Histoire parallele

2007: c'est long, c'est lourd et c'est seulement comment j'y croyais alors que les choses se sont passées, qui sait la vérité du passé en tout cas, vous pouvez bien sauter ses lignes ou les parcourir seulement très rapidement. J'ai réfléchi, dois-je le publier? Quand j'avais lu (il y a onze ans, il a aimé ce que j'avais alors écrit, alors...)



25 juin, 1996

Ce matin, j’ai emmené François à Provins, c’est finalement seulement à quarante kilomètres de Celles. Une ville dans laquelle les traces, les maisons de moyen âge, restent visibles, belles, rénovés.

François a réussi à obtenir la clé de l’orgue de 18e aux tuyaux, le curé de l’abbaye aime aussi y jouer.

- Jusqu’à quand voulez-vous jouer ?

- Onze heures, sera assez.

- Bien.

Ensuite, nous sommes allés prendre le petit-déjeuner dans le café à côté d’église, François a pris un chocolat et un plat d’œuf, moi du thé et deux œufs durs avec une petite tartine. J’ai regardé François boire. Son petit doigt s’écarte des autres. Il a des très belles mains, des longs doigts réguliers, sauf ce doigt-là.

Je me suis rappelé : c’est la trace d’une balle qu’il a reçue d’un adolescent arabe à Alger, d’ailleurs cette balle lui a sauvé la vie. Je me suis rendu compte subitement que finalement, malgré les apparences, François, professeur d’université, consultant, français, etc. a eu une vie plus dure, plus difficile que moi.

Dans ma tête, pendant que nous rentrions à la maison, nos histoires parallèles se sont déroulées.



Il a quatre ans plus que moi, mais déjà son enfance a été beaucoup plus solitaire que la mienne. A deux ans, j’avais des copines, à quatre, j’allais à la maternelle, j’organisais des fêtes d’anniversaires amusants, à six, je commençais l’école avec ma cousine à côté de moi.

Il vivait déjà à deux ans séparé de sa sœur et son père interdit à sa mère de l’emmener ailleurs, de jouer avec d’autres « pas assez strictement, religieusement élevé ». Entre six et neuf ans, il errait seul dans le jardin, regardant de loin les autres jouant ensemble dans la rue. « Tu n’as pas le droit de sortir, sur la rue. Avec ces méchants. N’y pense pas ! » Son père était enseignant à l’école qu’il fréquentait et François mis à part, restait à l’écart, il n’avait pas le même vocabulaire, les mêmes intérêts que les autres. Même pendant les vacances « Il s’intéresse aux cailloux ! », son père lui avait donné le goût.

Nous avons passé, lui, moi aussi, la plupart des vacances chez nos grands parents. Moi, jouant dans l’énorme jardin, avec mes cousins et cousines libre et heureuse. Lui était aussi avec les autres l’été, mais après la solitude lui pesait davantage. Il se sentit libre à dix ans pendant l’année quand son père à l’armée, sa mère, institutrice dans un petit village, il pouvait jouer dehors, lire, faire la cuisine, aider sa mère. Mais à 11 ans, son père revint, liberté terminée. « Il faut récupérer, travailler davantage. » Fini, les sorties.

Ensuite, on l’a mis au collège, des années terribles. Sans chauffage la nuit, très peu à manger, il grandit d’un coup (il a presque deux mètres) mais restait maigre. Il portait toujours des vêtements trop courts. « Il grandit trop vite ». Il devait avaler rapidement, sinon il n’y restait même pas de carottes aigres sur la table commune. Les autres recevaient des suppléments de la maison, pas lui.

Après la guerre, j’ai perdu mon regard d’enfant innocent en entendant les récits des survivants des camps de concentration.

Le père de François a été arrêté comme « collaborateur » et mis en camp, surveillé par ses anciens élèves. Sa mère, avocat, avait trouvé des témoignages qui l’ont innocenté, mais cela dura un an. Parlant allemand, il croyait aussi en Pétain. Mais c’était surtout les notables qui le haïssaient, dit François, il avait toujours été intransigeant, moralisant. Ne voulant même pas permettre à faire jouer une pièce de Molière à l’école « Garçons et filles, ensemble ? Costumes d’époque, décolletés ? Pas question ! »

Je vivais dans un pays communiste, mon père fut arrêté lui aussi quand j’avais seize ans: quelqu’un voulait accaparer son poste. C’étaient des années de terreur communiste, et pas seulement en Roumanie. François était rentré à l’École Normale où le groupe communiste terrorisait quiconque n’obéissait pas à leur dictat. Il s’est révolté, ne voulait pas « signer, obéir ». Répondait. J’avais lu Marx, Lénine, Staline, parce que j’y croyais alors, il les avait lus pour les utiliser comme arguments contre ceux qui ne lisaient que le Humanité sans réfléchir, contre ceux qui affirmaient « la physique soviétique est le Vraie ».

Nous nous sommes sentis parias quand nos pères furent arrêtés. Mais lentement, j’ai trouvé des amies. Lui, s’est lié avec les autres « protestataires », les autres exclus.

J’ai commencé à écrire vers onze ans, pendant ce temps, François, déjà quinze, allait jouer à l’orgue. Je publiais des articles, il tenait des messes. À quinze ans, je militais dans l’organisation de jeunesse communiste, m’occupais des enfants pionniers, lui, déjà dix-neuf, était devenu secrétaire régional de la Jeunesse Musical.

Mais quand je rentrais tard des réunions à seize ans, et mon père était mécontent, ma mère me défendait, l’organisation m’incitait devenir indépendant. François, à dix-neuf ans, devait rentrer avant neuf heures de soir au lycée et quel drame quand son père le surprit un après-midi parlant au coin de rue avec une fille, pourtant copine de sa sœur.

J’ai commencé à travailler à dix-neuf ans, étudier par correspondance. François, pendant ses études finissait le plat des autres, faisait des postes de radio pour gagner un peu, pouvoir expérimenter, avoir des pièces supplémentaires. Il commença sortir, danser toute la nuit, son père étant loin. J’ai commencé à sortir aussi vers 22 ans, mais je ne suis pas devenu femme qu’à vingt-cinq. Pendant ce temps, François ayant fait un enfant, a dû se marier. « Sinon, qu’auraient dit mes parents ? »

Il passait l’agrégation que son père n’avait pas réussie, puis il fut envoyé aussitôt à Alger, dans les transmissions. Là aussi, on l’a pris sur le fait : « il lisait un livre sur les radios, recevait des livres techniques », alors, on l’a envoyé dans les montages dans un post dangereux. Là, il faillit tuer, il a menacé un sergent chef revenu d’Indochine qui se vantait avoir « humilié » (torturé) des prisonniers. Heureusement, il n’y avait pas de balle dans le canon. Il refusait s’asseoir à la même table que le lieutenant se vantant de s’être « occupé » d’un algérien, chef FNL capturé, pendant une semaine. En l’écoutant seulement, François était devenu malade pour plusieurs jours.

Puis il est devenu père, son fils est né, il rentrait. À Alger, on lui avait pris l’arme deux jours avant l’embarquement. C’est là qu’il a failli être tué par un gosse, il s’en est échappé avec son petit doigt fracassé grâce à ses bons réflexes, il avait entendu un sifflement et il a mis sa main pour se défendre, instinctivement. Pendant que la blessure se refermait, toute la garnison de haut, montagne a été tuée. François enseignait déjà au lycée, il commençait sa carrière de professeur.

Moi, je quittais la Roumanie, mariée, j’ai eu ma fille à Jérusalem, puis je suis arrivé en France. La même année, François était nommé professeur à Paris. Jeune, mais déjà déterminé, il n’accepta pas Math Sup à Louis le Grand, mais est allé enseigner la Physique au Michelet. Comme il ne pouvait pas faire qu’une chose à la fois, il a commencé à travailler sur une machine à chiffrer avec un de ses anciens copains d’adolescence.

Peu après 1963, mon arrivée en France avec Agnès, deux ans, François avait déjà quatre enfants et commença à travailler à l’Institut Blaise Pascal, le premier Institut Informatique en France, rapidement est devenu responsable de laboratoire, un an plus tard il était reçu et reconnu par les grades des ordinateurs, partout.

Sa femme a eu une fausse-couche, presque en même temps que moi…

En 1966 François commence sa carrière universitaire, créant son labo, consultant partout. Son dernier enfant, Valérie, née en même temps que mon fils, Lionel.

Je commençais être malheureuse en mariage, mon mari volage, me négligeait de plus en plus. François n’a jamais été heureux vraiment : « Ma femme ne voulait de tendresse, me dit-il, sinon entre neuf heures et neuf heures et demie le soir. » Il a cherché ailleurs, très tôt dans son mariage. Plus tard, son mariage est devenu un enfer, sa femme entrée ou contribué à former un sort de secte des femmes. Pendant la « traversé de désert », pendant que je vivais avec de chantage affective et sexuel, j’apprenais énormément pour utiliser mon énergie, finir mes études, obtenir un doctorat. Le même temps, François glissait en cauchemar de son côté. Sa femme s’occupait très peu de ses cinq enfants, la « gourou », ancienne amie de sœur de François, faisait la loi indiscutable. 15 minutes de retard à la convocation, signifiait trois mois pendant que sa femme ne lui adressait pas un seule parole. Protester apportait des éclats hystériques. François, ne voulant pas « entrer dans le jeu », manifestait des signes d’indépendance considérés « inadmissibles », était ostracisé, leurs vacances devenu enfer. Avant d’agir, même laver la vaisselle, faire un déjeuner, il fallait le discuter ensemble, repartir les tâches, le réaliser ensemble, être une maille de la chaîne.

François mettait de plus en plus d’énergie en son travail divers et intéressant. Sa femme ne voulait plus de tout de lui : « Tu n’a qu’à aller chez les prostitués. » Ce qu’il fit. « Elles étaient plus accueillantes. Je discutais avec elles. »

Des années se sont passées.

Ensuite le drame a frappé.

Un été, François a refusé de passes ses vacances avec le « Groupe ». Ses deux fils y sont allés. Le plus âgé étant tout à fait « intégré » il fallait dorénavant persuader le plus jeune, d’esprit indépendant. Brisé par tant de pressure, à son retour chez les grands-parents, il s’était mis à se balader soucieux, inconscient en bicyclette sur le Nationale. Il a été fauché par un camionneur qui n’a pas réussi à l’éviter. À son enterrement, sa mère ne se souciait toujours que de Gourou. « T’es plus ma fille, dit son propre père, tant que te reste ainsi. »

François n’a pas pu terminer sa thèse et bientôt, il avait été aussi remplacé, mis hors son labo qu’il avait pourtant créé. Il continuait à enseigner, former. Mais, détruit, il était au bord de suicide. « Il faut absolument divorcer. Sortir les filles au moins de cet enfer. C’est la seule voie. » François s’est séparé de sa femme, a peiné, et finalement, avec son influence pendant les vacances passées avec ses filles, il a réussi les sortir, les aider, les encourager. Seul, son fils a été pris irrémédiablement.

Pendant ce temps, je formais des laborantines, je les enseignais la chimie. Puis, moi aussi dans mon mariage aigrissant, je me sentais presque brisé, je me suis décidée.

Nous nous sommes séparés, puis divorcés. Moi de mon mari, lui de sa femme, presque en même temps. J’ai commencé ma vie de célibataire et pour mettre de distance avec mon ancien mari, je suis partie en Amérique en stage après doctorat.

François a retrouvé un semblant de famille en vivant avec une de ses anciens étudiants ayant un jeune garçon, s’occupant de celui-ci. Ils ont vécu sous le même toit pendant 10 ans. Elle était informaticienne, loin de secte, mais il restait entre eux une trop grande distance. Après la première bonne année, ni sexuellement, ni émotionnellement, ils ne s’entendaient plus. Et de moins, en moins. Elle a commencé à boire. François s’est lancé dans le travail, plusieurs à la fois, a recommencé l’orgue.

J’ai fondé la Société BIP, François a fondé, lui aussi, avec sa compagne une société de micro-informatique. Longtemps avant que nous nous rencontrions, nous avons eu déjà nos photos (et interviews) sur la même page d'Info Mac. Sa société ventait des outils de programmation et surtout le travail, la formation de François. La mienne vendait des outils de Mise en Page et ma formation. Nous étions devenus tous les deux des passionnés de Macintosh.

Finalement, en même temps que je n’arrivais plus à supporter Paul, qui buvait de plus en plus, lui s’éloignait de Muriel ivre de plus en plus souvent. Elle est partie. Je suis partie. Nous sommes restés seuls... presque en même temps. J’ai cherché un refuge en écrivant, un, deux, trois livres. François a mis son énergie à créer, programmer un logiciel, un Éditeur de Texte programmable, et puis... en Minitel rose.

Nous étions déçus, cyniques, presque résigné.

J’avais déjà 53 ans, François 57. J’étais devenue trop dure, sèche ; François trop courbée, gros, voyant la vie en noir (et « rose »).

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François est apparu devant notre stand à l’expo « Publication assisté par ordinateur » le jour quand mon livre sur « Hypercard » est sorti.

« Elle avait emporté ma voiture, je n’en ai plus, m’a–t-il dit. » Donc il était seul, donc il était déçu, lui aussi, pensais je.

Je me suis rappelé de lui.

Des années auparavant, beaucoup d’années, quand j’avais décidé qu’habitant à côté de Paris, je pourrais enfin finir et obtenir un diplôme supérieur français, dix-sept années avant notre rencontre à l’expo, j’aurais voulu faire l’informatique qui m’attirait déjà.

« Le seul valable de qui vous pouvez apprendre si vous ne voulez pas l’informatique théorique est Savoyard. Allez le voir. »

J’y suis allé à son labo. Je me souviens comme si c’était aujourd’hui. Toute suite que je l’ai vue, une flèche a transpercé mon cœur : Oh, celui-là, la première fois depuis des années, oh, que j’aimerais... Mais nous avons parlé seulement du diplôme, des études.

« Non, vous n’êtes pas assez qualifié pour un DEA Informatique. Ça ne marchera pas. »

Nos chemins se sont séparés.

Ce n’était pas encore le temps, nous n’étions pas encore mûrs l’un pour l’autre. C’était en 1972.

Il a fallu encore 17 ans pour qu’on se rencontre, on se reconnaît et ne se quitte plus.

« Je voudrais travailler ensemble ! » je lui ai dit alors. Cette fois-ci, cela l’a accroché. Et mon regard.

Il était seul, il se sentait d’ailleurs beaucoup plus solitaire que moi. Pourtant, je venais moi aussi me rendre compte de ma solitude, en regardant une statue de mon amie Stéphanie, deux colombes se blottissant l’un à l’autre.

Nous ne croyions plus aux miracles. Mais nous avons osé. Il est venu me voir, me montrer son programme, mon livre l’ayant enchanté. Il me racontait ses succès, les hommes célèbres qui l’ont reçu. Il parlait sans arrêt.

« Monsieur le Professeur, vous me donnez la parole à moi aussi ! »

Il m’a vraiment regardé alors pour la première fois.

« Une femme ayant de personnalité ! »

Il m’a invité déjeuner dans un restaurant Pakistanais, où tout était décoré de rouge.

Je l’ai fait parler de lui-même:

« Qui est parti avec votre voiture ? »

Pendant qu’il se racontait, je l’ai regardé avec compréhension, chaleur. Il a ressenti dans ce regard des possibilités merveilleux, incroyables. Nous nous sommes seulement serré les mains, en signalant « Je vous comprends. »

« Moi aussi... » On se devinait plutôt, nous ne nous connaissions pas encore.


Nous avons vécu sur deux univers si différents me suis-je dit au début. Sur quel monde a-t-il vécu ? Est-ce le même que moi ? Il disait des choses si étranges. Moi aussi, je lui racontais le monde, un monde si différent du sien.

Est-ce vrai ?

Aujourd’hui, avec mes yeux qui le connaissent enfin bien, nos contextes me paraissent moins lointains les uns des autres qu’alors.

Moi, pauvre émigré, jamais tout à fait intégrée malgré tous mes efforts, bossant, luttant, d’origine hongroise et juive, chef d’entreprise, énergique.

Lui, français, catholique, grand amateur de l’orgue et musique, professeur d’université, voyant autour de lui tout le monde hostile, voulant lui nuire, le détruire. Extraverti en apparence, volubile mais fermé en réalité.

Même ses yeux : on ne pouvait rien y lire au début. Longtemps. Se méfiant de tous, même de moi.

Malgré tout...

« Mais elle s'est blottie instinctivement contre moi pour un instant, quand je l’ai tenu serré. Est-ce possible ? Intelligente et chaude à la fois ? Ce rêve, je l’avais déjà abandonné depuis l’université. Où est le piège ? »

« Mais, il m’appelle chaque matin dès six heures à l’aube, me cajole avec sa voix chaude, pleine de tendresses, enchanteresse pendant une heure entière, deux heures même, sans vouloir s’arrêter, se couper. Et nous parlons, parlons. (Plus tard) : Est-ce moi qui croyais, il y a quelques mois encore que j’étais trop âgé pour ça ? Que je n’en veux plus ? Oh ! J’avais hâte de le revoir !

« Elle répond à mes caresses d'une façon miraculeuses. Elle m’écoute vraiment. Mais souvent, elle ne me comprend pas, ne me croit pas. En quoi je me mets encore ? Je serais de nouveau déçu. Puis, de toute façon, depuis des années je ne peux plus... Je suis trop vieux. Puis, il ajouta : Mais avec elle je renais, je revis. Est-ce vrai ? est-ce possible ? Elle y croit. »

« Enfin quelqu’un avec qui je peux communiquer! Qui m’écoute même s’il ne comprend pas tout, ne croit pas tout que je lui dis. De quel monde, est-il venu? A-t-il vécu le même France, a-t-il allé au même Amérique que moi? puis j’ajoutais: Comment peut-on croire que ‘tout le monde sait ça ou fait ainsi ? ! »

C’est ainsi que tout commença, il y a huit ans déjà. Nous avons fait depuis beaucoup de choses que nous ne croyons plus capable.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

en effet, que de similitudes, cette route faite séparée, mais si semblable ;-)

Sophos qui arette de lire... mais qui reviendra ;-)
Bonne soirée, Julie!