Suis-je nulle ?

Je me vois, comme si c'était hier, dans ce café du Ham, buvant du vin et moi du thé, Sandou me dit qu’il ne supportait plus, il ne supportera plus, mes pleurs hystériques.

Oui, chaque fois qu’il me frappait, désespérée, perdue, ne sachant pas que faire, surtout humiliée plus encore que meurtrie, j'éclatais en pleurs hystériques et je ne réussissais pas à m’arrêter, à trembler.

— Ne me frappe plus !
— C’est ta faute, tu me provoques !

Je ne saurais probablement jamais la vérité, comment un “brave garçon” est devenu un tyran. Je ne saurais jamais si l’alcool, les copains de là-bas, la famille, mon “mauvais accueil” à son retour, mon désenchantement face à sa trahison, mon désenchantement face à ses comportements, lesquels a eu le plus d’influence, lequel l’a changé tellement.

Il ne réussit pas tant qu’il avait espéré, tant que mon père. Et alors ? Il n’était pas non plus autant estimé et mon travail allait de mieux en mieux.

— Dis-moi Fan, je demandais son ami, pourquoi Sandou me néglige ? Tu devrais te rendre compte.
— Tu t’imagines seulement...
— Je m’imagine ? Je m’imagine quoi ?
— Qu’il te trompe. Non. Ne crois pas ça.
— Ai-je dit ça ?
— Quoi ?
— Je disais qu’il se désintéresse de plus en plus de moi.
— Pourtant t’es si sympa et bonne. Et sérieuse.
— Oui, peut-être. Mais comment savoir ce que je vaux comme femme ?
— Comme femme ? T’es une femme bien.
— Comme amante. Je n’ai eu que lui, Sandou, mon mari, mon seul amant. Toi, son meilleur ami, tu dois le savoir.
— Et alors ?
— Comment savoir si je suis bonne, aussi comme amante ?
— Ne te soucis pas autant.
— Peut-être que je ne lui conviens pas, peut-être je ne sais pas bien faire l’amour.
— Si tu n'étais pas la femme de mon meilleur ami...
— Mais je suis. Nous sommes copains. Restons-le. J’ai besoin d’un copain. Quelqu’un à qui parler, à qui raconter mes tourments.
— Comme je t’ai raconté les miens. Mais t’inquiète pas, il doit être surtout fatigué par les nouvelles analyses laboratoire à découvrir. Sa spécialité ce sont les machines, pas les éprouvettes. Et maintenant il est obligé à se mettre même à ça.
— Justement, au sujet de labo, il y passe énormément de temps. Je lui ai offert mon aide. C’était normal, c’est ma spécialité. Il l’a accepté, une fois. Depuis, il ne veut pas que j’y mette le pied. Étrange.

Fan se sentait aussi abandonné par Sandou, il a commencé à me raconter de plus en plus souvent de son nouveau copain Pierre, le chef des travaux de bâtiments qu’on faisait dans notre usine.

Seul, séparé de sa femme qui l’avait trompé, Pierre avait de temps en temps quelqu’un, mais se sentait de plus en plus solitaire. Un très bon copain et l’avait pas mal aidé à s’habituer en France, vraiment bon. Sous entendu, beaucoup plus que Sandou.

La prochaine fois, j’ai regardé Pierre avec d’autres yeux.

« Deux enfants, ça suffit ! »

À peine je commence à reprendre un peu de confiance, je tombe enceinte de nouveaux. Bonheur.

Mais mon mari déclare :
— Je n’en veux plus d’enfants. Deux suffit !
— Il serait si bien d'en avoir encore un!
— Pas question ! Tu iras l’avorter !
— Où ?
— Je me renseignerai, je te donnerai une adresse.
Mon cœur saignait, je voulais cette enfant.

D'abord, j'ai eu une crise d'apendicite et il fallait m'opérer d'urgence. Sa maitresse recomanda un docteur à Paris à qui je demandais qu'il me fait en même temps un curétage. Il ne dit ni oui, ni non, mais au lieu de le faire, il m'ouvra au milieu de ventre et me laissa une cicatrice profond et longue en habimant ainsi mon corps, jadis mon plus grand atout de femme.

J'avais mal et de plus en plus de nausées, j'espèrais que mon mari changera d'avis. Mais non. Il m’acheta un billet aller - retour pour l’Allemagne, après avoir trouvé un docteur de Roumanie qui était là et s’occupera de moi.

Aller la nuit, revenir la nuit. Rendez-vous, l’après-midi, me dit-il.
— Tu t’en vas ce soir.
— N’en parle pas à personne que je m’en vais !
— Bien sûr.
— À bientôt.
— Bon, vas-y ! Bonne route.
Avait-il pensé "bon débaras" pour profiter de nuit à la passer avec sa maitresse? J'en suis convaincue.

Bonne route ? J’ai pleuré en allant, j’ai pleuré en revenant.

Plus d’enfants. Que faire ? Je ne pourrais en faire un contre la volonté de mon mari, mais cela saignait mon cœur.

Le lendemain matin, encore faible je reviens et je rencontre dans la cour la jeune laborantine. Elle s’approche de moi, très près, trop près et de haute de ses chaussures pointues elle me regarde d'une aire narquoise:
— Alors, comment c’est passé en Allemagne ?
— Où ?
— Ça bien marché ?
— Quoi ?
— Oh vous savez bien, me dit-elle d'un air suffisant, et vous avez bien voyagé les deux nuits ?
— Je n’étais nulle part.
— Ah, répondit-elle d’un air pincé.
Elle en savait mieux. Elle en avait profité.

Elle est partie rigolant de mon attitude, ne se rendant pas compte en quelle mesure elle m’a heurtée ou ne s’en soucie pas. Sachant pertinemment et voulant me faire savoir qu’elle avait passé ces deux nuits, chez nous, avec mon mari à moi.

Mon mari lui avait tout raconté, qu’ils en avaient discuté d’avance. Il m'avait vraiment trahie.
De rage, d'humiliation, n’ayant plus rien à perdre, j’ai décidé à divorcer.
— Quoi ? Tu t’imagines. Encore tes hallucinations de malade.
— J’en ai assez ! J’en ai marre !
— Tu ne peux rien prouver.
— Je le ferais un jour, bientôt.
— Tu rêves, tu t'imagine des choses. Tu es hystérique, je te prendrais les enfants.
— Tu sors presque tous les soirs
— Je fais ce que je veux, je suis libre, tu ne peux pas m’obliger à rester collé à toi quand même. Tu es devenue tout aigrie, desséchée.

Je ne dis plus rien. Il ne voulait de divorce, il voulait me prendre les enfants. Il fallait qu’il meure. Mais comment? Le tuer? Comment? Je ne le pourrais pas.

C’est alors qu'une guerre éclata. Je priais Dieu, quoique je n’en croyais plus, qu’on le mobilise, qu’il s’en va a la guerre, qu’il y soit tué. Je m’imaginais déjà libre, seule avec les enfants. Indépendante. Mes souhaits sont restés sans effet, même l’armé ne voulait pas de lui. C'est alors, vers 35 ans que j'ai eu d'un coup une mêche des cheuveux blancs.

C'était le point le plus bas de mon mariage avec Sandou, et qui sait, peut-être de ma vie.

La décision

Quelques mois plus tard, nous tombâmes en panne de voiture à une dizaine de kilomètres de maison, Sandou voulu appeler sa jeune copine pour nous dépanner.

Je me suis alors promis...

« J'appelle Pierre, et s'il vient, au lieu d'elle ou avant elle, s'il nous dépanne cette nuit, et si l'occasion se présente, je serai à lui.

Il sera mon deuxième homme, il est bon. »

Si mon mari se considère “libre” je me disais, alors moi aussi, je suis libre, me disais-je, au moins, je saurais, si je suis nulle comme amante ou non. Je ne serais malheureuse tout ma vie comme ma mère !

Pierre, en bon copain, est venu nous dépanner au milieu de la nuit.

Mais j'étais mariée, j'aimais Sandou. Que faire ? Comment en sortir ? J'étais de plus en plus amère et je me sentais de plus en plus brisée.

Je me suis inscrite par correspondance à l'Alliance Française. Je pleurais beaucoup, je me sentais abandonnée, brimée, ma vie détruite.

Alors j'ai repris mes journaux, je me suis remise à écrire.

De décision à acte, il c'était passé plus d'une année et des nouveaux chagrins. Demain je vous raconterai comment la vase a finalement débordée tout à fait.

L'ami de mon mari

"L’ami de mon mari" : Fan
Souvenirs

Son vrai nom était Stéphane, mais tous l’appelaient Fan. Grand maigre blond, visage angulaire, il m’était présenté comme le meilleur ami de Sandou. Il devait être un bon copain puisque Sandou lui demanda de nous prêter son pied-à-terre dans la capitale pour nos rendez-vous.
Sandou et moi aussi vivions chez nos parents et à l’époque et avec nos parents d’ancien éducation il n’était pas question de faire l’amour chez nous, même d’enfermer ma chambre à clé. A n’importe quel moment, surtout quand elle savait qu’il y avait quelqu’un en visite, elle entra pour demander quelque chose. Sandou n’avait même pas ce luxe, une pièce à lui, il dormait dans le salon, devant la chambre de ses parents.

Il me fallut longtemps pour me décider à « sauter le pas », à l’époque être vierge signifiait encore quelque chose mais j’étais en détresse et Sandou avait eu patience infinie à me conquérir, une année entière il m’approcha lentement, de plus en plus.

C’était le printemps, il m’a emmené dans la forêt, cueillir des fleurs. Là, toute habillée, toute contre lui, pendant qu’il m’embrassait, j’ai joui, et je me suis décidée. Mais aller où ?
Alors Sandou m’a parlé de Fan et son studio en haut des escaliers. C’était un paradis pour nous, même cette petite pièce simple qui n’avait qu’un évier, un fauteuil, une armoire à glace et un lit d’une personne. Et une petite table basse.

Sandou s’est assis sur le lit et moi je me suis recroquevillé dans le fauteuil. Ainsi a commencé, tout, et c'est ainsi que j’ai entendu parlé la première fois de Fan.

Longtemps, j’ai eu honte de le rencontrer, il savait... Il savait même les jours, les heures quand nous... Mais un soir, nous avons trop tardé, trop fait l’amour et il n’avait plus envie de rester dehors, il a frappé à la porte.

Sandou a ouvert et je me suis cachée sous les couverture, honteuse. Il me l’a présenté. Fan avait un visage ouvert, sympathique et naturel et n’avait pas ce sourire rigolant dessus que j’avais craint. Je n’avais plus honte. Ils sont sortis fumer et je me suis vite habillée, j’ai arrangé mes cheveux. Ensuite, nous avons bu ensemble un café que Fan nous a préparé sur son petit réseau électrique caché, il n’avait pas le droit de cuisiner dans le logement.

C’est alors que j’ai découvert qu’il était hongrois, il avait un accent plaisant paysan. Mais ce soir-là, nous n’avons pas parlé hongrois, il m’avait seulement dit « Jo északàt » (bon nuit). Il était technicien chimiste comme moi, à l’époque mais avait comme Sandou abandonné ses études que je continuais encore.

Jamais Sandou ne m’a raconté comment ils se sont rencontrés, l’un grand et mince, venant d’un village hongrois et l’autre petit, rond et musclé, d’origine mi roumain, mi grec, ayant passé tout sa vie dans la capitale roumain.

Après notre rencontre, j’hésitais d’y aller mais que faire ? Plus tard, nous nous sommes fiancés, mariés. Au repas de mariage, le soir, nous avons invité seulement deux personnes : Fan et Alina, nos meilleurs amis.

Une année plus tard, nous avons marié Fan à la compagne, il a trouvé une hongroise piquante d'une petite ville. Puis je suis partie, Sandou m’a suivi.

Cinq ans plus tard Fan nous téléphone un jour : « Je suis à Ventimiglia, venez me chercher ! » Il avait fuit la Roumanie, seul. Il avait traversé les frontières dans la forêt, la montagne et pour ne pas être rapatrié, il avait déchiré tous ses papiers, tous.

Sandou est allé en voiture et l’a ramené chez nous.

À l'époque, nous habitions dans un village, collée à une petite ville de nord de France au milieu de champs de betteraves et des canaux, en brouillard presque tout le temps. J’ai lui ai trouvé de travail dans la fabrique où je travaillais et où le patron, d’origine allemand, comprenait bien les réfugiés de l’est. « Mais je ne peux pas l’employer sans papiers, faites-lui faire. Je peux seulement lui donner une promesse d’engagement. »

Des papiers ? où ? à la mairie du village, on m’a conseillé d’aller voir l’instituteur, le secrétaire du maire. Il était assez jeune, mince, il avait un visage sévère. Nous l’observions tremblant à côté de son bureau à travers la fenêtre.
— Je n’entre pas ! Ils vont m’arrêter, me dit Fan tout blanc.
— Pas aujourd’hui. Et s’il fallait vraiment, tu auras le temps de t’enfuir, d’aller à Paris, chez le frère de Sandou.
— Non, je n’entre pas.
L’expérience avec les autorités dans la Roumanie Communiste ne nous donnait pas énormément de courage.
— Tu veux travailler ? T’établir ? Ici, c’est la France, le pays de la liberté, il ne te mangera pas. Viens!

C’était il y a fort longtemps, en 1966 ou 1967.

Nous entrons. Fan parlait fort peu français, c’est moi qui ai expliqué son cas. Il avait besoin d’un permis de travail.
— Où sont ses papiers ?
— Il les a détruits, à la frontière. Avant la frontière.
— Comment est-t-il entré en France ?
— Par les montagnes, d’Italie, se cachant. Mais il a une offre de travail à l’usine, le voilà, ajoutais-je.
— Et pas de papiers ? Du tout ? Rien ?
Le secrétaire nous regardait ébahi. Nous balancions nos têtes, tremblants. D’un coup, il éclata dans un énorme rire qu’il ne pouvait arrêter, il rit, il rit. Ouf, alors ce n’était pas si grave que cela. Je me rappelle encore aujourd'hui, après plusieurs dizaines d'années, combien ce rire m'a laissé ébahie et soulagée aussi.

Finalement, il me demanda :
— Vous le connaissez ?
— Depuis fort longtemps.
— Je veux vous aider. Faites un certificat sur honneur, disant son nom, son date et lieu de naissance.

Quelques mois plus tard, Fan reçu les papiers, il fut engagé et commença a travailler mais avec le temps il se sentait de plus en plus seul. Sa femme, furieuse qu’il ne l’avait prévenu qu’il va s’enfuir, menaça de divorce et finalement elle divorça puisqu’à son travail on lui dit que ils ne vont pas laisser travailler là l’épouse d’un ennemi, enfui à l’occident, un traître.

Avec son premier salaire, Fan parti à Paris, à Pigalle. Il est revenu nez en bas. « Ils m’ont pris tout mon argent. Et pour presque rien. » Mais plus tard, il me raconta en détail ce qui lui était arrivé.

La première et seule fois dans ma vie, j’ai eu le récit d'une visite chez une putain.
« Elle m’a lava, lavé, lavé... frotté avec savon, pour que mon instrument soit propre. Et puis, finalement, en moins de deux minutes, tout était fini. Alors, elle m’a poussé dehors me disant qu’ils y a d’autres qui attendent. Un repas, un spectacle et maintenant je suis obligé de nouveau de te demander à me prêter des sous, jusqu’à mon prochain salaire. Mais on ne me prendra plus. »

Sandou était furieux qu’il m’avait raconté son aventure à moi, sa femme légitime. Je lui rappelai tout qu’on devait à son ami, d’avant.

Malgré tout, Sandou le mit hors de maison et finalement on lui trouva une place près d’usine, où je ne sais pas, j’y suis jamais allé. Je lui prêtai l’argent et il me repaya rapidement, en trois fois. Les rapports entre moi et Fan se resserrait, puisque Sandou était de moins en moins à la maison et j’ai profitais pour donner des leçons de français à Fan de mes livres d’Alliance Français.

Ce fut dans ses temps que je découvris que Sandou avait une amante près de nous, une jeune femme travaillant sous ses ordres.
— Fan, je ne sais plus que penser, probablement je ne suis pas une bonne amante, comment le savoir ? Je n’ai eu personne autre que lui.
D’abord, en ami, il essaya de me persuader « tu te trompes », mais finalement il murmura « s’il n’était pas mon ami ».
— Mais il l’est ! ai-je répondu vite.
On a besoin d’un copain. Et il ne m’attira pas, du tout.

Lentement, il commença à me parler de ses nouveaux copains trouvés dans l’usine et de plus en plus d’un chef de chantier, nommé Pierre, un homme bon, sympa, fantastique, fort seul.
— Seul, pas marié ?
— Il vie séparément depuis huit ans, sa femme l’a trompé. Il n’a pas divorcé, ils sont catholiques, mais c’est tout comme...
— Tout comme ?
— Il vit seul, il a eu plusieurs copines mais il est seul, comme moi aussi, je vais souvent à lui le soir, discuter. Il est sympa !
— Connais-je ce Pierre ?
— Oui, le chef de chantier, tu as du le voir.
— Ah, cet homme bronzé aux cheveux gris courts, drus.
— Oui, c’est lui. Et les yeux bleus, chauds, souriants.

Je me souvenais de ses yeux, souriants, caressants, il m’a regardé quelquefois avec amitié, me faisant sentir bien dans ma peau. Fan lui aurait parlé de moi ? Il me parlait de plus en plus souvent de lui avec chaleur et par contre de Sandou avec amertume. Sandou, son ancien copain le négligeait.

L'image qui reste en nous

Si j'ai publié cette photo, ci-dessous, de Sandou, c'est que des années plus tard j'avais dans ma tête encore cette image de lui, l'image de nos premiers amours, l'image de lui heureux avec moi au début, et je n'arrivais à le voir tel qu'il était devenu.

Je crois que c'est une des raisons principales que je l'aimais ou si je ne l'aimais plus je le désirais encore et qu'il me restait une certaines tendresse et envie vers lui, en dépit de tout qu'il me faisait subir et tous mes peines et tous ses trahisons.

Je n'arrivais pas encore à croire, après des événements divers et répétés, que ce n'était pas celui que j'avais si bien connu, qu'il n'était pas celui qu'il restait toujours à l'intérieur de moi quelque part, profondément.

Alors, quand il me rejetait, "pas maintenant" ou partait, ou... je trouvais, après que le premier coup et le chagrin était passé, quelque chose pour le pardoner et essayer autre chose la prochaine fois, comme tactique à l'approcher. Et physiquement, j'avais toujours et encore envie de lui. Même quand, en réalité, dans ma tête je me disais "je ne peux pas m'en débarasser que s'il meurt". Etrange, mais vrai. Avais-je vraiment envie encore de lui ou tout simplement de sex? Non, je n'avais pas envie de "faire avec n'importe qui", c'était avec mon mari!

C'était d'autant plus douleureux qu'il ne dormait plus dans le même chambre et lit que moi, même après que mon petit bébé alla rejoindre en haut sa soeur, et quand je sentais qu'il tremblait de dégoût, de temps en temps à mon approche. C'est tellement dûr de se sentir repoussé! Mais je ne m'éloignit et me décida à agir qu'après l'ultime trahison, que je vous raconterai demain.

Sandou au lit 1960


Sandou in the bed 1960
par Julie70.
photo by me
we were just maried
Je n'arrivais à croire que cet homme-là n'existait plus! Comment c'était possible?

La nuit de désespoire

A partir de l'automne 1965 jusqu'au l'automne 1968, il y a trois ans et beacoup des mois, des jours, et même si on prend seulement à partir de déclaration "il n'y a pas de contrat d'amour" beaucoup de choses se sont passées dans ma vie.

J'ai eu des joies. Chaque jour, mes enfants ont fait quelque chose qui m'a enchanté et m'a rempli ma coeur de bonheur. Ma fille avait l'âge enchanteur de 4 à 7, elle été sage, mignonne et gentille à craquer. Mon fils était un bébé grandissant vite et découvrant tout autour de lui, bien dans sa peau et très intrepride.

Au travail, le propriétaire a bâti une imeuble tout neuve, le chef de ce chantier, Pierre, travaillant énormément avec ses maçons pour le finir. Une fois fini, nous avons eu une nouvelle laboratoire et des nouvelles laborantines. J'ai enseigné une à une à chaqu'une comment travailler et le baba de la chimie, ce qu'elle devait absolument savoir. J'ai introduit des nouvelles analyses et écrit l'utilisation de ceux utilisés. J'étais contante et la direction aussi de mon travail.

Ainsi, tout n'était pas noir au fond du gouffre, j'étais pas toujours triste, même si je me méfiais de plus en plus de mon mari et il s'éloignait chaque jour davantage de moi.
Puis, un jour...

Après que les enfants se sont endormis, j'ai eu envie d'aller au cinéma.
— Non, je dois aller au moulin, je suis de service cette nuit, me dit Sandou.
Mais il prend une douche, met une chemise blanche propre. 15 minutes après son départ je me décide à aller au cinéma même seule.

Je vais au moulin demander les clés de notre voiture.
— Où est mon mari ?
— Il n'est pas resté, il est seulement passé, aujourd'hui c'est moi qui suis de service, me répond un meunier.
Le grand portail du Moulin devant notre jardin était fermé.
— La clé ?
— Je ne l'ai pas, je travaille jusqu'à demain matin.
Que faire ?
J'ai écrit cette partie en 3e personne, pour l'éloigner de moi, il faisait trop mal autrement.

La nuit était tombée, une nuit sombre, sans étoiles. Même la lune était presque invisible. Julie contempla l’énorme portail fermant la cour du moulin, la cour où elle habitait. Elle n’avait pas de clé, l’ouvrier de service non plus, les patrons du moulin habitant aussi dans la cour étaient sortis. Personne à lui ouvrir.

La petite ville de nord était enveloppée comme d’habitude en brouillard et ce soir d’été lourd, une affreuse odeur des restes des jus de sucre pourris (éluats) envahissait les rues. De temps en temps, une rafale de vent tiède envoya ailleurs l’odeur putride et alors on respira pour quelques minutes l’air frais et humide du canal proche. On se sentait vivre de nouveau.

Les habitants comprenaient bien l’angoisse de fils du roi enfermé dans le Tour de Nesle, dont la ville était fière puisqu'il attestait son origine lointaine, ils comprenaient encore mieux son plaisir de s’en échapper, même si ce n’était que pour une courte période qu’il y réussit, avant d’être pris de nouveau dans le filet.

Il fallait sortir.

Elle ne pouvait pas admettre, supporter à être enfermé là. Jusque ce soir, cette petite maison, cette cour était un abri, un chez soi, maintenant semblait comme une prison.

Cette énorme porte constituait l’obstacle entre elle et la vérité. Découvrir où son mari était parti. En voiture, notre voiture, sa voiture. La voiture acheté par son père. Et en emportant la clé de cette porte. Il fallait découvrir la vérité ou découvrir le mensonge. Découvrir si ses intuitions l’aie trompé ou non. Découvrir si tout sa vie, tout son mariage a-t-il été basé sur un mensonge. Découvrir la vérité pour voir clair dans sa vie.

Cette porte est trop haute. Elle ne pourra jamais la franchir. Mais il faut ! Il n’y a pas autre voie. Elle a franchi déjà d’obstacles plus durs dans la vie. Elle observa de plus près la porte, tout en essuyant ses yeux d’où les larmes coulaient encore. Il n’y a pas de temps à perdre avec ça ! Les enfants se sont endormis tranquillement. C’est le moment d’agir.

"Sandou est l’autre côté. Est-il seul ? Est-il avec ‘Elle’ ? "

Julie voulait avoir le cœur net. Elle se décida. Julie attrapa le rebord sur l’énorme porte devant elle. Elle s’y hissa, elle glissa. À force de volonté, la volonté de désespoir, elle continuait.

Lentement, elle s’appuya sur un autre rebord, un peu plus haut. Le désespoir lui quintupla ses forces. Heureusement ses chaussures avec talon plastique ne glissèrent pas.

Presque en haut enfin. Et maintenant ? Elle enjamba la porte. Si elle tombait, elle fracturerait une jambe. Ou les deux. Elle n’osa pas sauter, elle était trop haute. Pas de rebords de l’autre côté.

Un moment de panique la submergé. Revenir ? Impossible. C’est encore plus dur. Elle commença à glisser. Ah ! Voilà ce qu’elle devait faire. Se laisser glisser lentement. Elle atterrit sans dégât de l’autre côté.

La petite rue était tranquille. Personne n’observa cette prouesse qui aura paru tout à fait curieuse dans cette petite ville endormie. Et maintenant ?

Il fait sombre et il a commencé à pleuvoir, qu’importe, il pleut dans elle aussi.
___

Je vais à pieds, à la maison de la Madone, la laborantine, la ville est petite, la laborantine habite encore chez ses parents. Son frère m'ouvre :
— Mais ma sœur vient de partir au cinéma avec Sandou...
— Avec Sandou ?
— Oui, ils sont allées au cinéma, comme d’habitude...

Que faire ? Je suis décidée à les trouver coûte que coûte, au cinéma ou au café, où qu'ils soient. Mais comment les trouver sans voiture ? Le cinéma est à trente kilomètres, dans la ville voisine.

Je vais voir Fan, le copain de Sandou (j'écrirai sur lui demain), il n’est pas chez lui, on me dit que ce soir il est allé chez Pierre, le chef de chantier. J’y vais. Fan m’avait raconté que Pierre habitait la maison d’entreprise au centre ville. Pierre a une voiture et il veut bien m'emmener, mais, quand j'ai l'impression à côté d'un champ d'apercevoir ma voiture, il me répond (par solidarité masculin ?):
— Non, ce n'est pas cela; et il ne s'arrête même pas.
Vers 11 heures sans rien trouver, Pierre me dépose à la maison :
— Il reviendra, ne t'inquiète pas.
Je le laisse partir sans avouer que je n'ai pas la clé du haut portail. On a laissé les chiens dehors, ils aboient quand je m’approche de la portail. Je n'ai plus le courage de grimper cette fois-ci.

Je m’assois sous le portail et j'attends recroquevillée dans la nuit. Ce sont les heures les plus sombres de ma vie. Je fais le point, que vaut-il un pareil mariage ?

C’est la nuit quand je me décide à rebiffer, à agir, à réagir. Vers une heure de matin, les patrons de moulin rentrent et m'ouvrent, je m’assois sous les marches de notre maison.

J'attends dans la nuit sombre.

A trois heures de matin, notre voiture entre dans la cour.
Sandou ne peut plus nier, mais il dit :
« J'ai le droit de m'amuser ! Tu ne vas pas me surveiller, m'épier, m'attendre, me faire des reproches. »

J'ai menacé de divorcer et alors il a promis de rompre. Je l’avais cru. J'avais espéré en vain.
C’est le nuit quand je me décide à rebiffer, à agir, à réagir.

Quand je voulus aller nager un dimanche, il l'invita elle aussi, la jeune femme nageait mieux que moi et me dépassât victorieusement dans la piscine.

Quelques mois après, la guerre de 6 jours d'Israël éclata. J'étais angoissée. En même temps, j'espérais qu'on l'appellerait à l'armée et qu'il y resterait. Je ne voyais plus d'autre issue.

Toute la nuit j’ai cherché (variation d’après le bible)

Toute la nuit, j’ai cherché celui que mon cœur aime. Étendu sur mon lit, je l’ai cherché, je ne l’ai pas trouvé ! Il avait disparu pendant mon sommeil. Il faut que je me lève, parcours la ville, ses rues et ses carrefours. Je veux trouver celui que mon cœur aime, mon mari, le seul amant de ma vie.

Je suis allée chez son copain qui bavardait avec d’autres amis. Il n’était pas là. « Nous ne l’avons pas vu ce soir ! » Je suis allée frapper à la porte de sa « copine », une méchante femme jeune et mince au sourire sardonique. Il n’était pas là, elle non plus. « Ils vient de sortir, ils sont partis au cinéma », me dit son frère. Il croyait que j’allais avec eux.

Je l’ai cherché, je les ai cherché, je ne les ai pas trouvé.

J’ai rencontré les gendarmes qui parcourent la ville. « Avez-vous celui que mon cœur aime ? Pour qui mon cœur a du chagrin ? » Non. Personne ne l’avait vu.

Je suis allée devant le cinéma, le séance était presque terminé, on ne m’a pas laissé entrer. J’ai attendu, le cœur serré. Pourquoi a-t-il allé sans moi ?

Je lui avais dit demandé de m’amener, j’avais envie de sortir.
Il m’avait répondu :
« Je dois travailler, cette nuit »
Je me suis couchée. Il a disparu. Mais je n’ai pas réussi à m’endormir.
Les gens sortent de cinéma, j’attends qu’ils arrivent, qu’il arrive, seul ou accompagné. Je saurai, au moins.
— Tout le monde est sorti ?
— Il n’y a plus personne.
Ils n’étaient pas allés au cinéma.
Toute la nuit j’ai erré, j’ai cherché sur les rues et ruelles celui que mon cœur aime. Mon amoureux, mon époux, le père de mes enfants. Toute la nuit je l’ai attendu, l’espoir diminuant d’heure en heure.

Un chagrin noir étreignant mon cœur.

Plutôt tout expérimenter que végéter

9 octobre 1969, Ham

Depuis que j'ai écrit la dernière fois, beaucoup de choses sont changées. En mieux, je crois. De l’avril 1968 (ou octobre 1965!) à octobre 1969 quel chemin parcouru !

Je me sens bien dans mon travail et j’ai l’impression qu’ils sont eux aussi contents de moi. Volonté, Julie! Les laisser mijoter. Tous les deux. Ne courir après personne. Aucun homme ne le mérite. Surtout, qui sait si... (Heureusement que j’écris en hongrois, et personne d’autre que moi, ne comprendra pas ces lignes.)

Je recommence à vivre intensément. Il faudra changer encore pas mal de choses, mais au moins, je suis beaucoup plus moi-même qu’auparavant. Je m'enthousiasme encore trop vite. Attendre et faire attendre.

Attendre jusqu’à ce que ce soit lui [1] qui vienne vers moi et me demande de le revoir. Patience ! Ce temps-là arrivera. J'ai perdu la confiance en moi, la récupérer n'est pas facile. La base, attention ! attention ! n'est pas un autre, mais la confiance en soi ! Chercher l’appui solide en toi-même.

Heureusement, mon complexe sur l'adultère s’est envolé.

(Merci Pierre ! ajouté en marge ici,
plusieurs années plus tard.)

Je ne dois pas faire une grande tragédie si je l'ai ratée cette fois-ci, il serait de ma faute et devait me servir de leçon, puisque j'oublie, encore et de nouveau que l'homme regrette si tu n'es pas assez coquette et deviennes trop rapidement ouvert vers lui.

Je dois apprendre à refuser, laisser attendre, répondre lentement, après ça sera mieux pour moi! Ne pas m'attendrir des états d'âme des hommes! Que c’est facile de l'écrire, le constater, mais que c'est difficile de le tenir!

Ne pas supporter les « figures » et caprices! C'est très important de chercher le bon en tout, ne pas se décourager et en tirer les conséquences de ce qui arrive.

Laisse-le attendre! Au vrai amoureux l’attente, si c'est court, agrandi seulement la flamme. À sa demande ne dis pas rapidement oui, femme En même temps donne confiance et inspire la peur. Sinon, tu échoueras. (Ovide)

Je crains de l’avoir raté à cause de ça. Tant pis, mais leçon!

Je vaincrai! Si pas cette fois-ci, à la prochaine occasion. Il y a beaucoup d’atouts de mon côté ! Il languira encore à cause du moi!

Il ne faut pas donner trop d’importance à certaines choses - mais essayer de modifier le dernier événement, tenter de finir avec d’autres souvenirs. Il y a encore le temps. Surtout pas trop se précipiter.

Voilà ce que j'ai écrit, il y a quelques jours:

Un jour tout est beau, l’autre rien n'est plus,

Puis tout est indifférent.

Ce n’est pas bon de trop se passionner

Mais c’est dommage de ne pas être heureuse

Seulement parce que ceci pourrait changer.

Seulement parce que tu ne crois plus aux rêves.

C’est important de vivre, d’agir, d'essayer,

Plutôt tout expérimenter que végéter.

Ce n’est pas grand-chose… Une grande aventure !

Rien de spécial… Un événement fantastique !

Est-ce fini ? tant pis, mais s’il était encore possible...

(Ajouté 7 ans après. Tu es revenu! merci Pierre !)



[1] « Lui » n’était plus mon mari.

(un an et demi après « Contrat d’amour n’existe pas et quatre ans après que j'ai découvert la lettre me prouvant que mon mari n'était pas fidèle »)

Une (longue) relecture commenté 1968

24 juin 1968

Sept ans se sont écoulés depuis que j’ai été séparée de mes journaux et depuis sept ans je n'ai pas écrit. Je viens de les récupérer. En les relisant, je vais décrire les anciens journaux et l’ancienne Julie, tels que je les vois aujourd’hui. Sandou me les a apportés de Roumanie.

J'ai commencé à écrire mon premier journal en 1944 à 10 ans, au début du siège de Budapest. Mon enfance avait été très heureuse et ma mère a réussi à la garder ainsi, malgré toutes les difficultés externes. Mais je me sentais seule, incomprise, négligée déjà à 12 ans, c’est donc une ancienne maladie chez moi.

Mon premier journal va de 10 à 14 ans, j'écrivais peu, mais en quelques mots tout ce que j’ai traversé y est. En le relisant, je me souviens de tout ce qui est derrière les mots.
La page la plus douloureuse : "Magda vit encore !" Hélas, c'était seulement un souhait, j’attendais en vain qu'elle revienne, elle était disparue en fumée avec d’autres de ma famille à Auschwitz.

Quelles étaient mes joies à cette époque ? Les cadeaux de Noël et l’anniversaire, les promenades avec mes amies et nos discussions sérieuses, les jeux et l’écriture, les bonnes notes reçus après l’effort.

Mon deuxième journal couvre 14 à 15 ans : je commençais à regretter qu'on ne me gâte plus comme une enfant. Mon plus grand chagrin de l’époque : on m’a déménagée de ma chambre de force à l’aube, et bientôt après, il nous a fallu quitter ma ville natale. Mes amies. Ma langue maternelle.

À 15 ans, je suis devenue communiste dans l’âme, sous l’influence du film La Jeune Garde et des livres, lus à cet âge ils ont laissé une forte empreinte sur moi. J'ai été admise membre de l'Union de la Jeunesse Ouvrière communiste, je m'en suis réjouie de tout mon cœur, le prenant comme un grand honneur.

Le troisième journal s’étend de 15 à 20 ans. La volonté est vraiment très importante. Je dois de nouveau apprendre à réaliser ma volonté, déjà en tenant à mes propres décisions. Recommencer à réfléchir !

À 18 ans, j'avais noté :
Le plus important est la volonté. Analyse tes défauts, tes buts, ce que tu veux obtenir, ensuite vas-y, contre et malgré toutes les difficultés et sans te départir de ton chemin malgré les opinions des autres !
Je dois l’appliquer, sans tarder.

Quand j’avais onze ans, ma mère m'a dit: « Le but de la vie est d'être heureux
Être heureux, d’après moi ne peut pas être un but, seulement son résultat.
On est heureux quand « on est comblé au travail et en amour», disait-elle.
C'est vrai. J'étais encore il y a deux ans, peut-être même il y a une année. Je ne suis plus contente du tout de ma vie. Mais il ne dépend que de moi d'essayer de changer la situation : me revaloriser !

En cette période-là, mon plus grand chagrin avait été qu’on ne m'avait pas laissé fréquenter l'université malgré mes bons résultats.

À 19 ans, j'ai pleuré mon premier mort : Staline. Après son décès ma croyance dans le communisme commence à s’effriter. J'ai noté mes défauts de 18 ans, je viens de constater qu'ils n'ont pas fondamentalement changés :
Je ne sais pas bien me comporter avec des gens. (Je commence lentement à le faire mieux, mais j’ai encore pas mal de chemin à parcourir vers eux.)
Je n'ai pas assez de volonté (juste un peu plus).
Je ne suis pas assez soigneuse de mes affaires et de moi-même.
Je suis trop sincère, trop naïve, je parle trop vite. (Oui, toujours.)
Je ne suis pas assez cultivée, (plus aujourd’hui pourtant).
Je ne fais pas assez de sport, (je nage régulièrement).
Je ne vis pas assez intensément, (je commence).
Je suis trop curieuse (hélas, toujours)
Je ne suis pas assez indépendante. (Si, je serai !)
Je ne m'occupe pas assez des détails, (c'est dommage).
J'interromps vite quelqu'un “ce n’est pas ainsi”.
Je ne suis pas assez attentive aux autres.
L'opinion des autres compte trop pour moi, (pourquoi ?)
Je me laisse souvent influencer trop facilement, (moins).
Je ne connais pas assez des langues, (j’en connais déjà pas mal, mais aucune parfaitement).
Je m'énerve trop vite et alors je parle et agis sans bien réfléchir. (C’est vrai encore.)
Je me laisse trop abattre par la maladie, la tristesse.

Après la lecture d'Anna Karenina de Tolstoï j’ai conclu à cette époque: «Il n'est pas bon qu'une femme dépende d'un homme, sois donc indépendante !»

Cinquème journal (le 4e je n'ai pas récupéré que plus tard, le croyant perdu, longtemps)
A dix-neuf ans j'ai tremblé la première fois pendant deux jours, en apercevant la main d'un prof écrivant sur le tableau. C'est passé, c’était il y a si longtemps, mais en écrivant ces lignes je tremble encore l'émotion provoqué alors. Que certains souvenirs peuvent rester forts !
Je croyais. Je voulais lutter pour des idéaux, faire le bien de l’humanité, et, cela m’avait rendu un peu meilleure ou plus sérieuse que d’autres autour moi. J'apprenais énormément. Une de mes qualités : je sais dégager ce qui est le plus important. C’est heureusement, toujours vraie.`
« Trouverai-je quelqu'un pour me comprendre et m'aimer ?» me demandais-je déjà.

A vingt ans, je commence à ne plus croire dans l’idéologie communiste, mais je découvre émerveillée la musique, l'opéra, la joie des poèmes, le plaisir des balades dans les montagnes enneigées ou couvertes de feuilles d’automne, le bonheur d'étude de l’algèbre. Je vis intensément!

Les garçons m’intéressent encore très peu mais je rêvais déjà d’avoir des enfants, d’allaiter. Envie d’amour et d’avoir une fille et un garçon. Tout cela je l’ai eu, je l’ai! Il faudra y veiller.

Ma réponse, aujourd'hui, au poème de Walt Withman qui demande : « dis-moi tes secrets» est: Oh, que je voudrais qu’on m’aime, comme avant ! Le vouloir, ce n’est pas assez. Il faut lutter, sans cesse. C’est fatigant. Mais nécessaire.

De la Bible transcrit dans mon cahier d’alors :
Conserve surtout ton cœur ; de lui viennent les agissements de la vie. Demandez et l’on vous donnera, cherchez et vous trouverez; frappez à la porte et l’on vous ouvrira.
Je ne dois pas l’oublier, puisque rien ne vient si je n’agis pas !

À 23 ans, j’étais pleine de charme, de bonne humeur, bronzée, maquillée discrètement, bien coiffée. Et maintenant à 33 ans ? La première mèche blanche est parue dans mes cheveux, presque le même temps que j’ai découvert à mon chagrin la première fois l’infidélité de mon mari.

“Je suis trop sensible.”
Vraiment, j’ai l’impression de n’avoir pas beaucoup changé depuis 15 ans ! Ce qui est pire est qu’il me semble ne pas m’être non plus développée depuis, pas assez.

Combien j'ai pu me réjouir de tout vers mes vingt ans !

J'ai cru d'abord en Dieu, ensuite en Staline, puis dans l’Amour et la Fidélité éternelle d’un garçon donné. Croire en quelque chose c'est important, mais c’est aussi bête, et les désillusions sont trop douloureuses.

Après tout grand enthousiasme vient une douche froide?

Il vaut la peine de s'enthousiasmer quand même, sinon l’homme ne vit pas, il végète.

En 1956, la révolution hongroise m'a montré combien je me sens Hongroise, et récemment, à trente-trois ans, la guerre récent en Israël m’a révélé combien je me sentais juive.

À 23 ans, j'ai commencé enfin d'avoir un group de copains, je plaisais à pas mal de garçons, mon sang commençait à chauffer. Vint alors Eugène et le premier baiser... ne m'a pas plu. Mais tout doit avoir un début. On doit être sûr de soi-même, mais pas brutal, j’écrivais déjà.

J'ai écrit sur le drame de la curiosité. C'est ainsi que j'ai découvert aussi la première fois, que Sandou m'avait trompée. Est-ce bien ou non ? Il faudra y réfléchir davantage. ça m’a détruit un idéal, c’est vrai, mais aussi ouvert les yeux. Mais depuis, je n'ai pas été heureuse, vraiment, je n'ai plus trouvé un autre terrain solide.

Je dois le retrouver ! en tirant des forces de l’ancien moi.

De mon sixième carnet :

Attention ! même si tu es bien, tu deviens pâlotte à côté d'une fille plus jolie, plus fraîche, plus jeune que toi. Vasile disait que l’amour est 85% d’autosuggestion. Est-ce vrai ?

Puis, j’écrivis sur la guerre entre la raison et les sens (ou sentiments). C'est cette guerre que je dois dorénavant mener et remporter ! Je vais la gagner, puisque sans amour vivre et se coucher ensemble ne vaut pas grand-chose. Vraiment pas !

Simon m'avait fortement attirée, mais j'ai bien fait de lui résister, je ne le regrette pas. Devenir son amante n’aurait pas été une bonne expérience, je l'avais deviné d’avance. Je suis restée vierge deux ans de plus. L'homme regrette si tu cèdes trop facilement, si tu n'es pas assez prude, apprends à te défendre, à te refuser, à te faire désirer, notais-je.

Curieux, Sandou et Simon ont été jaloux d’Eugène qui ne m’a pourtant donné qu’un unique baiser. Qui comprend les hommes ?

Il ne faut pas beaucoup se soucier des caprices des hommes: je savais tout ceci à vingt-trois ans, il faudra que je le réapprenne !

Pour moi, le bonheur ne commençait pas quand je devenais amoureuse, mais déjà en sachant que quelqu'un m'aimait, m'estimait, m'admirait.

« Même si mon mari regardera de temps en temps ailleurs, à la fin, il reviendra vers moi. Parce qu'il est très agréable d’avoir une femme tranquille et calme. » Je dois devenir de nouveau comme j’étais. Je dois redevenir ainsi, y croire.

À l’époque, mon père a été un aide sûr, il ne l'est plus. Pourtant il le voudrait, probablement.
« C’est terrible d'être refusé. Mais c'est agréable de refuser. » C’est effectivement atroce !

J'ai vu que l'amour et l'ambition peuvent êtres liés et je n'ai pas aimé. « Ne pas supporter les caprices et ne pas attiser un ambitieux. Les hommes sont des salauds et ils ne valent pas qu'on soit gentil avec eux. »

J’ai déjà pensé ainsi à 23 ans. Comme j'avais raison !

Comme l'ambiance est importante ! il ne faut pas que je l'oublie.

En regardant maman souffrir, de jalousie et de n’être plus aimée de son mari, j'espérais réussir à aimer toujours un peu moins que l’autre. Alors, c’était facile de le dire, mais maintenant, c'est plus dur de s’en tenir. Je ne veux pas, et je ne vais pas souffrir comme ma mère !

"À la première tromperie, je le tromperai en retour", écrivais-je. Mais, jusqu'il y a deux ans, je ne savais pas que j’étais trompée. Et si je ne réussis pas je l'abandonnerai ! Et les enfants ? Cela ne m'arrivera jamais que je dise 'c’est fini, je n'en veux plus' et recommencer malgré tout après quelques jours. Et souffrir de nouveau. Non, c'est encore mieux de vivre seule ou avec des hommes d'occasion. Hélas, c’est plus facile de le décider, se l’écrire, que de le réaliser. Il s’agissait alors de maman : On n'est pas homme si on ne peut se retenir, si on ne peut être plein de compassion, si on ne peut retenir sa curiosité, ne pas tenir la parole donnée, tenir sa langue quand il faut, parler pour quelqu'un d'autre si c'est nécessaire...

Ce qui est le plus important : trouver, voir, chercher, en tout ce qui arrive, bon ou mauvais, ce qui est bon et en être heureux !

Ce journal, je l’ai écrit pendant ma romance avec Simon. Il voulait tout, pas moi. Pourtant, j’étais fort attirée par lui.

J'étais encore vierge.

Il y a une grande différence entre une fille et une femme ! Les hommes, le comprennent-ils ?

"J'aime ! C’est difficile de tenir deux jours, d’être coquette."

Ovide me conseillait.
La femme qui est triste ne plaît pas. Essayez de deviner les paroles de l'homme, s'il est sérieux ou s'il joue seulement. Réponds avec retard, aux vrais amoureux, l'attente attise leurs feux. En même temps offrir espoir et peur. Jette dehors celui que tu veux conquérir. Fais mal :, mais de façon qu'on ne puisse pas trouver une raison précise, que l'homme sente plutôt qu'il ne voie ce qui lui fait mal.
Il disait aussi, dans son livre poème L’Art d’amour :
Seulement parce qu'il a une maîtresse ne perd pas la tête. Si tu le sais infidèle, ne sois pas trop triste. Crois-moi il n'est pas mal de rendre tromperie pour tromperie.

C'était si bon de s’embrasser, s’enflammer. Depuis longtemps, je n'ai été embrassée par personne. Un petit baiser sur la joue n'est rien, vaut zéro. Pourquoi ne me donne-t-il plus un seul baiser sur la bouche ?

Je n'ai pas besoin qu'il gagne beaucoup, mais qu'il soit sérieux et m'aime ! Il ne gagne pas beaucoup, tant pis, mais si au moins il m’aimerait encore. J’ai toujours envie d'être un peu gâtée, cajolée, caressée. C'est cela qui peut le mieux me faire fondre et me manque tellement, quelquefois.

Septième carnet
Cet été-là, je suis partie en vacances et je suis revenue plus sûre de moi et sans le vouloir, j'ai reconquis Simon, et c'était moi qui décidais, pas l'inverse. Je devrais partir en vacances l’année prochaine, seule ou avec les enfants. J'avais appris (depuis je l'ai oublié, hélas) :

Si tu a des prétentions tu peux tout obtenir, même si au début il se rebiffe, il s'habitue.
J'ai oublié depuis, comment l'obtenir. Si tu as une chose désagréable devant toi, essai de le régler aussi vite que possible.

Mon huitième journal. C'était une époque difficile pour ma mère, elle ne trouvait rien d’intéressant pour l'occuper, sérieusement, après son retrait anticipé cause de maladie.

Si tu commences une lutte avec : “je vaincrai” tu as déjà gagné la bataille 3/4. Dis-toi : je ne vais pas me laisser vaincre ! Je ne suis pas faite de cette étoffe-là ! Je vais serrer les dents, les poings, et je vais sourire, chanter et foncer, pour vaincre la difficulté. Je ne m'arrêterai pas au milieu du chemin, je ne m'effraierai pas !

À travers les vallées et les collines- tu t'en souviens Julie ? Tu avais douze ans et tu montais ta bicyclette deux étages chaque jour et tu chantais “à travers les vallées...” pour te donner courage, te démontrer que tu peux.

La curiosité est très près de l'intérêt, avoir de l'intérêt pour les autres est bien.
Des faiblesses, on a le droit d'en avoir, on n'a pas le droit de les montrer. Plutôt mord ton oreiller et garde le silence. Sois heureuse de la vie ! De tout ce qui est beau !
Julie, rappelle-toi maintenant.

J'avais envie d'un homme qui soit compagnon et aide, qui soit là dans le bien et mal. Il est beaucoup plus dur de l'avoir à côté de moi en cas de difficultés, hélas.
À 24 ans, j'ai terminé enfin tous mes examens d'Université. Que j'étais heureuse ! Comme si toute la terre m’appartenait ! Même aujourd'hui je me souviens de cette merveilleuse sensation dans laquelle je me baignais en me promenant sur les grands boulevards de Bucarest.
Le 2 mai de la même année, j'ai découvert dans les yeux bleus étincelants de Sandou qu’il était amoureux de moi, ou au moins, que je lui plaisais sérieusement. Oh, qu’il me désirait et admirait, alors.

Je sais travailler, et arriver à faire quelque chose quand je le veux très sérieusement. C’est une fort bonne sensation !

Oui, je suis arrivée à terminer l'Université en travaillant en même temps. Mais pour des motifs politiques, on ne m'a pas laissé passer l’examen d'état aussitôt, et l'année suivante, on m’a exclue de l’Université trois jours avant la soutenance du diplôme « Ennemi du peuple », et ainsi je n'ai pas reçu mon diplôme d’ingénieur. J’avais un énorme chagrin et l’absence de diplôme me fait tort encore. Je devrais faire quelque chose, peut-être étudier, c'est peut-être la solution pour m’en sortir.

À vingt-quatre ans, j'avais tant de confiance en moi !

Le premier baiser avec Sandou a été beaucoup plus important pour lui que pour moi. Je croyais, moi, naïvement, qu'il n'aurait pas d’importantes conséquences. Encore aujourd’hui, il ne m'attire pas trop fortement (comme Simon m’attirait), je devrais pouvoir utiliser ce fait. Mais une fois près de moi, il réussit à me mollir même quand je suis furieuse contre lui et puis m’enflammer rapidement.

J'avais écrit de lui à l’époque. Sandou est sérieux (de temps en temps), honnête (pas toujours), sincère (rarement), il a bon cœur (quand il a envie), il a une bonne éducation (était-ce vrai ou je l’avais seulement cru), aime discuter (maintenant pas avec moi). Malheureusement, il n’est pas mieux que moi.

La différence de langue et de religion est aussi importante et il ne sait pas gagner sa vie correctement. Il ne sait pas s’administrer, il n’aime pas son travail, mais ne réussit pas à l’abandonner non plus. Il n’a plus envie d’étudier.

Ma meilleure amie disait de lui qu'il était fin et honnête. Oui, il avait été, il faudrait retrouver au moins tel qu’il était, même si je n’arrivais lui ajouter d’autres qualités. C’est difficile. Je dois les analyser plus tard.

Après mes doutes, s’était agréable de s’embrasser dans le petit parc avec Ilan, qui me ressemblait davantage, et après, c’était mieux avec Sandou : mon amour propre est remonté de nouveau.

Le 30 octobre 1957, (il y a plus de 10 ans) Sandou a demandé ma main pour la première fois. Je dus alors lui raconter que nous avions demandé notre départ du pays. « Le sort décidera », me répondit-il.

Commença alors le grand dilemme, émigrer de Roumanie ou non. Attendre, attendre l’amour, le mariage, mais combien de temps ? !

Je sentais que la vie était encore devant moi, pas comme lui, qui croyait qu’il avait déjà tout vécu. Je me souviens bien du temps où nous comptions les assiettes cassées (théoriquement.)
Et déjà, il commençait à me diminuer, me faire sentir mal dans ma peau. « Toi, jolie ? Non, aujourd’hui, tu es moche ! » me dit-il, le jour même de sa demande en mariage.

J’avais des problèmes, on ne m’a pas laissé terminer mes études, on m’a mis dehors de mon travail et interdit de tout autre travail, même manuel, maman était de plus en plus malade et déprimée, je me suis réfugiée de tout ça dans l’amour. J’étais heureuse de nouveau. Et puis, quand il le veut, Sandou a une très forte volonté. De temps en temps il est étonnamment intelligent et malin (Attention!)

Ce printemps-là, le dimanche de Pâques, je suis devenue femme, trois mois avant mes 25 ans. Mes problèmes paraissent d’un coup insignifiants et tout devient merveilleux.

Ma conclusion générale en relisant ces journaux : ma vie n'a jamais été tout miel et m'a basculé en haut et en bas. L'important est que j'ai trouvé toujours quelque chose pour m’accrocher de nouveau et regrimper, redevenir heureuse. Je dois m’accrocher à quelque chose et regrimper encore une fois.

Le neuvième journal n’était plus celui d’une jeune fille et se termine avec mon départ de la Roumanie. On ne m’a pas permis d’emporter avec moi mes journaux, mais j’ai emporté avec moi mon futur bébé, Agnès, né quelques mois plus tard à Jérusalem. Sandou n’a pu venir en même temps que nous, mais mon père a réussi à arranger pour qu’il nous suive cinq mois plus tard. Pour la naissance de notre premier enfant, nous étions ensemble, comme je l’avais toujours imaginé.

Il ne s’est passé même pas une année, depuis que j’étais femme et il avait changé, il n’était plus l’amant attentionné et chaleureux, le bon ami de nos débuts. Nous étions près de rupture.

Il y a des choses qu'on ne doit jamais raconter ! On n’a pas le droit d’être trop direct, il faut le conquérir sans qu’il s’en rende compte, contre sa logique masculine, on ne peut qu’utiliser la tactique. (Il ne voulait pas faire l’amour que si c’était lui qui décidait et me convainquait.)

Puis maman est morte. Je me sentis très seule. Mon bonheur, mes malheurs ont été tellement liés aux comportements et humeurs de Sandou. Trop. Pourquoi ? Parce que je n'avais aucune autre occupation, passion sérieuse. Maman n'était plus à mes côtés, Sandou est redevenu gentil et il était là - et je me suis mariée.

Déjà dans le premier mois de notre mariage, j’écrivais :

« Ne jette pas gratuitement tes pensés, n’aie pas toujours du temps pour lui. Sois forte ! Une âme forte impose aux hommes. On ne doit pas être toujours prêt à l’embrasser, attendre qu’il te prenne lui dans ses bras. Ou, au moins, si tu as fort envie de lui, ne lui montre pas.
Il veut être fâché ? rouspète ? est de mauvais humeur ? Bon appétit. Reste ferme."
Donc, déjà au début, tout cela me causait des problèmes.

Ne demande pas où il va, ce qu'il fait. Sois forte, joue de tactique, blesse-le parfois, sois de bonne humeur, contente, il t'admirera. Ne lui dis pas tout que tu ressens.
"Pense ce que tu veux, fais des plans et comment les réaliser. Dis à quelqu'un même si ce n'est pas vrai qu'il est bon, sérieux, intelligent - il le deviendra !" Hélas, ceci ne suffit pas, que faire ?

Des idées, puisées d'un livre de psychologie m'ont aidée alors.
Ce n'est pas le travail qui tue l'homme mais les soucis ; ce n'est pas le mouvement qui détruit le moteur mais la friction. Si quelque chose ne te plaît pas, n'y pense pas; si tu veux sentir quelque chose penses-y beaucoup.

“Je suis heureuse, je vais bien !”

Ne te laisse pas te paniquer quand tu es serré par un adversaire plus fort que toi. Souris et sois calme, quand l'adversaire s'attend à te voir abattu et découragé (mon heure viendra). Pense seulement à tes qualités, : je suis saine, tranquille et contente, tout le monde m'aime, me respecte et m'écoute !

Et déjà, j’écrivais : Si je lui parais forte il m'aide sinon, pas du tout. Rien n’a changé sur ce front. Mais forte, m’aide-t-il encore ?

Le dernier jour de mon 9e journal date de 16 mars 1961. J’avais vingt-sept ans et j'étais enceinte (d’un mois) et je quittais la Roumanie le lendemain. Agnès naîtra en octobre à Jérusalem et Sandou sera finalement avec moi, après cinq mois d’attente et séparation.

Je n'ai pas pu emporter avec moi mes journaux, les autorités roumaines ne m’en ont pas donné le droit, je ne les ai pas revues pendant sept ans, jusque maintenant. J’ai écrit beaucoup des lettres, mais depuis très longtemps je n’écrivais plus dans un journal.

Je crois que la clé de mes relations avec Sandou est dans ces mots écrits dès le début de notre mariage :
Être fort et paraître devant lui sûre de moi et volontaire. C'est seulement alors qu'il m’aide, me respecte, me soutient et m’aime.

Je suis trop vite effrayée et j'ai trop vite peur !

Julie, pas va pas vers lui, toi, attends jusqu’à ce qu’il vienne vers toi ! Ne lui pose pas des questions, attends qu'il te raconte de lui-même.

Vis intensément !
Je sais, je sais, c'est très long pour une entrée de blog, tout ma vie de 10 à 34 ans s'y déroule et je m'intérroge sur ma vie et comment m'en sortir de l'impasse dans laquelle je me trouvais. Mais j'ai décidé de les mettre ici, en entier comme je l'avais écrit "d'un coup". Je ne mettrai demain, rien pour les continuer. Donc, à après-demain.

De la décision, suite à d'autres et d'autres heurts et chagrins, jusqu’à sa réalisation, plusieurs mois se sont écoulés (et pas des événements aussi que j'ai décrite dans mes souvenirs par fragments), mais finalement « j’ai franchi le pas » et, l’automne suivant j’avais la réponse à mon questionnement : suis-je bon ou mauvaise amante.

Traversée des rivières turbulantes

C'est le titre de mon dixième journal. Et voilà le "moto" qui me l'a inspiré.

En traversant une rivière turbulente,

En quittant la côte sûre et connue,

Avant d’arriver à l’autre côté

On reste seul au milieu,

Là où toutes les références se sont évanouies,

On apprend à compter sur soi-même.

On arrive finalement, mais sans jamais oublier,

Ni la côte d’origine, ni les enseignements du milieu.

Librement adapté du

Tiers Instruit par Michel Serre

Quelquefois, nous devons renoncer à un rêve,

Pour en trouver un autre.

Judith K. Well


Le printemps 1968 a bouleversé pas mal de vies,

il a aussi bouleversé ma vie privée et mon mariage.

Il m’a propulsé, malgré moi, vers ma propre révolte,

et même, si je ne le voyais pas encore à l’époque,

de nouveaux chemins.


J'ai enfin relu mes anciens journaux m'aidant à réféchir sur ma vie.

10e journal, début


Aujourd’hui, le 23 avril 1968, mon mari a rompu notre amitié. Et, à cette occasion, à 34 ans, j’ai complètement failli (la première fois ?) comme femme, comme amante. J’ai failli comme épouse et je suis bonne à être jeté aux ordures.

Je l’énerve surtout. Sandou croit que je veux l’enfermer, que je veux qu’il s’occupe seulement de moi et avant-hier, il m’a dit :
« On ne fait pas de contrat d’amour, ça n’existe pas ! »

J’ai deux petits enfants qui ont encore besoin de moi.

Déjà à mon approche, mon mari se sent près d’une crise de nerfs. Je dois faire quelque chose avec mes sensations, elles dominent trop ma pensée. C’est très mauvais. Mon beau-frère avait raison quand il m’avait dit : ce qu’on n’a pas le droit de faire, on en a encore plus envie.
Mon mari est amoureux d’une autre, j’en suis sûre maintenant. C’est épouvantable de sentir que celui qui m’a aimée, d’un coup, ne m’aime plus ! Depuis que je lui ai dit que je divorcerais s’il ne changeait pas son comportement, il se domine, il ne hurle plus, mais il est froid, si froid et fermé !

Il y a deux ans, il regrettait encore de me faire du mal, cette fois-ci, il me répète seulement que nous avons vieilli, qu’il ne peut pas s’occuper tout le temps de moi et que je suis aigrie. C’est possible que ce soit vrai - c’est horrible.

Tout a commencé il y a deux ans, quand il s’est avéré que mon mari n’était ni mieux, ni plus fidèle, que les autres. Comment ai-je pu me tromper autant ? Ou je n’en méritais pas un meilleur ?

Moi, toujours optimiste, je suis devenue sceptique. Tant que j’avais été sûre de son amour, j’étais heureuse n’importe où et dans n'importe quelles conditions. Pleine de bonheur qu’un homme m’aime, que j’ai une fillette et un fils. J’éprouvais de la joie quand le soleil brillait et s’il pleuvait, j'étais enchantée de l’odeur de la pluie ; contente d’une sortie ou de rester à la maison.

D’un coup, quelque chose s’est déchiré en moi. Je n’arrive plus à me réjouir comme avant, je n'éprouve plus autant de bonheur même avec mes enfants. Et, à peine ma blessure refermée, ça recommence, encore plus grave.

Je dois chercher une rive solide, mais où ?

La madone avec l'enfant

Un soir pendant le dîner, Sandou raconte qu’on le met à l’épreuve : on lui demande à faire, pour la première fois à l’usine, quelque chose qu’il n’a pas appris.;
— On doit doser le pourcentage des protéines dans nos produits pour l’export.
— Dans la farine ?
— Pour l'exportation, il doit avoir un minimum, c’est contrôlé à la douane.
— Je pourrais t’aider, je vais chaque jour des analyses analogues à mon travail.
— Bien, ce soir essayons ensemble. Ou plutôt samedi après-midi.
— Bien. Avec plaisir.
En trois samedis, nous avons mis au point une façon à procéder qui alla. Puis, il se plaignit qu’il n’avait pas le temps de s’occuper du moulin et de la laboratoire aussi.

Quelques jours plus tard mon mari me dit :
— J’ai une laborantine !
— Quelqu’un qui sait travailler...
— Non ! Je dois lui apprendre tout. Mais elle est intelligente, apprendra vite.
— Elle ne sait encore rien de tout ?
— C’est une jeune, à peine dix-huit ans. Hier, j’ai regardé par la fenêtre et j’ai vu une jeune fille frêle. Avec un bébé dans ses bras. C’est elle !
— Une jeune fille ?
— Finalement, c’est avéré que le bébé est à elle. Son mari est à l’armé. Ils n’ont pratiquement jamais vécu ensemble. Elle a besoin de gagner d’argent. Je lui apprendrai...
— Sans aucune expérience ? Elle pourra apprendre, je pourrai t’aider à lui expliquer.
— Non, non ça ira.
— Comment est-elle arrivée là ?
— Elle est née ici, elle était en même classe que le fils de patron. Ils l’ont engagé à condition que j’y consente. Bien sûr, je lui apprendrai, tout.
— T’es sûr à ne pas avoir besoin d’un coup de main au début ?
— Ne te mêle pas !
— Je pourrais lui montrer...
— Ne mets pas les pieds au labo !
Je le regardais, étonnée de ce revirement, ne comprenant encore rien.

Il m’a fallu du temps pour comprendre. J’avais trente-deux ans, mon mari trente trois. La jeune femme venait juste avoir 18. Mon mari me faisait l’amour encore mais beaucoup moins souvent. Et quand je l’approchais tendrement de lui, pendant la journée, tout son corps secouait comme par dégoût. Je n’arrivais pas à croire ce que je voyais mais je ressentais son éloignement. Il me repoussait et n'aimait plus que je me serre près de lui. Est-ce possible?

Qu’arrive-t-il a notre mariage ?
— Nous sommes vieux, dit-il. C’est normal.
— Vieux, à trente-trois ans ?
— Nous n’avons plus vingt ans.
— Sandou, je me sens encore jeune. Je voudrais encore aller danser, faire l’amour, m’amuser de temps en temps. Un peu plus souvent, ajoutai-je en soupirant.
— Je ne peux plus. On est parents. On a des enfants, une famille. C’est fini, la jeunesse, c’est loin tout ça.
— Tu ne me désires plus ?
— J’en peux plus.
— Tu ne m’aimes plus ?
— On ne fait pas un contrat d’amour !
J’étais frappée par ses mots, trop pour pouvoir répondre. Même penser. Le chagrin m’écrasa, cette fois-ci tout à fait. Rien ne restait, c'était fini alors. Il a rompu notre contrat. Pas celui de mariage, plus grave, notre contrat d’amour.

Il nia tout, mais je sentais qu’il me trompait avec la laborantine, il passait de plus en plus de temps loin de moi, de nous et supporta de moins en moins mon approche.

Je me souvenais de l’église blanche, toute petite, vide dans laquelle nous sommes entrés avant nos fiançailles. Nous avons allumé des cierges pour ses amis morts, pour mes morts. Il a pris mes mains et nous nous sommes regardés. De commun accord, sans parler nous nous sommes mis aux genoux. Il m’a chouchouté :
— Nous n’aurons pas de mariage religieux.
— Je sais.
— Alors, maintenant, ici, ma chérie, je te promets...
Ses yeux étincelaient, il me serra la main en disant le reste.
— Moi aussi je te promets...
— En sérieux, pour le mieux et le pire, pour toujours s’aimer, se soutenir?
— Oui, Sandou, pour toujours.
Cette promesse-là, était-ce une illusion ? Il venait le rompre avec ses paroles.

Nous avons passé ce contrat d’amour, longtemps avant notre mariage officiel, il comptait pour nous, pour moi plus que tout autre chose. J’ai tourné et retourné ses paroles me heurtant, restées comme des flèches empoisonnées dans mon cœur ensanglanté. Il m’a fallu plusieurs jours avant que je puisse réfléchir. Où suis-je arrivée ?

J’ai repris et pendant mes soirées solitaires j’ai relu mes journaux, les sept cahiers pleins de mon passé, de mon ancien moi. Ils m’ont conseillé, m’ont fortifié, m’ont aidé, m’ont rappelé qui j’étais, qui j’avais été jadis. Et j'ai recommencé à écrire, à agir.
Et demain, je mettrai les premières entrées de mon dixième journal commencé alors. Un cahier épais qui m'a accompagné pendant les vingt ans suivants.

Mon fils est né !

Mon fils est né, rapidement, sans complications. Née en France !

J’ai commencé à allaiter dans l’euphorie, le bonheur de devenir de nouveau mère.
Rien d’autre ne comptait plus, ce petit bonhomme suçant avidement, ma fille la regardant avec curiosité, mes enfants que j’aimais tant, notre famille agrandie.

Pour rassurer ma fille, je lui présentais comme une poupée, à y veiller :
— Nous allons veiller ensemble sur lui, il est tout faible encore.
— Toi et moi ?
— Oui.
— D’accord. C’est un bébé amusant, tout rouge, tout petit.
Elle prit son rôle au sérieux, elle avait une poupée vivante pour y veiller.
Nous étions heureux, le fait que mon mari dormait dans une autre pièce pour n’être pas réveillé par le bébé, ne me faisait plus très mal. C’était un bébé calme et se développait bien. Puis, mon mari me rendait visite, trois fois par semaine, comme d’habitude.

Deux mois ne se sont pas passés encore après la naissance et j’ai dû retourner au travail, ils m’ont appelée en urgence. J’ai sevré mon fils, il adorait le biberon aussi.
Pendant la journée de travail, une jeune bonne me remplaça.
Un mois après, elle démissionna :
— Pourquoi nous quittes-tu ?
— Je ne dis rien.
Je suis allée visiter ses parents. Ils me regardèrent, gênés.
— Votre fille, pourquoi ne reste-elle pas ?
— Ça ne fait rien.
— Qu’est-ce que cela veut dire ?
— Votre mari, ne vous a rien dit ?
— Mon mari ? ? ?
— Il lui a fait des avances, la collé contre le mur.
— Mon mari ?
— Il revenait le midi, ils étaient seuls. Elle a dû se défendre, elle a eu peur.

Au début, il l’invita à manger avec lui, puis... Non, elle ne reviendra plus.
— Excusez-moi.
— Vous ? Je regrette que j’aie dû vous le dire. Elle a eu peur. Elle devait se défendre, elle est encore toute jeune.
— Je comprends. Voilà, je vous ai apporté sa paye pour le mois.

Bien sûr, mon mari a nié tout en bloc. Insinuations, incompréhensions.
— Tu ne vas pas quand même la croire ! Moi, provoquer une bonne aux cheveux blonds.
— Cheveux blondes ?
— Flottants et provocants. Mais je ne marchais pas, je ne lui rien fait.
— Collé contre le mur ?
— Il n’y avait pas beaucoup d’espace.
— Essayer de l’embrasser ?
— Elle me souriait, me provoquait. Non, je ne l’ai pas touché, c’est faux.

J’ai trouvé alors une autre bonne toute jeune et moche.
— Ne recommence pas avec celle-ci, elle est mineure !
— Oui, est moche. Presque un enfant.

Je ne dis rien de plus. La faussé entre nous se creusait et il a commencé à sortir le soir seule. Je restais veiller aux enfants.
— Boire un coup, bavarder dans un café. Ici, je me noie.
— Quel café tu vas ?
Ici, là.

Ham, Lionel 1 et demi, and, Agnès 5


Eté 1967

Même l'hiver, quand il fait froid, il y a des beautés à admirer, même un arbre dénoudé peut dévoiler encore mieux ses branches, comme celui-ci, en forme de chandelier sous le ciel bleu, inondé de soleil.

Même quand, il y a quarante, puis trente-neuf ans, j'avais mon horizon obscurci, mes espoires de mariage heureuse et époux doux démantis, j'avais mon travail, mes nouvelles études de l'Alliance Français, mais surtout la joie que mes enfants me donnaient.

J'avais pris peur de mon mari mais je n'ai pas baissé le bras ni mis trop de temps à me vautrer dans mon chagrin. Au travail, les sept laborantine à qui j'apprenais à travailler, les nouvelles méthodes de travail que j'introduissais et à la maison mes deux enfants qui en grandissant m'offraient de la joie nouvelle chaque jour.

L'été 1966

Sandou, Ionel, Agnès et moi, en visite en Roumanie, mon premier retour après des longues années

Bébé, ma fille et moi

1966 fevrier

Comment j'ai pu supporter?

Ce n’est pas facile de revenir en arrière, mais je sens que je dois le faire. Pour moi, pour les autres.

Aujourd’hui, j’essais de comprendre, pourquoi et comment j’ai pu supporter tout ça ? En aucun cas parce que j’aimais souffrir, être frappé – si pas souvent, d’une façon tout à fait inattendu la plupart de temps – et avoir peur de mon mari et de ce qu’il fera. J’avais décidé de divorcer, plus tard, mais au début j’étais convaincue que… de quoi au juste ?

Je ne me suis mise à le haïr que plus tard, et je vous en parlerai alors.

Le début, j’étais trop occupé par la joie d’allaitement, de nouveau bébé, entouré de mes deux magnifiques enfants. Au travail cela marchait de mieux en mieux aussi. Et malgré que, contre ma volonté, mon mari avait décidé de ne plus dormir dans le même lit, même chambre que moi en prétextant que le bébé se réveille et le dérange (et il n’a pas revenu, jamais) nous avions des relations sinon très passionnées, très agréable, à l’époque et presque jusqu’à la fin. Oui, il ne me donnait plus de baiser sur la bouche, mais de cela je ne m’en suis aperçu que nettement plus tard. Et il « raréfia » ses attentions au lit seulement plus tard, quand il rencontra « la madone presque adolescente avec bébé dans ses bras », mais, même alors, si ce n’était plus trois ou quatre fois par semaine, mais un ou deux, il accomplissait « son devoir conjugal ».

Tout n’était pas noir dans ma vie, pendant ces mois, de automne 1965 à automne 1969 quand, enfin, je me révoltai. Mais de cela plus tard. Avant, il y eu pas mal des choses dans ma vie, et pour « oublier » mes chagrins, je me suis inscrit aussi à l’Alliance Français, améliorer la façon que je parlais et aussi comprendre davantage le subjonctif, par exemple. Étudier, m’a toujours aidé.

Il ne m’a pas frappé que rarement, et à chaque fois, j’ai eu une « crise de nerf » avec les dents qui claquaient, longtemps. Je me souviens d’un jour quand il m’a invité, chose exceptionnelle, au café, me déclarer qu’il « ne me supportait plus » parce que je suis devenue « hystérique » Quoi ? Avec tes claquement des dents ! Mais, ce n’arrive que quand tu me frappes ! C’est pas supportable, tes hystéries ! me répondit-il.

Je me suis mariée contre l’avis de mon père, j’en étais responsable de ce qui m’arrivait et devais m’en sortir toute seule. Mais comment ? Je ne gagnais pas encore assez, surtout au début, pour vivre et faire vivre mes deux enfants, et en plus, j’avais réellement peur de ce qu’il pourrait faire, aussi. Je me suis plongée donc, en plus de la joie que mes deux enfants me procuraient, à l’étude de la langue français et dans mon travail qui devenait de plus en plus intéressant. Le temps passait. Puis un jour, il regarda par la fenêtre du moulin et l’aperçut… mais de cela, demain.

Peur et panique

Immobile, handicapée toute ma vie ?

«Nous sommes trop âgés" pour "ceci et cela" ou pour aller danser, disait mon mari. Il avait 34 ans et moi, pas tout à fait 33.

Un soir, je lui demande sortir ensemble.
— J’ai réussi à endormir les enfants, allons au cinéma, ensemble.

Je voudrais voir Angélique, Marquise d’Ange, à la ville voisine, Saint Quantin.
— A peine vingt kilomètres, j'ajoutai.
— Non, pas ce soir !
— Sandou, j’en ai tellement envie ! C’est le dernier jour !

Il m’a regardé d’une façon bizarre. Je ne comprenais pas ce que son regard voulait dire et je ne savais pas ce qui m’attendait, cette nuit-là. Je ne l’oublierai jamais. C’était l’hiver encore et, vers le milieu de chemin, je me suis rendu compte qu’il y avait de verglas. La voiture fit quelques embarrés, il redressa d’un coup sec.

— On roule trop vite, Sandou, va plus doucement.
— Tu me commande ? Qui tu te crois ? C’est moi qui est au volant !

Il appuya avec fureur sur l’accélérateur. La voiture fonçait, glissait, faisait des bordés sur la route couverte des arbres à gauche et à droit. Il regarda mon visage effrayé et accéléra encore, il roula comme un fou.

Je me suis vu mourir, j’ai vu mes enfants sans mère, avec un père tyran. Je m’accrochais. Il a pris cela comme un défi et accéléra encore brutalement. Je me suis alors vu, encore pire, atrophié à vie, dans une chaise ou lit, sans pouvoir bouger, dans un hôpital, sans pouvoir en sortir. Sans visites, abandonnée. Il ne va jamais venir me voir ni m’apporter les enfants. Toute seule des longues années.

Je n’osais plus crier, hurler, ni protester. J’avais appris la leçon, tout protestation, tout manifestation de peur l’enragea encore plus, le rendait encore pire. On ne peut pas discuter avec un fou en pleine crise de folie.Il faut l’éviter. Se taire, se tasser, se faire toute petite, espérer que cette fois...

Je me suis jurée ne jamais plus l’embêter, je plus lui demander de m’amener avec lui, ne plus faire aucune remarque. Mon corps, mes réactions me trahissaient encore des fois et il s’y employa de me punir même pour ça. Au moins, je ne risquerai pas de finir ma vie abandonnée et estropiée à vie dans un hôpital.

Le cinéma était fermé à cause de verglas, de mauvais temps, et il y avait encore vingt kilomètre à faire pour retourner. J’ai serré mes dents, détourné mon visage, mettant ma vie en danger et ma santé. Que pouvais-je faire ? Je devenais amère et je me sentais si vieille - à 32 ans ! Je me disais : «Le pire est arrivé, le pire est là.»

J’avais tort. Je n’avais encore tout vu... je n'étais pas encore tout à fait au fond du gouffre!
Je voulais encore écrire, mais pas aujourd'hui. Il faut que je me sens un peu mieux dans ma peau, et psychologiquement je me sens grâce à ma visite à Saint Nizier la semaine dernière, mais aussi pouvoir respirer davantage. Alors, j'écrirai ce que je crois de tout ceci, aujourd'hui.

De plus en plus bas

Terreur, peur et méfiance
Et je ne savais pas encore que le gouffre s’ouvrait seulement sous mes pieds et que je vais m’y enfoncer de mois en mois plus profondément. Chacun de nous était convaincu d’avoir eu raison. Moi, désillusionné, je suis devenue moins docile et moins flexible, moins amoureuse qu’avant. Lui, devenait chaque jour plus agressif, essayait probablement de récupérer l’admiration que j’avais pour lui, le remplacer par l’autorité.

J’étais convaincue que j’étais arrivée au bout, au plus bas.

Mon mari remplaça les pressions et chantage d’amour par force et brutalité, en perdant de plus en plus contrôle de soi : devenait rouge, le sang montait rapidement dans sa tête et pour un rien me frappa. Il me fit mal subitement, pour un mot prononcé, pour un geste, ce mari-là je ne le connaissais pas. Comme si c’était moi qui avais fait la faute impardonnable, comme si s’était moi qui avais rompu notre serment d’amour pour toujours.

J’étais enceinte, effrayée. J’ai commencé à avoir peur de lui, de ses réactions.

La première fois, il m’a frappé parce que j’ai plié un imprimé administratif où c’était écrit « pas plier » - il m’avait prévenu trop tard de ne pas le faire.

J’ai essayé de me défendre, puis j’ai éclaté dans pleurs « hystériques » : n’arrivant plus à respirer, mes dents claquaient, je tremblais tout entière.
— Arrête ! me secoua Sandou. Arrête ! Tu fais mal à notre futur enfant.
— As-tu pensé à ça quand tu m’as frappé ?
— Pourquoi tu ne m’as pas obéi, pourquoi as-tu plié cet imprimé. Je t’avais averti à ne pas le faire.
— Je réagis lentement. Tes mots ne sont encore arrivé à mon cerveau, à mes mains. C’était instinctif, d’habitude c’est toujours moi qui m’en occupe de tout ça. Tu m’as frappé ! Tu m’as fait mal ! À ton épouse, la mère de tes enfants.
Je pleurais, tremblais, sans pouvoir ni vouloir m’arrêter. Il me secoua. Puis parti, en claquant la porte.

Ma petite fille de cinq ans entra, effrayée :
— Maman !Ces larmes commencèrent couler. Alors, je me suis calmé, difficilement. Je me suis lavé le visage, je l’ai rassuré.
— Ne t’inquiète pas, mon poussin, ça va.
Non. Ça n’allait pas. Ça n’allait pas du tout bien.
Un mois après, il m’a agressé de nouveau. D’abord verbalement et injustement.

Non, me dis-je, je ne vais pas me laisser détruire, m’humilier pour rien, à tout bout de temps. J’avais un œuf en main et je lui ai lancé sur lui : il a atterri à côté de lui, sur le mur. Sur le mur appartenant au moulin !

Il a aussitôt avancé vers moi en hurlant et m’a donné une énorme claque « pour m’apprendre à me comporter ». J’étais devant la cave ouverte et j’ai dégringolé les marches de pierre, j’ai tombé sur les instruments s’y trouvant et sur le tas de charbon, tout en bas des marches.

Etait-ce le plus bas dans le gouffre de ma vie?

Mon dos a pris le coup, puisque je me suis instinctivement recouvrillé pour que le bébé dans mon ventre ne soit pas touché. J’étais alors enceinte de sept mois. Je n’ai pas perdu connaissance. Tout me faisait mal. Je n’arrivais à penser à autre chose : « mon bébé, que lui arrivera ! » Je me tenais la ventre, je ne pensais pas à rien d’autre sur le moment.

Sandou descendit l’escalier tout blanc et essaya me lever.
— Ne me touche pas ! Je vais perdre mon bébé ! Ton futur enfant ! Qu’as tu fais !
— Je ne pensais pas que tu ne puisses pas tenir sur tes pieds, que tu tomberas en bas, je ne me suis pas aperçu que la porte était ouverte. Mais, je ne voulais pas que tu tombes.
— Ces marches sont de pierre. J’aurais pu ouvrir l’estomac avec tes outils.
— Tu as rien, quelques bleus, n’exagère pas. Pourquoi a tu salis le mur ?J’avais mal partout. Recroquevillé, je ne voulais pas bouger.

Rien n’importait plus que sauver mon bébé que j’espérais tant. Il me força finalement me lever, m’aida à remonter les marches. Me lava.

Cette fois, hébétée, je n'arrivais même pas à pleurer. Je me suis précipité vers le docteur.
— Mon enfant ? Est-il arrivé quelque chose ?
— Vous êtes pleins de bleus.
— J’ai tombé l’escalier dans la cave...
— Ca va, votre bébé bouge, ne vous inquiétez pas.Ne pas m’inquiéter ?

J’avais de plus en plus peur de mon mari. Hélas, j’avais raison.

J’étais enceinte de huit mois, quand énervé cette fois-ci par un chauffeur de taxi allant droit sur la route principale n’a pas ralenti, quoique Sandou avait mis son clignotant pour signaler qu’il veut tourner à gauche : Sandou a pris une décision violent. Sandou lui rentra dedans, de mon côté, ils se touchèrent, même si légèrement. Une secousse violente.

Plus tard il me dit « c’est dans le bon côté l’assurance me payera ».

J’étais à côté de lui et je l’ai vu hésiter un instant, il aura pu s’arrêter, laisser l’autre filer. Non. Il est devenu rouge, et il a foncé. J’ai observé son regard, j’ai lu en lui, je connaissais déjà le refrain : « je lui montrerai ».

Ébranlé, mon genou heurté par le choc, encore plus ébahi par la décision soudaine d’attaquer l’autre voiture, sans tenir compte des conséquences, je lui demandai :
— Pourquoi as-tu fait ça ?
— Il était dans son tort ! Les chauffeurs de taxis se croient tout permis !
— As-tu pensé que je suis dans le huitième mois ? Que je peux être heurtée ?
— Tu te sens mal ?
— Mon genou est en sang, tu le vois !
— Voilà, il n’y a rien de grave.
— Rien ?
— Et le chauffeur aura reçu une leçon qu’il n’oubliera pas bientôt.

Je le regardais. Était-ce Sandou, le doux garçon que j’avais épousé ? L’a-t-on changé dans son pays en m’envoyant un autre à sa place ? J’arrivai à y croire de plus en plus malgré les apparences externes ressemblantes. Il était devenu tellement différent. Ou était-ce seulement une facette que je ne lui connaissais pas encore ?

Dans son adolescence, il avait été membre dans l’équipe de rugby ayant gagné le championnat juniors de Roumanie pendant deux ans, pour ce sport il ne fallait pas être enfant de chœur. Je n’avais pas compris ce que cela signifiait quand il me l’avait raconté, doucereusement, puisqu’il n’a pas pu le continuer à cause de son vu détériorer avec rapidité. Il avait vécu à dix-sept ans ses moments de gloire et dû y renoncer à cause de son myopie s’empirant. Celui-ci, parait-il paru à cause de son passé de lutteur gréco-romain.

Cet homme-là, je ne le connaissais pas, cet homme-là était caché, dormant, je ne comprenais même pas ce que cela signifiait, n’ayant jamais de ma vie assisté à un match ou à une lutte.
Je me suis faite toute petite. Je me suis tue et je ne voyais pas d'issue.

C'est à cette époque que j'ai passé mon permis de conduire et je l'ai eu. Ma fille avait quatre ans.

Mon fils est né rapidement, à peine le docteur est venu (en pyjama) au milieu de la nuit à l'hôpital. Le lendemain, on le déposa dans un petit lit transparent près de moi: quelle joie! Il but sans problèmes dès le matin et j'ai pu l'allaiter pendant des semaines.

J'étais tout dans la joie maternelle de nouveau et je pensais que tout les chagrins étaient derrière moi.

Une lettre bouleversant ma vie

La lettre fatidique (ne fut que la première)

D’habitude à midi je mangeais rapidement une baguette au travail, et je revenais le soir tôt pour être avec ma fille davantage.

Un jour, revenu à midi contraire à mes habitudes, je pensais surprendre Sandou et manger avec lui. Notre maison, logement de fonction se trouva sans la cour du Moulin.

Ce jour-là, il n’y eut aucun malentendu possible.

Je suis arrivée tôt, pour préparer un bon déjeuner. Le postier venait de passer, avait comme l’habitude, entré chez nous, à l’époque notre maison n’était jamais fermée. Il déposait le courrier sur le télé, à côté de la porte.

En arrivant, j’ai pris les lettres avec curiosité et heureuse.

Tiens ! Une lettre de la Roumanie, probablement de la sœur de Sandou ! Quelles nouvelles ? J’espère que tout va bien. Regardons, ce qu’ils disent. J’espère que mon beau-père n’est pas malade, il était déjà à l’époque fort vieux.

Non. Cette lettre n’était pas de la famille, quoique c’était écrit pour Sandou dans la même langue.

Je lisais et relisais la lettre, hébétée, une fois, deux fois.

Je ne comprenais pas, je n’arrivais pas à la croire.

C’était adressé « mon chéri » et signé «ta chaude lapine.»

La lettre parlait ensuite des « chaude étreints », du souvenir émouvant de « ton vigoureux instrument ». Se terminant avec des «tu m’as laissé des souvenirs inoubliables » et en ajoutant en post-script : «j’attends avec impatience que tu m’écris de nouveau, et surtout ton retour, au plus tôt possible, pour me vautrer dans tes bras ».

Est-ce une lettre écrit pour mon mari ?

Épaules bronzées, instrument de taille, vacances, et en plus, parlait déjà une lettre échangée entre eux depuis, non, pas de malentendu possible. Et oui, c’était bien adressé à son nom.

Ce n’est pas possible !

J’avais épousé Sandou, je l’ai choisi après trois ans de cour assidue, j’ai abandonné Simon qui m’attirait plus mais dans qui je n’avais pas confiance et à qui je n’avais pas cédé, je l’avais pris comme mari, pour le compagnon de ma vie à cause de son sérieux, constance, honnêteté. « Il ne va pas me tromper, comme papa fait avec maman morte de chagrin, avec Sandou je peux être sûr, il m’aimera toujours ».

Je m’étais trompée. Comment ai-je pu me tromper ainsi ?

Je n’arrivais pas à la croire, malgré la lettre dans ma main, malgré les mots orduriers et claires écrits noir sur blanc.

Il m’avait trompé avec cette femme sans culture, s’exprimant comme je ne l’aurais fait même dans ma tête et il correspondait en plus avec elle, celui-ci n’était pas son premier. Il faisait la fête avec cette put aine, une fille de joie qui lui décrivait leurs débats en termes que par places j’avais même mal à comprendre.

Il a fait tout cela pendant que je l’attendais couché et immobile pour préserver notre enfant. Je n’arrivais pas à croire, contre toute évidence.

Il me trouva assis sur le sofa, hébétée, la lettre dans ma main. Je n’arrivais plus ni bouger, ni penser. Tout me faisait trop mal.

— Tiens, Julie, tu es revenue !

— Oui.

— Mais qu’arrive-t-il ?

— Tu as reçu une lettre.

— Une lettre ?

— De Roumanie !

— De qui ?

— Je me suis dépêchée à l’ouvrir, avoir des nouvelles de ma belle-sœur.

— Qu’arrive-t-il, mes parents ? Papa ? Tu es toute blanche.

— Non. Cette lettre ne vient pas de la famille. C’est une femme qui l’a écrit dans un langage tout vulgaire.

— Pourquoi l’as-tu ouverte ? À qui était adressé ?

— A toi, de Roumanie.

— Tu n’avais pas le droit à l’ouvrir !

Les larmes commencèrent alors à couler.

— Alors c’est vrai ?

— Cette lettre était pour moi ! D’habitude tu ne reviens que le soir. C’est moi qui reçois, qui ouvre les lettres.

— Pour toi ? Donc cette lettre est bien pour toi ? Vraiment pour toi ?

— Tu n’avais pas à l’ouvrir !

— Et tu lui as déjà répondu, ce n’est pas la première. Tu m’as trompé et en plus

— C’était juste pendant les vacances, une femme sans importance.

— Alors, pourquoi tu lui as donné notre adresse ? Pourquoi lui as-tu répondu ?

Il ne répondit pas, furieux et essayant de m’arracher la lettre. Sa lettre.

— Je te lis. Au moins, des extraits où elle rappelle avec nostalgie de tes forts et vigoureux coup de rein et de ton instrument volumineux. Elle a utilisé un mot plus vulgaire que j’avais rarement entendu.

— Je regrette de t’avoir fait du mal, répondit-il en voyant mon visage décomposé. Puis, il ajouta : mais tu n’auras dû l’ouvrir. C’était adressé à moi.

— Tu me disais toujours de lire ce que tes parents nous écrivaient. Je croyais... Je ne m’imaginais pas que cela peut venir de quelqu’un d’autre. Il n’y avait pas d’expéditeur et il venait de Roumanie.

— Tu auras dû attendre que je revienne ! Alors tu n’auras pas su. C’est ta faute !

Il n’y avait plus rien à dire.

Le monde s’écroula autour de moi.

Rien n’était plus comme avant.

Tout que je croyais, ma famille détruite, ma foi dans la fidélité et l’amour de mon mari, tout était faux.

Mes intuitions, les signes que je mettais de côté avec haussement d’épaule, ses comportements bizarres de temps en temps, tout était à revoir. Toute notre vie, toute ma vie.

Sandou me voyant tellement atterré, tomba en genoux devant moi :

— Julie, je t’aime ! Je n’aime que toi.

— Alors, pourquoi ? POURQUOI ?

— T’étais loin, j’avais bu, j’étais avec copains. Pardonne-moi, comprends moi. Ça arrive sans qu’on se rende compte, involontairement. Pour un homme, cela ne compte plus que comme changer sa chemise.

— Involontairement. Coups vigoureux, répétées, plusieurs nuits. Lettre.

— Merde ! Tu avais qu’à ne pas l’ouvrir !

Sandou s’en alla et se prépara un déjeuner dans la cuisine. J’avais perdu l’appétit. J’ai repris la voiture.

— Où vas-tu ?

— Travailler.

— Mange d’abord.

— Trop tard.

Trop tard pour lui, trop tard pour moi.

À ce moment-là, il regrettait encore de m'avoir heurtée.

J’ai pris la lettre qu’il n’essaya plus me le reprendre et je suis allée à mon lieu de travail. Non, je n’ai pas travaillé ni ce jour-là, ni les trois jours suivants. J’ai pleuré, tout l’après midi, le lendemain aussi. Puis, j’ai réfléchi. J’ai pleuré amèrement ma vie détruite.

Non, je ne regrettais pas d’avoir ouvert par mégarde cette lettre, qui m’a ouvert les yeux, même si mes yeux voyaient des choses fort moches à partir de maintenant. Je regrettais d’avoir vécu les yeux bondés si longtemps, trop longtemps. J’ai pleuré et pleuré, des heures et des jours, sur mes illusions perdues.