Les hommes qui ont compté

Les hommes qui ont compté…

19 décembre 1996

Dans ma vie, il y eu moins d’une dizaine des hommes qui ont compté, qui m’ont ému.

C’est intéressant que ni le fait d’avoir ou non fait l’amour, physique, sexuel, avec eux ou non, ni le temps que nous avons été ensemble, la longueur d’avoir vécu ou les avoirs rencontrés n’entrent pas en ligne de compte. Finalement, c’est le rêve, ce que j’ai porté en moi qui compte, l’image faite, les pensés suscités par eux qui ont le plus compté. Combien de temps et avec quelle intensité ont-ils occupé mes pensés, mon âme, mon attention.


Moise.

Je l’ai connu à quinze ans et c’est seulement à dix-neuf que je me suis rendu compte qu’il ne me plaisait plus, que peut-être il ne me plaisait pas vraiment comme homme. C’est seulement à dix-neuf ans qu’il a su que j’ai eu pendant des années un béguin pour lui.

Je l’avais suivi pourtant de classe en classe, de pratique d’été en pratique, de société en société, allant à chaque fois là où j’avais appris qu’il ira, sera. Sans qu’il se rend compte, sans me faire remarquer, sans jamais oser l’approcher.

Il m’aurait plu…j’étais convaincue fort longtemps.

Je me souviens de l’avoir suivi dans les promenades même et toutes les tourmentes que j’avais eues « il parle avec une autre, tiens, il lui entoure les épaules » et la tristesse cœur serré. La question que je me posais encore et encore « comment faire pour l’approcher enfin? »

Puis, un soir, quand il était déjà à l’Université et moi je travaillais déjà, mon amie Alina m’avait invité au bal des étudiants. Je lui avais raconté mon attachement depuis des années et elle a dû lui dire quelques mots en voulant bien faire. Moise m’a alors invité à danser: il dansait mal et il m’a serré contre lui trop fort à mon goût, gauchement il essayait de me courtiser. Je me suis rendu alors compte subitement qu’il m’était étranger: je ne voulais pas vraiment de lui.

Comment ose-t-il me serrer ainsi ?

- Mais Alina m’avait dit… balbutia-t-il.

- Elle s’est trompée, rien compris. Puis de toute façon, elle ne doit pas se mêler entre nous.

En réalité, sauf dans ma tête, il n’y a jamais eu « nous ». Je ne l’ai plus revu. Il a disparu de ma vie et aussi de mes pensés, mes émotions. Pourtant, en l’évoquant, je revois son visage émincé et sérieux avec ses grandes lunettes et mon cœur bat plus fort encore aujourd’hui


Simon.

Il était venu au laboratoire où je travaillais, il m’a ému aussitôt. J’avais 23 déjà.

À notre première promenade, il posa sa main sur mon épaule, mon cou, et oui, c’est resté ma première émotion sensation de femme, sensation sensuelle, plus fort dans mes souvenirs que les baisers qu’il m’a donnés par la suite, les baisers que nous échangions pendant les chauds mois qui suivirent. C'étaient mes premiers baisiers.

Nous avons beaucoup parlé au début, pas mal livré tous les deux sur nous mêmes.

Il avait un grand groupe de copains, une bande sympa des étudiants, la plupart en architecture, dont son meilleur ami faisait partie. C’était le temps de «société», compagnie, rencontres, bals. La plupart chez moi, puisque j’avais de place, dans l’appartement de mes parents avec qui j’habitais, il y avait un grand salon et mon père était parti à l’étranger justement. Nous dansions, parlions, jouions aux cartes sans argent, mangions ce que chacun pouvait apporter.

Surtout, nous nous sommes beaucoup promenés. Simon m’embrassait dans les parcs, sur la rue, il tentait me persuader d’aller plus loin. Je me suis rendu compte qu’il ferait un mari volage, un amant négligeant, me mentant, et, avec énormément de la peine, je résistais. Pendant le printemps et début d’été, jusqu’à l’automne et presque l’hiver, j’ai vécu dans notre amour, dans les sensations et sentiments, je vivais plus intensément que jamais avant. Des émotions fortes, des élans vers lui, fureurs contre lui, tout était ressenti avec une force, tout était augmenté. Plus chaud, plus froid, plus…

Le printemps, mon cœur s’est enflammé, pendant mes vacances (ruse de mes parents: prolongés) je l’avais presque oublié et lui, m’avait trompé en embrassant une de mes meilleures amies (que j’avais cru tel). Pendant l’automne, nous nous sommes réconciliés et nous avons continué quoique nous savions tous les deux que cela ne peut plus durer ainsi longtemps.

Il craignait me pousser «devenir sien» vraiment et je craignais lui dire le «non», «jamais» définitif, nous craignions de perdre l’autre pour toujours.

L’hiver est arrivé, nous nous sommes fait mal l’un à l’autre, tout de peine que cela ne pouvait plus durer. Après la joie intense, peine profonde. Rupture. Se revoir malgré tout. Recommencer. Rupture, cette fois définitive. Vide, tristesse, mais pas de regrets : nous étions trop différents de caractère. Au moins, j’étais convaincue.

Il ressemblait trop à mon père qui a tant fait souffrir maman, qui justement souffrait tant. Elle était de plus en plus détruite, elle a même fait pendant ce temps une tentative de suicide lors le voyage d’affaires de papa probablement en présence de ‘l’autre femme’. Non ! Je ne deviendrai pas comme elle, je n’aimerai pas éperdument, toute ma vie, quelqu’un me trompant, me mentant, après d’autres femmes à droit et à gauche tournant.

L’année de mes vingt-trois ans je l’ai vécu pleine, très forte, grâce à Simon. Je ferme les yeux, je sens encore sa bouche sur la mienne et je la goûte avec délices.


Sandou.

Je l’ai rencontré en fait avant Simon, mais il n’ait jamais rien su de son existence. Sandou était pour moi, au début, seulement un brave garçon sympathique de taille plus petit que moi avec qui j’allais de temps en temps au théâtre.

Un jour, l’été après ma rupture avec Simon, nous sommes allés nous promener près de lac, puis ramer sur le lac. Dans le canot, j’ai vu une lumière spéciale s’allumer dans ses yeux. Tiens! Pourquoi pas? Essayons. Comment serait un baiser de lui? Il ne me poussa pas, il fallait même le provoquer au début.

Une autre soirée dans le parc à la claire de lune, un banc sous le saule pleureur, mes yeux fermés, mon visage tourné vers lui. Tiens ! C’est chaud, familier. Pas enflammant, excitant comme avec Simon, mais tellement plus rassurant, plus respectueux, sérieux et chaud.

- Je regret ce banc qui va nous séparer. Pour moi, jusqu’ici tu étais « la mère »…

- T’aimer comme ta mère ? Peut-être…

- Non, comme la mère de nos enfants, dit-il finalement. Je te respecte. Jusqu’à maintenant, tu as été pour moi comme sur un socle, une statue lointaine

- Sandou, attention ! Je ne suis pas une statue, ne me situe pas trop haute.

Trop tard. Il n’a pas compris, jamais compris.

Il est devenu plusieurs mois plus tard mon amant, mon premier « homme », puis mon mari, le père de nos deux enfants. Il m’a tenu toujours en estime et même quand il m’avait sali, tout fait pour me détruire et me « descendre de socle » sur lequel il avait imaginé que j’étais, pour arriver à sa hauteur d’où il imaginait que je voulais m’échapper, le dépasser, m’élever de nouveau après qu’il est réussi de m’y remettre.

Je ne peux parler encore aujourd’hui avec calme, objectivement, de mes quinze ans vécus avec Sandou. Il m’a procuré de grands bonheurs et d’immenses chagrins. Il m’a donné deux merveilleux enfants et il a détruit plusieurs fois ma confiance en moi. Il m’avait aimé, il m’avait abandonné - mais jamais tout à fait, considérant que je suis sa propriété même quand il fréquentait une autre, des autres, même après le divorce, même après son remariage et la mienne.

Je suis restée, ce que j’avais été au début, avant le premier baiser «la mère de ses enfants.»

Je l’ai revue la dernière fois, à la noce de notre fille en Amérique. Il buvait beaucoup trop. Il avait grossi (foie détruit probablement) et était déjà fort malade. Pour qu’il ne s’enivre pas avant la noce de notre fille, je suis allée lui parler deux heures avant la cérémonie. Il était heureux et en ma présence, comme d’habitude, il n’a pas bu. Il ne s’est pas enivré pendant la noce non plus. Nous avons ainsi réussi à ne pas détruire la noce de notre fille.

Puis nous sommes envolés tous les deux vers notre destin. Lui, vers sa maison d’Argenteuil, puis en Roumanie revoir ses copains d’adolescence. Moi à Paris, dans les bras de mon nouveau mari.

« Attention Sandou, bois moins, c’est dangereux. Fais-le pour tes enfants au moins. »

Pas longtemps après, il est mort devant ses copains tout en buvant et mangeant.

Je l’ai aimé, je l’ai haï, je m’en suis guérie. J’ai vécu sept ans pleins de bonheur avec lui, malgré tout en le considérant comme « l’homme de ma vie, l’homme, le seul, que j’aimerais et qui m’aimera toujours. »

Il m’a aimé, peut-être. Mais il m’avait été infidèle et presque depuis début: je ne l’ai pas su pendant longtemps. Quand je me suis aperçue, c’est mon image de lui « garçon brave, homme à qui l’on peut faire confiance » s’est cassé en morceaux. Mon rêve de « bonne mariage, meilleur que tous les autres » s’est détruit. J’ai pleuré et pleuré. Puis, je me suis révoltée.

« Pourquoi fait-il cela ? Suis-je une mauvaise amante ? Comment le savoir ? » J’ai voulu savoir, j’ai su. J’ai eu une année pleine de bonheur avec Pierre. Puis Sandou a détruit mon bonheur et je me suis laissé emporter, nous avons essayé de recoller les morceaux de rêves, de mariage, essayé en vaine pendant encore sept ans, sept longues et difficiles années.

Mais quand je pense aujourd’hui à lui, je le vois toujours le garçon musclé, bronzé, jeune et attirant qui m’a emmené à nos premières vacances ensemble, en cachette de nos parents.


Pierre.

Pierre était au début une bouée de sauvetage pour moi tout comme Sandou avait été.

«Pourtant, je sais nager ! Mais l’eau autour de moi est si salle !»

Avec Sandou, avant de devenir son amante, l’eau salle était tout l’environnement de la Roumanie communiste, la terreur que les époux Ceausescu faisaient régner même avant leur prise officiel de pouvoir. Déclarée « ennemi du peuple » et interdit de terminer mes études, interdit de continuer à travailler, exclue de l’Union de Jeunesse, mis au ban de la société socialiste à cause d’une dispute autour d’une table (je la prends ! non, c’est moi qui l’utilise) avec une femme inconnue, Elena Ceausescu. Sans travail, mes études arrêtés presque trois jours avant le diplôme, j’étais en train effectivement de nager dans une eau pas seulement sale, mais plein de requins - je me sentais couler. L’amour de Sandou, devenir femme, m’enflammer, s’aimer dans les champs de blé et pré de marguerites hautes, dans la rivière et dans le parc, dans la forêt, m’a rendu le courage de lutter, ressurgir, apprendre des langues, m’a rendu le plaisir de la vie.

Avec Pierre, l’eau sale était la trahison, la froideur de mon mari et sa très jeune maîtresse, mes rêves de bonheur conjugal détruits me noyaient, m’affolaient. « Tu es devenue aigre ! disait Sandou. Nous sommes vieux, tu veux trop de moi. J’ai le droit de faire ce que je veux. Sortir quand je veux. Il n’y a pas ‘contrat d’amour’… »

Que faire? J’avais trente-trois ans et je n’avais pas eu d’autre homme, amant que Sandou, mon mari. Suis-je mauvaise?

Difficile, encore aujourd’hui d’écrire sur Pierre. Pourtant, l’année vécue avec lui a été l’année la plus heureuse de ma vie… pour encore vingt ans au moins.

D’une femme négligée, pas aimé, vieillie et rejetée, je suis devenue la femme appréciée, jeune, aimée et cajolée. Tendrement aimé et ardemment désiré. Pierre était de quinze ans mon aîné, un amant tendre et très attentionné, devenant chaque jour plus près, plus cher, plus « mari » et restant bon copain.

Peut-être, un jour, pourrais-je écrire de nous. Pierre ne m’a pas heurté, blessé, jusqu’au dernier jour. Le soir où Sandou m’attendait à la fenêtre de maison avec son fusil. Mes enfants étaient dans l’appartement, derrière lui. De la porte de chambre de Pierre, en bas, qui donnait dans le jardin, on pouvait voir le haut du fusil.

- Je ne peux pas laisser les enfants, je dois retourner à la maison. Il est capable de tout quand le sang lui monte dans la tête.

- Vas-y, me répondit alors Pierre. Mais ne lui dis pas que tu étais chez moi!

Bien. Je ne lui dit pas. Mais je me sentis abandonnée par Pierre.

Toute la nuit, Sandou ne me laissa pas dormir: «Refaisons notre couple, notre vie, notre famille. Je romprai avec ma copine. toi, promets de jamais revoir Pierre, jamais communiquer avec lui.»

J’ai revu Pierre le lendemain matin pendant que je faisais adieu au directeur de l’entreprise où nous travaillions, en démissionnant. Pierre s’était glissé dans la pièce à côté pour me parler. Je lui ai dit adieu et je ne l’ai plus revu - mais il a vécu en moi fort longtemps.

Dans mes pensés, mes rêves, je l’ai rencontré, il me faisait l’amour avec énormément de tendresse, il m’ouvrait sa porte, il me prenait dans ses bras. Me séparer de lui a été le plus dur, plus triste séparation de ma vie. J’ai porté encore pendant sept ans le bague qu’il m’avait offert, son seul cadeau. Je le regardais et hop ! il était là, devant mes yeux, il m’aimait encore, toujours.

J’ai porté cette bague de Zircon jusqu’à je l’ai revu en chair et os, tout de suite après ma séparation de Sandou. J’avais tenu ma parole, n’ayant plus de contact avec Pierre pendant les restants de sept ans de notre mariage.

Mariage rompu, promesse déliée. Lui parler ! Lui écrire ! C’était mon premier élan. Normal, en moi, j’avais vécu tout ce temps avec lui, à chaque chagrin que mon mari m’infligeait, chaque rejet nouveau, chaque mot ordurier dont il me traitait, chaque blessure qu’il me causait, je me réfugiais dans mon rêve dans les bras de Pierre.

À défaut de mon mari qui ne dormait plus avec moi, je dormais dans le lit de Pierre, dans les bras de Pierre qui m’accueillait, sans le savoir, chaque fois avec joie, dans mes fantasmes.

Jusqu’au jour où je le rencontre en chair et en os et il me refuse. Il m’offrit un dernier baiser tout à fait comme j’avais rêvé, comme je me suis souvenu pendant sept ans, puis « Adieu, je dois partir, j’ai rendez-vous de travail. » Fini, tous les rêves ! Mes châteaux de cartes détruits. Regarde en avant Julie ! Non plus en arrière.

Je le revois quelquefois dans mes rêves. Il m’ouvre sa porte et me prend dans ses bras, me serre près de lui.


Ab.

Encore quelques mois se sont passés, puis j’ai rencontré Ab. Quoique je ne l’aie rencontré que deux fois : une nuit à Paris et trois jours à New York une année plus tard, il reste un des hommes qui m’ont apporté le plus dans ma vie. Il m’a rendu courage. Et tout comme Pierre, il m’a fait rêver. Une année entière, importante de ma vie, juste après ma séparation de mon mari.

La nuit, magique, à Paris. Paris des amoureux. Je lui ai fait connaissance avec la ville, il m’a fait découvrir Paris des amoureux, il m’a fait découvrir une nouvelle femme.

À la place de la vieille femme grassouillette, abandonnée dont personne ne voulait plus, une femme désirable, de classe même, intelligente, sensible, intéressante.

Puis, quelques mois plus tard, il m’a fait découvrir son New York, la ville de sa jeunesse. Il a séché le congrès dont il était organisateur et sorti doucement de la salle avec moi, sans qu’on nous remarque, sans se retourner. Oui, New York est belle aussi, découverte avec lui, ses grattes ciels voisinant avec des vieilles cathédrales, ses promenades au long de la rivière, les petits bistrots et petit bon théâtres off Broadway, se promener main en main, s’aimer la nuit.

Hélas, il était marié et devait répartir à son travail et sa famille à l’autre bout du pays. Il m’a serré dans ses bras

« Encore une fois !

- Non, je dois partir. »

Fini, le mirage, je me suis brusquement réveillée.

Je l’ai encore accompagné à la gare selon sa demande mais complètement refroidie. Aussitôt parti, je l’ai complètement oublié, effacé de mes sentiments.

Reste la saveur de nos promenades main en main dont je pouvais rêver encore longtemps, l’image de Paris, et New York, villes merveilleuses pour les amoureux.

Trois ans plus tard, John, bon copain, m’avait demandé la main et voulait m’offrir la bague de sa mère. Pendant les quelques mois nous nous sommes promenés et beaucoup discuté. ?ous soutenions l’un l’autre. Je l’avais aidé à boire moins et commencer à écrire, il m’a aidé à trouver des meubles d’occasion et déménager, aménager mon nouveau logement. Mais par la suite, il m’a trompé, dormant chez une de ses ancienne maîtresse qu’il n’avait d’ailleurs jamais quittées, d’une autre ville. Adieu, je ne serais jamais ta femme ! Le soir, que j’ai appris que tu m’appelles de logement de ton ‘ancienne’ copine, j’ai rencontré moi aussi quelqu’un, Larry.

Je pense à toi, John, je nous vois lors nos promenades, main à main, discutant avec toi sans cesse mais tu ne fais partie des hommes qui ont vraiment compté dans ma vie, pour qui mon coeur s'est emballé.


Larry.

Tout comme Ab, Larry était passager. Tout comme Ab, je ne l’ai rencontré que trois fois vraiment. Trois soirées passées avec lui, à six mois de distance.

Trois souvenirs d’amour tendre, fort, magnifique! Espérances, rêves déçus, rencontre finalement raté.

Il me plaisait comme être humain, sa sensibilité, intelligence, gentillesse. Je lui ai donné probablement beaucoup plus qu’il en méritait. Il était toujours attaché à son ex-femme qui ne voulait plus coucher avec lui. Pourtant…

- C’est vrai ? T'aimes vraiment ça?

- Énormément.

À partir de ce moment, de la nuit passé ensemble sur le lit étroit, je savais ce que j’avais envie d’un homme, ce dont j’avais besoin. Mon kilo de sucre, comme disait mon amie Stéphanie. Même si je le cherchais en vain à travers l’un ou l’autre plus tard.

Pour Larry, je refusais tous, j’attendais, il promettait et il ne venait pas. Au moins, j’avais le souvenir de l’attente, j’avais le souvenir de ses bras puissants, après qu’il était parti et l’espoir de le revoir encore un jour ou une nuit.

Je l’ai revu une année plus tard.

Pour se protéger, pour qu’on ne puisse rien lui reprocher (il était un grand patron), il m’a dénigré «elle ne vaut pas grand chose, je ne recommande pas qu’elle reste». Ab m'avait dit au téléphone: «je ne peux pas me permettre de te recommander», mais au moins, il ne m’avait fait de tort.

Larry m’a donné une mesure au-dessous j’en voulais plus aller me permettant ainsi de rester seule longtemps, ne plus essayer à tout prix avec quelqu’un d'autre, sans vraie compréhension réciproque ça ne vaut pas la peine de continuer. La mesure de «mon kilo de sucre».


Paul.

Paul était l’homme le plus maléfique de ma vie, pourtant je l’ai longtemps aimé. En l’aimant, en vivant et en dormant trois ans à côté de lui, j’étais plus heureuse que lui.

Tout suite, il m’a plu, toute suite, je sentais quelque chose de «faux» aussi. Mais quoi? J’ai pris trois ans pour le comprendre, non, pour voir et accepter la vérité.

Paul avait mon âge, mais à ses yeux, j’étais une femme âgée.

Il se disait colonel à la retraite et ayant reçu la légion d’honneur et il n’avait pas d’honneur, pas comme je l’entends. Il avait grandi dans une grande famille, il avait vécu sans rien faire vraiment, toute sa vie. Il était divorcé, sa femme l’ayant jeté dehors (la méchante ! me disais-je), il avait un travail temporaire de temps en temps (méchants, disait-il), il vivait dans un hôtel minable, sale, plein de bruit, près de place Clichy.

J’avais une petite entreprise qui gagnait à l’époque de mieux en mieux, un appartement en haut de Montmartre. Un grand cœur, un besoin de l’autre, de la tendresse pour sa jeunesse difficile tel qu’il le décrivait, de compréhension pour ses difficultés, de la patience pour son « laisse-moi du temps, je ferai ».

Il faisait l’amour, quand il le voulait bien, il me serrait la nuit dans ses bras, il m’apportait le petit-déjeuner au lit, il acheta notre dîner pendant que je travaillais. Il connaissait très bien Paris, il m’habitua de marcher, d’aller à pied de Champs Elysés à Montmartre «ce n’est pas loin», sans se soucier qu’il fait tard, que mon fils m’y attend. Il m’emmenait aux restaurants, sans se soucier comment je payerais la note. Il m’emmenait se balader sans se soucier comment rentrerait entre temps l’argent.

D’amour, amitié, c’est devenu de la haine.

De l’aventure agréable, un homme entretenu, mécontent, se droguant, buvant, s’enivrant sans cesse, détruisant ma société tant qu’il avait pu. Profitant de gain mais ne pas aidant.

Ma société était en faillite trois ans plus tard et il continuait à dépenser, me pousser à emprunter. Je me suis échappée. Je suis partie en Amérique refaire ma vie, réfléchir, me guérir.

La vie, ma société ayant besoin de moi, et mon fils aussi, je suis revenue, j’ai rompu. Je ne suis pas revenue 'chez nous', dorénavant devenu 'chez lui'.

Longtemps, le fantôme de Paul me hantait, il venait me demander en me guettant sur la rue :

- Je n’ai rien à manger ! me disait-il a la sortie d’appartement.

- Pourtant, tu as utilisé un cheque bidon, ancien de nous, de deux mille nouveau francs, achetant de saumon et de champagne au lieu des aliments durables comme pomme de terre et salamis.

Non. Je n’avais rien en commun avec cet homme haineux, jetant par terre le montre de mon père, montre que j’ai lui avait offert d’amour un jour en guise d’acceptation, avec cet homme me causant des procès, ennuis.

Comment ai-je pu l’aimer ? Le croire ?

J’ai mis longtemps à pardonner… à moi-même d’avoir été dupe, d’avoir fermé les yeux, de l’avoir supporté, de m’avoir accroché trop. J’ai mis longtemps à guérir. L’écriture, le travail, m’en est sorti.

Pourtant, j’ouvre la fenêtre la nuit et je me rappelle de lui; je marche un peu plus sur les rues et c’est comme s’il marchait près de moi à grands pas longs, comme jadis. 2007. Curieusement, il m'en restent encore aussi des bonnes souvenirs de nos promenades main à main, par exemple et des nuits dormis blottis l'un contre l'autre.


François.

Il a mis longtemps à me guérir. Tout que je cherchais, tout ce que je souhaitais, et encore beaucoup plus, je l’ai trouvé à cinquante et trois ans avec lui. Mon amoureux, mon ami, mon mari.

- J’ai connu tant des hommes avant toi, j’ai cherché longtemps. N’est-tu pas jaloux ?

- Si tu t’avais arrêté de chercher, tu m’auras jamais trouvé, répond-il avec son chaud sourire, en m’enlaçant, me pressant plus près. Je n’aurais pas vraiment vécu, ajoute–t–il, si je ne t’avais pas rencontré.

Il est tout que mon amie Stéphanie me l’avait prédit, et plus.

«Un jour, tu verras, tu rencontreras un homme intelligent, indépendant, aimant son travail, passionné de ce qu’il fait. Il t’aimera bien. Mais attend ! Seule. Il arrivera.»

Je me suis mise à écrire. Travailler. Traduire.

Mes enfants sont repartis en Amérique, étudier. J’ai vécu seule. J’étais bien. J’aimais mon appartement.

Je me suis entiché d’un coup de… Dürer qui vécut 500 ans auparavant. Je me suis pris d’amitié de… Spinoza que je venais de découvrir, venant de très loin lui aussi, des années, siècles auparavant. J’ai écrit deux livres avec une bonne plume française, livres pour rendre de courage et enseigner divers aspects de l’informatique nouvelle à ceux qui en avaient besoin.

Mon deuxième livre venait de paraître. Je fis un grand tas : en avant-première, dans le cadre d’une expo sur l’édition électronique. J’avais négocié de recevoir cent exemplaires gratuits.

François y est paru tonitruant

« Ce logiciel, c’est moi qui l’avais traduit, comment osez-vous le vendre ! »

J’ai répondu :

« Ça fait longtemps que je voulais vous connaître ! »

Je l’avais rencontré quinze ans auparavant. Est-ce vrai ? À l’Université. Il avait été alors chef de laboratoire d’informatique, toujours professeur à l’avant-garde.

Sa maîtresse de dix ans l’avait quitté depuis quelque mois, il était divorcé depuis quinze ans. Très seul, il supportait mal sa solitude, en faisant minitel rose, rencontrant des SM et en ayant peur en même temps fasciné par eux.

François m’a tant donné, j’en ai écrit déjà presque un livre sur nos relations. Je pourrais en écrire encore des tomes. Notre relation est tellement riche, tellement pleine, que je ne sais qu’en dire.

Avec François, nous avons retrouvé nos rêves de jeunesse, nous avons vécu mieux que nos fantasmes. Nous avons couru le long de la mer, fait l’amour dans la forêt, embrassés dans l’ascenseur montant. Dormi nuit après nuit toute près, encouragé l’un l’autre. Ensembles en bon et ensemble en mal, je lui es tenu la main en maladie, il a soutenu mon dos douloureux, nous avons voyagé, vécu. Nous avons aussi hurlé nos fureurs, exprimé nos peines, signalé les limites que l’autre ne devait pas dépasser.

« Si c’était ces deux mois seulement, cela le valait, lui avais-je dit.

- Je te promets deux ans, me répondit-il alors.

Plus tard il ajouta : C’est la troisième année et c’est encore mieux.

J’écris ceci et cela fait déjà huit ans que nous sommes ensemble, et oui, comment ou pourquoi, mais chaque année c’est encore mieux. Nous ne sommes pas des anges, nous ne sommes pas des êtres, ni mari, ni femme parfaits. Mais ce qu’il fallait l’un pour l’autre.

Je sais, il ne faut pas trop y croire, trop vite dire, pourtant…

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Julie c'est vraiment magnifique ce que tu écris ...
je bois tes mots!c'est une belle analyse un beau partage aussi!
Merci!