21 décembre 2001

J’ai presque commencé à idéaliser Sandou. J’avais presque oublié qu’après son décès, nous sommes venus ici et j’avais réussi à convaincre mon fils de se débarrasser du fusil de son père, un vrai, pas à l’air comme il prétendait. Lionel l’a passé à son oncle.

Sandou avait aussi ses côtés très noirs.

Les accidents qu’il a provoqués; le chien qu’il a écrasé; l’homme à la bicyclette, tué en Serbie avec la voiture, alors que notre fils était avec lui. Et qui sait quoi encore dont je n’en sais rien.

Il ne buvait pas pour rien : il avait des choses sur sa conscience.

François, a-t-il un conscience? Comment le supporte-t-il? En créant des contre‑vérités? En s’imaginant au-dessus de tous, puis au‑dessous de tout?

Chacun porte sa croix d’une autre façon.

Mais on paye ce qu’on a fait - un jour ou l’autre.

Y a-t-il de récompense pour le bon? Ça, c’est une autre histoire. De tout de façon, pas par ceux à qui l’on a offert, au moins la plupart de temps.

En fait, il y a bon et mauvais en tous. Même si pas les mêmes tares, même si pas en même proportions.

***

Depuis hier soir : grande joie !

La pièce la plus moche de cette maisonnette, avec le plafond horrible, difficile même de l’imaginer si on ne l’a pas vu, est dorénavant merveilleuse: normal. Un plafond lisse, blanc luisant. Les prises sont accrochées au mur et ne se baladent plus, les plus parts des fils cachés. Elle est devenue 'une pièce comme les autres', ou presque. Le reste, suivra.

En plus, il ne manque plus des plaques sur le plafond de salon, même si Annelise aimait y voir mieux 'les traces de ses mains' à la place. Encore plus importante, la poutre de toit est renforcée et je n’ai plus peur que le toit tombe sur ma tête.

L’homme qui a réalisé tout ceci est un Portugais d’environ 55 ans et il m’a affirmé que cette maison, fait de briques, ne risque pas de s’écrouler: il sera là encore pour les enfants, petits-enfants, après que nous ne le serons pas.

Les idées, les choix pour la transformation de ce pavillon mes enfants à une époque étaient motivés par certaines raisons. Une fois habituée à l’idée que mes ressources ne sont pas sans fin, j’espère que les Portugais vont m’aider à le rendre de plus en plus agréable; déjà, il est bien.

L’important aussi c’est de voir quels choix faire, quoi changer, comment et pourquoi.

Ce matin, cette nuit plutôt, j’ai fait un bain à deux heures. Quelle joie d’avoir une baignoire, quelle joie de pouvoir l’utiliser quand j’en ai envie !

Je me suis imaginé cette nuit la pièce au-dessus de la cuisine refaite, transformé de grenier inutilisable et ayant même deux fenêtres. Et, bien sûr, des marches y menant du garage. Transformé dans un salon agréable. Avec la porte d’entrée séparée du garage, en fait on pourrait avoir un deuxième petit logement, ou presque. Je n’ai pas pensé au W. C., l’eau, gaz, mais il pourra être un lieu habitable pour des jeunes. Je me suis imaginée mes petits-enfants, étudiants, près de moi.

Où serai-je en dix ou quinze ans ?

Pour le moment, 'petit à petit, l’oiseau bâtit son nid.'

Si un de mes enfants voulait un jour venir? Il ne faut rien exclure. Avoir un peu d’intimité pour les petits, un coin à jouer.

Des rêves.

J’ai besoin de bâtir des rêves.

Quelle joie cette découverte des anciens journaux de Lionel. Quelle âme sensible. Oui, il était naïf à dix-huit ans. J’admire cette naïveté, cette fraîcheur d’âme, cette abnégation, tout flamme dehors, c’est vrai, la sensibilité à fleur de peau cause aussi de blessures et laisse des cicatrices. Mais provoque aussi des joies intenses, des sentiments profonds. Je le sais. Un jour, peut-être, il lira mes journaux, lui aussi, et me pardonnera, s’il lit ses lignes, d’avoir lu (et adoré l’être qui en sort) les siens.

Bientôt, je rencontre Stéphanie et Andrée, sa fille. Je vais m’habiller et « aller en ville », à Paris. Paris ne me manque pas. Pour le moment. Elle est là, de tout de façon, pas loin, si je la veux. Je n’y suis pas allée qu’une ou deux fois par mois et je n’ai pas eu envie de m’y promener. On verra.

J’ai habité 20 ans à Montmartre. C’était bien. Aussi petit, sans baignoire, sans jardin. Je suis bien ici, de mieux en mieux.

Madame Filipetto, admirative de chaque nouvelle pas que je fais, reconnaissante pour un repas ou un bol de soupe qu’elle ne doit pas faire elle même, appréciant les changements ; les voisins souriants, contents eux aussi que la maison n’est plus vide et délaissée.

La province, la banlieue a ses avantages.

Il fallait que quelque chose de passe pour m’obliger, me pousser à tourner la page.

Depuis que le plafond est refait, le toit renforcé, ici n’est plus un horrible tanière mais un logement chaud. Et la secrétaire de Paula, mon arrière grand mère, brille, me sourit, ou au moins, approuve.

2008: il faut rêver! même si tous les autres transformations de maison sont restés des rêves.

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