4 février 1997 Journal recommencé

J’ai décidé de continuer mon journal.

Écrire avec ma tête ne m’enchante pas tant qu’écrire avec mes tripes.
- Monsieur, vous me jouez un peu de musique ?
- Oui. Aïe. (Soupirs)
Jouer lui fait du bien. Il m’a dit ce matin quelque chose qui m’a fait bien, que je voulais noter. Qu’est-ce que c’était ?
- Pourquoi ces soupirs ?
- J’ai très mal.
- Où ?
- Aux jambes. Et parce que j’ai perdu les lunettes, mes bonnes lunettes. Je suis très embêté.
Il y va et joue quand même.
_______________
Comment c’était-il passé ?
Quelque chose comme :
- C’est bon cette dame ?
- Pas trop mal, dit-il.
- Ce monsieur, n’est pas trop mal, non plus.
- Vraiment ?
- Puisque, après huit ans, il me le demande encore. Et il fait quelque chose pour moi chaque jour.
- Toi, vingt fois par jour, même plus, ma Dame !
C’était dit presque ainsi.
_____________
Il joue, divinement !

Je m’arrête, je vais chercher ses lunettes.

De toute façon, je retrouve ma voix personnelle, mon style, seulement quand je suis tout à fait, complètement sincère. Si ‘écrivain’ veut dire ‘faire semblant’, alors je ne le suis pas.

Retrouver ses lunettes dans cette pagaie ? Mission impossible. On verra plus tard.

Bach, l’orgue, même électronique que c’est chaud, fin, délicat, tout comme l’âme de François, comme les doigts de François. Et récemment, même son sourire !

Oui, mon journal, je te promets : je reviendrai au rendez-vous souvent.

La musique de François est si paisible ce matin. Peut-être retrouvera–t–il de paix dans sa musique. Le monde de l’informatique est trépidant, passionnant, entraînant, apportant chaque mois des bouleversements. Tout, mais pas paisible. Bouleversant plutôt. Peut-être il s’agit de trouver un équilibre.

- Oh Madame, mais je ne me suis absolument occupé de la cuisine.
- Horrible ! je lui souris.
- C’est pas horrible, c’est affreux. C’est absolument affreux.
Il est presque midi.

J’ai pris une pilule contre les symptômes du rhume et ma tête tourne. De toute de façon, pourquoi c’est lui qui devra s’occuper à faire le déjeuner? Parce qu’il aime ça. L’aime-t-il encore?
- Est-ce que ça te fait plaisir encore ?
- Quoi ?
- Faire à manger.
- Ça dépend. On l’essayera. Il sourit.

Il adore me surprendre, faire des plats spéciaux, délicieux. Des navets au dindon, de porc à endives braisées, c’est difficile à résister à sa cuisine inventif, toujours différent.
Il est un grand gourmet, gourmand, mais son plaisir est de partager. Seul, cela ne l’intéresse pas.
(2007: mais j'avais déjà prise l'habitude de "prendre" aussi nos dialogues)

5 février 1997


Je suis fatiguée, épuisée, lasse. Dans la vie, les combats ne sont jamais finis. À peine on termine l’un, on gagne un, un autre est à traverser.

Ce matin, je me suis réveillée euphorique, après tant des années, Lionel a aperçu le bout de tunnel et à travers, un merveilleux avenir. On a confirmé hier son stage intéressant et payant « au moins six mois ! »

Il s’est rendu compte qu’on aura besoin de ses compétences :
« Imagine-toi, que je puisse faire ce que j’aime, et qu’en plus, on me paye pour cela ! Il y a sept ans, je ne voyais pas où ira ma vie, que serais-je capable de faire. J’ai un PC et un Mac, je les connais l’un et l’autre, l’ergonomie est passionnante. »
Il m’a parlé une heure au téléphone.

Enfin, enfin ! Je le savais capable, enfin il se rend compte lui aussi. Il doit encore travailler, réfléchir, étudier, mais au moins, autour des choses qui le passionnent, passionneront. Je me suis réveillée en pensant à lui, à son avenir, à son bonheur.
J’étais remplie de bonheur.

Puis François gémit.
- J’ai mal.
- Où ?
- L’estomac.
Voir son visage catastrophé était comme une éclaire frappant dans mon bonheur.

Il faut maintenant le sortir de là, lui, l’aider à concevoir et construire son avenir de la « troisième âge ». Je suis lasse, j’aurais voulu avoir au moins une journée remplie de bonheur, savourer sans nuages le bonheur de mon fils.

Je suis fatiguée à neuves heures de matin, j’essayerai de m’endormir, ma tête tourne. Je dois reprendre des forces. Assez pour fêter avec Lionel et pour égayer François, lui rendre le courage à lui aussi.

(le 14 mars 1998 ajouté :
Ils l’ont engagé, les mêmes, avec un merveilleux salaire. Il est une fantastique main-d’œuvre, je le savais !)

(ajout en 2007:)
Mon fils travaille toujours là, tout ayant eu de plus en plus des responsabilités.

Aucun commentaire: