Où suis-je?

15 II 97 Où suis-je ?


Je suis dans une chambre d’hôtel, en vacances.

Suis-je vraiment ?

Pas du tout.

Je suis en visite chez ma tante qui aura bientôt 90 ans.

Elle habite dans un énorme hôtel, deux bâtiments jumeaux de quinze étages au bord de la mer. Elle a un appartement mignon à sixième. Comme les autres habitants d’âge voisin, elle a dû payer autour d’un million de francs pour y venir. Celle-ci est l’immeuble de ceux qui peuvent encore bouger, se débrouiller presque seul. On peut demander de l’aide, aller au restaurant pour un des repas type, ont une piscine, un sauna, une bibliothèque, des consultations au docteur et infirmières, des conférences et réunions et même, des logements libres pour la famille venue en visite.

Oui, je suis dans une chambre d’hôtel de luxe. Appartements individuels, courses de gym et d’ordinateur. Mais on nous surveille de près en sachant où l’on va et quand. Eux, même nous. Oui, je suis dans une chambre d’hôtel, assis dans mon lit à côté de mon mari qui lit. Nous venons de faire l’amour. J’espère qu’ils n’ont pas vu, ceux qui regardent tout. Nous étions sous la couverture, de toute de façon.

Assis sur mon lit, je regarde dehors.

Je vois et j’entends la mer Méditerranée tranquille aujourd’hui, ici. Un petit bateau au loin, quelques muettes blanches font leur ballet de matin, l’une d’elles crie presque comme un corbeau. Hier, nous avons vu aussi des pigeons gris autour d’une dame qui les nourrissait. La plage de sable fin sur laquelle je me suis promenée hier matin, je ne le vois pas de mon lit, je devrais m’approcher de la fenêtre pour l’apercevoir. L’eau est encore « froide », dix-huit degrés, mais hier déjà quelques plus courageux se sont aventurés. Nous avons nagé hier dans la piscine surchauffée de l’intérieur, puis prélassés dans le petit sauna rond adjacent.

Hier, mon amie Suzanne nous a rendu visite. Pourquoi est-elle aussi jalouse, envieuse? «Ici, je ne pourrais pas venir.» Voudrais-je? Il manque un parc, il manque la famille.

Soins, piscine, vie sociale intense, chacun selon ses envies ; musique intime, télévisions, ma tante vis bien, mieux que sa mère : est-ce vrai? Entouré de sa famille, plongé dans le brouhaha de tous les jours, ceux qui peuvent rester en famille (tant que ce ne devient pas l’enfer) c’est quand même mieux. Tant que possible, je voudrais vivre près de mes petits-enfants, de la jeunesse, des haute et bas de la vie.

Ce n’est pas l’enfer d’une maison fermé, les appartements, la maison est ouverte. Combien en sortent ? Peu se promènent dehors, font gym ou regardent la mer sur le promenoir longeant le littoral. Encore moins vont jusqu’au coin : c’est loin ! La boutique est dans l’hôtel, ma tante va rarement plus loin et alors elle prend un taxi. Elle visite son amie mourante, lui porte des affaires et un peu de réconfort. Depuis quatre jours sa meilleure amie de même âge qu’elle est à l’hôpital gît avec cancer qui s’étendu de plus en plus.

Ici, je suis jeune, je n’ai que 62 ans! et je me sens jeune d’un coup.

Mais il y a des 92 ans qui font la gymnastique mieux que moi, se tienne tout droit, marchent avec des pas sûrs, se maquillent, continuent. Attention!

En février, il fait beau ici comme en juin à Paris. La sable fin, le soleil se levant et se couchant, l’air enivrant qui fatigue au début, silence. On n’entend que les bruissements des vagues. Que maman aimait ceci!Elle n’est pas arrivée même à 55 ans, elle est mort d’intérieur, de chagrin, de rejet.

Son époux ne lui parlait plus, la négligeait. Moi, j’étais partie en vacances avec mon copain (futur mari), faire l’amour, enivrée de mes premiers mois de vie de femme. Autrement, j’étais à ses côtés. Probablement, pas assez. J’essayais de concilier papa et maman et avais de plus en plus envié de partir de la maison familiale, vivre ma vie. C’était normal. Non, je ne l’ai pas abandonnée! À 25 ans, c’était le temps d’amour pour moi. Elle le comprenait, l’admettait-elle?

Elle n’arrivait pas à imaginer l’avenir sans son mari, elle se voyais abandonné, quoi que ses parents, son frère et sœur vivaient encore et qu’elle avait la perspective de les revoir après de nombreuses années. « Alors, mon mari m’abandonnera » disait-elle. Vrai ou non, je ne sais pas, mais il n’aura pas divorcé. Et puis si oui, la vie ne s’arrêtait pas ! Elle aimait ses livres, la musique, la famille, la mer. Ou sans mer.

Il y a le soleil, les nuages, la pluie. La nature merveilleuse me réconfortant, me consolant. Ces merveilleuses nuages roses inoubliables me souriant quand mon mari ne m’aimait plus et j’avais décidé de me séparer de lui. Mon âme se déchirait, mes rêves d’antan croulait, je revenais des courses avec ma voiture. Les nuages parurent devant moi, roses sur ciel bleu, me consolant. Me disant : « il y a encore des joies devant toi ! » Ils m’ont convaincu, j’ai survécu. Bien. Au début, lentement, difficilement, me cherchant, tâtonnant. Avec le temps, des nouvelles voies découvrant.

Des voies étroites, puis plus larges, certains sans issue, d’autres menant loin, très loin, des voies pleines d’embûches et cactus, mais aussi des voient pleines de cerisiers en fleurs. Une vie infiniment plus riche, plus pleine qu’avant.
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Je viens parler avec ma tante.
- Pour rien au monde je ne voudrais pas rester à la charge de mes enfants. J’ai vu ma grande mère. Elle a offert l’immense villa, le terrain sur la colline à mon père et sa fille comme dot. Après être resté aveugle, elle avait encore deux pièces dans la villa, c’est devenu le bureau de sa bru. Vers la fin, elle vivait dans le bungalow de maman, sa bru ne voulant pas qu’elle mange avec eux « elle salissait trop ». Que maman a pu souffrir, supporter de son mari à cause de sa mère, aussi. Attention, ajoute ma tante, ne pas donner aux enfants d’avance, ne pas repartir trop vite, rester sans rien.

- Pourtant, mon arrière grand père a réparti son domaine en douze, vendant la part de ceux entre ses enfants qui voulaient aller ailleurs. Peut-être, il a réservé une part pour soi.

Je viens d’apprendre que non seulement, Paula, mon arrière grande mère a été élevé par sa sœur aînée, mais celle-ci l’avait aussi allaité. Pourtant à l’époque il y avaient des nourrices!
***
Dans cette pièce, deux lits côte à côte, vis-à-vis un petit bureau et un miroir, près de la fenêtre une table et trois chaises. A l’entré, les armoires dans le mur, coin cuisine avec frigidaire, plus loin une salle de bain douche. Le tout en divers nuances de beige agréable. La plus chouette est quand même la vue sur la mer et la brise.
***
Ce qui m’intéresse le plus c’est l’atmosphère de lieu, les gens. Pendant notre promenade de ce matin, je me suis rendu compte de la différence entre les gens âgés sortis des tours et les autres, résignés, tristes ou révoltés. Sur chacun un pantalon, une chemise et un pull, mais un tout autre maintien et soin. Les hommes contents de leur réussite en vie, les autres furieux contre le sort. Les femmes âgés marchant difficilement étaient coiffées, maquillées, soignées.

Ma tante de 90 ans me disant avec regrets «Mon copain m’apprécie beaucoup, tient fort à moi, mais il ne me caresse même pas ! Elemer me faisait l’amour même fort âgé, mais il est mort il y a déjà huit ans. Mon deuxième mari était bien, mais vraiment bon c’était avec le premier, le père de mes enfants. (Tué pendant la deuxième guerre aux travaux forcés sur des juifs en Ukraine.)

Pourquoi ne lui fait-elle savoir qu’elle aimerait être caressée? C’est si facile à caresser. La calinothérapie est si agréable! A n’importe quelle âge. Toucher, sentir, ressentir. Vivre.

1 commentaire:

Julie Kertesz - me - moi - jk a dit…

Je ne comprends pas, je viens de lire tes commentaires, Sophie, heureuse comme d'habitude et sur mon blog ils n'apparaissent pas.