« Que cherchent-ils chez nous ? »

25 avril11997

À la sortie de la messe, il ne restait plus dans l’église froide, difficile à chauffer, que les acteurs principaux. Monsieur Savoyard, l’organiste de la paroisse, rangeait sa musique en haut, se préparait à descendre sur l’escalier spirale étroite pour discuter de l’entretien et accord nécessaire rapidement du vieux l’orgue fatigué. Les deux sacristains, l’un ancien militaire et l’autre femme de garagiste, s’affairaient dans la Sacristie pour ranger les fleurs, coupes, tissus.

Père Brodard, le nouveau curé, debout près de l’entré dans sa robe, discutant avec les uns et les autres sortants, répondant de son mieux à ceux qui venaient chez le serviteur, le représentant de Dieu pour réconfort.

L’épouse de l’organiste attendait patiemment, un peu à l’écart. Elle avait assisté à la messe, avait écouté le curé, regardé les sacristains. Assise près de son mari en haut, elle lui signalait quand il devait commencer le prochain chant, quand il devait arrêter le morceau joué puisque le collecte d’argent était terminé. Elle trouvait la messe intéressante, mais forte lourde. Elle se sentait loin, éloignée de tout ça.

Le curé était enfin seul. Elle s’approcha un peu plus.

- Alors, ça va ?

- J’espère que ça était, cette fois-ci. Je sais qu’une fois, il s’était trompé du chant.

- Non, non, j’ai chanté un morceau pas prévu dans le programme. Décidé ce matin.

- Avez-vous le programme pour la semaine prochaine? Cela aidera si François pourrait répéter les morceaux.

- J’ai certains chants prêts, mais pas tous. Ils sont aux presbytères dans ma petite ville. Pourriez-vous venir les prendre ? Savez-vous où ça se trouve ?

- Oui, nous y sommes allés, il y a deux semaines. Nous avons bu un café, à côté de la gare.

- Quelle impression vous a fait ?

- Je me suis sentie indésirable.

- Indésirable ?

- Les gens, probablement en agissant après avoir entendu mon accent fort…

- On vous comprend bien.

- Ils ont tenu des propos racistes, xénophobes. Est-ce ainsi dans ce village ?

- Il y a beaucoup d’étrangers. Chez nous, dit alors le curé. Dans notre maison, entrés sans avoir frappé à la porte, sans qu’on leur ait demandé d’entrer. C’est normal qu’on n’aime pas les gens « intrus ».

- La plupart sont venus travailler, faire des tâches que les hôtes ne voulaient pas, qui leur répugnait à faire.

- Mais trop entre eux sont venus sans qu’on les invite, répond le curé.

Il parlait « des indésirables. »

« Ai-je jamais été invité dans cette église? Qu’est-ce que j’y cherche? » pensait madame Savoyard, pas catholique et ne se sentant d’un coup pas française, non plus, malgré ses quarante ans de travail en France, son passeport français, son mari et ses enfants français.

Qui les avait invités? se demandait-elle, d’un coup.

Ils sont venus en quête d’une meilleure vie comme tant d’autres. À l’époque, ce n’était pas trop dur. Qui a invité le père d’Yves Montant, qui a invité Sheila, qui a invité Brel et les autres?!

Monsieur Savoyard est descendu et entendant la discussion, il intervient. Il se rappelait, lui aussi de ces propos blessants, le blessant. Il n’a pas entendu par contre les arguments du curé qui parlait presque comme eux.

Madame Savoyard ouvrait plus facilement ses portes, accepta plus aisément la différence. Cela était normal, elle est pas mal voyagée, vécue dans les pays différents, elle a vu des mœurs différentes. Il y avait des meilleurs et des pires partout Même le rebord pour s’accrocher était tout sale. Les vieilles femmes et hommes ont commencé enfin à sortir, lentement, avec attention.

Les oiseaux ont fait caca sur les marches de l’église. C’est devenu glissant, périlleux d’entrer.

***

Madame ne remit jamais plus ses pieds dans cette église pendant une messe.

De temps en temps, elle venait accompagner son mari qui ne conduisait pas, elle allait au café du coin, le sympa café des turfistes. Là, les conversations tournaient seulement autour des courses.

Elle s’asseyait à côté d’un café à la table de coin près de la fenêtre et elle écrivait sans s’arrêter pendant deux heures. Attendait son mari sortir après que midi est sonné dans la voiture parquée pas loin de l’église.

Elle se souvint d’un Saint, un autre « étranger » venu des siècles avant de Hongrie, son pays natale, saint qui avait construit le premier monastère sur le son de France.

« Oui, mais… va répondre le curé. »

Ce n’est pas la peine de discuter, d’essayer de convaincre ces gens-là.

Quoi ? Ce n’est pas vrai. Comment pouvait-elle utiliser le même vocabulaire ? «Ces gens-là»! « Vous comprenez, ne fait rien comme nous » se rappela-t-elle alors le fameux chanson de Brell.


Au café, près d’église

Bientôt, tout le monde sortira et le grand portail sera fermé de nouveau. Elle restera fermée pour encore deux semaines suivantes. De tout de façon, madame Savoyard n’y remettra plus les pieds pendant la messe.

- Non, ce c’est obligatoire !

- Quoi ?

- Le cendrier.

Le jeune serveur du café revient, un chiffon à la main.

- C’est quoi ?

- J’écris. Des nouvelles.

Il me sourit. Enfin! Le jeune homme à chemise de flanelle à carreaux bleus sort, travers la rue. Belleville c’est le mélange. Il y a encore des juifs, des chinois. De plus en plus de noirs, africains. Moins d’Algériens. Maintenant c’est le tour des polonais, divers slaves.

Les patrons du café sont des Arabes, père et fils. Le fils était allé changer d’argent pour pouvoir rendre le change, c’est lui le jeune à la chemise à carreaux.

C’est une belle samedi après-midi.

Bientôt la réunion de réseau va commencer, dieu sait où, notre salle habituelle est occupée.

- Ici, c’est une réunion, m’avait dit tout à l’heure un homme souriant. Et il a ajouté en me regardant avec un sourire encore plus appuyé : « seulement pour noirs. »

- Merci, jusqu’à quand vous restez ?

- Nous ne savons pas, sept heures de soir, peut-être.

Ont-ils réservé la salle? On verra bientôt. Je croyais que la réunion commencerait à quatre heures. Pas mal de monde passe devant ce café. Deux jeunes chinoises (plutôt de Mongolie ?), un garçon rond avec un tipa sur la tête, des jeunes et moins jeunes, arabes, blancs, de tout, presque tous le visage préoccupé. Pas du tout le même public qui vient se promener ou faire la fête sur Montmartre où j’habite. Je commence à comprendre un peu. François-Pierre doit penser comme moi en regardant ces gens « comment leur rendre l’espoir », l’étincelle dans leurs yeux, comment leur apporter la joie.

C’est seulement nos solutions qui sont différentes. Lutter «contre l’exploitation» comme il le veut, ne résoudrait rien. Une semaine d’euphorie, quelques mois d’espérances, des années de servitude plus dure encore qu’avant suivront, elle le sait déjà d’expérience. C’est tout que le communisme a jamais apporté. Ils font semblant, disent ou contredisent n’importe quoi pour saisir le pouvoir. Tout renverser, rien apporter de bon. Ou alors, tout laisser, re-décorer seulement la vitrine. Où est la solution?

S’unir pour… peut-on s’unir ?

Reconnaître ce qui arrive, la nouvelle société qui change. Lutter pour le progrès, contre l’immobilisme. Lutter dans un terrain qui bientôt comptera de plus en plus, enseigner l’informatique, la communication, parler, écrire. Certains d’eux sont de disciplines anciennes. Il faut les réveiller, actualiser. D’autres, nouvelles. S’y plonger.

Encore dix minutes à attendre.



François était sublime cette après-midi. Pour me faire bouger, venir ici, puisque j’avais hésité, il m’a accompagné. Avec un cahier dans la main. Je croyais qu’il allait rester, lui aussi. Non !

- Que ferais-je là ?

- Bien, à bientôt, François.

- Tu restes longtemps ?

- Deux à trois heures.

- Bien.

J’ai acheté une grande brioche pour la réunion, je suis venue boire un café. Bon café. Il m’a réveillé, m’a donné du courage.

J’y vais. Julie, à l’attaque !

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