5 janvier 1991 Paris

Enfin à la maison ! Enfin avec François ! Enfin avec quelqu'un ayant besoin de moi, avec qui je peux vraiment PARLER, converser.

Mais les effets de ces quelques jours seront longs à s’effacer.

Des heurts profonds sont à guérir. Il faudra faire très attention à ce dont on s'entoure, où l’on va seule, pour combien de temps, et apprendre à défendre mon bonheur intérieur.

Il faudra savoir mieux me défendre.

Je suis arrivée à Washington en nouvelle mariée resplendissante de bonheur. J'en suis partie en femme aigrie, nerveuse, les derniers jours, même le miroir me faisait peur.

Je dois regagner cette Julie d'avant, dans l’atmosphère tendre dont François m’entoure, j'ai déjà fait des progrès. Là-bas, Lionel avait tout fait pour m'aider, m'entourer, me défendre, mais finalement lui‑même a été aussi influencé par Agnès et l'atmosphère créée par Sandou et sa sœur.

Mon éclat d'avant n'est pas encore revenu.

Je me suis plongée dans Windows 3 qui vient de sortir en Amérique, il ressemble beaucoup au « bureau » de Macintosh, je vais l’enseigner sur des PC à EDF. Je suis très active, mais je reste encore blessée. Il me faudrait du recul pour analyser ce qui s’est passé et du temps pour refermer mes blessures. Je n'aurais pas dû partir sans François. C'est du passé, on ne peut plus le changer. Ne pas pleurer sur ce qu'on ne peut plus changer !

Agnès s'est encore éloignée de moi. Naïvement, je croyais que malgré dix ans de vie loin l’un de l’autre on peut rester près, se comprendre. Pourquoi était-elle tout le temps sur la défensive? Pour prouver qu'elle n'a pas, n'a plus besoin de sa mère ? Qu'elle est adulte, donc peut et va décider toute seule sans avoir besoin des conseils, de l'aide de sa mère? Qu'elle ne dépend plus financièrement de moi et donc ne doit plus même avoir de liens intellectuels et affectifs?

D'après Stéphanie c'est justement le signe qu'elle n'est pas encore devenue adulte, qu'elle vit toujours dans ses rêves. La façon dont elle a agencé son mariage le prouve aussi. Elle m'a fait de la peine. Est–elle vraiment heureuse ou joue–t–elle un rôle? Elle a heurté des autres aussi. Comment peut-on faire mal aux autres quand on est heureuse?

On aime, on est aimé, on est heureux, on veut du bien à tout le monde autour de nous. À condition de ne pas être entouré de gens qui veulent nous désunir ou détruire notre bonheur. M'a-t-elle vue ainsi ? Peut-être je lui ai conseillé d'agir d'une façon qui n'était pas dans son rêve, en critiquant son mariage mi-juif, avec traduction roumaine. Elle n'a pas encore surmonté l'échec de son ancien mariage et tombe maintenant dans l'excès contraire?

J'espère que Dan - et leurs futurs enfants - vont changer la relation entre nous. Pour le moment je ne sais même plus quoi dire et comment parler à Agnès. Je pense à elle et je me sens amère. Ce n'est pas bien, mais c'est la réalité.

Professionnellement je n'ai pas perdu mon temps en Amérique, mais j'ai perdu un peu de mon bonheur interne, de mon éclat. Anna me dit : «Cela te reviendra rapidement ! Prends patience.»


Il a fallu de temp pour qu'elle veuille me parler de nouveau, probablement elle en a eu besoin pour s'éloigner, grandir. Refaire sa vie, ailleurs, autrement.

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