J’ai mangé les asperges !
Puis soudain, en mangeant un bon brie mou hier soir, un de mes couronnes disparaît. Où est-ce? Qu’arrive-t-il ? Quoi de neuf ?
J’ai avalé ma dent. Elle a disparu.
Une dent dans mon estomac ? Dans mes intestins ? Panique.
J’ai téléphoné ici et là, l’un m’envoi à l’autre.
Finalement, l’un me dit : « Mangez des fibres, du poireau, des asperges… »
Asperges ?
Depuis un mois ou deux mois même, j’ai acheté de belles asperges pas chères dans un supermarché. À chaque fois que je disais à François « ouvrons ce soir les asperges », il me répondait d’un ton offusqué « pas maintenant ! » Asperge, compote, saumon fumé, c’est pour les fêtes, pour les invités, ce ne sont pas pour tous les jours, me dit à chaque fois mon mari.
Imaginez-vous, imagine-toi que j’ai dû avaler une dent pour que François m’ouvre sans protestation mes asperges!
J’ai voulu lui en laisser un peu.
« Non, c’est toi qui en a besoin. Finis-les. »
J’ai mangé mes asperges, très bons, merci bien, quoique même pas assez fibreux. Malgré eux je ne me suis pas couchée rassurée. Pas du tout.
J’avais envie, mais pas l’énergie, de faire mon testament.
Surtout, dire que faire avec ce que j’ai écrit.
À Miette, une des animateurs au stage de cet été, envoyer la dernière impression et la disquette contenant mes journaux ; a l’association Regards Croisés le livre avec les récits écrits de tous ; à mes élèves de l’Atelier d’Écriture que j’anime au MGEN pour des enseignants retraités, leurs écrits de cette dernière année imprimé et reliés dans un livre. Bien écrits, encore sans dialogue et quelquefois même sans scène, mais on voit ce qu’ils décrivent devant nos yeux. Que de verve ! Que de tallent ! Oui, j’ai vraiment bien fait de commencer cet atelier, sortir d’eux ce qu’ils avaient et leur donner courage à s’exprimer.
Stéphanie disait : Tu avais réussi, tout ce que tu avais entrepris, puis elle ajoutait : Bon, tout qui dépendait de toi, pas des circonstances extérieures.
Hélas, on ne vit pas dans un boulle. Des trucs extérieurs on en pleut. À vers.
Où arrive-t-on si on doit avaler un dent pour bouffer des belles asperges en boîte?
Blague à part, ce matin nous avons descendu près de marché Poteau et ramassé de vieux céleri jeté par terre et François m’a cuit du céleri fibreux mais très bon et j’ai aussi mangé des poireaux.
Le docteur Delfieu m’a recommandé un médicament pour « faciliter le transit intestinal » en me rassurant en même temps.
J’ai appelé aussi mon dentiste.
- Mangez de mie de pain et faites-vous un radiographie jeudi..
- Que dire ?
- Dites qu’ils cherchent des objets étrangers..
- C’est la cinquième fois que cette dent tombe !
- Hélas, cela arrive, me répond-il, qu’une racine ne tient pas.
Puis il ajoute :
- Cela arrive à tous les dentistes.
Aux dentistes ? À moi ! Cela m’arrive à moi.
François me demande :
- Est-ce toujours la même dent, pas celui d’à côté ?
Panique nouvelle. Et si toutes mes dents visées, non originaux, tombaient les uns après les autres ? J’avais l’impression que c’était toujours le même de devant qui causaient des problèmes.
François n’a plus de problèmes : il ne lui reste plus une seule dent.
Heureusement, il supporte bien ses deux dentiers. Il est beau avec eux, il mange du pain dur, tout, tout. Il chante. Enfin, quand tout va bien. Quand il y a de compagnie. Il m’aime. Mais je ne lui suffis plus. Lui non plus à moi. On a quelquefois besoin de parler, converser, être aussi avec d’autres.
En général, je réussis avoir des gens avec qui interagir. Rencontre avec d’autres retraités, avec ceux de l’Échange de Savoir, les gens que je conseille en Informatique, puis ceux connus à travers l’Internet au sujet de l’écriture des journaux intimes, ceux de l’Atelier d’écriture que j’ai animée cette année.
François ne réussit pas à ‘faire contact’, pas assez pour son goût, pas ceux qu’il lui faudrait. Pourtant, ses relations humaines se sont beaucoup, énormément améliorées depuis les dix ans que nous sommes ensemble. On entre déjà dans la 11e année!
Depuis ce temps, mon Français s’est amélioré aussi et je suis devenue plus flexible (?) et chaude qu’avant. Avant d’être déçue par l’un, par l’autre.
Je me sens nettement mieux. Peut-être, il ne vaut pas la peine encore de faire mon testament.
Hier soir j’ai dit à François « N’oublies pas ce qu’on doit faire de mes écrits ; du reste je m’en fous ». Je savais que Agnès, Lionel et lui ne se disputeront pas sur les meubles, les quelques bijoux, etc. Mais j’avais envie que le travail de ces dernières années et le journal de 50 années de la vie de Julie ne disparaît pas en vent. Qu’on les utilise, diffuse.
Ma vie n’a pas été pour « rien », j’ai deux enfants, j’aurais bientôt quatre petits-enfants, je ne dis pas que « si je ne publie pas, que restera de moi ? » puisque la réponse est donnée. Mais mes écrits pourront aider d’autres, j’en suis convaincue. Hélas, pas dans l’état qu’ils sont encore actuellement.
Oui, il me faut des collaborateurs. J’ai l’idée, l’enchaînement, le matériel, les contenus - mais peut-être pas les bons mots et formes. Pas encore. Seule, je n’arrive pas à écrire aussi claire, aussi intéressant que je voudrais.
Ce cahier, ce stylo sont de merveille ! Un grand plaisir d’écrire.
Comment ai-je pu rester si longtemps sans journal? Il m’est si nécessaire que le pain. Je sais. J’étais ‘punie’ parce que j’avais décidé de publier mes vieux journaux. C’était trop moi.
Aujourd’hui, c’est déjà elle, Julie et non pas Savoyard ou Julika. J’ai réussi à les éloigner de moi et te rapprocher de moi. Ne plus confondre journal et l’écriture. Hurrah!
Je viens d’écrire déjà sept pages dans ce nouveau cahier et je continue, je n’arrive plus à m’arrêter. Un peu comme les femmes de mon groupe d’écriture. À la première séance elle me demandaient « écrire quinze minutes sans s’arrêter ? tant que ça ?» La dernière fois que nous nous sommes rencontrés elles m’ont dit : «vous nous donnez seulement trois quarts d’heures pour écrire ?» Ils n’arrivent plus (sauf une) de s’arrêter. L’envie d’écrire, le courage d’y plonger leur est revenu. Mon courage aussi.
La série de malheurs ne durera pas, tout comme, hélas, la série de réussite ne perdure pas à l’infini non plus. Et puis, en même temps de bonnes choses sont arrivées aussi, pas seulement des mauvaises.
Et voilà François qui me sourit.
Il a commencé, recommencé à programmer. Il est en train de parler à haute voix à soi-même :
« Qu’est-ce qu’il me faut ? hum, X nature. Holà ! ca va être une mécanique ! » Il est fier de ce qui en sortira. Il vient d’avoir une bonne idée. Il ne voulait pas toucher à Access et maintenant il est en train de dire « Non, mais ce qui est extra c’est la souplesse d’Access, sans ça…. »
Puis il continue.
« De quoi j’ai besoin ? Savoir si ça existe ou non. Qu’est–ce que je vais renvoyer ? Est-ce qu’il existe une requête qui ne renvoie rien de tout ? » et il ne s’arrête pas à se marmonner à haute voix.
- François, veux-tu dîner ?
- Pourquoi tu compliques ?
- C’est l’heure.
- Mais je suis dans quelque chose.
- Bien.
Bien ? J’ai pourtant faim.
Quelquefois, dans ma jeunesse, je terminais l’entrée de jour dans mon journal avec ‘Au revoir, je vais manger’. J’étais mince, non maigre, mais j’avais faim, appétit. Quelquefois. Je bougeais aussi davantage. Je brûlais plus. Alors? Terminerai-je ce soir aussi avec ‘je vais manger’?
L’anxiété m’oblige à manger.
L’idée de couper mon roman « La princesse aux pieds nus » en deux n’est pas mauvaise.
Remettre la première chapitre comme était à l’original, lui et son point de vue plus vilain et en faire un récit bref séparé du reste. (???) À sa place, mettre un chapitre court sans brutalité, la prendre sans la forcer vraiment. Laisser seulement l’incompréhension entre eux. Il faudra changer ici et là, mais pas énormément. Vais-je ficher tout par terre ? Pourquoi ne pas essayer. Expérimenter. Je pourrais même en faire une pièce de théâtre qui commence par l’arrivé d’Henry chez le curé. Tout le reste, c’était passé avant le levé du rideau.
Bon, j’ai assez écrit. J’ai mal à la main, comme autrefois. C’est une bonne signe !
Bonne, très bonne soirée mon ami, mon journal. À toi aussi, Julie !
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