Tiens-toi droit !

12 mars 1997

Ce matin, au petit-déjeuner, le moral de François était assez bas. Il mangea le dos arrondi, les épaules en avant, stature d’un battu - au moins, abattu.

Tiens-toi droit, mon amour ! Ton réveil, ton matin, n’a‑t‑il pas était bon ?

J’ai rêvé de passer un agrège de math.

Et alors ? Que c’est-il passé ?

Je savais résoudre le premier point, quant aux autres… je ne sais pas. Tu m’as réveillé.

Et après, ça n’était pas bien ?

Pas trop mal… me sourit monsieur.

Il m’avait attiré vers lui, tendrement. Je l’avais câliné, comme il l’aime. Il est devenu d’un coup fatigué et nous nous sommes embrassés et je me suis levé et préparé le café, mise la table.

***

- Allons Monsieur, tenez-vous droit. Te souviens-tu des très vieux que nous avons rencontré en Israël ? Ils se tenaient, d’après mon souvenir tous très droits. Davantage que leur maquillage, les femmes se distinguaient par leur stature droit, « fière ». Même ceux qui marchaient tout doucement avec une canne.

Il se redresse un peu.
Voilà, tu es mieux ainsi, le moral va avec, maman me disait si souvent « Tiens-toi droite ! »

François se redresse encore plus et se sent mieux. Il va au piano électronique et trouve aussitôt ce qui ne marchait bien, pourquoi hier soir les sons ne sortaient pas : il était déconnecté.

Aha ! Voilà ce qui était arrivé, marmonne-t-il en le connectant.

Il change le son à l’orgue, s’assoit et commence à jouer. Ce matin ça coule, marche tout seul. Comme par enchantement, le moral est revenu, le courage mène loin, le courage nous donne des ailes.

Ces vieilles dames et gentlemen de tours ne sont pas « fiers » parce qu’ils ont réussi à gagner de l’argent, ils sont fiers parce qu’ils ont réussi. Ils ont réussi, parce qu’ils avaient eu le courage se tenir droit en face aux adversités. Ils sont restés dignes et debout dans les orages de la vie.

Maman, détruite après la sortie de caves de Securitate de papa, s’était tenu droite pendant la dure épreuve de sept mois. Elle avait fait face aux difficultés. Ma grande mère aussi, dans les pires épreuves, le camp de concentration de Bergen‑Belsen, la maison des vieux de Caux, a tenu droit, a fait face. Elles ne se sont pas courbées.

Quand j’étais jeune fille, je ne me rendais pas compte, tout ce que ces mots exprimés si souvent par ma mère voulaient dire, tout qu’ils contenaient. « Tiens–toi droit, Julie ! » J’en avais besoin.

Bonne élève, on m’avait interdit l’université, mon origine « bourgeois » ne convenait pas aux communistes au pouvoir. Mon dos c’était courbé, mon cœur saignait. Mais pas pour longtemps. Je me suis relevée, rebiffée et je me suis inscrite aux cours par correspondance. J’ai travaillé et étudié en même temps, je me suis aussi cultivé. Oui, de temps en temps, je me suis découragée, courbée. Alors, maman ou Alina, un poème et l’éducation reçue, mes gênes, me rendaient le courage : je me redressais, souriais à la vie et les dents serrées, je continuais. Sans dos courbé.

J’ai dû souvent redresser le dos, me remonter le moral dans ma vie.

Vers la fin de mes études inachevées, en m’agrippant dans le plaisir d’étudier la belle langue française, seule, on ne pouvait m’interdire.

Au début de mon mariage quand je sentis mon mari s’éloigner. Sept ans plus tard quand il réclama ouvertement le droit de sortir quand et avec qui il le désire, j’ai courbé mon dos, écrasé, mais pas longtemps. Je me suis replongée dans l’étude de langue française d’abord, dans l’amour d’un français ensuite. Je me suis redressée. Droite et endurcie, j’ai pu supporter encore sept ans de mariage de plus en plus vidé de sens, les caprices croissants de mon mari.

Dos droite, tête en haute, je suis arrivée à m’en séparer, puis me prouver que je plais encore. Pendant deux ans, j’étais femme prodigue de charmes, beaucoup me trouvaient encore attrayante, intéressante.

Dos droite, avec courage, ne retrouvant pas de travail, j’ai créé une entreprise, dos droit, sans courber sous la charge lourde, à travers nombreux hauts et bas, je me disais «, « on va s’en sortir, il le faut ».

Puis un homme d’allure fier, âme noire, m’a courbée : je me sentais vieille, je me sentais grosse, je me ne sentais pas élégante, je sentais que je le perdais quand l’argent manquait et je le perdis… heureusement. Il m’a fallu de temps à sourire de nouveau. Mon dos ne s’était pas courbé, c’était mon âme qui s’était, presque, desséchée. Il était trop ignoble pour me sentir abaissé, sali.

Je me suis mis à écrire, plaisir rare, presque oublié. Plaisir immense d’invention, création, ciselage. Un livre, un deuxième. Un homme, un vrai. Bon. Le dos courbé, les yeux tristes. Je l’ai aidé à se relever et ses yeux se sont mis à sourire.

Ces jours-ci, le dos de François est rarement courbé et son sourire est un des propriétés de sa barbe qu’il a laissé pousser.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

tu as raison, l'atitude de soi représent aussi son ame ;-)
Se tenir droit, c'est faire face, c'est aussi accepté de se lancer !
C'est drole, l'autre jour, chez mon parain, pendant une ballade (il faut d'ailleurs que je fasse un article !) j'ai fait cette réflexio, à Audrey d'abord, à l'aller. Tiens toi droite, la tête haute, plutot que d'aller chercher la terre avec tes mains !
Et au retour, pareil pour Nathan.
Même tenue, même attitude ;-)

est-ce l'adolescence (enfin, le début, ils n'ont que 12 ans ...) qui fait cela !
Ou est-ce l'atitude que l'on voit chez bien des jeunes ....

Mes parents nous le disait aussi à table ;-) Comme nous aujourd'hui à notre tour...
Transmettre, expliquer ....

Etre fier de ce que l'on est ...oui, c'est important.
Même si cela n'empèche nulement de se courber ... temporairement aussi !

Bisous
Sophos