20 août 2001, Lectour
Tout se désintègre.
À la fois, comme d’habitude dans la vie. Les coups, les déchirures arrivent les uns après les autres, en série.
Je dois partir du logement où j’étais depuis vingt ans ; à moins de l’acheter. M’y accrocher sera suicidaire d’après Stéphanie. Seule, je pourrais pourtant vivre là. Soyons sincères, c’était ainsi que je me le suis imaginé quand j’y pensais que je voudrais l’acheter, je pensais au futur lointain. Vivre avec François là bas est devenu un enfer. Suffocant. Pour lui aussi.
Vivre où alors ? Aller où ?
Voyager davantage.
Maigrir !
Vivre en plein, selon moi. Non pas d’après François.
Permettre à lui aussi de ne plus cacher sa « vraie personnalité ». Vivre comme il en a envie. Avec d’autres aimant s’exhiber.
Mais je dois avoir un trou à moi.
Un lieu où je peux recevoir Gabrielle ou David. Ou même Nadia et Vincent. Ou Alexandre, ou Henry. Ou Thomas. Une femme que je rencontrerai.
Pourquoi pas là ?
Il ne partira jamais alors ?
Louer. Ne rien acheter. Au cas où…
Une erreur fondamentale était de l’emmener avec moi ce printemps. La confiance totale pendant treize ans, puis, d’un coup, changement de personnalité.
Non. Il me dit maintenant qu’il avait dissimulé sa vraie personnalité parce que j’en avais besoin d’avoir à côté de moi un autre que ce qu’il était réellement. Alors, il s’est changé. En apparence.
Tout qu’il dit, me fait froid au dos.
Notre appartement est lumineux. Il le dit sombre.
J’hésite encore un peu. J’ai fort peu de temps pourtant. Des décisions fort importantes, sinon vitales, mais décisives pour le futur, doivent être prises rapidement. Dix jours encore et il faudrait décider pour acheter ou non l’appartement qui était mon « chez moi » depuis vingt ans. Quelques mois seulement restent pour trouver et louer ailleurs. Mais avant, décider si on peut se supporter encore, si cela vaut la peine ou non. J’ai l’impression que c’est tout décidé en réalité, par lui. Par moi, aussi.
Le fossé entre nous se creuse de plus en plus.
Il faut faire un « cahier de charges ». Réorienter nos vies. Chacun dans la direction qu’il le désire.
Est-ce douloureux ? Tout rupture l’est, plus ou moins.
« Mauvaises vacances ? »
Non, fort fatigants.
« On se met dans la voiture et tu me raconteras » avait-il dit pendant qu’on descendait l’escalier. Il a commencé aussitôt un monologue sur l’organiste d’ici, un des ceux lui ayant interdit de jouer sur l’orgue du pays, il l’accablait de tout. Bien sûre, n’importe quoi arrive, ce n’est jamais de sa faute. Les autres. Trafiquants, fascistes, etc…
Le trou qui se creuse entre nous est plus profond, d’heure en heure plus large aussi. Et j’ai l’impression qu’en son for intérieur il s’est déjà persuadé lui même qu’il serait mieux pour lui de s’en séparer de moi.
Il insiste alors, pourquoi ?
« Tu auras un grand vide, dit-il, personne contre qui parler »
Et il ajoute :
« Je pourrais refaire ma vie tenant compte de ma vraie personnalité, que je viens de retrouver à Lectour, entre des êtres qui n’ont pas tes complexes. »
Que dire de plus ?
Tout cela peut mal se terminer pour lui, mais je ne suis pas son gardien, ni sa mère. Chacun est responsable pour sa vie, ses actions et de leurs conséquences.
François est entré dans ma vie comme un tourbillon et j’avais enfin quelqu’un avec qui communiquer. Il ne m’écoute plus. Il s’écoute et il écoute les autres. De bon et de mauvais conseil, les autres. Tous qui l’admirent, tous qu’il admire, fasciné par eux ou plutôt, elles.
Je ne le fascine plus.
Le « Nous » a disparu.
Je n’arrive plus à l’admirer tel qu’il est. Redevenu ? Devenu ? Excité, surexcité. Exhibitionniste.
Fini, même si pas clos encore.
En relisant ce journal, je me rends compte qu’il commençait avec mes problèmes avec François (et ma santé et retraite) et qu’il arrive à sa fin (oserais je le dire « logique » ?) deux ans et demi plus tard.
Est-ce qu’à cause de ceci que sans savoir, j’hésitais de le finir, d’écrire sur les dernières pages ?
Grand soupir.
C’est bien de se relire.
D’écrire.
Avoir quoi relire. Retracer la voie parcourue. Revoir les événements, au fur et à mesure.
Depuis ce temps-là, je n’ai pas sérieusement progressé avec l’écriture non plus. L’atelier a rendu l’âme.
Tout n’est pas vide. J’ai progressé, appris. Compris.
Je continue à relire ce journal. Le plus j’avais de succès, le plus il me rabaissait.
Je vis de nouveau sous Equanil en petit doses, mais journaliers. De nouveau,
Il danse sans interruptions trois heures le soir, et le lendemain, il utilise son bâton pour marcher comme s’il était invalide. Est ce son comportement est dû au liquéfiant du sang ? Sautes d’humeur, irritation, peut-être, mais pas son envie d’être grand, visible.
De nouveau, des cadeaux, des caresses, mais un total manque d’intérêt envers moi, des monologues sans fin.
Et fureur : « Tu ne m’écoutes plus ! ».
Là, il a peut-être raison.
Il insiste encore d’acheter l’appartement qu’il a choisi :
« Tu es contre que j’ai une entré séparé. »
Puis il s’écrie d’un coup :
« Séparation à l’amiable, d’accord, et rapidement. À condition que tu ne m’attaques pas. Que tu me laisse travailler. Que tu… »
Et il continue. Mais mon cahier vient se terminer, j’écris ceci sur l’intérieur de la couverture. Il n’y a plus de place.
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