5 Novembre, 1996, Paris
Un jour de grève des métro, assise dans un café près de Sorbonne où elle enseigne, j’écris en attendant Aliette, ma copine du Réseaux : elle tarde à venir.
Quand j'ai dû partir de Kolozsvár, ma ville natale, quand j'ai dû quitter mon collège hongrois, me séparer de mes amies et de mon environnement hongrois, ce que je pleurais, ce que je regrettais le plus, c'était d’être coupé de ma langue maternelle. Je sentais le danger de ne plus pouvoir devenir écrivain.
À 14 ans, encouragée par maman, j'avais déjà publié des critiques de théâtre et d'autres articles dans un magasine, écrit deux pièces de théâtre pour enfants et une opérette en trois actes, et quelques... vers. Je souhaitais devenir dramaturge. Mais mon père voulait que j'aie un “vrai métier” - et finalement, j'ai atterri au lycée technique de chimie à Bucarest.
À 18 ans, je me suis interrogée de nouveau, que faire ? De nouveau, je me suis avouée mon désir d'écrire. « La raison » l'a emporté : je serais chimiste, j'aimais bien la chimie, et puis, si j'avais vraiment du talent, j'écrirai plus tard, quand j'aurai plus vécu.
Mon travail, mes études m'absorbaient.
Heureusement, pendant tout ce temps-là, je continuais à écrire, au moins dans mon journal. Quand on nous a finalement permis de quitter la Roumanie, c'était sans aucune photo, ni papier écrit ou livre, j'ai dû laisser là mes journaux. Tout écrit non censuré, vérifié, photographié était interdit, comme un danger pour le pouvoir communiste en place. 7 années se sont passées, 7 années sans les avoir, 7 années sans écrire (au moins, sans conserver).
Entre temps, je suis allée d'un lieu à l'autre.
D’Israël en France, puis en Amérique, d'autres langues, un autre travail, une autre vie à refaire à chaque fois. Je me suis remis à étudier. La langue hongroise s'éloignait de plus en plus de moi. L'informatique me passionnait déjà plus que la chimie.
En revenant en France, j'ai créé une société de Micro Informatique, j’ai appris beaucoup sur le langage Basic, les Cartes Interface, puis lentement je suis revenue vers la Mise en Page, les Manuscrits et le PostScript - le langage des imprimantes Laser. C'est par son biais, en commençant à écrire à 52 ans des livres techniques, que je suis revenue à l'écriture.
J'avais envie de communiquer ce que j'avais appris, plus facilement, digérable, pour que tout le monde puisse le comprendre. J'avais trouvé quelqu'un qui pouvait les mettre... en bon français. Nous l'avons écrit, relu, corrigé, édité et réédité plusieurs fois, puis un livre en est sorti.
Un deuxième livre écrit sur le merveilleux HyperCard permet au non professionnel, non–programmeur de diriger le Macintosh à sa guise, le personnaliser, le maîtriser. Encore une fois, Pierre Brandeiss était là pour le mettre en bon français, et faire 120 pages de mes 47 pages initiales. Nous avons collaboré, nous l'avons édité, rendu intelligible, même pour les jeunes de 14 ans !, et agréable à ceux n'ayant jamais touché à l'informatique. C'est vrai, je dois reconnaître, il a une grande facilité d’écriture et nous avons réussi ainsi à finir ce livre dans un temps record de quatre mois. Le livre est devenu le best-seller informatique de l'année 1988 (grâce à moi, aussi).
Aussitôt, j'ai démarré un livre sur l'Édition Électronique. C'est ainsi que je suis arrivée à Dürer et aux manuscrits. Je voulais comprendre la raison de ces marges différentes, de la mise en page, l'expliquer à un autre niveau. Mais ni ce livre, ni les autres, pourtant en état avancé, n'ont jamais vu le jour, faute de quelqu'un pour m'aider à les mettre en bon, en ‘vrai’ français.
Alors comment ai-je eu le courage, le toupet, de traduire mes journaux et surtout ensuite de vouloir les publier ?
Au début, je n'ai pensé qu'à les traduire pour mes enfants, pour que quelque chose reste de “mon ancien moi”. Au fur et à mesure, je me suis rendu compte que pas mal de détails, son contenu (sinon sa forme) obéissent aux “règles littéraires d’un livre”, et qu'ils sont quelquefois captivants, attirants, voire au moins intéressants comme témoignage. De toutes de façon, originaux.
Et le style ? En hongrois, surtout dans ma jeunesse, mon style était coloré, saisissant. Mon français ‘compris’ est très riche mais celui ‘utilisé’ hélas assez pauvre. L'orthographe est facile à corriger avec les traitements de texte, mais la grammaire est beaucoup plus dure à rectifier. Le style, davantage.
Que faire ?
Après quatre mois de corrections, le texte est devenu lisible, au moins pour mes correctrices. Mais elles n'ont pas touché au style. C'était devenu du français, mais pas encore assez riche, comme Stéphanie me le demande : « Maintenant, ajoute la mélodie. Julie, tu peux ! Vas-y, ajoute des mots plus colorés, élimine les ceci, cela, chose et les répétions, soigne les fins pour qu’elles deviennent percutantes ».
J'en suis là. Encore un seuil franchi dans quelques semaines, quelques mois, et puis ? N'y aura-t-il jamais une fin ? Stéphanie croit en moi et aussi en ce livre : « Si tu ajoutes, si tu... alors il pourra devenir un best-seller. » Si...
Bon, on y va, on essaie, mais, c'est dur. J'ai énormément progressé en français depuis une année; on m'aide ; et j'espère, on m'aiderait encore.
Je ne perds pas mon courage. Je crois que mon message, les messages de mes journaux (même si je ne les ai pas écrits à l'époque pour cela) valent la peine, valent le temps – tout.
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