Boston, le sept août 95

Tout à l’heure, j’étais vraiment «inspirée».

En écoutant François parler (depuis deux heures au moins), d’un coup une idée m’était venue au sujet de mon caractère, l’effort que maman a dû déployer pour me tenir à l’écart de la culture juive, me laisser développer ma personnalité et, en même temps «grise, invisible extérieurement». J’avais pas encore cinq ans quand ils se sont aperçus des dangers nous menaçant comme juifs.

J’ai compris beaucoup de chose subitement de ses difficultés et le courage de ma mère mais aussi son intelligence.

Difficulté de quitter des logements à chaque fois aussi. Douloureux, chaque objet dont je devais me séparer me faisant mal. Un tableau, un lampadaire, un fauteuil aimé que j’ai dû abandonner, l énième fois, recommencer avec presque rien de nouveau.

Combien de fois, déjà ?

Pendant la guerre, l’abandon de logement de Kolozsvàr dans une heure. Au début, ma poupée, mes livres qui me manquaient. Je ne savais encore de ma famille qui disparaîtra. Ensuite, vers Bucarest, quatre ans plus tard, encore six ans plus tard j’y revenais comme si j’habitais là.

Au départ de Roumanie, j’ai laissé (pour quelques mois), mon mari, père de l’enfant en moi déjà, le choc des cendres de ma mère déversée sur un journal, étaient plus importants que d’avoir du y laisser mes journaux, photos et poèmes préférés. J’ai réussi à récupérer « la secrétaire » de arrière grande mère seulement vingt ans plus tard et en même temps je me suis rendu compte de tout qu’on a coupé en même temps.

Puis notre départ précipité d’Ham, quand mon mari m’avait obligé d’y laisser tous les meubles rassemblés longtemps, avec amour. Refaire. Des mois, nous avons mangé sur un coffre, le même avec lequel on était parti de la Roumanie. Plus tard, j’ai dû tout laisser pour aller en Amérique, puis trois ans plus tard tout abandonner pour retourner en France. Recommencer avec un matelas à la lumière d’une bougie à Montmartre où je suis. Mais j’ai dû faire place pour François ici, pour ses affaires, habits, livres, documents, ordinateurs, musique, journaux, etc.

Ces déchirements, sont aussi mes richesses. Des années pleines de bonheur de tous les jours, des années tranquilles, je ne me les rappelle presque pas. Il y avait d’amertumes, des renoncements, des espoirs et joies, mais il devient difficile de les faire revivre.

J’étais hier avec François dans une librairie antique : à la fin de la siècle dernière, écrire de journal était une activité beaucoup plus « avouable », il sera temps le faire revivre. C’est sain, aide à réfléchire… je voulais dire indépendamment. M’a-t-il aidé ? Peut-être pour cela que j’ai des trous de temps en temps.

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