La réalité change…

25 janvier 02

La réalité change. Dans le passé, mais même dans le présent. C’était écrit dans un livre que je viens de lire, par un auteur, à travers un de ses personnages.

'La réalité change': cette notion m’aurait choquée à un moment donné de ma vie. Aujourd’hui je sais que suivant comment on le regard, des nouveaux faits appris, avec la sagesse ou simplement les changes en nous, le passé, notre passé paraît différent de comme nous l’avons vécu, vu.

Ma vie avec Sandou, Paul, François aussi.

La relation avec la cousine disparu en fumée, a paru dans une lumière tout à fait nouvelle quand, d’un coup, je me suis rappelé les matins allant la chercher, en lui tenant la main et l’encourageant, la mettant dans mon banc, luttant pour qu’elle y soit mise à côté de moi. Me rappelant tout ceci et non pas seulement les mauvais pensés que j’ai eu un matin après que ses parents ne m’ont pas donné les bonbons que maman m’avait achetés et que maman m’a expliqué au téléphone que nous étions plus riches qu’eux et que j’étais fort contant… mais, même à ce moment-là j’ai partagé les bonbons reçus sans regret avec elle. Donc je ne me suis pas comportée affreusement envers elle, comme je me le rappelais pendant des années en même temps que je la pleurais.

Revenons au présent.

Je me suis mise à réfléchir. Comment peut se modifier 'la réalité' qui arrive, qui vient juste d’arriver? De la même façon que celle du passé: suivant comment nous le percevons, regardons, sentons, interprétons. Nous nous en rappelons.

Et j’ai trouvé un exemple.

Lundi, je voulais aller à Paris, prendre le reste de mes affaires (ceux de cuisine). Au téléphone, monsieur a dit «Demain, probablement, mais je te dirai ce soir, rappelle». Ni à sept heures, ni à dix heures de soir, ils n’étaient pas encore là. Le lendemain matin, je l’ai enfin trouvé et d’une voix lasse et fatiguée il me dit: «Non, ce n’est pas possible, en ajoutant: Aujourd’hui, je dois préparer les réunions de demain, jeudi je dois aller à une visite médicale, vendredi» et ainsi de suite.

Réalité ? Avant, j’aurais été vexée. Peut-être, même furieuse. La femme jalouse lui interdisait d’être seul avec moi pendant qu’on «touche» à 'sa' cuisine. Notre cuisine! La 'sienne'?! Le leur? Ils partiront dans une semaine. Elle veut décider, toucher, choisir, regarder. 'Aider'. Être là. Le défendre contre moi, soi-disant (c’est elle qui me l’affirme ainsi).

Réalité ? La seule chose importante que j’avais tirée était la lassitude de François après sa discussion plus que probable avec son ogresse négresse mais en fait se comportant comme 'la mère juive' de l’horrible pièce de théâtre qu’il m’a fait voire en juin dernier. Il doit obéir. Peut-être, François a besoin d’obéir, être 'guidé', mais je ne crois pas qu’en réalité, il aime cela.

J’ai décidé de laisser aller, ne pas insister, ne plus demander d’y aller, laisser couler.

Cette fois, attendre qu’ils déménagent (la fin de mois arrive dans une semaine) et je me suis dit aussi, qu’en réalité, je n’ai pas besoin ni du cuisinier, ni de réfrigérateur, ni de la vaisselle et même pas des appareillages de cuisine restants. J’attendrai pour que ce soit lui qui se manifeste, appelle Lionel, puisque je ne lui ai pas donné mon numéro. Sinon?

Je peux renoncer à tout ou aller les récupérer à la fin du mois. Je pourrais ainsi contempler mon ancien logement, en étant seule, rêver aux heures, jours, vingt années que j’y avais passé, sans que personne perturbe mes réflexions et sentiments.

***

Je peux y rêver, d’ailleurs, même d’ici, de loin.

Je ne dois même pas fermer les yeux et je m’y vois.

La première fois. Découvrant la vue derrière de la fenêtre du salon vide. J’ai senti aussitôt que ceci était 'mon logement'. Je m’y suis sentie aussitôt bien, 'chez moi'.

La première semaine. Sans gaz, sans électricité. Un matelas par terre pour dormir. Mes valises. Des bougies et mes livres sur une petite étagère laissée là par mon précurseur, un jeune peintre de Buttes, ne pouvant pas payer souvent le loyer. À la fenêtre, le soir, j’observais le dîner à deux de mes voisins, dans la maison vis-à-vis de ma chambre à coucher future, tant qu’ils ne se sont pas rendu compte que quelqu’un habite dorénavant en face. Alors, leur réalité a changé et ils tiraient les rideaux le soir.`

Ma vieille voisine m’apportant de l’eau chaude le matin pour que je puisse me faire un café ou thé chaud et la déposant devant la porte d’entrée, tant que le gaz n’était pas réouvert.

Un peu plus tard, mon premier lit et puis, presque aussitôt, moi, couchée, le pied foulé. Mes soucis pour trouver de travail, refaire une nouvelle vie. Ma découverte de voisinage de la Butte Montmartre et ses environs plus lointains.

Ma joie de l’arbre devant la fenêtre, celle de salon et celle de la chambre à coucher. Le partage de l’appartement quelques mois plus tard avec mon fils et le bonheur qu’il n’a pas passé toute l’année avec son père mais a voulu revenir habiter avec moi.

J’ai beaucoup travaillé, beaucoup apprise dans ce logement.

Je me vois devant l’Apple II, mon premier ordinateur personnel, à moi, travaillant, découvrant, tâtonnant. La table était alors près du mur dans le salon et il y avait un grand fauteuil près de la fenêtre et moi, souvent recroquevillé avec un livre à la main. Le petit lit au salon et le sergent de rue qui… j’en souris encore.

Mes hôtes venus de Hongrie, Roumanie, tous bienvenus. Sauf un, inoubliable... j’avais tellement peur qu’il me prendrait de force finalement. Avant, je le regardais comme l’ami de mes enfants, le fils de cousine de mon ex. Après, l’homme qui m’a fait sentir l’épouvante la plus grande de ma vie. J’ai échappé, mais rien n’était comme avant. Mon psy a pris un sacré coup. Cette nuit, il revenait encore et encore, sortait de la chambre à coucher et se penchait sur moi, couchée sur le sofa, il revenait encore et encore, grand, fort, pouffant comme un taureau en rut (chaleur ?). S’approchant trop.

Puis Paul. Mon fils dans la chambre à coucher, nous sur le sofa ouvrable au salon. Paul me racontant de sa vie. J’essayais de comprendre et compenser toutes les douleurs de son enfance, adolescence, vie. Je l’adorais aveuglement. Aveuglée. Par lui, mais surtout, par moi-même.

Heureusement qu’il ne voulait pas se marier vraiment. Je me sentais aimée. Alors. La réalité changeante : il ne m’aimait pas. Il aimait, au moins au début, le confort offert, l’argent à disposition, la position.

Les soirs, deux ans plus tard, je l’attendais, ne sachant pas quand il reviendrait et surtout, en quel état il sera. Ivrogne complètement? Froid? Indifférent? Amoureux gentil? Ce dernier, de moins en moins.

Je me rappelle quand même avec plaisir, la fenêtre toujours ouverte de la chambre à coucher, même la nuit froide. Cette nuit, j’ai ouvert ici la fenêtre et j’ai mieux dormi par la suite. Les 'petits déjeuner complets' qu’il m’offrait. 'Tout service' compris.

Pas de 'grand amour' mais de sexe sain, au moins. Puis, une fois, quand il était très heureux, quand j’avais aidé sa fille trouver un bon logement à Londres, oh, qu’il m’ait bien aimé. Partout. Oh, que c’était bon. C’est aussi lié au logement. Ce n’était pas durable, mais les bons souvenirs sautent aussi dehors du quotidien. C’était passé déjà dans la chambre à coucher et nous avions déjà un grand lit. Où était Lionel à l’époque ? Pas à la maison, c’est sûr.

Et puis, en revenant d’Amérique, après ma rupture avec Paul, je dormis pendant des mois sur le sofa dans le salon pour laisser la chambre à mon fils et sa copine américaine. Ensuite, ils sont partis, l’un après l’autre, à Boston. J’avais de nouveau l’appartement pour moi seule.

J’avais mis alors le fauteuil vert dans la chambre, devant la fenêtre ouverte. J’écoutais le bruit et la musique de la butte et j’écrivais dans mon journal. J’étais heureuse.

Je suivais le régime Scardale, la même que je viens de commencer, il y a quelques jours. Un jour, mon beau-frère (ex) est venu me visiter à midi mais n’est pas reparti que vers minuit. Il parlait, parlait et parlait. Mais ce jour-là, il m’avait aussi fait de bonnes photos. J’avais énormément maigri déjà et j’en étais fort fière. Le salon était alors si agréable et chaud.

De temps en temps revenaient amères du souvenir de Paul qui ne m’avait pas apprécié pour moi-même. Pouvait-on ? je me demandais pourtant.

C’est alors que j’ai découvert Spinoza et c’est dans ce logement, un peu plus tard je suis tombée amoureuse de Dürer (à travers 500 ans de distance). Dans la chambre à coucher, j’ai découvert PostScript sur Mac et le LazerWriter emmené du travail à la maison pendant ma maladie et j’ai imaginé le livre qui est devenu 'PostScript à votre Service.'

Dans le salon, discutant avec Brandeiss, nous avons planifié le livre. Là aussi, que j’ai écrit le canevas des autres livres : HyperCard, paru, et PostScript II, HyperCard II, Édition Électronique, jamais finis. À cause de François et ses promesses de m’aider et l’effort qu’il a déployé pour éloigner mon co-auteur de moi. Il a réussi à éloigner Ain qui aurait pu m’aider, elle aussi, pour le français. Mon amour, plus grand alors que l’envie de publier. Pas pour écrire. J’ai continué à écrire, mais de plus en plus seule.

La première visite de François. La première dîner, ensemble chez moi. Après, moi assis sur le sofa, lui, assis par terre à mes pieds et commençant me caresser mes jambes. Son premier baiser. J’étais perdu, vite. Perdu ou conquise ? Enflammée, de tout de façon. « Je te ferai l’amour toute la nuit ». Promesses, mensonges… je ne le savais pas encore.

Pourquoi ne pas reconnaître ? Je suis très sensuelle et influençable par le bon sexe, ou moins, bonne satisfaction. Il savait me combler par des caresses et baisers savants, il m’a fait découvrir tellement de points sensibles de mon corps. Une fois ici, une fois là. Ses doigts sensibles de pianiste jouaient sur mon corps comme sur un instrument ultra sensible 'violon bien accordé', disait-il alors. Et puis, il était intelligent, émotif, sensible, chaud, cultivé. Mais fort étrange.

Je me suis méfiée de cette étrangeté au début, tout en me réjouissant d’être comblé d’attentions. Être désirée.

Il avait vraiment besoin de moi de tellement de façons. Je me sentais jeune, je me sentais revivre.

Un soir, il m’a appelé de la gare. J’étais déjà au lit, c’était vers neuf ou dix heures. Peut-il venir me voir quand même ? Sa voix m’implorait. À partir de ce soir-là, quand sentant son besoin de moi je l’ai accueilli malgré ma fatigue dans ce logement, dans ce lit, je n’ai plus vécu seule rue Mont Cenis. Et dans la lettre de François, il dit: elle m’a obligée d’y aller, d’y habiter. Il était là, présent de plus en plus. C’était en 1988.

Trois ans après, nous nous sommes mariés. Je me rappelle le bonheur au matin. Le découvrant près de moi au lit et m’étonnant de l’atmosphère de sérénité entre nous, d’entente profonde. Me disant: il est un bon mari. Il s’était calmé, n’était plus tant agité, inquiète qu’avant. Il était mieux après mariage qu’avant.

Au moins, un certain temps.

Le passé, sa réalité, change aussi.

Assez pour cette fois-ci.

Je n’ai aucune envie de me rappeler aujourd’hui tout qui m’a fait mal là-bas, dans ce lieu, à cause de François. Peut-être, ce qui m’a plus frappé était quand il hurlait sur moi pendant que je parlais avec mon fils au téléphone. Et l’espace disponible pour moi rétrécissant en peau de chagrin, devenant de plus en plus restreint.

Le plaisir d’être seule dans l’appartement, l’année dernière, en avril, quand il était parti pour dix jours avec sa fille en vacances. Chaque jour, avec l’amour de ce logement, je l’arrangeais un peu plus, je faisais plus d’espace pour bouger, respirer, me sentir bien, puis je me réfugiais dans le fauteuil vert enfin vidé de ses vêtements et cartons et je lisais, écrivais. Travaillais.

C’étaient les derniers moments, jours heureux, de l’appartement avec moi, lui et moi seul et sereins, nous deux.

Je me souviens avec plaisir de François revenant, jouant à son piano - orgue électronique, moi, l’écoutant ou travaillant.

Puis en mai, Montreux, Caux. Tourisme, souvenirs. Moi, me plongeant dans le passé de ma grande mère et François hélas, avec ses démons revenants d’un coup.

L’épouvante trouvée dans le logement après mon retour de Washington, début août. Ce n’était plus la même, ce n’était plus la mienne. Ça puait. On ne pouvait même plus passer. Sur la table, encore des restes de la réception d’une femme « joueuse de cornemuse australienne » invité par lui pendant mon absence. Les draps de lit puaient aussi. On n’avait pas de chemin à passer jusqu’au coin douche. Pas d’aliments au frigo, l’évier et table pleines de vaisselle sale.

Cinq jours à peine et l’on partait vers sa ville d’adolescence et je suis revenue de Lectoure décidée à divorcer.

La dernière nuit, épouvantable, passé dans la chambre à coucher. François n’arrêtait pas à bouger dans le salon, bousculer des choses, faire de bruit au milieu de la nuit. Puis, il vint, vers trois heures près de lit, me parler, me blesser. Jusqu’à finalement, j’ai quitté. L’appartement et François. François et l’appartement.

J’avais espéré pouvoir y rester seule. C’est lui qui y est resté.

J’ai finalement trouvé refuge chez Lionel et Annelise, puis ici, l’ancienne maison de Sandou, (père de mes enfants).

D’autres réalités de passé qui commençaient se modifier. Quand François me blessait au téléphone, le rose nommé « ma femme » par Sandou fleurissait, l’automne avancé me souriait.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Oui je te lis toujours !Oui avec toujours beaucouop de respect,d'emotion ,et de curiosité (saine)des mots des espace de ta vie que tu nous livres
comme j'aimerai trouver aussi comme oi un lieu ou j'aimerai vraiment habiter ,me sentir chez moi..A suivre!bisous-Sarah