J'ai survécu

3 Juillet 93

En quelques jours j’entrerai dans ma 59e année.

Il y a deux jours j’ai vu un documentaire fleuve, sur le meurtre des juifs en Pologne entre 1941 et 43.

Comment est-il possible que jusqu’en 1945, quand le peu de ceux qui ont survécu sont revenus, on ne savait pas ? Comment a-t-on pu gazer, brûler en Pologne et en Allemagne, sans que les communautés de juifs l’apprennent ? Comment a-t-on pu conduire tant de gens comme des moutons à leur mort et les berner presque jusqu’à leur dernière minute?

J’ai survécu à l'holocauste, parce que mes parents à moi se doutaient de quelque chose et que nous nous sommes cachés sous un faux nom là où on ne nous connaissait pas. Parce que maman ayant perdu sa bague en diamants a refusé d’aller à une pension d’où l’on nous aurait déportés et tués le lendemain. Mais Poussin à ses 10 ans y est restée, a été gazée, brûlée comme aussi ma tante et ma grand–mère ; mon grand–père mort étouffé déjà dans le wagon des bestiaux qui les amenait...

J’ai aussi survécu à l’arrestation et la détention de mon père innocent, mon exclusion de l'union de jeunesse communiste, la raréfaction de nos “amis”, sauf celui qui s'est occupé de nous même davantage.

J’ai aussi survécu quand, à cause de mon origine (de l'ancienne profession de mon père) on ne m’a pas laissée aller à la Faculté, malgré mes bonnes notes. J’ai fait des études, même seulement "à distance," tout en travaillant.

J’ai survécu à Elena Ceausescu, à cause de qui j’ai dû quitter mon travail de recherche, je n’ai pas eu mon diplôme d’ingénieur : on m'a exclue comme “ennemie du peuple“. Je suis partie de Roumanie surtout à cause d'elle. Heureusement que je suis partie. Et c'est elle qui est morte avant moi.

J’ai survécu à la haine de Déborah, ma méchante belle-mère. Mais ma mère n’a pas survécu, mon père non plus. D'abord, je n’ai pas cru dans son existence quand maman m'en parlait. Et j'ai défendu papa autant que j’ai pu pendant son dernier mois ; il n’a pas fini sa vie dans un asile d'aliénés où Déborah voulait le placer. Mais je n’ai pas pu empêcher qu’elle mette auprès de lui un infirmier roumain qui lui faisait du chantage jusqu’à ses derniers jours. J’ai su déjouer d'autres de ses plans et me défendre contre les innombrables procès qu’elle m’a intentés, tant bien que mal.

J’ai survécu au dédain d’un mauvais mari, au rejet comme femme, à ses manèges pour détruire ma personnalité et m'abaisser. Aux difficultés de l’émigration. J’en suis sortie avec deux merveilleux enfants, avec ma personnalité finalement retrouvée, avec ma confiance très lentement recréée. Avec assez de force et de volonté pour les élever à côté de moi, sans permettre qu'on me les arrache ni qu'on les monte contre moi. J’ai rebâti ma vie. J’ai réussi à finir mes études à Paris en travaillant en même temps, en m’occupant du ménage, des enfants, en luttant contre un mari coléreux et volage, puis les derniers mois seule, sans la sûreté de lendemain.

J’ai survécu aux angoisses qui m’ont assaillie à mon arrivé en Amérique : quand je n’arrivais même plus à déchiffrer les mots. J’ai montré de quoi j’étais capable. J’ai découvert ce que je pouvais réaliser et ce que je ne pouvais pas, en faisant une auto-évaluation utile par la suite. J’ai survécu aux intrigues autour de l’association de "lutte contre le cancer" et à la lutte - sans succès - pour rester en Amérique. Je me suis revalorisée là-bas comme femme.

J’ai survécu à un amant escroc, qui m’a bernée, abusée longtemps, qui a travaillé à la ruine de Bip et avec ma confiance pas trop détruite, récupérée.

J’ai survécu à mon cancer de la peau 'bénigne', à mon ostéoporose - pour le moment, mais je dois commencer à m’occuper plus sérieusement de ma santé.

J’ai survécu au travail intensif et à d'innombrables hauts et bas d’une société formée par moi, et même à sa décomposition, bientôt sa disparition totale. J’ai gagné en force, en connaissance : j’ai vécu.

Et je survivrai aussi aux machinations de ces gens dont mon travail heurte l’intérêt personnel et corporatiste. Pour le moment dans un petit trou, mais je suis encore ici. On n’a pas réussi à m'obliger à démissionne !

J’ai appris à lutter, à résister, à attendre, à espérer. Surtout, à ne pas m'autodétruire en me faisant trop de soucis.

J'ai appris aussi à peser l’échelle des difficultés et des problèmes.
  • Lutter autant qu’il m'est possible
  • éloigner de moi et de ma pensée tout ce contre quoi je ne peux pas lutter
  • ne pas me laisser détruire les nerfs par un méchant chef, ni par des détails, ni par l’angoisse ou haine vaine
  • continuer à vivre, revivre, m’occuper, créer.
J’ai un bon mari, amant et collaborateur de travail.
J'ai une fille bien mariée qui attend un enfant.
J'ai un fils qui réussit bien ses études, qui se soucie de moi.
Un emploi où je peux continuer à apprendre tranquillement. Veille technologique Mac ? ! OK. J'aime bien suivre ce qui arrivera, qui arrive déjà.

Et j’ai une force de caractère, héritée de mon père, développée par l’éducation de ma mère et forgée par les difficultés de ma vie.

3 commentaires:

Julie Kertesz - me - moi - jk a dit…

j'étais quand même assez affolée quand j'ai écrit ces lignes, et ne savais pas comment je vais m'en sortir, ni ce qui m'attandait après le coin,

Anonyme a dit…

c'est vrai que c'est quand même affolant, ce a quoi tu as survécu.
Mais aussi, reconnait-le ... tu t'es battue aussi pour arrivé là ou tu es !!!!
Tu t'es battue ... parce qu'en toi, tu en avais la force, et que tes parents ont su approfondir cette force, on su la guider.
J'ai toujours pensé qu'on était inégaux devant la force.
Mais quand on l'a, elle nous aide tous les jours de la vie.

Et toi, tu l'as renforcée à chaque épreuve, à chaque moemnt. Et tu t'en ai servie aussi.

Aujourd'hui, si tu es ce que tu es, c'est grace à toi, à tes parents aussi. Mais surtout grace à toi, car tu aurais pu baisser les bras, lors d'une seule épreuve. Non seulement tu les a passé, mais à chaque fois, tu te relevais plus forte que la fois d'avant.


Sophos ;-)

Julie Kertesz - me - moi - jk a dit…

Tu sais toujours mettre si bien le point sur le i, sur ce qui est le plus important, pour comprendre plus profondément, Sofos.

En fait, quand j'ai eu 12 ans et mon père m'a persuadée à ne pas m'enfuire devant la difficulté et ne pas revenir à la maison des vacances de colonie, il m'a fait une immense service et m'a donné une leçon pour la vie; maman n'a pas apprécié et depuis ce moment je n'étais plus gâtée comme avant, j'avais sur mon dos plus de responsabilité aussi. Oui, chacun a sa façon, m'a aidé alors pour que j'apprends à m'aider moi même à m'en sortir.