Rencontre à Senlis

Souvenir

Le visage de Pierre était plus marqué que dans mes souvenirs, ses cheveux plus gris.

Merci, Pierre de m’avoir rendue à moi-même, cette après-midi brumeuse d’automne dans la forêt de Senlis. M’avoir donné un seul baiser qui m’avait soudain rappelé tout mon amour, nos amours de il y a sept ans, me rappelait de nouveau pourquoi je t’avais tant aimé, jadis.

Puis tu m’as dit : « Je dois rentrer, adieu ! »

Par ces mots tu m’as signalé qu’on n’ira pas plus loin, aussi loin que j’étais toute prête à aller avec toi, ce jour pluvieux d’Octobre. C’était fini, tout ce qui a été, aujourd’hui est enterré, enfui, terminé à jamais.

Je t’en voulais alors, mon cœur saignait. Tu te dérobais.

J’avais rêvé pendant sept ans de cette rencontre et jamais cela ne se terminait ainsi. Dans mes fantasmes, tu me prenais dans tes bras, tu me demandais comme chaque fois « Puis-je ? », tu me faisais l’amour. Avec fougue, tendresse comme autrefois.

J’ai dû me réveiller ce soir-là. Fantaisie et vie, Julie ! il ne faut pas les mélanger. Et c’est à partir de ce moment-là que je me suis mise sur mes propres pieds. J’ai commencé à faire face.

Pendant sept ans, sans nous voir, sans nous parler, sans nous écrire, je me sentais toujours à toi... Ta fiancée. Je gardais la bague de zircon à mon doigt. Ton seul cadeau que j’avais accepté, me liant ainsi à toi. Le soir même, en revenant de Senlis, j’ai retiré cette bague, comme j’avais retiré un mois auparavant ma bague de mariage, rompu mes liens conjugaux.

Je n’étais plus fiancée à toi, comme je n’étais plus mariée à Sandu, qui vivait encore, à cette époque-là, sous le toit de même appartement que moi, mais en fait depuis des mois déjà, dans une chambre bien à part. Je les sentais aussi éloignés de moi, dorénavant, lui et toi.

J’ai pleuré, j’ai fait le deuil de mes rêves d’amour, de bonheur.

Je suis restée seule. Non ! Pas seule ! Avec mes enfants. Avec mes amies. Mon travail. Non, hélas, rapidement aussi sans travail. Avec mes études que je me suis efforcée à terminer rapidement. L’argent de mon père, la chaleur de mes enfants et l’encouragement de mon amie Stéphanie m’ont aidée à le terminer. Puis partir.

Repartir d’un nouveau pied, dans une nouvelle vie, nouveau pays.

Merci Pierre, de cet « adieu » définitif et ferme, cet adieu qui m’a lancée, m’a poussée à marcher sur mes propres pieds.

***

Seulement plusieurs mois après avoir vécue seule, après que j’ai pleuré ses rêves perdus, me suis-je rendu compte qu’enfin, j’étais libre.

Libre de vivre telle que j’aimais aimais, libre d’écouter la musique qui me plaisait, libre de manger les plats comme dans mon enfance, libre de lire ou étudier toute la nuit. Et un jour, peut-être...

J’avais gagné surtout la liberté d’espérer de nouveau.

3 commentaires:

coyote des neiges a dit…

Quelle superbe raisonnement! Bien sûr, ça n'a pas dû arriver facilement, mais quel beau réveil, de faire cette constatation, quand ces souvenirs ont eu le temps de mûrir!

Michael Park a dit…

'Seulement plusiers mois après...'
toujours il faut de temps..
je le preferais si tous les evenements et le proces de mûrir arrivait dans un seul moment, mais ce n'est jamais si facile!

Anonyme a dit…

la liberté d'être toi aussi !
sophos