« Tu n’existes qu’en me contestant »

À Lectoure, toujours (autre cahier)

« Il arrive un moment, dans la vie de chaque être humain, où il doit regarder la réalité en face. Lorsque tel est le cas, c’est comme si le lien entre l’émotion et la raison était tendu jusqu’à l’extrême limite de l’endurance, et parfois il se rompt.

Dans cette série de nouvelles de Daphné Maurier, des hommes, des femmes et des enfants, en arrivent au point de rupture. Au lecteur de juger si le lieu a résisté s’il s’est rompu. » (Introduction)

Tension, trop haute.

Il paraît qu’il n’y a pas de « happy end » dans la vie. En tout cas, pas dans la mienne. Pas avec les hommes, en tout cas pas avec lui.

Un jour on se lève et l’on se dit : ‘qui est celui-ci ?’

François dit que sa personnalité est changée. Depuis un mois, il n’est plus « l’obscur professeur d’informatique, » il est devenu ARTISTE. Organiste célèbre, danseur du premier classe, chanteur à la télévision (parmi 1000), extroverti, ouvert vers les gens. Se mettant en scène sans cesse. Montrant qui il est, réellement.

« Je montrerai qui je suis !. »

Il sait tout mieux que les autres.

Il voit, lui, « la vie réelle » tandis que moi, je « fantasme », les couples échangent, on va danser au restaurant pour s’exhiber, se montrer.

Le matin il descend à peine une rue en pente, il rouspète que les enfants ne se lèvent pas pour lui céder la place. Il trouve la chaise trop dure, trop étroite. Le soir, il danse toutes les danses au restaurant sans s’arrêter un instant.

Encore ses paroles que ne s’arrêtent plus :

« T’es faux-semblant. Tu ne dis pas que t’es malade. Le fait de dire que ta tête tourne ne voulait rien dire. Tu n’es pas partie parce que tu étais fâchée, mais à cause de ta maladie. »

Il parle du bal où il s’était arrêté pour se quereller avec moi au beau milieu de la piste et je suis rentrée à l’hôtel.

« Le problème est là et pas ailleurs. »

Il ajoute :

« Ton interprétation est idiote. »

Ceci revient encore et encore.

« Tu n’existe qu’en me contestant !

Ta façon complètement stupide que t’as de guetter ce que je fais pour pouvoir protester, fabriqué de toutes pièces.

Tu as besoin de contester tout ce que je fais. Tu es une anti-François primaire. Le jour où tu n’auras plus cela, Stéphanie le croit aussi, tu auras un vide. C’est un besoin inné.

Tu ne peux pas admettre que je sois quelqu’un d’intellectuellement normal. Tu devras te demander la cause de cette attitude. Elle dit que tu ne peux pas en en sortir : tu existes seulement en t’opposant à moi. »

Il continue sur le même ton accusateur :

« Tes critiques sont de plus en plus à priori. Au fond, tu n’as pas envie à savoir ce que je pense. »

Je n’ai plus envie de l’écouter, c’est vrai.

« Parler avec moi t’est devenue maintenant une corvée parce que cela dérange ta façon de penser. »

Moi, je suis dérangée par sa façon de penser et me parler. Je ne lui réponds plus rien, de tout de façon, il ne m’écouterais plus, quoi que je dirais.

Et il affirme encore :

« Pendant 13 ans, j’ai essayé d’être le mari dont tu avais besoin, d’être un mari comme au début de ce siècle.

Que je vis, moi, discrètement ? Merde la discrétion ! Je ne sais pas pourquoi on serait discret. C’est renoncer à être. Pourquoi ? Se fondre dans le décor ? Plus jamais. Sauf…

Seulement, le décor des gens que tu n’admets pas. Exhibitionnistes. Qualité fondamentale. Pour toi, être remarqué c’est un drame. J’ai essayé d’être discret avec toi, j’ai essayé avec toi.

Vivre, c’est hier soir. Sur la piste. »

Et ensuite, il dit se plaint de moi, tellement injustement!

« Pourquoi vouloir vivre avec une malade ? Pour toi j’ai étouffé ma personnalité pendant treize ans. »

« Est-ce que tu l’admets ? »

Non. François. La réponse, c’est…

Bon, tout à l’heure.

Il sort, sans attendre la réponse. Ce que je pense ou dis, « n’a plus de conséquence, » pour lui.

***

« Je ne veux plus être une petite souris discrète. Avec Michèle, je n’étais pas. Avec toi, j’ai effacé ma vraie personnalité pendant treize ans. »

La clé est là peut être.

Il me l’offre (sur un plateau).

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