La petite fille échappée

16 juillet 2003

En juin 1944, les ressemblent, et emportent des juifs hongrois, vus par les yeux de Sándor Márai. Une des entrées de son journal :

Un enfant avec étoile jaune, dont les parents et grands-parents ont été emportés de force aux camps de déportation (peu connaissaient alors le nom : Auschwitz) – l’enfant a réussi à s’échapper et vit dans un internat – elle déclame pendant la fête de dimanche un poème. Elle a huit ans. C’est elle qui a choisi les vers.

Elle récite:

Je suis hongroise, je suis née hongroise
Ma nounou m’a chanté en hongrois
Maman m’a appris à prier en hongrois
Et t’aimer toi, ma patrie merveilleuse.

et les quelques gens dans la salle, connaissant le sort d’enfant, assis se figent. Le froid travers les dos des auditeurs. Dans un autre livre, quarante ans plus tard, il parle «d’elle» non plus seulement "enfant".)

C’est vraiment merveilleux. Les journaux peuvent être des témoignages importants; émouvants.

Le froid passe sur mon dos aussi en lisant ce journal 1943 à 1945 de Sàndor Márai. Il avait de 43 à 45 ans et il était très profondément ébranlé par ce qu’il a vu et entendu. Je soupçonne, quoiqu’il ne le dit pas clairement dans ce journal, qu’il n’était pas étranger au fait que cet enfant était là encore et pas déjà parti en fumé.

Ailleurs, il dit "j’espère qu’au moins les enfants auront meilleure condition dans les camps." Hélas. Il soupçonnait le pire sans vouloir y croire.

A-t-on jamais puni ceux qui ont décidé d’anéantir ces centaines millier des juifs hongrois méthodiquement ?

Marai pleure aussi pour Hambourg et Berlin détruites et les habitants ensevelis, tremble pour Paris qui risquait à être aussi détruite mais aussi les vitraux bleus de Chartre et les chefs d’œuvres de Florence.

Quelques heures merveilleuses passées dans un village près de Danube (la même où est mon oncle), aux milieu de la nature tranquille, font comme un contre point pour la lecture de ses journaux. Il avait habité pendant la guerre dans le village où mon oncle est maintenant. Dans son journal il écrit aussi sur ses lectures et ses idées sur l’écriture.

Je ne sais pas ce qu’ils valent ses romans, vers, pièces de théâtre et articles de journaux (il était contemporain avec Rejtö et Kästner), mais ses journaux!

Ce qui manque sur la mienne sont les événements externes décrits et mes opinions sur des lectures (je les fait mais rarement). Mais de l’homme, lui, il ne dit rien ni de sa femme, ses amis, son âme paraît tout préoccupée de l’écriture d’abord, lecture ensuite, puis sa maladie, les bombes qu’on craint, et la tragédie ignoble autour.

Pourquoi tient-il si loin sa femme? Oui. La tragédie : son père est mort ainsi. Et son fils. Il rappelle cela seulement en parlant de long mort de son vieux chien. Il mentionne davantage son chien que sa femme.

Juste quelques lignes inintelligibles sur un être qui se plaignait n’être pas écouté, comprise. «Puis on l’a compris» ajoute ensuite, comme si c’était finalement la pire qui aurait pu se produire.

***

Vingt heure de soir, 34 degrés Celsius à l’ombre ! Chaleur suffocant. Je viens de rentrer, après une après-midi avec mes petits enfants.

J’ai fini le livre de Márai.

Il m’a secoué, il m’a rappelé les massacres.

Trop discret sur sa famille, sa femme, ses amis. Sinon, j’ai quoi apprendre de ce livre. On sent chez lui le chroniqueur. En même temps, cela reste un journal.

***
  1. Il n’a raconté que dizaines d’années plus tard que c’était lui qui l’a sauvé.
  2. Dans ce journal. Dans un autre, trente ans plus tard, j’apprends qu’elle était juive, donc en danger.
  3. Il y avait aussi l’histoire d’un grand poète hongrois qui rendait visite trop souvent dans leur maison. Allusion ?

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