"Tu ne réfléchis pas!" me dit-il.

25 juillet 99

« Tu ne réfléchis pas ! » me dit François.

Il est arrivé à Washington.

Qui ne réfléchit pas ? Moi ? Ou alors lui, en me blessant ainsi. Pourquoi sont-ils ainsi ?

On parlait, on bavardait tranquillement et soudain, à un de mes observations, il a explosé. Il s’agissait, d’un de ses idées fixes, d’une manie ? Il a décidé que c’est ainsi, qu’il sera ainsi et il n’admet pas qu’on dise même « mais jusque ceci arrive… »

Ce n’est pas le fait que j’ai pensé à 'professeur' dans ce qu’il disait naturellement à 'professeur universitaire', tout de suite après qu’il avait parlé des 'fiches des professeurs' d’une enseignante universitaire en dérision, puis des gosses avec lesquels il faudrait interagir différemment. Comment deviner qu’il parlait de ceux en collèges ?

Valait-il la peine de faire tout ce scandale, de hausser le ton, de me parler avec telle méchanceté? Non. Mais bien sure si on y tient comme à une religion à laquelle les gens bêtes autour de lui ne veulent pas croire… Entre eux, moi.

Comme c’est difficile à supporter certaines maladies !

J’ai sens que ma tête éclate. Et pourtant 'intellectuellement' j’arrive à raisonner, le comprendre. J’ai écrit depuis trois ans un livre qui a déjà 600 pages et je ne sais pas ‘raisonner’?

« Pourquoi il a fallu que tu sois d’une méchanceté, et encore une fois » demande-t-il. On ne peut pas alors dormir?

Et puis : «Quand je dis un mot, ce n’est pas un autre, EST C’EST TOUT!»

Avec quel ton, il le dit!

Oui, il le dit, lui aussi : «On parlait si bien, puis d’un coup…»

Et ajoute :

« Tu me prends pour un idiot… »

Est-ce vrai ?

Le fait de ne pas croire toute la théorie, que tout est, tout sera en quelques mois tel qu’il l’imagine, d’exprimer ‘peut-être un peu plus tard, est-ce le prendre pour idiot? Ne pas comprendre qu’il a sauté de l’université et les fiches aux enfants, ne pas admettre qu’à cause des nouveautés en interactivité des jeux vidéo

« Tout changera aussitôt, tous les enfants, tous les ordinateurs, rien ne serait plus comme avant. »

Les gens existent depuis des milliers des années et ils changent mais fort peu et surtout lentement.

Je 'ne réfléchis pas' parce que je n’ai pas décelé que les 'gosses' n’est pas un mot pour les étudiants des professeurs universitaires? Ou parce que je conteste que le monde sera bouleversé de fond en comble par la venu des nouveaux consoles de jeu à lesquels il croit maintenant avec ferveur, depuis peu de temps d’ailleurs.

Non ! Criera-t-il, «pas de jeu, on pourrait les utiliser à tout, on les utilisera dès l’automne. Dès l’année prochaine», ajoute-t-il. En fait, s’il serait tellement sûre de ce qu’il s’imagine «Non, ce qu’il EST», alors il aurait plus de patience avec moi. Il est arrivé seulement hier matin et déjà c’est dur, dur. Pas toute la journée, heureusement. Pas avec tout le monde, heureusement.

Non, pas parce que nous sommes mariés. Peut-être, parce que je suis la seule qui le prend assez sérieusement pour, de temps en temps, lui répondre sérieusement.

Une conversation apparemment innocente, agréable et puis POUF ! tout dégringole. Il tremble de nerfs et continue à rouspéter jusqu’à ce que je perde mon sommeil.

Si la situation continue ainsi, je serais incapable de réfléchir réellement, de créer. Dans telle tension, telle atmosphère, comment peut-on vivre? À ne pas parler de création…

***

François dort, fatigué après dix jours épuisants, le tour des orgues de la région Parisienne, des conférences et expos visitées et le voyage. Agnès, Don et les trois enfants sont dehors. Pour quelques minutes, la maison est calme et silencieuse. Je peux écrire ! J’essaierai d’écrire pour douze minutes sans m’arrêter, juste pour m’exercer, juste pour voir ce qui en ressort.

On entend quand même les voitures qui passent sur la rue, leur maison et au coin et cette pièce donne sur une rue assez fréquentée. On circule dès tôt le matin jusqu’au soir. Probablement, si j’habiterais ici je m’habituerais avec ce bruit, je n’entendrais plus les voitures passer.

Quand mes petits-fils jouent, je ne m’en rends pas compte, leurs cris, bavardages, querelles, demandes occupent l’espace, toute mon attention. Et voilà, juste quelques minutes de tranquillité et déjà ils me manquent. Combien ils vont me manquer une fois qu’il y aura de nouveau un océan, plus de trois mille kilomètres entre nous.

Bon. Le calme n’a duré que cinq minutes, ils sont entrés, j’entends leur voix monter de la cuisine. « Maman ! You know… »

Agnès voulait passer aujourd’hui une journée tranquille à rien faire. Mais peut-on 'rien faire' entouré d’un garçon de deux ans, un de quatre et un de six? Je suis là, leur père est plus disponible aujourd’hui aussi, mais les gosses veulent leur mère. Interagir avec eux, sauf avec Henry le plus petit, est surtout possible quand les parents sont ailleurs. Quand ils n’ont pas de choix. Heureusement, je suis devenue, ou je suis, au moins momentanément, beaucoup moins susceptible que j’étais d’autres années. Quand tellement de monde lutte pour l’attention d’une personne, normal qu’elle n’a pas de temps (pas beaucoup) pour toi aussi (moi).

J’adore écouter Agnès lire à ses gosses. J’adore moins quand elle me dit 'non!' ou dit à mes petits-enfants différemment de moi, sans m’expliquer. Chaque fois que je conseille quelque chose, elle me réponds 'Bien maman' d’un ton d’enfant sage, et puis elle met à côté ce que je dis, ce que je suggère, comme on éloigne une mouche.

«J’ai trente-sept ans, tu sais!» Je sais, et alors?

Mon mari m’écoute davantage que ma fille. Ma bru aussi. Bientôt, en dix jours je serais à la maison et près de Gabrielle. Elle aura alors trois mois. Lionel m’a prévenu par téléphone : maman, tu ne le reconnaîtras plus!» Mon fils n’aime pas non plus mes conseils, mais Annelise me le demande.

Moi, j’aurais été heureuse d’avoir maman près de moi quand mes enfants étaient petits, je n’avais personne pour me conseiller. Au début, j’allais à l’infirmerie pour apprendre comment la baigner, comment la langer, puis je l’apprenais des livres comment l’élever, m’en comporter.

Maman, tu as quand même quatre petit petits-enfants adorables! Tu serais contente si tu serais encore là. Tu es encore avec moi, en moi. La preuve est que je te parle. Je te montre à Alexandre qui comprend déjà un peu le passage de l’âge, il comprend qu’un jour sa maman avait été mon bébé.

« Don’t ! » dit Henry (Non). Je le comprends mieux puisqu’il parle en mots courts. « Ha, ha ! » crie Thomas qui aime tout expérimenter comme son frère Alexandre aime tout comprendre. Et Henry ? Tout imiter, mais en plus, il adore manger, jouer, découvrir, sauter, se plonger jusqu’à cou dans l’eau, monter, se laisser glisser vers le bas des marches. Il est téméraire, courageux plutôt, puisqu’il les fait tant avec force qu’avec attention.

Vingt minutes sont passées.

François dort toujours.

Il est midi, mais nous allons manger seulement quand François se réveillera. Peut-être, il est temps de mettre la tourte au four.

Aucun commentaire: