Le secrétaire baroque

L’objet qui me sourit sitôt j’entre dans l’appartement est mon secrétaire baroque. Baroque ? Il date de Marie Thérèse d’Autriche, au moins, du temps quand mon arrière grand-mère n’était pas née encore.

L’impératrice avait beaucoup d’enfants et les aimait chaleureusement. Elle s’occupait beaucoup de leur éducation. L enfant grandissant, à un moment donné, leur percepteur ne servait plus mais gênait, rappelant aux enfants leur enfance. Le percepteur vieillissant fut renvoyé, mais avec la grâce et élégance de la cour d’ailleurs. On lui trouva un nouveau charge, chez un gentilhomme fournisseur de l’empereur qui avait refusé d’être anobli et on le déménagea en lui laissant emporter avec lui tout le mobilier des trois pièces qu’il avait pendant qu’il avait habité au palais.

Le gentilhomme campagnard avait huit garçons et six filles, distancés d’âge d’un de l’autre. La plus grande fille eut sa fille en même temps que sa mère eut sa dernière, la plus petite. L’instituteur enseignait les garçons qui grandirent à leur tour, il devint de plus en plus vieux. Une petite fille, la dernière, curieuse et gentille, vint le visiter souvent, elle était assoiffée de savoir, émerveillée par la sagesse de vieil percepteur qu’on laissa vivre dans le domaine jusqu’à la fin de ses jours. Il aima tellement cette petite fille volontaire, gentille et intelligente, qu’en mourant, il lui légua tout le mobilier, les seuls biens qui lui restèrent encore.

En se mariant, dix ans plus tard, Paula prit avec elle les meubles.

Vite, une après les autres, son mari lui fit sept enfants, puis mourut. La plus grand de ses enfants, l’unique fille restant vivant eu trois enfants que Paula aimait et gâtait à son tour. Elle habitait longtemps avec sa fille Sidonie. L’aînée de sa fille, Katinka était intelligente et chaude, mais fort sensible, elle se maria contre la volonté de ses parents. Sa grand-mère Paula lui donna en cadeau de mariage deux de ses secrétaires antiques que Katinka donna elle même à sa fille (moi) quand elle eut 25 ans.

Mon père voulut le vendre après la morte de maman et notre départ vers l’étranger. Pour récupérer un de ses secrétaires que j’ai réussi à retrouver il a fallu que je paye l’argent équivalent aux frais des études universitaires de ma fille. C’était beaucoup pour moi à l’époque. Valait-il la peine ?

En le regardant me sourire, toute la famille me sourit et le conseil que donna à Paula son vieil instituteur me revient : « De tout mauvais qui vous arrive, quelque chose de bon peut en sortir ! »

Deuxième récit : lequel croyez-vous vrai ?

Un beau buffet secrétaire me souris dès le matin vis-à-vis de mon lit. En bois rond, à la manière chinoise. C’est mon plus beau meuble, la première que je me suis achetée avec mes économies faites de mon travail. Ce beau meuble est lié dans mon esprit avec ma liberté, les premiers jours après ma décision de divorcer.

J’étais mariée quinze ans et je ne m’imaginais pas que je pourrais jamais vivre seule. Mon mari me trompa, me frappa, se moqua de moi et vers la fin, il fit des plans de futur avec une jeune, fiancée d’ailleurs au fils de sa cousine. Ceci me décida.

J’étais résolu de vivre seule dorénavant, puisque mon mari avait réussi à me faire croire que personne ne voudrait plus de moi. À quarante-cinq ans, avec dix kilos de trop, un large signe d’opération sur mon ventre, je me sentais avilie, vieillie, finie comme femme. Malgré tout, je ne supportais plus rester près de quelqu’un pour qui j’étais moins de rien, qui faisait de plans d’avenir avec une femme de moitié son âge. J’avais forte peur de lui et redoutais qu’il ne prenne mes enfants, mais j’avais heureusement trouvé un bon avocat.

Quelques jours, non, des mois, j’ai pleuré, pleuré, puis je me suis mise à découvrir Paris près du quelle j’habitais. Un jour, je suis entrée dans une boutique de meubles antiques vis-à-vis de Louvre. Mon cœur battit comme peut seulement lors d’un premier coup de foudre. J’ai eu l’impression que ce meuble me rapportera ma jeunesse, me rendait mes rêves d’antan. Je m’approchai, doucement, pour ne pas l’effaroucher, mais déjà, de loin, il me sourit, me rassurant.

Je ne te quitterai pas, je ne te tromperai pas, sur moi tu pourrais compter.

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