-Tout te réussit mieux qu’à moi. La musique, la programmation. Tu as fait des progrès, remporté des succès, aidé des gens, François.
-Mais la maison, que va-t-il lui arriver ?
-Regarde nos roses, centaines de roses rouges du buisson que tu avais planté devant la maison. Et le noisetier, grandit aussi.
-Trop près de la maison. Il va la détruire.
-Pour le moment, il est encore tout petit, tout mince. On le mettra plus loin, l’année prochaine.
-Il en mourra. Ces racines arrachées…
- On demandera conseil, de transplante, ca se fait.
Les racines sont importantes.
C’est comme si on aurait coupé les racines de François depuis qu’il est à la retraite, depuis qu’il n’est plus enseignant à l’Université. Les racines, moi j’ai réussi à transplanter avec moi, partout où je suis allée. Je me suis arraché très difficilement à quatorze ans de ma petite ville natale. Pendant sept ans, chaque été je retournais chez ma tante, être avec mes amies. Ensuite, j’ai retrouvé (même si lentement) une amie, des copines là, où je me trouvais.
Depuis, je me suis souvent arraché d’une ville, d’un travail ou de quelqu’un et à chaque fois avec le cœur serré, mais ce n’était plus aussi dur et j’ai appris à en profiter, rebondir, repartir de plus en plus vite. Chez moi, était où je vivais. Je refaisais une atmosphère chaude, accueillante où j’avais envie de revenir. Même ma retraite, je l’ai vécu relativement bien.
Quelques semaines d’angoisse d’abord, quelques jours à chercher une voie nouvelle et me voilà replongée dans mon passé, mes journaux écrits depuis cinquante ans.
Dix ans auparavant, j’avais traduit une partie, en les relisant, je me suis rendu compte du progrès en français que j’avais fait depuis, cela m’avait rassuré. Traduire les douze journaux, m’a fait progresser encore, leur correction, la réaction des gens, m’ont appris aussi.
Ça ne va toujours pas. Peut-être, ça n’irait jamais tout à fait. Mon vocabulaire n’est pas aussi riche que à ceux ayant vécu et fait l’école ici. Et alors ? Je sais m’exprimer, j’écris facilement. Je réussis de plus en plus à mettre une image vivant devant les yeux du lecteur, quelquefois même écrire une histoire prenant.
Je voudrais m’y mettre, écrire un nouveau roman, peut être genre policier pour voir si je peux, y mettant, sans trop m’y coller de ce qui est arrivé à mon père. Écrire me manque.
Publier moins. À la longue, ceci viendra aussi.
D’une façon ou l’autre, mon livre sur l’écriture sera publié et même mes journaux sur une certaine forme. Sans m’exercer je stagne, je m’y remettrai aussi. Pour le moment mes exercices sont une énorme poubelle, pêle-mêle, mais en plus ils servent à m’améliorer, de matériels bruts, et souvenirs ressurgis.
L’écriture est un art et aussi un artisanat. Il faut de travail régulier, du courage pour continuer malgré tout mes handicaps, apprendre les ficelles, les techniques millénaires. Innover, tout en connaissant et en continuant la tradition. Exprimer sa vérité dans sa voix propre.
Nous serons de plus en plus à avoir de temps libre.
À chanter, dessiner, écrire.
Les éditeurs ont déjà trop à lire ? Nous ferons de nouvelles maisons d’édition, de nouvelles voies de communication et diffusion. Beaucoup ont commencé lentement.
En douze ans, on a vendu 16 volumes de l'Ars Amore de Stendhal, s’est-il découragé ? Proust a auto-publié d’abord La recherche du temps perdu et Tolstoï a publié lui-même ses mémoires à vingt ans. Il y a cent ans, vendre deux milles exemplaires d’un livre c’était la gloire. Aujourd’hui, ils l’appellent échec, pourquoi ? D’accord, ni l’éditeur ni l’auteur ne gagnent pas beaucoup, mais deux mille (ou davantage) de gens le lisent, en parlent, le prennent dans l’expérience de leur vie.
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