sais pas pourquoi j'ai l'impression d'un morceau pour piano. Comme si on devait le transposer dans une autre gamme et il resterait le même. Ce roman contient aussi tant de vérités sur la vie. Et des gens vivants. Enfin, de nouveau un grand livre, un bon livre !

Qu’ils me paraissent petits, d’un coup, tous mes problèmes avec les garçons ! Il vient, il ne vient pas pendant deux à trois jours, pendant une semaine. Tout cela paraît si futile maintenant.

Bonne nuit. J’espère que je pourrai m’endormir. Il le faut. Demain commence une journée d’études sérieuse.

4 oct. 1957

Je l'aime de nouveau. Il me plaît. Et je l'estime plus qu’avant. Je le plains.
Mais malgré cela, je ne vais pas devenir sienne. Pas question! Aujourd’hui il m’a manqué énormément. Et bien sûr, juste aujourd’hui, Simon ne viendra pas me voir. Qui sait ?

Peut-être, Eugène passera.
R. est passé pour prendre les disques qu’il m’avait prêtés.
Sandou aurait voulu venir me voir, mais j'aurais préféré être avec Simon. J'ai déjà oublié ce que je me suis promis : ne rien décider d'avance avec lui. Il faut que je le tienne. Aujourd’hui j'aurais dû sortir avec Sandou. Au lieu de sortir avec lui, j'attends à la maison, bêtement, Simon. Je préfère attendre, remplie de désir que de me sentir étrangère à lui. Maintenant il m'est cher.

J'ai réarrangé ma chambre. Elle me paraît mieux, plus agréable.

Il vient m’appeler, il arrive.

1 Le temps de Sandou arrivera mais je ne le savais pas encore alors.

27 septembre 1957

Hier soir j'ai appris quelque chose : aie des prétentions, alors tu peux tout obtenir d'un homme. Même s’il ose rouspéter au début, ensuite il s'habitue. Je devrai m’y tenir.

22 septembre 1957, Bucarest

Simon voudrait (inconsciemment ?) me fâcher avec Édith et ne plus voir Alina, mais il n’arrivera pas à ses fins. On m'a toujours dit que l'amitié féminine n’était pas durable, que les femmes se brouillent à cause des hommes. Je ne l'ai pas cru jusqu’à maintenant.

J'ai presque eu des problèmes avec Alina à cause de son mari et d’Eugène (qui lui avait fait la cour un peu, avant), mais nous avons été plus intelligentes, nous nous aimons et nous sommes passées à travers. Je n’étais pas fâchée contre Édith à cause d'Eugène (je n'avais réellement pas de quoi) et je ne vais pas m’affliger à cause de Simon non plus (même s'il y aurait de quoi). Simon ne vaut pas que je rompe avec une amie. Et aucun des garçons, non plus.

On a si peu d'amis, il ne faut pas en attendre trop, de chacun seulement ce qu'on peut.

Je reçois beaucoup dans l’amitié avec Édith, je me sens bien avec elle, je peux lui lire des poèmes, on a des goûts communs dans des tas de domaines... Simplement, je ne dois pas la mettre en présence des garçons qui me font la cour, au moins pas avant qu'ils ne m’intéressent plus. Quand on est côte à côte, c'est mauvais pour moi, parce qu'Edith ne peut pas se comporter autrement, tenir compte de moi et ne pas flirter avec tous. « J'en tire la conséquence » comme disait maman dans son adolescence, mais ne romprai pas avec elle, je ne vais pas me refroidir. Je savais toujours qu'elle était égoïste.

Marthe, mon amie de Kolozsvàr, a un petit garçon. Le premier bébé de mes amies ! Que j'étais ravie qu’elle m'ait laissée bercer son fils, le tenir dans mes bras et même le sortir dans le jardin.
Aujourd’hui, je suis encore plus heureuse, parce qu'Alina est enceinte et le laisse cette fois-ci. Elle aura son bébé en mai, je l'attends avec impatience. Il sera comme mon premier enfant.

20 septembre 1957, Bucarest

Aujourd’hui je le lui ai dit. Il a bien réagi et a proposé qu'on ne se rencontre plus pendant quelques jours, un certain temps. Je l'aurais voulu, moi aussi, mais j’ai eu de la peine pour lui. Je n'ai pas osé. Que faire ? Est-ce de ma faute s'il me laisse d’un coup tout à fait froide ! Je commence même à sentir une répulsion. En même temps, j'ai des regrets (pitié ?) Et puis, je n'ai personne d'autre. C'est difficile de savoir que faire. Mais... Je dois en parler avec Alina.

Je savais que ce serait moi qui en aurais assez la première, mais je croyais que ça serait facile pour moi. C'est vrai, je ne « souffre » pas, mais c'est pénible. J’ai honte. En réalité, je lui ai menti ce soir : en ne lui disant rien. Si, je lui avais dit. Mais alors, pourquoi l'ai-je rappelé au téléphone?

Je suis provocante, torturante, méchante. Et je n’ai pas la conscience tranquille. Je suis mauvaise. Bert a été accablé, Bandi est torturé, Simon va l'être aussi, probablement. Et moi, pas. C'est vrai, j'ai eu de la peine, moi aussi, à cause de G. et de Moïse, mais pas trop, c'est passé assez facilement. De toute façon, je ne les connaissais pas, c'étaient seulement des béguins de jeunesse.

Ne deviendrais-je jamais vraiment amoureuse ? (mais sans souffrir.)

J'espère que l’amour réciproque existe. Même si la triste vérité est (il paraît) que l’un aime toujours davantage que l'autre.

Je viens de voir une bonne pièce de théâtre, comme un morceau de vie. Je voudrais déjà connaître mon mari ! J'espère, que ses baisers ne me laisseront jamais froide. Je l'espère, beaucoup, en craignant. Eh bien, bonne nuit !

En revenant, Simon m’a raconté aussitôt, que Edith l’a appelé pendant mes vacances, ils sont allés se promener et se sont embrassés.

19 Sept. 1957

Simon dit qu'il m'aime beaucoup, vraiment. Je sais, je le sentais depuis mon retour. Pas par ce qu'il dit, mais par ce qu'il ne dit pas. Il n'ose plus me presser, et il ne pense plus à me demander davantage. Il n'ose plus. Moi si. Et pour la première fois, il pense sérieusement à se marier avec moi. Hélas, je me suis tout à fait éloignée. Je suis froide comme une glace.

ça m'énerve malgré tout quand il commence à me parler de ses maîtresses (indirectement), quand il est fâché contre moi, tant pis. Je l'aime bien comme un copain, mais déjà pas beaucoup plus qu’Eugène. Simon a l'avantage de m'aimer et me le dire, je suis donc gentille avec lui et je lui permets de m'embrasser, mais je ne sens plus rien[1], absolument rien pendant ses baisers. Au contraire. Je ne le laisserai plus m’embrasser par lui.


[1] En revenant, Simon m’a raconté aussitôt, que Edith l’a appelé pendant mes vacances, ils sont allés se promener et ils se sont embrassés.

14 septembre 1957, Bucarest

Les grenouilles ne sont plus là, elles ne restent plus que sur la photo de mon enfance. À leur place, j'ai retrouvé dans la salle de spectacles une fille, collègue de travail et j’ai rencontré aussi un homme, Radulescu, nous avons décidé d’aller en excursion ensemble. Comme la fille n'était pas venue au rendez-vous, je suis partie vers le lac Sainte-Anne seulement avec lui...

C'était merveilleux ! Le lac est beau de haut, de près, de partout, mais le plus beau c'était de l’intérieur, du milieu ! L'eau était tiède, un peu plus froide en profondeur, propre, transparente, c'était un très grand plaisir d'y nager. Je suis entrée avec une planche jusqu’où c’était profond, ensuite j'ai nagé. Toute seule. C’était une grande aventure. Dans l’énorme lac, il n'y avait personne d’autre que moi. Des gens restaient autour.

C'est un grand et bel endroit, mais dommage qu'il n'y ait pas de forêt autour, seulement des montagnes et que les rives du lac soient négligées, elles étaient jonchées de papier sale et d’ordures. Je me suis bien débrouillée, j’ai réussi à recevoir des bons de cantine pour les deux jours de mon séjour. Nous avons eu du beau temps... Le lendemain j'ai été à la roche Corbeau et à midi je partais déjà.

D’un coup, le désir de retourner m’a prise et je suis rentrée chez moi.
J'aime bien ma chambre, elle fait partie de moi. Il fallait revenir.

J'ai déjà commencé à étudier, c'est cela qui est maintenant le plus important. Et de ne pas me laisser faire : habituer Simon à ce que je puisse aller au cinéma ou dans la rue aussi avec d'autres garçons. Ou au théâtre, avec Sandou. Simon aime seulement les films. Je revis avec plaisir Simon, mais je me sens refroidie. Tout le monde dit que j'ai bonne mine. C’est vrai, j'ai enfin grossi un peu, je suis reposée, bronzée et je me suis tout de suite occupée de mes cheveux.

Le soir
L’étoile entre par ma fenêtre et veut me conquérir ! Comme si elle était là juste pour ça. Mais j’éteins la lumière, elle me manque. Que me veut-elle ? L’étoile est devenue d’un coup toute petite et brille tristement, elle a compris, elle se rend compte que je ne viendrai pas . On ne peut pas oublier Sébastien, son héros de la pièce L’étoile Inconnue, dit: “Les étoiles ne s'écartent jamais de leur chemin !” C'est vrai aussi dans la vie. Bonne nuit.

Oh, j’éteins rapidement la lumière, j'ai envie de revoir mon étoile.

C'était la première fois que je partais seule en excursion
et j’ai prouvé que je savais me débrouiller.

(Sandou jouera un rôle important plus tard dans ma vie)

Sovata-053

photo 2005 des "villas" des environs

Tusnàd

8 septembre 1957
Quelle atmosphère grandiose! Les énormes sapins comme des sentinelles, solides et sûres produisant un tel sentiment de tranquillité, ordre et solidité. Aujourd'hui enfin il a fait beau. Je suis partie, seule à la Caverne des Ours. Un groupe nombreux y allait justement aussi. Sur la route, j’ai rencontré deux garçons de Szeben, j'ai continué avec eux. L'un jouait sur son harmonica, l'autre bavardait. Nous avons continué vers la Cave Gelée, puis passés devant des sources. Nous y avons fait un peu de bain de soleil et cueillis des framboises. 

Cette forêt autour de Borszék donne tant de tranquillité, les sapins, l'air pure, les eaux. Ici on peut vraiment guérir !

J'ai mangé dans la cantine. L’après-midi j’ai lu, puis j’ai dormi un peu. Je m’en vais danser, ils m’attendent tous les deux. Ils m'ont aussi photographiée, j'espère qu’ils m’enverront les photos.
9 sept. 1957
Je suis arrivée à Tusnàd les Bains. Pendant les trois heures de la route dans le bus, le garçon assis vis-à-vis de moi m'a regardée fixement, sans me parler, mais quand on est descendu du bus, il m'a dit qu'il voudrait me rencontrer à Bucarest. 

Si maman n’avait pas été si prévenante et si elle n'avait pas réservé d'avance, je n'aurais pas eu où loger, mais ainsi j'ai eu une belle chambre dans un coin agréable. Pour le moment Tusnad me déçoit, ne me rappelle pas les beaux souvenirs de mon enfance. J'attends avec impatience de revoir les grenouilles en pierre de ma photo d'enfant.

En fait, la grenouille était à Sovata, pas à Tusnad, et non, il ne s'y trouve plus.

Borszék

petite maison (2005 photo) mais les mêmes sapins sont là qu'alors

7 septembre 1957

Que Borszék est différent ! Tranquillité, bon air, logement agréable, c’est vraiment un lieu de repos. Confort, et plein d'endroits pour excursions, mais faciles et près, d’énormes sapins majestueux, de très bonnes eaux minérales diverses (d’où son nom.) Silence. Bien sûr, pas absolu. Hier après-midi, je n'ai pas pu m’endormir à cause de la radio d’un voisin, mais maintenant, à travers ma fenêtre ouverte j’entends seulement les chants des oiseaux.

J'ai essayé d’acheter un livre pour étudier, mais je n'ai rien trouvé, pourtant ici je pourrais bien bosser. Je suis donc obligée de lire les romans policiers à ma disposition. J'ai un peu mal aux yeux, mais dehors il pleuvote, quoi faire d’autre ? Je suis devenue paresseuse même pour écrire.

Aujourd'hui j'ai dîné sans payer ! Dans une très bonne cantine, quand j'ai raconté que je n’avais réussi à trouver à manger nulle part. Autant je me sentais misérable avant dîner, (j'étais entrée en vain dans un restaurant après l'autre on ne voulait m’accepter nulle part[1]), autant j'ai été de bonne humeur après. Et maintenant même le soleil brille de nouveau !

Je suis assise dans le jardin parmi les fleurs, dans un fauteuil agréable avec une couverture sur moi et je lis, j’écris. Á bientôt, mon cher journal, ici, tu es le seul avec qui je peux parler, à qui je peux tout raconter.

[1] C’étaient des restaurants d’entreprises n’acceptant que ceux « reparties là »

Borszék environs


On the road again
par Julie70.
going away from Borszék, still beautifull old forests
en 2005 juin

Borszék

6 septembre, 1957

Je ne suis pas entrée chez le photographe, il avait fait trop d’allusions salaces. Par contre, j'ai très bien dîné dans la cantine d’une entreprise pour seulement cinq lei, (argent roumain, équivalent au franc) dorénavant j’essayerai de manger ainsi. Ensuite j'ai rencontré dans le club le garçon du bateau, lui et sa copine m'ont raccompagnée jusqu’à la maison et je lui ai donné le reçu pour qu'il prenne mes photos. J’ai dormi seule dans la chambre des filles, j'ai lu.

À six heures du matin, j’étais déjà dans le bus et à sept heures j'étais arrivée à Borszék. Je suis restée indécise juste un moment, ensuite j’ai commencé à agir. J'ai demandé à la fille du Bureau des Répartitions si elle connaissait une chambre. Elle m'a orientée vers Villa Violette où je suis. Un petit pavillon tout blanc et amical à côté de la forêt et surtout, d’un aspect très propre. Enfin, j'ai un lit confortable avec un duvet, une armoire et de l'eau chaude (même avec une salle de bains que j’ai le droit d’utiliser). Une petite chambre pour moi toute seule. En plus, par terre dans un grand tas, plein de livres policiers !

Il pleuvote. J'espère que bientôt le soleil ressortira et que demain le temps se réchauffera un peu. Lavée de la tête aux pieds, je suis couchée entre des draps propres et bientôt je dormirai. Cette villa me rappelle sans cesse, celle de la pièce de théâtre Jeux de Vacances de Sébastien.


[1] Équivalent à l’Office de Tourisme, mais on y venait comme envoyé par le syndicat, et c’est là qu’on répartissait qui va aller où. Peu venaient comme moi, touristes.

5 septembre, 1957

Qu'est-ce que j'ai fait l’après-midi ? J'ai été au Club, j’y ai flâné et fait la connaissance d’André Grand, un bel ingénieur hongrois de Marosvàsàrhely de 27 ans : c'est la propriétaire de la villa où j'habite qui l'a envoyé vers moi, puisqu'il est seul, lui aussi. Il m'a prise avec sa moto vers Békàs, nous sommes juste avant le crépuscule. J'ai dîné, ensuite je suis retournée au Club (seule), il y avait justement un concert. J’y suis restée un peu, j'ai dansé avec trois ou quatre garçons, ensuite, comme j'ai eu l'impression que Grand était rentré pour un instant, je suis partie le retrouver vers la maison.

Justement, la milice était là et lui demandait ses papiers.

Pendant la plus grande partie de la nuit j'ai imaginé plein d’hypothèses, je n'ai pu m’endormir qu'à cinq heures, à l'aube.

Ce matin, André m'a réveillée à huit heures et nous sommes partis vers le Mont Suhard, nous y sommes arrivés en 50 minutes. Nous avons rencontré là un jeune couple en voyage de noces et nous les avons photographiés. Vers midi nous sommes descendus, je me suis séparée de lui et je suis allée au lac avec le garçon avec qui l’on s’est promené hier en bateau. J'ai nagé dans le lac (avec un costume de bain prêté). L’eau reste toujours très froide, mais nager entre les pics sortant de l’eau, restera un souvenir intéressant.

Après un repas froid, j'ai fait la sieste enfin sur un bon lit, différent (et propre). Tout le monde est extrêmement sympa avec moi.

Je vais à la poste et, peut-être, aussi chez le photographe, qui m'avait invitée. Demain je continue vers Borszék.

Gyilkosto 073


Gyilkosto 073
par Julie70.
There was one time a forest there, one can see the top of the trees still and go around with a rented boat. Transylvanie, Romania
Photo fait cette année, le juin, mais je suis entrée dedans quand j'avais 23 ans.

4 Sept. 1957 en voyage

Que c'est bon de voyager ! Seule, d’après mon envie, ma tête. Que c’est bon d’être un peu bohème, flexible, savoir savourer des choses inhabituelles !

Hier, arrivée en train à Gyergyöszent à cinq heures de l'après-midi, le bus était déjà parti depuis une heure. Si j'étais allée au centre, j’aurais pu prendre un taxi ou alors dormir dans un hôtel, mais je l’ai appris seulement le lendemain. Telle quelle, ce qui me restait c’était d’accepter l'invitation de madame Farragos, l’épouse âgée d’un cheminot, (60 ans.) J’avais fait sa connaissance dans le train en lui offrant des biscuits.

C’est une maison de village bizarre, avec une odeur pénétrante de vieux fromage (ou saleté) comprenant une cuisine et une chambre, dans la cour un cochon, une vache, deux oies, des poules et un petit chat. Son mari partait justement : il s’est levé du lit où il dormait habillé dans ses vêtements noirs de charbon, comme s’il était à peine revenu de son travail et la maison est restée à nous deux. J’ai reçu des bonnes patates cuites, j'y ai ajouté des tomates et du pain, elle a fait bouillir du lait et j’ai ajouté mes biscuits. Nous nous sommes couchées dans leur grand lit, avec les draps que son mari venait de quitter. Au début, je n'ai pas pu m’endormir à cause de l’odeur pénétrante, mais c’était intéressant. Je me disais, que ferait ma tante si pédante !

Le matin, Mme Farragos m’a réveillée et elle m’a accompagnée presque jusqu’à la place centrale. Après une heure d’attente pour le bus ; j'ai eu une bonne place, la route était très belle et à huit heures de matin j’étais déjà ici, à Gyilkostó, le fameux village de vacances avec le lac du même nom “Le lac qui tue”. A

u début, il ne me plaisait pas. Tu ne dois pas trop espérer d'avance, sinon tu seras déçue. J'aurais pu aller à deux excursions organisées, mais finalement je suis partie jusqu’au lac pour me baigner toute seule. L'eau était sale et froide : “je n'y entrais pas !”

Je repartis. Devant moi un groupe. Je demande à deux filles :
- Où allez-vous ?
- Nous faisons une promenade jusqu’à la rivière Bihàz.
- C'est à combien?
- Environ une heure.
- Allons-y !

D'abord, j'ai marché seule, ensuite avec un homme inconnu, le photographe qui nous a photographiés. Ensuite il m'a amenée avec une chouette moto jusqu'à la rivière (deux kilomètres) et de retour jusqu’à Gyilkostó. Je lui ai plu, bien sûr (il a quarante ans et il est gros), il m'a déposée au pont où je le lui avais demandée de me laisser : au revoir !

Justement, le garçon près de qui j'étais assise dans le bus passait par là.
- Où vas-tu ? veux-tu aller te baigner dans le lac Gyilkostó ?
- Allons-y !

Le lac était trop froid et presque noir, mais nous avons pris un bateau et pendant une heure nous avons ramé un peu partout. C'était très beau. L'air est fort ozoné, les troncs des arbres morts sortent de l'eau partout et l’on doit ramer entre eux (de là vient son nom Lac meurtrier.) L’eau est vert foncé et tranquille comme un miroir, on peut tout voir dedans : les troncs qui sortent se reflètent dans l’eau et apparaissent comme des bardes.

Sur le bord du lac, un chien gris nous gardait : un chien de rocher. Nous avons pique-niqué au bord du lac. Déjeuner, puis enfin je peux écrire. J'ai froid. J’essaierai de faire une petite sieste, mais je ne suis plus fatiguée. Demain matin je voudrais monter au mont Suhard, je verrai avec qui.

2 septembre 1957, Cluj (Kolozsvàr)

Demain, je repars. Je ne regrette plus d'être venue ici : j'ai réussi.

Chaque fois que j’arrive dans ma ville natale, la ville de mon adolescence, elle me donne un grand cadeau, et voilà de nouveau je repars avec une confiance agrandie. Je suis redevenue sûre de moi ; plus gentille ; et une vraie “demoiselle”. J’ai plu à tous les garçons que j’ai rencontrés telle que je suis, je leur ai paru fort sympathique. Tout le monde m'a dit que j’avais du charme, une silhouette extra, une très bonne mine et, ils ont même prétendu que je suis jolie. Dans la société des garçons bien, ils se sont comportés avec moi comme avec une jeune fille bien. Et cela leur a suffi.

(Je ne l’écris pas, mais je le pensais :
« Ils n’avaient pas de prétentions d’aller plus loin, comme Simon. »)

26 août 1957, Kolozsvàr

Mon Dieu, quoi faire, dis-moi, quoi ? Mes vacances ont mal tourné.

Demain je repars. N'importe où ! Même à Bucarest : Édith et Simon sont là. La piscine, le lac et ma chambre aussi, mon cher chez moi. Je ne reste plus chez ma tante, une journée !

Il serait difficile de quitter les copains que je viens de rencontrer. Aujourd’hui, j’aurais voulu revoir Etienne, le cousin de maman travaillant à la bibliothèque Académique de Cluj.

Malgré tout, je partirai, retournerai chez moi. Non, ce serait encore mieux d’aller me balader à Gyilkostó et à Tusnad. N’importe où ! Ailleurs.

Et je partirai seule. Ce sera, comme ce sera.

Si je m'ennuie quelque part, je continuerai, tant que j'aurai de l'argent. Je trouverai quelque chose dans ce beau pays pour me reposer, tranquillement. Je partirai avec très peu de bagages pour pouvoir les porter moi-même. Ne trouverai-je pas de la compagnie ? Et pourquoi pas ? Je verrai de nouveau endroits, je ferai de nouvelles choses.

Je ne supporte plus de rester ici, avec toute cette atmosphère nerveuse autour de moi. Maman, papa, oncle et même ma tante ! Aucun d’eux ne peut avoir des bonnes vacances, l’un à cause de l'autre. Moi, je les quitte. Je vais m’occuper des billets dès cet après-midi.

Les garçons rencontrés à Kolozsvàr disent que je danse à merveille, le restaurant où nous sommes allés danser avait une délicieuse ambiance. C'est chouette d’avoir rencontré tant de garçons ici : Pierre, François, Jean, Nicolas. C’est à cause d’eux, que je suis encore là. Á la montagne, je n’avais pas rencontré un seul garçon.

Papa me promettait tout le temps qu'il viendrait m'accompagner : “attends encore un peu” et bêtement, j’ai cru qu’il voulait vraiment partir avec moi, bien que maman m'eût avertie dès le début qu’il le promettait seulement et qu’il ne viendrait pas. Je m'en vais. Je ne dérangerai plus personne, n’énerverai plus personne ! Ils n'auront pas l'occasion d'être fâchés à cause de moi, d'être capricieux avec moi. Je ne serai pas là, fini.

Surtout, ne plus rester ici !!!

Je ne me languis plus de Simon, il ne m’intéresse plus. Combien les garçons sont mieux (plus sérieux) dans ma ville natale. Je commence à comprendre pourquoi Édith a rompu après ses vacances. Mais je ne vais pas rompre tant que je n'ai pas trouvé quelqu’un d’autre ou ailleurs. Quelqu'un qui comprendra que je suis une fille sérieuse et qui me fera la cour comme on la fait aux jeunes filles « bien ».

For keyboard shortcuts, press Ctrl with: B = Bold, Je me sens mal dans ma peau et je suis triste. Pourtant cette après?midi j’irai voir un bon film avec François et puis éventuellement dîner avec ma tante.

Ensuite, partir ! Je ne demande rien de personne, juste qu'on me laisse en paix. Mais ils ne sont pas capables. Alors, je pars. Quel repos avec de tels énervements !

Je vais me marier rapidement, m’en aller de cette famille que je ne supporte plus. Il ne me faut pas beaucoup d'argent, gagner bien, juste un homme sérieux qui m'aime. Hélas, c’est ce qu'on trouve le plus difficilement. Difficile de le rencontrer, je suis pourtant sûre qu'il y a beaucoup de garçons qui aspirent à trouver une fille comme moi.

Je sais avoir de la compassion : cela deviendrait-il ma perte ? Hier j’ai plaint aussi Nicolas. J'aimerais moi aussi, de temps en temps, avoir quelqu'un qui me gâte, qui sente avec moi. Ce serait bon d’avoir quelqu’un pour me caresser, me gâter. En réalité, Simon a été pour moi un certain refuge. Je m'échappais vers lui de tout ce qui se passait autour de moi, entre mes parents . Je me sens tellement abattue.

Il y a quelques jours, j'ai entendu un fantastique concert d’opérettes, j’ai eu un énorme plaisir de les écouter. La sonate Kreutzer doit être bonne, quand c’est bien interprété. Comme il serait bien de pouvoir vivre à Kolozsvàr ! Bien sûr, dans mon propre logement, pas sur le “dos” des autres.

Un phrase sur la tyrannie

Je ne le recopie en entière, mais voilà quelques extraits traduits par J.Follain, ce poème recopié alors dans mon cahier, malgré que je savais ce que je risquais si on le trouvait là. Ces mots m'ont profondément choqués alors et peut être à partir de là, definitivement changés aussi. Changement qui venait déjà, était fini, enfin.

Une phrase sur la Tyrannie
de Illyés Gyula


Là où il y a tyrannie
tyrannie il y a
pas seulement à la gueule des fusils
pas seulement en prison

il y a tyrannie pas seulement
dans les chambres d’interrogatoire,
ni dans la voix de la sentinelle
criant dans la nuit

pas seulement dans les nouvelles
chuchotées avec peur
à travers des portes
furtivement entrouvertes;

pas que dans le doigt devant la bouche
qui veut dire: tais-toi
il y a tyrannie, tyrannie encore;

il y a tyrannie non seulement
dans les acclamations, debout, rugis
dans les hurrah, dans les chants,

là où il y a tyrannie, tyrannie il y a
non seulement dans les mains
qui applaudissent inlassablement
pas seulement dans le bruit discret

d’une voiture qui glisse dans la nuit
dans : elle s’arrête devant quel portail?
là où il y a tyrannie elle est présente
partout, plus que ton dieu d’autrefois,

il y a tyrannie dans les crèches,
les conseils du père
les sourires de la mère
les réponses d’un enfant à un étranger

car tu n’es plus seul
même dans tes rêves,
elle est au lit nuptial,
même plutôt que le désir

quand tu parles en toi-même,
c’est elle, la tyrannie qui interroge,
tu n’es plus libre
même en imagination,

elle pénètre au plus profond
jusqu’à la moelle de tes os ;
tu voudrais réfléchir, mais seuls
te viennent à l’esprit ses propos

tu voudrais regarder,
mais tu ne vois
que ce qu’elle te montre
déjà tout flambe autour de toi,

là où il y a tyrannie
chacun est maillon de la chaîne,
elle t’enveloppe de pestilence
toi-même es tyrannie !

J'ai beaucoup réfléchi, le recopier ou non. Mais finalement, si je ne le faisais pas, cela signifierait que le poème a complètement raison. Je ne le crois pas, je n’en suis quand même pas arrivée jusque-là. Ilyes voit bien en pas mal de choses, pourtant...

De toute façon, c’est formidable, grandiose et surprenant, un des plus grands poèmes de tous les temps. Au moins, je l’ai ressenti ainsi quand je l'ai lu pour la première fois. Son impact s'est un peu dissipé et depuis, je le trouve moins beau.

Test

A partir de maintenant, on peut ajouter à Blogger directement des images de notre ordinateur, et même déterminer la mise en page. Hurrah!

N'empêche, que la site Flickr reste un lieu à fréquenter et une place de rencontre de choix.

C'était surtout pour tester, la nouvelle possibilité, mais il y a longtemps, quand j'écrivis ce journal, à 23 ans, et non pas bientôt dans ma 72ième année, les même lieux que je viens de retrouver et parler dans mon blog principale étaient parcourus par moi et vont suivre être décrit ici, comment je les avais vécu alors.

18 août 1957, Colibita

C'est étrange, les vers du Toi et Moi de Géraldy me paraissaient merveilleux à Bucarest, lus dans mon lit, mais les mêmes vers paraissent vides lus à Irène dans un pré plein de fleurs entouré de montagnes. Vont-ils me plaire encore ? Ou bien, le speaker de la radio qui affirmait qu'ils ne valaient pas grand chose avait-il raison ?

Pourquoi me suis-je querellée avec ma cousine que j’aime tant ? Nous avons été toutes les deux bêtes, nous nous sommes enflammées trop vite. Et quand elle m'a frappée, j'aurais dû le lui rendre moralement et pas comme je l’ai fait : je l'ai presque frappée comme si j'étais encore une enfant moi aussi. (Elle a treize ans). Je ne me sens pas encore tout à fait adulte, c’est vrai aussi. Si la différence d'âge entre nous était plus grande et si nous étions moins amies, cela ne serait pas arrivé. J'aurais dû m’arrêter de jouer quand elle s’est énervée n’aimant pas perdre, mais j'adore jouer au Monopoly et ça marchait si bien pour moi que je n'ai pas pu me décider. Elle ne l’a pas supporté. Je ne devrais pas être une joueuse aussi passionnée, non plus.

Comme mes cousines sont devenues resplendissantes ! Agnès est piquante avec ses magnifiques cheveux auburn et ses petites taches de rousseur, Mariette est belle avec ses grands yeux noirs et ses longues nattes noires, magnifiquement bronzée. Je voudrais bien avoir des enfants belles comme elles! Mais... gentils et sages comme le fils de Claire.

Avant-hier, nous avons été avec Claire et son fiston à la “Tête d'Ours”. Belle vue, air agréable et quelles odeurs ! Qu’il serait bon de prendre un peu d’air de la forêt dans une bouteille et de le rapporter à la maison ! L’air, les odeurs sont si purs, si enivrants dans ces collines ! J’en m’en suis tellement réjouie.

Ces beaux chemins de forêt me ravissent, ils me rappellent quelque chose... Quoi ? Mon enfance, les promenades avec mes parents sur les petits chemins à Commando. Et ma cousine Poussin, mes grands-parents du village forestier...

J'ai aperçu hier devant l’hôtel un beau garçon, “mari possible”. Je n’ai pas fait sa connaissance et je ne le connaîtrai jamais, il est reparti avec sa moto. Si j’étais sensée, je devrais me marier avec un homme moche, mais je n'arrive pas à me décider. C'est vrai, le premier garçon dont j’étais entichée (Moise) n’était pas beau, mais...

9 août 1957

Dans ce chalet, il y a une agréable atmosphère à la Villa Wagner de la pièce de théâtre de Sébastien. Je me repose. Seulement Stéphane et Jeff manquent, mais je ne ressemble guère à la belle Corinne, l’héroïne, non plus. Ce serait quand même pas mal d’avoir quelques jeunes autour.

Que c'est bon !

Ne plus être à Bucarest, ne pas devoir aller travailler jour après jour ! Ne plus se réveiller dès l’aube et surtout n'être pas obligée de prendre le tramway bondé des gens se bousculant. Quand j'y pense, je sens encore davantage combien je suis bien ici. Hum. Mon chef, le tramway... Plus tard je retourne, mieux il sera.

Subitement je me sens si lasse, même le crayon tombe de mes mains ! Comme s’il était tard dans la nuit… La matinée nous nous sommes amusés à nous raconter des histoires : “Griffes jaunes dans les cheveux noirs... ”

8 août 1957

Avant-hier, je me suis “reposée”. Nous avons visité la colline César seulement l'après-midi. Nous n'avons pas eu le temps d'arriver jusqu'au sommet, mais en descendant nous avons vu un inoubliable coucher de soleil. Une forêt peinte en rouge jaune et un cercle de feu de nuages dorés au-dessus.

Hier, nous sommes partis faire « un grand tour » (avec Claire et son gamin.) Nous sommes allées jusqu'au bout de la ligne en petit train, puis nous sommes retournés à pied par la montagne, en suivant le ruisseau. Nous sommes arrivés à travers la forêt au premier "Estena" que j’aie jamais vu, la maison des bergers. Ils arrivent au printemps pour garder les moutons et restent là jusqu'à l'automne. L’Estena était en bois, avec un toit en bois, le sol en bois. Tous les meubles sont en bois : la chaise, le lit et la table de même. Á côté de la porte (en bois), le feu de bois flambe à l'intérieur. Au-dessus du feu, un grand chaudron noir pour faire la polenta qu’on tourne avec une énorme cuillère... en bois. On ajoute du fromage, puis on la sèche sur un morceau de bois. Sur le mur une énorme fourchette en bois et à côté le manteau du berger noir et un chapeau noir brillant de graisse. Tous les bergers sont habillés pareil, avec des bottes noires, un pantalon “blanc“, une chemise “blanche”, une ceinture très large, un chapeau noir et une veste grise. C’était très intéressant.

Nous avons continué sur la route des fraises des bois et des mûres, le soir six chiens ont menacé de sauter sur nous. Continuons. Forêts, champs, point de vue, en bas, en haut, en bas, en haut. En dix minutes, nous avons cueilli un grand tas de cèpes, ensuite nous avons rencontré un autre Estena tout à fait ressemblant au premier. Nous avons fait des photos, puis nous avons déjeuné, en ajoutant à ce que nous avions le fromage reçu au premier Estena et le jus de fromage reçu au deuxième. Les bergers ont été bien sympathiques, surtout, après les avoir pris en photo... Ils appellent leur patron “l’Oncle”, tous travaillent pour lui.

En continuant notre route, il paraît que nous sommes tombés sur des traces d’ours. C'était une excursion très longue mais fort belle. Vers le soir, nous sommes enfin arrivés à César, là où nous étions avant-hier. Nous avons pris alors une route différente, inconnue et plus dure à passer et nous sommes rentrés seulement le soir à 9 heurs. Je pourrai passer maintenant sans problème les épreuves sportives de sauts d’obstacles ! J'ai sauté au﷓dessus des ravins, de l'eau, des haies, des arbustes ; j’ai grimpé, descendu, couru et le tout avec un sac à dos.

Aujourd’hui je me repose. Je lis, je bavarde et si le soleil apparaît, je me bronzerai. Déjà mon nez est tout rouge.

6 août 1957

J’y suis. Enfin à Colibica!
J'ai bien voyagé tout le long. Il s'est toujours trouvé un homme pour me porter ma valise, d'un train à l'autre. Puis un autre. J'ai pris le bus à Beszterce, une jolie petite ville que je n'ai pas eu le temps de visiter.

Tous se sont réjouis de mon arrivée, attention que ça reste ainsi.
Personne n'aime que quelqu’un soit trop à sa charge.

J'ai eu énormément de chance ! Le soir de mon arrivée, j'ai vu un feu de bois, le premier feu de ma vie. C’était merveilleux ! Je ne pouvais même pas m'imaginer qu’un feu puisse être si extraordinaire, plus beau qu'un feu d’artifice. Des rubans dorés, minces, jouant l’un avec l’autre, s'élevaient et retombaient de nouveau. J'avais une folle envie de sautiller autour, de danser une danse d’adoration du feu.

L’atmosphère était très bonne, chaleureuse et amicale.

Le lendemain, je me suis promenée avec ma cousine Mariette (combien elle a grandi !), ensuite je me suis endormie comme une souche - elle m'a fatiguée. L'après-midi, nous avons fait une petite excursion vers les rochers. Les rochers me sont familiers, mon territoire. Après, personne ne m’a crue trop fatiguée pour une autre ballade (même pas moi) et nous avons continué.

Nous sommes montés jusqu’au Rocher Orban. C'était une excursion inoubliable.

Les montagnes d’ici sont rondes, accueillantes et agréables, pas sévères, sérieuses et désertes comme celles de Bucegi, les seules que je connaissais jusqu’à maintenant. Là, il y avait une autre sorte de beauté majestueuse. Celles-ci, sont agréables, chaudes.

Après une heure, nous sommes arrivés sur une colline pleine de framboises, je n'en avais jamais vu autant ! Les framboises fraîchement cueillies ont un goût tout à fait différent. Quand nous ne pouvions plus manger, nous avons continué notre route... en ne cueillant plus qu’un grain ici ou là sur le chemin. Deux heures et demie plus tard nous sommes arrivés au sommet. J’y ai mangé pour la première fois des mûres. Sans me déplacer, j’ai mangé assez pour pouvoir assouvir ma faim!

Nous avons allumé un petit feu et grillé du lard que nous avons dévoré avec bon appétit avec des champignons fraîchement cueillis. Les enfiler sur une baguette sans qu’ils tombent est tout un art, il faudrait que je l’apprenne, moi aussi, tout comme emporter avec soi tout dans un petit paquet.Nous sommes descendus par un autre chemin, sur l’arête et les rochers, sur la pente des fraises de bois énormes et sucrés. Une petite pluie nous a attrapés sur le « Chemin des bêtes », Encore un trot pour aller dîner à la maison de vacances de Claire (l’amie de ma tante) et j'ai dormi comme une souche jusqu'au matin.

Quel air formidable ! La forêt sent si fort, si bon ! Je suis encore enivrée de tout ça.

Je me suis rappelée quand même souvent Simon. Il ne me manque pas (si, un peu) mais je me rappelle comment c’était ensemble. Je voudrais qu'il pense à moi au moins autant que moi à lui. Sébastien avait raison ! Dans sa pièce de théâtre le Jeu des Vacances Stéphane, le héros principal, est parti en vacances seul, les femmes ne l’intéressant plus : il ne voulait aucun souci pendant son temps libre, aucun problème pour l’énerver ou l’inquiéter.

Se fâcher, se réconcilier, tu veux ceci ou cela, tenir compte de l’autre, faire attention, que c'est fatigant. Non ! Plutôt s'ennuyer !

Je suis fatiguée d’avoir trop mangé hier soir et puis il ne fait pas assez chaud ici pour bien me reposer. C’est le seul problème. Il vaudrait mieux aller habiter au chalet, comme mon oncle m’a conseillé, j’y verrai aussi plus de gens. Après notre départ d'ici, il me restera encore deux semaines entières de vacances et j’aurais un tas de choix. J’ai déjà deux propositions : aller en moto à Fogaras et camper à côté de Chaude Szamos ou à la mer avec papa. Je pourrais aller à Tusnad avec maman ou à Predeal avec Alina. Ou retourner à Bucarest et être de nouveau avec Simon. Plein de choix formidables !

Comme je voudrais le revoir ne serait-ce que pour cinq minutes !