As-tu touché le bois? - nouveau volume

C'est le début d'un nouveau volume, après le volume "nous" ou le nième chance
Il existe, non seulement la deuxième chance dans la vie de quelqu’un, mais même, l’énième. Toutefois, touchons du bois, ne croyons pas trop vite que « tout va bien » et c’est gagné à jamais.
1er janvier 1996

Le concert des valses de Vienne de nouvelle année vient de commencer. Les sons caressent mon âme et cœur, me réchauffent d’intérieur.

Quelqu’un m’avait dit (était-ce François?) que quelquefois après qu’il avait retourné un problème par tous ses côtés, examiné, réfléchi dessus, je lui dis quelques mots qui l’illuminent, l’éclairent différemment, mieux. C’est ce qui m’est arrivée maintenant, mais cette fois-ci c’est François qui m’a expliqué des comportements, des paroles de Sandou qui m’ont pesé, qui me paraissaient insensées. J’ai dû lui raconter seulement quelques éléments qui, à moi, paraissaient sans liaison, pas importants.

La discussion a commencé en parlant des racines et pourquoi moi, j’ai pu me retrouver, et légèrement, mais poser mes racines à chaque fois, là où je me trouvais.

Pourquoi d’autres ne peuvent s’adapter jamais et souffrent déracinés toute leur vie. Sandou m’avait reproché souvent que, à cause de moi, il a dû partir de son pays. Il se sentait déraciné. Je ne le comprenais pas : tout le monde voulait s’échapper de la Roumanie, du communisme, de cette dictature, y compris ses frères qui ont ensuite réussi de s’enfuire eu aussi et qui habitent en France, heureux d’y être ; et son meilleur ami aussi. Malgré tout ca, il avait toujours envie d’y retourner ne soit que pour les vacances. Être avec ses parents et ses copains, entouré et admiré (surtout puisqu’il arrivait de France.)

Quand je l’avais rencontré, il m’avait raconté qu’il était plus grec que roumain, qu’il ressemblait davantage à sa mère qu’à son père. Sa mère était une « maîtresse femme grec ». Il m’avait aussi parlé son enfance passée entre les deux petites rues de Bucarest et de sa jeunesse euphorique, d’abord faisant des luttes gréco-romaines, puis faisant partie d’une équipe de rugby junior ayant gagné avec eux le championnat de la Roumanie.

Il était petit mais agile, avait un corps d’athlète grec antique. Il avait quitté les luttes en s’apercevant que la plupart d’anciens lutteurs devenaient bêtes à force d’êtres cognés à la tête. Et, il a dû quitter le rugby quand devant de plus en plus myope, ne voyant plus le ballon sans lunettes. Il m’avait raconté une fois ce que représentait pour lui cette atmosphère de l’équipe de rugby et les ovations grisantes du public.

Tout cela s’était passé avant ses vingt ans, longtemps avant notre connaissance. Par contre, au début que nous nous sommes rencontrés, il allait encore aux bains turcs, le sauna, tous les dimanches avec ses copains, perdre du poids, se faire masser, puis passer vis-à-vis et regagner le tout en fait en buvant et en discutant avec ses amis. Les bains ont été fermés parce qu’il faisait partie de l’église gréco-orthodoxe adjacente où allaient pendant ce temps toutes les femmes.

François m’a expliqué qu’il y a deux sortes de gens. Les uns, comme moi, portent leurs racines avec soi, ont des racines culturelles « cosmopolites », peuvent donc s’acclimater ailleurs. Les autres, comme la plupart des gens habitant une petite communauté ou village ont des racines « collectives ». Leur identité et racine est faite des liens divers tissés, de leur « place » entre les autres, leurs interactions. C’est leur culture et c’est immuable.

Je commence après presque quarante ans comprendre enfin que même si Sandou aurait été pauvre, malheureux en restant là-bas, il aurait eu ‘sa place’ et il se serait senti ‘chez lui.’ Tant que je gagnais encore peu d’argent (ou rien), moins que lui, tant que je n’avais pas de succès, Sandou était encore relativement heureux : il pouvait m’offrir quelque chose. Mais dès qu’on a commencé à m’apprécier, dès que j’ai commencé à m’épanouir, tant peu, ou étudier de nouveau, c’était fini. Et, quand mon père nous a acheté le Peugeot 404 presque neuf, Sandou s’est senti définitivement blessé dans sa fierté « macho », comme d’ailleurs à chaque fois que je ne disais pas « non » au début et qu’il ne devait pas employer « toute son ingénuité » pour « me convaincre » d’avoir, moi aussi envie. Il aurait voulu être celui qui m’offre tout.
Il avait en plus besoin de retrouver à chaque fois la jeune fille effarouchée qu’il avait connue et qui lui semblait une statue lointaine et inatteignable, qu’il avait avec tant de patience et volonté paysanne conquise à la longue, tout en regrettant… quoi?

De toute façon, c’était en grand parti ma faute, je ne devais jouer avec le feu, le laisser m’embrasser, ni glisser, lentement, de plus en plus loin. Mon tempérament a finalement vaincu. Puis après la mort de maman, il remplissait l’énorme vide crée par elle et en quelques mois je me suis retrouvée mariée. La sagesse populaire « ne pas se marier une année avant un deuil » a une profonde signification. Malgré tout, j’étais heureuse, Sandou n’était pas un mauvais amant (quand il voulait) et surtout, j’ai Agnès et Lionel que je n’ai jamais regretté d’avoir eu. Déjà, pour eux, je me disais toujours et encore, cela valait la peine. Ils ont un sang mélangé, seine, et leurs enfants auraient encore plus. Lionel a le corps de son père et l’intelligence de sa mère. Agnès ressemble plutôt à maman. Même si tous les deux ont hélas hérité de moi de la sensibilité nerveuse des juifs et de leur père l’envie de contrer (Ion), de se conformer au groupe (Agnès). Je devrais m’occuper davantage d’eux.

François et moi aussi portons en nous-mêmes notre culture et dans notre enfance nous avons été baladés. Nos racines cassés ici et là, les liens sociaux, même si pour des causes différents, inexistants ou à chaque fois renouvelés. Ces tissus sociaux, ou de clan, ou de secte, indispensable à quelques-uns, nous est pas primordial pour nous.

Nous l’aimons, mais nous pouvons vivre et s’épanouir sans, surtout, encore davantage depuis que nous nous sommes retrouvés et nous recevons l’amour, la chaleur et l’appréciation (même critique positive) l’un de l’autre. Ce n’est pas assez, mais nous permet de nous « déplacer », se retrouver ailleurs.

J’ai commencé à écrire à la maison en regardant la télévision et je suis en train de le finir en écoutant la musique que joue François à l’orgue dans l’église de Crécy. Je n’aurais pas dû lui dire « juste une demi-heure », il se dépêche trop.

Pourquoi sommes-nous si fatigués, presque éreintés, à ce début d’année?

Voilà, maintenant ce qu’il joue est devenu très beau et juste au bon rythme aussi. Mais j’ai envie de dormir de nouveau. Pourquoi?

François m’a dit que si je n’ai pas parlé de mariage de Sandou, ni de mort de sa deuxième femme dans mon journal, je ne devrais pas le faire non plus maintenant, après son décès. Est-ce vrai ? C’est mon journal après tout. Quels sont les changements et modifications à faire pour le rendre publiable, lisible, agréable à lire? Peut-être devrais-je laisser à l’éditeur d’en décider, mais, de toute façon je ferais copyright sur l’original, comme un « document ». Peut-on? Ou seulement pour un « œuvre littéraire »?

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Oui, je pense que nos racines, on peut les porter en soi, et les transmettre aussi , en montrant cela.
Pour ma part, j'ai eu deux lieux , le centre,e t la normandie. Mais de multiples ascendances, francaises, étrangères. Et j'ai pas mal voyager en france. Et chaque chose m'a apporter un petit plus dans ces racines.
Certains ont besoin de rester dans un cercle bien précis, pour être bien. J'ai des collègues comme ca.

D'autres pouront être bien ... partout ;-)

Par contre, je ne sais pas ce que tu as fait pour ton livre, mais c'est plutot toi, et ce que tu rescent qui devrait te dicter quoi mettre dedans. C'est toi, ces livres... et non pas ce que veulent te faire ecrire ou retirer les gens autour de toi ....

Biz
sophos