En sortant de l'ascenseur

Fin avril 2001

En sortant de l’ascenseur, j’ai rencontré mon voisin de palier. Un homme taciturne, étrange. Je me sens mal à l’aise à chaque fois que je le vois sans savoir pourquoi. Petit, carré, âge moyen : est-ce un espion, un agent de police déguisé, un voleur ?

Il vit avec une femme que j’ai presque pas vue et reçoit tous les matins un journal au pas de sa porte, je n’ai pas osé regarder lequel.

Avant, dans ce logement habitaient deux lesbiennes sympa, l’une la plus jeune actrice de Comédie Française, l’autre chanteuse à Lapin Agile et écrivant ses propres poèmes et chansons. Elles sont venues à tour de rôle me visiter, bavarder, mais jalouses l’une de l’autre, elles ne sont pas revenues. À l’époque je ne vivais encore avec François et j’avais besoin de parler avec d’autres.

Dans l’autre logement de palier vivait, jusqu’il y a quelques mois, une vieille dame hongroise. Aveugle et fort amincie, les derniers temps. Elle doit avoir 98 ans : j’ai dû appeler le docteur quand la femme hongroise qui aurait dû s’occuper d’elle est venu me dire que la dame avait tombé la nuit et probablement cassée le fémur. Le docteur l’a envoyé à l’hôpital et m’a dit plus tard qu’il avait trouvé son lit plein de cafards et avec le chat sous la couverture.

On l’a envoyé dans une maison pour vieux, hélas, son petit-fils que j’avais réussi à retrouver m’a affirmé qu’ils n’avaient pas envie de s’en occuper ni d’elle, ni de l’appartement. Depuis, des squatters slaves l’occupent. Que a-t-il pu arriver à tous ses tableaux anciens ? Elle n’était pas bien soignée, mais au moins, elle avait été heureuse d’être « chez elle », entourée des tableaux de son mari, comme dans un musée. De temps en temps, je la visitais, nous bavardions en hongrois.

Au-dessous de nous vit un couple homosexuel. L’un est entrepreneur, grand admirateur de Napoléon et d’anciens voitures, très actif dans le quartier et fort sympa. L’autre, très mince et chaleureux et le « femme de ménage », faisant les cours et la cuisine, nettoyant. Pendant un temps, il avait disparu, remplacé par un homme fort antipathique qui n’a pas duré longtemps. Ils ont tout le rez-de-chaussée, sauf la loge de la gardienne.

À l’entré est la concierge d’origine espagnole avec son mari et maintenant, un garçon de trois ans. Elle vient de rentrer avec le petit, me sourit et dit bon jour.

Au-dessus, habite depuis deux ans une coupe jeune, lui français, elle d’origine japonaise avec leur petit bébé qui n’a pas encore deux ans. Tranquilles, sympa.

A côté d’eux, au-dessus de la vieille dame hongroise, un couple qui avait deux enfants de deux et quatre ans, il y a vingt ans quand je suis arrivée ici. La fille a dû partir, le garçon joue de piano presque toute la journée. Toujours les mêmes morceaux, au moins un peu mieux qu’il y a deux ans. Où donnait-il des leçons de piano aux débutants ?

La maison a six étages, mais je ne connais pas les autres.

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François joue aussi souvent, mais à chaque fois quelque chose de différent. Au début, surtout de l’orgue, de plus en plus de piano. Quelquefois le clavecin. Avec l’instrument électronique, il peut changer d’instrument en instrument à sa guise.

Depuis qu’il était parti une semaine avec sa fille, j’ai rangé un peu (beaucoup) notre appartement est devenu agréable.

On étouffait avant.

C’était devenu de plus en plus invivable.

Il y a encore beaucoup à faire, mais au moins, il y a de l’espace, de place pour s’asseoir et de l’espérance.

François m’aime et je l’aime.

Mais il ne s’aime pas. Il n’a pas réussi de sortir de sa dépression depuis plus de quatre ans. Peut-être six. Pas réussi à trouver des choses à faire le passionnant, le satisfaisant.

Il dort beaucoup. Reste souvent juste en haut de pyjama ou maillot jusqu’à midi, lisant, regardant la télé du lit. Se haïssant.

Il fait magnifiquement la cuisine et a des doigts magiques caressant les touches de piano. Ou moi.

Il me rend heureuse.

Son désespoir me rend malheureuse.

Son sourire me rend l’espoir.

Moi, je m’aime et je trouve tellement à faire ! Seule, avec lui, avec d’autres. J’enseigne l’informatique aux retraités, je fais la lecture dans une maternelle au bord du banlieue, je joue avec mes deux petite filles, je nourris mon petit de quelques mois. J’attends retourner voir les autres trois petit-fils qui habitent loin. Je lis. J’écris. J’apprends.

Enfin, le piano du haut s’est tu. C’est le silence. J’aime le silence. J’aime m’absorber entièrement dans ce que je fais, sans perturbations. Lecture, écriture, l’ordinateur.

François. Nous.

Il est parti reprendre les photos faites à la baie de la Somme où ils étaient avec sa fille et son petit-fils, pour l’occasion il s’est rasé. Je suis allée faire des courses, j’ai commandé un énième livre par l’Internet. Mangé du riz au lait. J’écris.

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