Pourtant beaucoup de choses se sont passées pendant ce temps.
Nous sommes arrivés à Budapest, habitant au début chez les Déri, pas longtemps après leur petite fille eut la rougeole et, bien que finalement je ne l’aie pas attrapée, nous sommes restées six semaines en quarantaine. Je me suis ennuyée pas mal. Elle était mignonne, mais beaucoup plus petite que moi. Heureusement, un copain de papa m’apporta ma grande poupée que j’avais dû laisser chez nous.
Un matin, maman m’a écrit en secret sur un papier nos nouveaux noms et prénoms. Je trouvais cela curieux, mais intéressant. J’ai su plus tard qu’on utilisait les vrais papiers d’une famille du village de papa, leurs âges étant voisins des nôtres. Mais selon les papiers j’avais une année de plus, oh, comme j’en ai été fière! Chaque fois que mes parents m’appelaient Julika, je recevais une pièce trouée de 20 centimes; j’avais un collier entier de pièces vers la fin, jusqu’à ce que mes parents se soient habitués. Pour moi c’était facile, je disais seulement: maman, papa.
Ensuite, nous avons voulu déménager dans un sanatorium. Nous étions déjà sur la route pour y aller, mais dans le taxi maman s’est rendu compte qu’elle avait perdu sa bague (je crois que c’était des diamants) et nous ne sommes pas partis - malgré tout ce que papa a pu dire. Le lendemain mes parents ont appris qu'à cet endroit où nous ne sommes pas arrivés ce soir-là les miliciens ont fait une rafle et qu'on avait tué tous les juifs qui sont tombés dans le piège du propriétaire.
Finalement, nous nous sommes réfugiés à Obecse, un village sur la frontière serbe, pas loin de Ujvàr, sur la rive droite de la rivière Tisza. C’était un village très riche de Bàcska. Là-bas nous avons joué déjà le rôle de la famille nouvelle.
Maman allait tous les dimanches à l’église catholique (avec des gants blancs) et moi avec papa à l’église protestante. Papa travaillait comme magasinier dans la fabrique,
Nous avons fêté mon vrai anniversaire en grand secret (comme il ne correspondait pas à celui qui était sur nos faux papiers), je me souviens que j’avais sur moi une robe blanche et rouge et j’ai reçu cinq livres dont l’un, “Croc blanc” de London m’a beaucoup plu, il s’agissait d’un chien. Papa a eu un collègue russe, il écoutait la radio étrangère chez lui et sa femme disait la bonne aventure à maman en lisant dans le marc de café. J’ai vu des films, entre autres “Un pantalon, une jupe” avec Latabàr.
J’ai même fréquenté l’école du village pendant trois semaines. Il y avait une baignoire et de temps en temps on pouvait prendre un bain. Nous apportions les repas d’un bon restaurant, ensuite c’est maman qui faisait la cuisine.
C’est à Obecse que j’ai eu mon premier succès. Un garçon génial, plus âgé que moi (de quatre ans !) me faisait “la cour” : nous nous sommes même promenés ensemble une fois dans la Grande Rue du village; une autre fois je suis allée chez eux, sa mère m’a promis de me prêter des livres. Les Russes s’approchaient et elle n’a pas eu le temps de me les donner.
Les Serbes du village haïssaient les Hongrois et nous étions là comme hongrois. Mes parents ont pensé que jusqu’à ce que nous expliquions que nous sommes juifs et pas leurs ennemis, nous ne vivions plus. Nous sommes donc repartis à Budapest avec un train, plein de vivres avec nous. Et je n’ai jamais pu revoir mon premier copain. Papa est venu après nous, plus tard... mais de ceci je parlerai une autre fois.
[1] Rayé dans l’originale : à l’époque avouer qu’on avait un oncle ayant eu une usine, c’était mal vu.
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