3 mai 2003

Non. Je ne vais pas 'désacraliser' ce cahier pour l’indexer, ni utiliser des crayons couleur pour signaler quel sorte d’entrée est chacune. Je pourrais le faire avec la version ordinateur, je pourrais jouer avec celui-là par contre. Mais ce cahier est une partie de moi et l’on ne doit pas y toucher!

Quelquefois, il m’est arrivée de relire d’anciens cahiers et annoter, ajouter quelques commentaires à moi-même. C’est une autre chose. C’était aussi parler avec moi même, un moi disparu, ancien.

J’écris, jour à jour, quand cela me vient et ce que me vient, colorier ça serait comme me censurer, regarder de dehors au lieu d'y plonger. En plus, j’ai un autre cahier pour les souvenirs, récits, un autre encore pour consigner ce que j’apprends des livres sur l’écriture, même ceux conseillant comment réutiliser les matériaux enfuis en journaux.

Je retire de chaque livre ce que je veux, ce qui me sert.

Je ne crois pas que le journal est seulement de la matière première. Je crois, comme l’auteur le dit ailleurs que c’est une chronique sociale et personnelle. Un certain portrait du soi privé et, des temps, autour de soi.

Je me suis rendu compte en lisant le journal d’Agnès sur ses enfants (qui tient par ailleurs un journal privé caché) que ce qui manque en contexte de mes journaux est ma vie publique. Ce qu’elle met sur les enfants presque en exclusion d’autre chose.

Chacun tient son journal à sa manière.

J’en pourrais faire un cahier des photos commentées; un autre sur mes voyages ; un sur mes divers travaux, etc. Peut-être, je m’en mettrais un jour. Surtout, sur mes voyages.

Suis-je touriste ou voyageur? Plutôt la deuxième catégorie, quand je le faisais selon moi. La preuve, cette nuit passée chez l’épouse du charbonnier de train, au premier jour de mon premier voyage toute seule.

J’observais sa vie, la puanteur du lit que nous avons partagé, la saleté des draps d’où son mari habillé en noir de travail (pas retiré après avoir alimenté la locomotive) venait se lever, leur extrême pauvreté, l’extraordinaire bonté et amitié de cette brave femme envers moi. Elle m’a offerte du lait fraîchement tiré de leur vache, je lui est offerte mes biscuits simples, pour elle un régal, pour moi ce dîner où chacun de nous a contribué ce qu’elle avait.

François ne voulait pas que Jutka dorme chez nous, ce n’était pas assez beau selon lui. Je l’ai accueillie, comme tous qui viennent, même si pas des étrangers du train rencontrés depuis peu des heures. Un voyage peut laisser des traces toute la vie.

Quelquefois, même le 'tourisme'. La démarcation n’est pas si nette.

François photographiait les cathédrales. Moi, au même lieu, les gosses jouant autour de la fontaine, les pierres sur lesquelles l’eau coulait. Ailleurs, la femme au bigoudi allant vers le travail, prenant le métro. Et celui, non pris, lors ma dernière voyage de jeune homme cheveux courts roux et yeux bleus claires, la religion lui interdisant d’image. Ni le jeune noir, visage de singe et voix d’ange du bus de nuit. Comme il était laid! Comme il chantait bien!

J’aurais, non, je vais avoir pleines des choses à raconter. Sur les voyages faits et ceux que je ferais encore.

Peut-être c’est vrai, l’important est de ne pas avoir ni l’âme d’un touriste qui passe et compare, ni celui du reporter cherchant ce qui choque, mais l’âme d’enfant ouvert vers tout qui viendra.

***

Stelian (le dernier frère vivant de Sandou) vient de mourir, en France. Il sera enterré à Bucarest. Oncle Ladislav aveuglé à 96 ans veut mourir. Je regrette, mais a le droit de décider, surtout à son âge. Un jour, mon tour viendra.

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