Je viens de relire mon quatrième journal.
J’étais déjà fort mature à 18 ans. Et un esprit pur. Naïve et réfléchissant en même temps. Sans ce journal, ma vie aurait été incompréhensible. Ainsi, enfin, elle devient ronde.
Je n’arrive plus à écrire fluent en hongrois, pourtant certaines expressions, certaines choses que je veux exprimer ne me viennent qu’en cette langue. Comment pourrais-je exprimer ‘tiszta lélek’ en français? La traduction mot à mot serait ‘âme pure’ mais cela ne veut rien dire. Je sais pas mal le Français mais pas assez, de loin. Et, quoi que je balbutie en hongrois, les expressions surgissent sans aucune difficulté. Pourtant, j’ai eu mal à lire le quatrième journal, je ne parle plus que fort rarement le Hongrois. En le lisant à voix haute je me suis rendu compte que j’avais mal traduit certaines phrases. Je me suis trop dépêchée à la faire : « Tul habzoltam. » Encore une expression difficile à traduire.
D’un côté, je me dis « quelle importance en quelle langue j’écris ce cahier », et même, « pourquoi ne pas écrire mélangé » ainsi, « pourquoi pas à chaque fois mettre ce qui vient, comme s’exprime mieux, plus facilement, plus exactement ce que je veux dire ; mais de l’autre côté, encore et toujours, reste en moi un doute, une insécurité, une petite voix qui me dit « alors, il sera difficile de le mettre en livre ». Pourtant j’ai juré, je me suis promis que ceci n’est qu’entre moi et toi, mon cahier, et malgré cela, peut-être, comme depuis mes quatorze ans, ou même avant, je sais quelque part, que ce n’est pas seulement pour moi. Pour cela, c’est vrai, je n’y ai jamais mis dans mes journaux les choses les plus intimes.
Sauf en Israël, une fois, et cela je l’ai amèrement regretté et payé avec la perte de ce journal-là. La perte d’une partie de ma vie presque, celle pendant laquelle ma sexualité a fleuri complètement, où la joie d’allaiter est arrivée comme une sensation physique extraordinaire, pas seulement un bonheur profond de mère, où j’essayais d’apprendre et d’appliquer à mon jeune mari les méthodes des courtisans des rois français tout en commentant ses réactions à mes divers expérimentations suggérés par les livres lus.
Puis, sur les mois avant d’arriver en France. Des rages de dents horribles dues à décalcification de l’allaitement et de la mauvaise alimentation, mais aussi des fantastiques promenades avec mon bébé fille et les énormes joies d’être mère.
Toutes les joies que j’attendais étaient enfin à ma portée.
Comme mère, je n’avais jamais été déçue, le reste « kisiklott a làbam alol. » Ont échappé de mes mains.
Bon, malgré tout, j’écrirai comme ça vient. L’important est de réussir bien exprimer ce que je sens, ce que je pense, ce qui m’est arrivé.
Relire le journal de mes 18 ans m’a donné, redonné l’envie d’écrire. Davantage. Quel témoignage extraordinaire d’une époque, d’un développement, d’un être ou presque une génération vivant là-bas, à l’Est. Hélas, certaines allusions, il faudrait les compléter, mais je crois que j’ai trouvé la méthode comment.
Je suis de plus en plus convaincue de la valeur de mes journaux. Témoignage, littérature, chronique, qu’importe. Un peu le tout.
Je vais encore y travailler et puis, si pas autrement, je ferai une édition au compte d’auteur pour le vendre ou distribuer. Jusqu’à ce qu’on se rende compte de sa valeur et qu’on m’aide à le franciser mieux. Mais certains prétendent que même tel qu’il est « ajout à son charme et véridicité » et que la partie de début retravaillé par François est « trop littéraire » et ne sonne pas assez naturelle.
Je devrais ajouter encore du contexte, je le pourrais, mais je n’ai pas « la musique bien française » dont parlait Stéphanie. Tout en lui laissant son originalité, fraîcheur naturelle.
Il faut connaître ses forces, mais aussi ses limites.
« Que suis-je ? » me demandai-je dans un récit, un essai récent. Après ma façon de penser, de disséquer, dans le quatrième journal, on reconnaît bien mes origines juives, la tournure de réflexion et l’habitude de tourner et retourner les questions.
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