Je suis mortelle

2 août 1987

Il a fallu que j'aie 54 ans et des poussières pour que je commence à me rendre compte que je suis mortelle, que ma vie commencée, vécue, ne va pas durer éternellement ; que ce qui est arrivé aux autres « enfance, jeunesse, amours, malheurs, luttes et même la vieillesse » m'arrivera à moi aussi.

Non, que je me sente vieille, mais j'ai peur du temps qui passe, qui est déjà passé ; la vie s'est envolée à une vitesse vertigineuse et elle va s'en aller pour moi aussi. Un jour. Jusqu'à maintenant je n'avais jamais pensé à la mort. Oui, j'avais peur de la maladie, de la douleur, de l’incapacité - pires que la mort. C'est moins grave quand même si on ne sent pas le danger passer, arriver.
Que je suis sotte ! Mais que faire. La plupart du temps je suis assez sereine et cette année sortiront probablement plusieurs livres.

J'ai réussi à vaincre les adversités m’entourant; et même à comprendre la comptabilité. J'ai réussi à ne pas me perdre entre tous les procès qui m'entourent d'un seul coup, et même de vivre à mon goût. Alors?

J'ai réussi à lire, aimer, comprendre (ou essayer de comprendre) les philosophes Spinoza, Nietzsche, le langage PostScript, le calcul matriciel, le tout en six mois!
Et il me reste encore la moitié de l'année ! Mais il y a tant à faire. Tant mieux.

Vais-je réussir mon livre d’édition électronique comme je le voudrais?

Sais-je encore me reposer? Le repos pour moi, c'est quoi? Dormir? Lire? Nager? Bavarder? Écrire?

C'est intérieurement qu'il y a quelque chose (quoi?) qui n’est plus en repos. À cause de ça, de nouveau, je n'aime pas l'image que me renvoi mon reflet dans la glace. Je suis fatiguée, j'ai l'air harassé. Je n'ai même plus envie de réfléchir, de regarder en moi-même. Est-ce que c'est cela qui me fatigue tant?

26 juillet 1987

Mon livre "PostScript à votre Service" a le succès mérité, les gens qui le lisent découvrent facilement PostScript et l'utilisent, comme c’était son but. Cela me crée aussi un bon renom et réclame: je viens de signer avec les éditions PSI un contrat pour mon livre « Édition Électronique ».

J'ai terminé la mise en page de la traduction du programme de dessin. Ces jours-ci je dois terminer la traduction de mon livre PostScript en anglais. Mais aussi finir la comptabilité Bip... Ah là là! Il y a tant à faire. Il le faut, si je veux m'en aller un mois entier!

Pour le moment j'avance assez bien, ma dette envers la banque sera payée bientôt. Cette année nous avons réussi à gagner de l'argent, même si je ne l'ai pas. Où est-il? La plupart chez les clients et dans le stock. J'ai appris le principe de valeur ajoutée, de stock minimal, la notion de marge plus importante que le volume, etc.

J'ai trouvé des idées intéressantes dans le "Gai savoir" de Nietzsche, à travers son livre la fin du siècle dernier me paraît proche.

Je me suis fait couper les cheveux, j'ai ajouté un reflet roux et depuis, j'ai un sourire espiègle qui me plaît. Mon visage de ces derniers temps, tristes et trop désabusé ne me plaisait plus. Enfin, le sourire!

Trouver avec qui écrire le livre sur la Mise en Page Électronique.

J'ai de grands rêves. Il le faut. Je me vois déjà avec ce livre publié et mon nom “connu”. Pourquoi est-ce important? Ha, ha. Bon, on verra. Peut-être qu'un jour, je me mettrai à écrire aussi d'autres choses. J’ai toujours préféré faire ce qui donne des résultats visibles et ce qui peut être utile ou vite utilisé, plutôt que les recherches fondamentales qui pourront servir, un jour, peut-être...

Je suis très fatiguée. Je ne sais plus me détendre, depuis... Bonne nuit Julie!

17 juillet 1987

Quand j'ai acheté ce cahier, j'imaginais que sa couverture dure me ferait plaisir, mais finalement elle me gêne; je ne le prends pas en main avec le même plaisir que mon ancien journal. Pourquoi? Rigidité? Fermeture? Quelle est cette sensation qui me pousse à le sentir tel?

Que le temps passe vite! Mais, au moins à partir de maintenant, j’essaie de l'employer efficacement et d'agir de plus en plus selon "l'essence de Julie ". D’où vient il? Est-ce seulement une illusion ou est-ce que j'agis dorénavant vraiment poussée par moi-même?

J'ai 53 ans

12 juillet 1987

Les années passent, aujourd'hui j'ai 53 ans. Ma mère est morte à cet âge et je commence à avoir peur que le temps, le mien, passe très vite aussi. Mais pour le moment je suis en plein boum, en pleine activité, je me sens très bien.

Notre livre "PostScript à votre Service" qui n'aurait pas vu le jour sans moi, ni sans mon co-auteur, vient de paraître et commence à connaître un succès mérité. Il aura un public limité, mais il est actuel, bien écrit et contient l'atmosphère d’égalité et de démystification que je voulais lui donner.

Dans ma joie plusieurs choses se mêlent : mon rêve d’enfant d'écrire et de publier, mon besoin de communiquer réalisé ; “je leur ai montré” ; mais surtout, la joie de la création. La psychologie, l’esprit du livre sont les miens et se sentent dans chaque phrase ; par contre l'expression tient plus de P. Brandeiss que de moi, bien que nous ayons pas mal modifié le texte afin de mieux exprimer mes idées. Agnès vient de finir sa traduction en anglais et je mets beaucoup d'espoir dans sa publication aux U.S.A. On verra.Un deuxième livre sur des conseils de Mise en Page sera mis en route dès demain. J’ai presque fini d’écrire le tome II du livre sur PostScript (les suites et tous les exercices), mais je dois trouver du temps pour le terminer. Je n'ai pas encore trouvé de co-auteur pour m’aider à le mettre dans un français acceptable.

Je viens de découvrir Nietzsche : "Le Gai Savoir", c’est étonnant, ses mots auraient pu être écrits aujourd'hui ! Il y a tant à faire ! Lire, écrire, réaliser !

Je ferai ce que je peux dans le temps qui me reste.

J’ai fait la connaissance de Stéphanie il y a onze ans. Il y a quelques jours, elle a réussi à guérir encore quelqu'un, l'ami de Lionel dont j'avais toujours eu si peur, celui qui l’a attiré à un moment donné à se droguer. Quelle amie, quelle femme merveilleuse !

Ce matin ma fille m'a appelée de Washington, en me souhaitant un bon anniversaire et elle m'a demandé :
– Que fais-tu ?
– Ce que j'aime, nager et puis, peut-être, aussi le point sur ma vie.
– Avec qui ? m'a-t-elle demandé.
– Avec moi !
Heureusement, j'aime bien ma propre compagnie, tout comme celle de mes livres, du papier blanc et le crayon.

Quelquefois j'ai peur que mes journaux brûlent ou se perdent - et avec eux, d’une certaine façon ma vie... Mais en réalité tout ça est d'une importance temporaire et surtout pour moi. Mes journaux me servent de souvenir et de réflexion. Ils me sont utiles tout de même. Je tâcherai d'améliorer mon Français et mon Anglais et d'écrire quelque chose d’autre avec les corrections d'Agnès. Comme un défi.

J’essaie de me trouver du temps pour tout et ces derniers temps j'y arrive assez bien. Suis je dans une bonne période? Je l'espère. L'horoscope a-t-il quelquefois raison ? Il me prédit qu'en juillet et août, ça marchera: “Ne vous arrêtez pas et ne mesurez pas votre élan”. D'accord. De toute façon quand je m'arrête - loin de BIP, ma société Bureau d’Informatique Personnalisée, je crée, j'écris, je pense, je décide: je travaille encore mieux. Alors ce n'est plus du travail mais du plaisir. J’apprends continuellement et ainsi je reste jeune, émerveillée comme un enfant par de nouvelles découvertes.

Le livre “PostScript à Votre Service” n'est pas un livre de vulgarisation, ni une simple introduction à PostScript. Il porte en lui toute une philosophie: la désacralisation de la langue PostScript et de la programmation en général, mais en plus, il démontre qu’avec peu d'effort, chacun peut comprendre et savoir, apprendre, comprendre que l’informatique n'est pas réservée aux “élites”! C'est ma façon d’être démocrate.

Ce livre est aussi l'incarnation de mon credo: «nous sommes sur un pied d'égalité avec les lecteurs» qui découvrent les nouvelles notions quelques mois seulement après moi. Bien sûr j’ai “macéré” les notions, je les ai rendus plus digestes, c'est en cela que consiste mon art, ma création et ma personnalisation du sujet. On aurait dû modifier l'introduction utile mais pas très réussie. Nous l'avons refaite pourtant plusieurs fois, comme le reste du livre. Il aurait dû être captivant comme dans un livre à suspense pour que le lecteur veuille continuer à le lire sans le reposer. Aussitôt après, c’est prenant, mais hélas, pas le premier chapitre, pourtant essentiel, puisqu'il est au début.

5 mai 1987

J'ai énormément appris ces trois derniers mois. Je n'ai pas encore tout assimilé, mais j'ai été agréablement surprise. Je viens de me rendre compte que j’ai encore énormément à lire et à méditer. Entre autres je viens de découvrir Spinoza.

D’abord j'ai découvert ce qu'Alain a écrit sur lui, ensuite j’ai lu deux livres de Spinoza. Il dit :
Nous connaissons une chose
• par ouï-dire, pas toujours vrai ;
• par expérience, ceci dépend du hasard, nos sens peuvent nous tromper ;
• par déduction, liaison des idées, ce qui selon Spinoza conduit aux pensées vraies.

Une chose existe due au nombre infini des circonstances l'accompagnant, mais les choses ont une nature propre à elles. Connaître l'événement et ignorer l'essence, c'est ne connaître rien de vrai. Substance est ce qui est en soi et conçu par soi.

Une chose est connue par nous comme un fait et comme une idée,
(corps et pensée). L'homme aussi est chose et idée. L'existence de l'âme n'est rien d'autre que la perception de ce qui se passe dans le corps. Ce qui est changement dans le corps est perception dans l'âme.


La philosophie de Spinoza par Alain et le Traité de l'entendement par Spinoza

L'idée âme de Julie cessera d'exister en même temps que le corps de Julie, mais l'idée de Julie dans Agnès, exprimant plus la constitution du corps d'Agnès que celui de Julie, pourra subsister même si Julie n'existe plus, pourvu qu'Agnès existe encore.
Moins on sait, plus on est sûr de notre savoir. Plus on sait, moins on est sûr des choses. Ignorance égale à confiance en ce qu'on nous dit. L'erreur est intelligible pour celui qui est sorti de l'erreur, lorsqu'il compare les visions de son imagination aux idées claires et distinctes qu'il a maintenant.(Que c’est vrai!)L'homme se croit libre, parce qu'ayant conscience de ses actions, il ignore leurs causes. L'homme n'a pas de puissance sur les événements, il doit les accepter et les comprendre.

Est-ce ainsi ?

Nous disons que nous agissons, lorsque quelque chose a lieu en nous ou hors de nous, dont nous sommes la cause explicable par notre seule nature. Nous pâtissons quand nous subissons l'action mais aussi quand nous 'agissons' pour éviter l'action d'un objet ou d'un homme, car cette 'action' ne dépend seulement de notre nature mais est causée surtout d'un événement externe.

L'âme agit, quand elle conçoit les idées et les enchaîne conformément à sa nature. L'âme pâtit, a des passions qui dépendent des corps, des événements externes. Car, bien souvent, ils croient qu'ils agissent alors qu'ils ne font que subir. Si je suis bon avec mon voisin parce qu'il a été bon, mon âme pâtit. Si je lui veux bien, conformément à mon idée, à mes lois, l'existence de mon voisin n'a rien à voir de mon idée ou mon action : j'agis, mon âme agit. L'homme qui est le plus esclave des événements, ne désire ni puissance, ni liberté : il dit et il croit qu'il les a. L'essence rend impossible la destruction de la chose par elle même,
jusqu'à ce qu'une cause extérieure à elle la détruise.
Toute chose s'efforce, de persévérer dans son être : l'essence de l'homme, amour de soi. Parce ce que nous la désirons, nous la jugeons bonne, nous ne la désirons pas parce que nous la jugeons bonne !


La puissance d'agir de notre corps et de notre âme est tantôt augmentée, favorisée, tantôt diminuée, contrariée. Sentiments agréables (joie), désagréables (tristesse). La joie est le sentiment d'un passage à une plus grande perfection : elle vient de notre corps, de l'univers. Tantôt on sait clairement la cause de sa joie ou de sa tristesse, tantôt on la subit confusément.

L'âme s'efforce, autant qu'elle peut, d'imaginer les choses qui augmentent la puissance d'agir de son corps, et lorsqu'elle imagine des choses qui diminuent cette puissance elle s'efforce, autant qu'elle peut, d'imaginer des choses qui excluent l’existence des premières. L'âme s'efforce de substituer certaines images à d'autres : c'est la volonté. L'amour c'est la joie liée à une chose extérieure. Ce qui ne veut pas dire que nous sortons de notre essence pour nous joindre à lui, (ou elle), mais qu’en pensant à lui, nous affirmons notre essence, notre durée, nous nous aimons nous mêmes quand nous l'imaginions, nous nous réjouissons de notre être en pensant à lui (elle). Si l'âme a éprouvé à la fois deux sentiments, elle ne pourra éprouver l'un, sans
éprouver l'autre. Les choses indifférentes pourraient être causes de joie ou de tristesse ; par suite de désir ; il suffira pour cela que ces choses soient unies par l'imagination à un événement qui soit pour nous, cause de joie ou de tristesse ou objet de désir. Il suffit donc que nous ayons pensé à une chose pendant que nous étions joyeux pour que nous l'aimions ; il suffit qu'il y ait quelque ressemblance avec l'objet aimé pour que nous l'aimions. Cela explique que nous éprouvions, sans savoir pourquoi de l'amour, de la sympathie ou de
l’antipathie. ( ! marketing ! et publicités !)L'image de la chose est la même qu'elle soit présente ou absente (espérance, crainte, contentement ou remords).

Encore plus complexe : Quand l'objet aimé a de la joie cela nous réjouit et sa tristesse nous chagrine.

Il y a trente ans

Pâques, 1987

Il y a 30 ans Julie la jeune fille est devenue femme. C’était le printemps 1957, suivi de douze jours de voyage de pré noces. Pas de regrets pour ces années : souvenirs agréables d'amour, d'hésitations, de confiance, de folies, d'enchantements.

Cet après-midi je voulais être un peu avec des gens, je suis sortie. Et comme d'habitude, le charme de Montmartre a opéré. Assise, au soleil, sur les marches devant le Sacré-Cœur, je me suis plongée avec enchantement dans le Monde.

Un jeune Italien pas très beau mais avec une voix enchanteresse essayait de convaincre une jeune femme Italienne : un couple Allemande derrière moi. Un groupe de Hollandais, des Anglais, des Américaines, des Arabes, des Japonais, même quelques Français, presque tous - comme moi - en pantalon. Regarder, s'arrêter, méditer. Tous bavardaient ou se reposaient sur les marches devant l’église, tout en contemplant Paris du haut.

Je me suis sentie unie avec toute cette vie autour de moi, avec le monde.

Le soleil frappait agréablement, puis trop fort ; je me suis levée, j'ai regardé l'herbe très verte, les tulipes rouges, les arbustes jaunes. J'ai observé les flics en uniforme et en civil qui veillaient sur nous, les gens qui pique-niquaient et ceux qui bavardaient aux cafés, j'ai bu un bon express au comptoir, j'ai écouté un peu la musique et le brouhaha de la foule. Puis je me suis assise sur un banc à l'ombre et j'ai écrit : les idées venaient mieux qu'à la maison.

Le Montmartrobus arrive et repart, la pharmacienne admirative me dit avec un sourire : "vous avez bien maigri". Ensuite, lentement, je reviens chez moi.

J'habite dans un des plus beaux coins du monde !

Je me sens bien avec moi-même. Mais quand je me sens seule, quand j'ai besoin de promenade, de tourisme, je n'ai qu'à sortir une heure autour de la maison. Ou alors m’asseoir à côté de la fenêtre ouverte, écouter les oiseaux chanter, regarder l'arbre devant la fenêtre avec le ballet de ses feuilles. Et je sens, comme aujourd’hui, une grande paix en moi.

On peut prendre du plaisir en tellement de choses...

La pomme de la connaissance

La pomme de la connaissance
qu'Ève offrît à Adam
La voulez-vous?
J’y ai mordu et je ne l'ai pas regretté:
mieux vaut connaître et lutter
que suivre et subir - pour moi

Mais chacun doit décider pour soi

Il y a la lutte entre ceux qui veulent posséder et nous dominer
et ceux qui veulent apprendre et offrir des connaissances
Les uns et les autres sont forts
Mais les objets, l’argent s’envolent, se dispersent,
les connaissances survivent. Et les souvenirs.

C’était comme cela dans ma vie

Apple - la pomme ouvre sa boîte, mais le plus important
son cœur, son cerveau pour les livrer à nous tous :
j’y mords
Mac livre les secrets
à nous, non-spécialistes,
à nous, non-programmeurs,
première destination sa était qui ce faire d’en et connaître de volonté la curiosité, ont TOUS un outil personnel et personnalisé

Wozniak nous a donné Apple II ouvert à tous pour y plonger
Jobs nous a donné le Mac et son interface uniforme et humaine
Atkinson nous donne HyperCard pour puiser facilement
dans le cœur même du Mac et de ses outils. Pour en extraire
avec simplicité tout ce que nous désirons, dont nous avons besoin
et Herzfeld nous offre son Serveur pour puiser dans ses ressources

Et pendant ce temps les autres disent
“Vous n’avez pas le droit de modifier
de localiser
de traduire
de personnaliser"

Ils imposent, ils intriguent et complotent,
ils veulent gagner par la ruse et non par le mérite
D’un côté on cultive l’esprit de la Renaissance:
utilise mon idée, envoie-moi un sou si elle t’a servi
Les autres disent : “Ne touchez pas à un seul de ses cheveux,
je ne vous vends pas le programme, je vous le ‘loue' seulement
il reste, même après que vous l’ayez payée, ma propriété
Que de différence !

Mais je sens le raz-de-marée venir, déferler
Heine disait : “Douanier tu te trompes !
Tu fouilles dans ma valise en vain,
la contrebande est dans mon esprit
"
Qui peut lutter contre les temps qui changent ?
Contre l’esprit libre et créateur !

julie K.

A quoi sert?

5 avril 1987

Souvent, quand quelque chose de désagréable m'arrive, je me pose la question : « À quoi ça sert ? »

Dimanche dernier, j'ai conduit entre l’Espagne et la France, dans les Pyrénées, une voiture sans chaînes. La montagne toute seule dans une tempête de neige. Deux à trois fois la voiture a glissé, elle ne voulait plus avancer ; et une fois elle a fait même un demi-tour involontaire, heureusement, pas vers les précipices. Sans bottes, ni gants, ni vêtements chauds, tout cela n'était pas bon.

J'étais sérieusement effrayée. Que vais-je devenir? Je me suis posé cette question pendant deux à trois heures interminables. Ne devais-je pas m'arrêter à la première maison rencontrée? Il y en avait très peu dans cette montagne d'Espagne. Attendre que finisse la tempête de neige, m'abriter quelque part? Mais où, comment? Être sûr de survivre sans problèmes ou gelures?

La neige était de plus en plus dense, la visibilité proche de zéro.

J'ai finalement réussi à traverser, même si seulement pas à pas. Mais les trois heures me parurent jamais finir. Vingt kilomètres et presque une vie plus loin, à la frontière française, il n'y avait plus de neige. J'ai foncé dans la première boulangerie et je me suis acheté une baguette.
Avoir du pain. Pourquoi ? Danger - guerre – pain? Quelle association? Enfin de retour, en France, chez moi?

De toute façon, je sais dorénavant à quoi cela a servi.

Hier, j'ai eu un coup terrible en lisant les horribles saletés et mensonges qu'un jeune idiot a écrit sur nous, sur Bip dans la revue des revendeurs Apple. Bien sûr, j'avais envie de.... Mais ensuite, je me suis acheté quelques livres, un bon roman de policier. Tout est redevenu à son juste mesure. Relativement au danger de glisser avec la voiture, de rester seule au milieu d'une montagne enneigée, d'avoir les pieds et les mains gelés ou de tomber avec la voiture dans un précipice - tout le reste n'est pas si grave.

Je lutterai, bien sûr ! Ce con nous a causé beaucoup de tort, délibérément, (pour aider le nouveau distributeur, la grande, fameuse société). Mais ma vie, ma santé ne sont pas menacées - surtout, si je ne le prends pas trop à cœur! Bonne leçon!

Pendant le week-end passé en Espagne, j'ai terminé de lire “Necessary Losses” de Judith Viorst, ce livre d’une psychanalyste m'a profondément troublée.

Est-il possible que je me sois mariée à cause de mon père ? Une fois en croyant que je prenais quelqu'un à l'opposé de lui, Sandou, sérieux, fidèle (ha ha) et ressemblant à ma mère qui venait de mourir. Ensuite, après la mort de mon père, vivre avec quelqu'un que je croyais lui ressembler, Paul l’élégant et charmeur,, hélais aussi menteur (et profiteur). En s’imaginant qu'il pourrait le remplacer. C'est très troublant.

Bien sûr, c'est aussi simpliste. Mais il y a beaucoup de propos bouleversants dans ce livre. En le lisant, j'ai mieux compris certains comportements de moi-même et des autres. Je ne voulais pas lire Freud auparavant, tellement à l’époque la psychanalyse a perturbé et nui à ma mère. Fais attention Julie ! ne crois de ce livre que les parties vérifiables par toi.

Quand on fouille dans les profondeurs de l'âme, dans l'inconscient ça heurte, mais peut nous aider à réfléchir et à nous comporter de façon plus consciente.
Je me souviens du frayeur et du tempête de neige, je me sentais si fragile! Et en revenant, je ne savais pas que ma vie, ma société sera bouleversée de nouveau et que j'étais de nouveau devant des nouvelles épreuves - que j'ai passé plus légèrement: ma vie n'était pas menacée.

22 février 1987

En Janvier j'ai passé une journée formidable avec Lionel à San Francisco, nous nous sommes beaucoup rapprochés. J'ai eu aussi très peur de ce qui aurait pu lui arriver : il a essayé des drogues, j'avais raison de haïr son copain. J'espère seulement, que dorénavant... Il est tellement doué ! Il espère tellement de la vie ! Et Lionel sait si bien parler aux gens, les convaincre !

C’était très agréable d'être avec lui à Mac Expo et il m’a vraiment aidé. Que c’était bon de le regarder, l'écouter, lui parler, être ensemble. J'espère qu'un jour je réussirai à parler aussi ouvertement avec Agnès. Peut-être, la dernière fois, j'ai voulu trop dire ou trop ouvertement, au lieu de laisser sa vie au hasard.

Qu'est-ce qui m'attend cette année?

Elle a très bien commencé: j'ai rencontré mes enfants ! Le Mac Expo de San Francisco était intéressant. Nos ventes ont redémarré. Le reste, la perte du droit de distribution du logiciel de Mise en Page ReadySetGo (auquel nous travaillions depuis trois ans et que j’ai réussi à bien introduire en France), n’est qu'une difficulté passagère, au moins, je l’espère. Les droits de distribution mondiales ont été vendus à Lettraset, j’espère encore pouvoir m’entendre avec eux.

J'ai beaucoup de nouvelles idées, mais il faudra choisir parmi elles et ensuite “faire ce qui est important, pas seulement ce qui est urgent”. Peut-être, écrire un livre sur « PostScript » comme un des élèves à qui je l’ai enseigné me l’a suggéré? J’ai trouvé une méthode pour l’expliquer clairement, l’introduire simplement.

Notes pendant le retour (en avion)

Qu’est-ce qui a été important pour moi ?

Plus mon CAP informatique, que mon doctorat d’état ès sciences.
Plus mes enfants, que mon travail.
Plus la tranquillité, que la société
Plus la nouveauté, que les habitudes.
Plus la création, que l'argent

Qu’est-ce qui est arrivé en 86 ?

J'ai réussi à nettoyer Bip de gens inutiles
J'ai réussi à m’arracher de Paul et à libérer ma vie
J'ai réussi à maigrir de 23 kg, à rendre mon appartement agréable
Réussite d'Agnès : elle s'est libérée de son mariage malheureux
Réussites de Lionel : Houston ; ventes ; Rébecca départ à Boston
J'ai réussi à traduire le manuel du logiciel de mise en pages
J’ai réussi à apprendre PostScript, à redémarrer Bip
J'ai réussi mes trois voyages en Amérique
J'ai réussi à aider la fille d’Anne en ramenant ses papiers
de Hongrie communiste (elle a décidé de ne plus rentrer)
Je me suis rendu compte que San Francisco n’était pas pour moi
J'ai réussi à me pardonner ma faiblesse envers Paul ;
J’ai réussi à me prouver qu'enfin je suis (presque) adulte.
J'ai réussi à me sentir enfin de nouveau bien dans ma peau
J'ai réussi à aimer ma nouvelle vie solitaire
J'ai réussi à être heureux de ce qui est possible, de ce que j’ai ;
à ne pas trop pleurer sur ce qui n'est pas possible.

Problèmes encore ?
La société Bip va lentement, mais j'ai réussi à payer nos plus grosses dettes. Agnès a dû se séparer de son mari, mais c'est mieux pour elle et elle est devenue plus forte. Lionel est parti loin, mais il va apprendre se tenir debout sur ses propres jambes ; et il m’aime.

J'ai réussi à comprendre qui est avec moi, me rendre compte de ma force en vivant seule. Julie, heureuse ? Au moins, contente. Et j'apprends de mes erreurs. Il n'y aura pas un nouveau Paul pour m'utiliser, me duper.

Comment font-ils ?
Ils créent un écran sur lequel se reflètent nos rêves, nos vœux profonds, puis ils nous font courir vers cette illusion. Nous ne nous rendons même plus compte que ce n'est qu’un leurre et non la réalité, qu’il n'y a rien derrière.

À un moment donné, on ne sait plus séparer son désir des mots entendus, ni la fantaisie de la réalité. Karoki, spécialiste en marketing vient de me l’expliquer, il connaît fort bien ce mécanisme : « Promettre ce que l'autre désire, lui faire croire qu'il pourra l'avoir et ensuite l'utiliser sans rien donner réellement. »

Il ne faut pas que je me fâche, bien qu’il l’ait utilisé aussi contre moi, (il m’a fait travailler, enseigner sans payer), au moins, il m'a expliqué comment ça marche. J'ai reçu une bonne leçon et si je réfléchis bien à ce qu'il m'a expliqué, cela pourrait m'aider à ne plus tomber dans des manipulations similaires.

Avec Agnès, on verra ce qui arrivera. Je vais lui envoyer des cassettes et des livres. Lionel, je peux l'aider davantage encore.

Je vais finir de traduire mes journaux, les introduire dans le Mac. Pour eux, pour moi.

Je ne pourrais plus

6 Jan 1987

Je ne pourrais plus dormir près de Paul. Vivre avec lui me coûtait trop cher et je ne suis pas un bébé... ni rêver d'un compagnon qui en réalité me haïssait : c'est mieux de se réveiller!

Je ne pourrais pas vivre à San Francisco. Mais Paris est merveilleux ! Je ne peux plus travailler avec mon fils, mais il était temps que nous devenons adultes : lui et moi aussi. J’ai lui montré combien je l'aime, en le laissant partir.

Je ne peux pas rester éternellement jeune… je n’ai plus vingt‑trois ans, ma maladie vient de me le rappeler.

Tout est bien qui finit bien !

Puisque les grands problèmes sont derrière moi, le terrain nettoyé, les saletés jetées, la tranquillité regagnée, je pourrai entrer dans l'année nouvelle avec courage pour créer quelque chose de sérieux!

J'ai réussi à comprendre qui est avec moi, me rendre compte de ma force en vivant seule. Julie, heureuse? Au moins, contente.

Et, j'apprends de mes erreurs.

Il n'y aura pas un nouveau Paul pour m'utiliser, me duper. Comment font-ils ? Ils créent un écran sur lequel se reflètent nos rêves, nos vœux profonds, puis ils nous font courir vers cette illusion. Nous ne nous rendons même plus compte que ce n'est qu’un leurre et non la réalité, qu’il n'y a rien derrière. À un moment donné on ne sait plus séparer son désir des mots entendus, ni la fantaisie de la réalité.

Je me gâte mieux qu'il me gâtait. J'achète mieux pour moi‑même ce dont j'ai besoin. Je mange et me repose mieux. Je vis mieux qu’avant. Ce qu’il m'offrait était rarement bon et ça ne me manque pas. Mieux vaut m'en passer.

Au début de nos relations, j'ai réussi à réaliser avec Paul certains de mes rêves romantique : me promener la main dans la main, dormir tout près, avoir quelqu'un qui “s’occupe de moi”, pour qui je sois importante.

Après une année, je peux commencer à analyser tout cela plus tranquillement. J'ai fait avec Paul des choses qui me paraissaient importantes, j'ai reçu de lui ce que j'avais désiré depuis longtemps. Dorénavant je sais qu’elles ne me sont pas indispensables, je n’en ai plus envie. C'est un pas en avant. Ces agréables riens, je peux parfaitement vivre sans eux! Mais c’est bien que je les ai vécus.

C’était joli mais c'est fini et il a fallu le payer cher. Pas avec l'argent, ceci m'a moins dérangé, mais avec ma tranquillité interne perturbée, les problèmes qu’il m’a causés, les craintes de ce qu’il ferait. La fin s'est transformée en un âpre combat parce que Paul voulait me séparer de mes enfants. Bien sûr, il n'a pas réussi, il s'est cassé le cou. Comme dans le passé, je n'avais pas laissé Sandou, non plus, terroriser, faire de mal à nos enfants, pourtant les nôtres.
Hélas, je lui ai laissé trop passer de choses “non importantes, non vitales”, et tout comme avec mon ex, cela a consumé mes nerfs et beaucoup de mon énergie.

Je ne regrette pas ce qui avait été, mais c’est bien aussi que ce soit fini. Oui, que c'est bien !

Après une année, je peux commencer à analyser tout cela plus tranquillement. J'ai vécu avec lui ce qui me paraissaient importante, j'ai reçu de lui ce que j'avais désirais depuis longtemps. Dorénavant, je sais qu’elles ne me sont pas indispensables, je n’en ai plus envie. C'est un pas en avant. Ces agréables riens, je peux parfaitement vivre sans eux ! Mais c’est bien que je les ai vécus.

Stéphanie m'a dit que je vois seulement la belle face des choses et rejette, ou ne vois même pas les difficultés ; ainsi je ne pèse pas assez objectivement les difficultés. Peut-être elle a raison, mais ainsi je les traverse avec plus de courage. Je suis déjà passée à moitié à travers, n'est-ce pas ? !

Bilan 1986

3 Janvier , 1987

Encore une année de ma vie qui s'est écoulée. Qu'est-ce que j'en ai fait ? Qu'est ce qui s’est passé ? Quantité de changements, extérieurs aussi, beaucoup plus en moi.

Où en étais-je il y a une année ?

J'avais déménagé pour habiter avec Paul et après un mois à peine rien n'allait plus entre nous. Il était devenu insupportable et maintenant je crois que c’était volontaire, puisque ni ma société, ni moi, nous n’avions plus d'argent. Au travail nous étions encore sept et cela n'allait pas, non plus.
Que faire ? Comment m'en sortir ? Ce n’est pas Paul qui allait nous aider, hélas, il n'y était pas disposé : il continuait à s'appuyer sur moi, bien qu'à ce moment-là c’était moi qui avais besoin d'un appui, d’un coup de main. Nos voyages à San Francisco, puis à Nice, m'ont montré que c'était fini, vraiment fini entre nous, qu'il n'avait plus envers moi aucun amour seulement de la haine.

Agnès n'allait pas non plus. Je suis partie aux USA pour réfléchir et à refaire ma vie... C'était le moment de rompre, devenir indépendante de Paul, redevenir moi-même. Lionel n'a pas pu ou voulu continuer à s'occuper de Bip à ma place et j’ai du revenir. Au début, j'ai habité à Montmartre avec Ionel et Rébecca en dormant dans le salon, leur cédant le chambre à coucher, puis je suis parti me reposer chez Anna. Ensuite Ionel est parti à Boston.

Nous ne sommes plus que trois à Bip. Je n'avais plus envie d'aller au bureau. J'ai refait l’appartement de Montmartre à mon goût, et j’ai réussi à maigrir de 23 kg. Je suis tombée malade.

Je viens de retrouver l'envie de travailler à la maison et même dans le local de la société. Bip marche mieux, et moi, beaucoup mieux. Mais, pourquoi suis-je si fatiguée ? Auparavant, j'aimais les discussions, mais ces conversations chez Renée m’ont fort épuisée. Me suis-je trop concentrée ? Ai-je trop parlé de moi-même ?

Je voudrais tant pouvoir aider Agnès, elle est tellement désorientée après sa séparation d’avec son mari impossible. Difficile de reconnaître qu’on s’est trompée. Qu’on a été abusée. Mais ce n'est jamais bien d’en faire trop.

Je me sens bouillonnante d'énergie. Mais attention ! Cette énergie physique, psychique n'est pas infinie et il ne faut pas que je la disperse et qu'il ne m'en reste plus. L’étourdissement subit que j'ai eu, c'est un coup de semonce auquel il faut bien réfléchir. En tout, l'année m'a apporté énormément de bien et de progrès. À moi de les garder, d'en profiter sagement.

Merci Maman!

Noël, 25 décembre 1986

Demain ma mère aurait eu 80 ans, mais elle est morte depuis longtemps, à l'âge que j'ai aujourd’hui, 52 ans. Moi j'avais l'âge de ma fille, 25 ans et demi.

Merci, maman! de tout que tu as fait pour moi, d’avoir laissé développer ma personnalité, ma volonté et mon indépendance et merci de m'avoir appris à trouver de la joie à travers toutes les difficultés de la vie. Maman, tu me manques, et je te cherche quelquefois en Stéphanie ou Anna, des liens avec des hommes, comme avec Paul, et j'oublie que personne ne peut te remplacer. J'oublie que j'ai grandi. Désormais c’est à moi d'être mère et non plus enfant.

Hier, j'ai eu le plaisir d’entendre ma fille dire ce que tu avais l'habitude de me répéter : "coiffe-toi, tiens toi droite" ! Elle te ressemble, mais elle est ma fille. Mes enfants sont sur de bonnes voies. Agnès s'est épanouie depuis sa séparation. J'ai l'impression que mes enfants aussi auront le courage de lutter à travers les monts et les vallées de la vie. "Une fois en haut, une fois en bas" m'a dit aujourd'hui Anna au téléphone.

Alors, mon bilan de l’année dernière? Il est positif.

D'abord, parce que heureusement Agnès, ça va enfin. Lionel aussi, j’espère. Mais ils auront encore beaucoup à lutter et ils sont si loin de moi, hélas. Moi, j'ai réussi à “perdre” Paul. Ce fut très difficile de s'en débarrasser et il m’a laissée couverte de dettes. J’ai aussi réussi à perdre mes kilos superflus! À regagner mon indépendance, ma confiance et retrouver mon énergie.

Je me suis habituée et j'aime, j'adore! vivre seule.

Après tant d’années avec d’autres, je vis depuis quelque mois avec moi-même J'allais dire « seulement » mais non, pas seulement, je suis un très bon compagnon pour moi ! Je bouillonne de projets, de choses à réaliser. Je me demande, comment les gens peuvent s'ennuyer ou trouver (perdre) du temps pour regarder la télé ? ! J'aime ma maison, je me suis aménagé un logement agréable, je l'adore. J’ai de nouveau plaisir à travailler pour Bip, dans l’Édition graphique, avec mes contacts - tout! Je me suis habituée à mieux manger, avec le régime haute protéines, sans graisse, sucrerie ou féculents, mais en mangeant le reste, autant que j'en ai envie. Et j'ai beaucoup nagé. J'ai retrouvé mon équilibre.

Je me suis réconciliée avec moi-même, c’est ce qui a été le plus dur, mais le plus important. Je suis plus moi-même que jamais auparavant, je fais ce qu'il me plaît et quand cela me plaît. Je fais des progrès dans mes relations, dans ma vie. Je pèse 59 kg, j’ai un équilibre encore fragile, un bonheur de vivre et de travailler. Mais j'ai sommeil, je me sens de plus en plus fatiguée, je vais dormir.

Bon anniversaire, ma chère maman. Je t'aime! J'espère que dans ta vie si courte, je t'ai causé plus de joie que de peine. Tu serais heureuse et fière de moi aujourd'hui, de nouveau.

Traduire mes journaux?

24 décembre

Je savais que grâce aux outils de la micro-édition quelque chose allait changer dans la manière d'écrire, d’éditer, quelque chose de fondamental. Mais quoi? Dans son article dans Le Point, Lettres du Futur, Daniel Garic l'a trouvé :
" Le texte, les pages, demeurent vivants "

Je n'arrivais pas à l’exprimer et voilà. L'édition électronique permet de modifier, de corriger, de réarranger et d’éviter le figé. Elle permet les petits tirages, puis ajouter et rééditer!

Je vais finir de traduire mes journaux, les introduire dans le Mac.

Pour moi, pour les enfants (est-ce bien pour eux?) Pour une autre femme qui pourrait en apprendre.

Pendant ma maladie, j’ai eu l’imprimante Laser à la maison et je me suis plongée dans l'univers de PostScript, c'est merveilleux tout qu'on peut faire avec lui ! Oui, nous aurons bientôt des programmes « tout faits » mais pour les adapter à nos besoins propres rien tel que de comprendre de quoi il s'agit. Savoir comment les utiliser permet de les dominer, au lieu d’obéir aux fausses contraintes. De personnaliser. Je n'ai jamais aimé le figé. La tranquillité, oui, mais seulement afin d'avoir l'esprit libre pour créer.

Je suis plus un "adaptateur" qu’un créateur. Il y a peu de vrais créateurs dans ce monde. Stéphanie elle, crée, mais comment l'aider?

Je ne veux plus

1 décembre 1986, en visite chez Agnès à Washington

Mon ex-beau-frère m'a fait un grand plaisir, il a pris des photos récentes de moi et me les a données, en même temps que des photos faites de moi pendant l’Apple Expo en juin, il y a sept mois seulement. Est-ce vraiment moi, ces deux Julie si différentes ? Je ne me suis jamais vue comme ça ! Si ronde ! Heureusement pour moi, je me voyais toujours comme d'habitude, assez mince. Comme je suis redevenue avec moins 30 kg !

Je viens de retrouver mes notes écrites ce printemps à San Francisco dans un parc paisible où je m’étais réfugiée pour reprendre des forces, et terminées dans mon petit hôtel Iroquois — elles appartiennent à ce journal. Elles me paraissent lointaines mais poignantes, elles reflètent mes problèmes d'alors mais aussi mes espérances et mes désirs d'avenir.

Je ne veux plus soutenir Paul par mon travail, mes économies.
Je ne veux plus avoir peur de ce qu'il fera
Je ne veux plus vivre avec un menteur
Je ne veux plus vivre avec quelqu’un sur lequel on ne peut pas compter
Je ne veux plus avoir de mauvaise surprise
Je ne veux plus recevoir de mensonge en réponse à ma franchise
Je ne veux plus me laisser laver le cerveau
Je ne veux pas rompre mes relations avec mes amies.
Je ne veux pas rester sans argent, avoir de dettes
Je ne veux pas laisser un autre dépenser ce que je gagne
Je ne veux plus jeter l'argent par la fenêtre
Je ne veux plus voir mon visage se détruire : je devais dire NON trop souvent, il était devenu trop dur.

Je ne veux pas avoir peur, sentir d'anxiété en moi
Je ne veux plus être responsable pour quelqu'un d'autre
Je ne veux pas me laisser influencer
Je ne veux pas habiter non plus dans un endroit bruyant
Je ne veux plus vivre avec quelqu'un qui se moque de mes ennuis
Je ne veux pas m'enfuir de moi-même, ni fuir mes problèmes

Donc je suis partie pour me retrouver. J'ai rompu.

Je veux avoir de quoi vivre (moi, mon fils, ma fille)
Je veux rester moi-même
Je veux m’occuper de ma santé : dents, peau, yeux, maigrir, nager
Je veux m'habiller en jupe ou pantalon
Je veux me reposer, réfléchir, apprendre
Je veux vivre tranquille et indépendante, résoudre mes problèmes
Je veux vivre en appartement, vivre en ville, pas dans un village
Je veux garder le visage de Julie joli : chaud, bon
Je veux garder un lien fort avec mes enfants
Je veux garder mes amies et mes relations
Je veux avoir la joie de vivre, du soleil, de la musique - on le peut, même seule
Je veux aller au théâtre, voir des ballets avec mon fils
Je veux réfléchir comment aider ma fille
Je veux créer des choses et des relations nouvelles
Je veux travailler dans un environnement tranquille,
Je veux entrer dans le monde IBM, faire quelque chose de différent
Je veux jouer, créer avec mon Macintosh
Je veux avoir plaisir de ma vie, progresser, aller de l’avant.
Je veux être responsable seulement de moi-même

Grâce au régime qu’Anna m’a conseillé j’ai perdu mes kilos superflus. J'ai presque regagné mon sourire d'antan ! Penser à Paul me fait encore crisper le visage, mais j'y pense de plus en plus rarement. Je réapprendrai... Après ma visite à la ferme de Renée, j'ai recommencé à travailler avec plus d’énergie, à créer. Je n'ai pas encore assez de contacts humains mais cela arrivera bientôt.

J’agis et je vis selon mes désirs et mes besoins propres !

J’essaie de résoudre tous mes anciens (et nouveaux) problèmes ; payer toutes les dettes (et à cause de Paul, il y en a pas mal hélas). Créer et maintenir une atmosphère de tranquillité autour de moi. Gagner assez d'argent pour pouvoir vivre tranquillement moi et mes enfants. Mais je ne veux pas faire “beaucoup d'argent” comme certains autour de moi croient que je le devrais. Je veux vivre et travailler dans les conditions qui me conviennent, c'est cela qui est l'essentiel. Avoir assez pour pouvoir continuer, mais, pas plus. Bien sûr, l'équilibre n'est pas facile.
Bip est important pour moi. Mais moi, je suis encore plus importante. J'ai dû consacrer d'avantage de temps à moi-même, d'abord. Je l'ai fait. C'était nécessaire. Enfin, j'ai le désir et l’énergie de me consacrer de nouveau à Bip et aux autres autour de moi.

Hélas, mon visage est devenu plus dur, plus amer. Ma bouche se crispe de temps en temps, avec une expression de refus. Je ne veux pas de ce visage ! Je voudrais avoir à nouveau une figure confiante, douce et chaude.

Même s'il y a des Paul dans ce monde, comme celui avec lequel j’ai eu hélas à faire, il y a aussi des Stéphanie, des Agnès, et... des Julie. Donc, il y a de l'espoir.

"N'hésite pas, n'aie pas peur,
seul qui donne gratis,
reçoit de même"

Et sinon ? celui qui donne reçoit toujours quelque chose.

Il y a 25 ans

26 octobre 1986

Il y a 25 ans naissait Agnès!

Un quart de siècle de plus, pour moi aussi. Je suis de nouveau pleine d’énergie, d’enthousiasme et de vie. À l’attaque!

Vas-y, Julie! Vis et ose vivre comme tu le désires. Mais tiens compte lucidement des difficultés de l'âge et de l’argent, fais des repas réguliers, noue de nouvelles connaissances, communique... ose réaliser sans scrupule ce que tu désires!

Temps de reflexion

18 septembre 1986

J'étais vraiment effrayée : j’ai eu un étourdissement subit dans la rue. Ai-je maigri trop vite ? Et en plus, le docteur me dit que j'ai peut‑être une tumeur à la main ; on verra bien, mais elle a déjà un meilleur aspect. Depuis quelques jours je ne sors plus. J’ai fait apporter à la maison l’imprimante Laser et je l'utilise ici. J'apprends énormément sur le PostScript, le langage avec lequel on peut la diriger, sur les polices de caractères, les niveaux de gris et même, les images. C’est fou, tout ce qu’on peut obtenir en utilisant ce langage! J'adore ! et ça me guérit.

J'aime être chez moi. J'ai l'impression que le monde m'a blessée. Ici je me sens à l’abri. Je me sens bien avec moi-même et en contact... seulement avec ceux que j'aime et qui m’aiment. Le téléphone me relie avec qui je veux. Bien sûr, je ne pourrais pas me cacher encore longtemps.
Que c'est beau de vivre ici, à la butte Montmartre ! Les lumières de la ville scintillent au loin, les branches de l'arbre devant la fenêtre sont agitées par le vent. C’est merveilleux de vivre ici, en haut, en silence. Oui, j'adore ce logement. J'y suis restée, je me suis accrochée. Malgré Lionel qui en voulait un plus grand pour avoir une chambre séparée, malgré Paul qui me poussait à déménager. J'y tiens. Et quand je tiens vraiment à quelque chose, je sais ne pas céder. C’est vrai, je me suis laissée dominer souvent.

Ces dernières années, je me suis laissée duper et je me suis lassée exploiter par Paul — mais dans les choses les plus importantes pour moi, je n’ai pas cédé. Alors, j'ai lutté, j’ai résisté, je me suis battue. J'ai rusé, j’ai contourné, j'ai tenu.

Je ne me suis pas laissée décourager et j'ai fini mes études, pendant six longues années, même si c'était seulement par correspondance, quand à cause de « l’origine bourgeois » de mes parents on m’avait interdit de fréquenter l’université. J’ai travaillé, mais en même temps, je continuais mes études.

Je me suis mariée, malgré les conseils et les protestations de mon père. Je n'ai pas avorté et j’ai eu ma fille, malgré l'émigration et ses conditions difficiles. Je ne me suis pas laissé faire au sujet de l'éducation de mes enfants, j’ai lutté pour empêcher qu’ils deviennent soumis : ils sont devenus indépendants. Je me suis arraché à mon mariage, même si tardivement, malgré qu’à l'époque, j'ai cru ma vie de femme terminée à cause de cela, j’étais convaincue que personne ne voudrait plus de moi.

J’ai tenu bon, quand on me disait : « on ne peut pas recommencer à étudier après 40 ans » et j'ai passé finalement mon doctorat.

J’ai fait tout mon possible pour rester en Amérique, mais dans cette lutte j'ai perdu. était-ce vraiment essentiel pour moi?

Je ne me suis pas découragée, longtemps, quand, à mon retour en France, on m'a affirmé : « à 47 ans, femme et d’origine pas française, vous ne trouverez plus de travail ». J'ai changé de métier, de chimie en micro-informatique, j'ai enseigné d’abord, puis j’ai créé la société Bip et je l'ai développé comme un enfant.

Je ne me suis pas laissé persuader, non plus, quand mes amies, surtout Stéphanie, me prédisaient que Paul ne serait pas bien pour moi. Je ne me suis pas laissée persuader non plus par Paul d’éloigner mon fils de Bip, quand Paul s’est rendu compte que le travail sérieux et intelligent de Lionel lui faisait ombrage.

Et quand je n'en pouvais plus, j'ai lutté et j’ai rompu avec Paul. Plus tard, j’ai été à côté d’Agnès, lui donnant courage de divorcer. J’ai refusé de continuer à souffrir près de quelqu’un qui ne m’aimait pas, tout comme Agnès, et je viens de me refaire un agréable foyer.

Je suis heureuse seule!

Faire ce que j’aime : nager, maigrir, apprendre de nouvelles choses, progresser. Lutter pour conserver ma tranquillité, recouvrer l’estime de moi‑même. Me pardonner. Tenter de mieux me comprendre. Là, j'ai encore pas mal de progrès à réaliser!

Souvent, je me laisse marcher sur les pieds et les gens croient que cela continuera éternellement ; puis ils s'étonnent énormément quand ils découvrent ce qui arrive quand l'eau déborde.

Pourquoi peut-on avoir de bonnes et fidèles amies, d’amitié durable à travers mers et vallées, à travers des dizaines d’années, mais rien, ni d'amour ni amitié durable avec les hommes? Pourquoi sont-ils si salauds?

J’espère qu’un jour j’aurai une amitié avec mon fils mais je ne dois pas trop insister puisque devenir adulte pour lui c'est s’éloigner de sa mère. Comme je l'aime, j’ai du le laisser partir, ne pas le retenir, ne pas m’y accrocher en aucune façon. Mais n'est-il pas tombé de la poêle dans le brasier ? Cela je ne le voudrais pas. Rébecca est bien et en partant de la maison, en vivant à Boston, il apprendra beaucoup de la vie et à se débrouiller tout seul.

Ai-je laissé ma fille s’éloigner de moi trop tôt?

Suis-je coupable de n'avoir pas remarqué qu'elle n'était pas encore assez mûre à dix-neuf ans?
Elle était persuadée, il y a quelques mois encore « qu'on devait tout supporter d'un homme pour qu’il vous aime ». Moi, je crois le contraire : plus on est coquette, bons stratège, volontaire, plus ils sont emballés. C'est pourquoi les hommes bons vivent avec des garces ; et à nous, les femmes gentilles, il ne nous reste que les salauds. Mais c'est difficile de se comporter en garce quand on n'est pas née ainsi, c’est dur de ne pas leur montrer tout notre amour, de les faire souffrir et douter, d'user de tactique et de stratagèmes - et d'être heureuse, en même temps.

Avec Pierre, j’avais réussi, peut-être, parce qu’au début de notre liaison je ne tenais pas encore trop à lui. Plus tard, je n'ai plus fait « semblant de ne pas vouloir », j'étais naturelle et chaleureuse, ouverte. Hélas, cet amour n’a duré qu’une seule année, une merveilleuse, heureuse année de ma vie… il y a vingt ans déjà. Non, lui n'était pas salaud.

Est-ce lui le seul homme bien rencontré dans ma vie? Mais Pierre n'était pas un bon mari, ni cultivé et probablement, au fond de moi je savais que je ne pourrais me marier avec lui, qu’il me voulait tant que je n'étais pas tout à fait disponible ; que j'aurais pu devenir une « Ana Karenine », divorcée pour un amant qui m’aurait ensuite délaissé... Notre liaison, son souvenir est resté beau, puisque interrompu, contrarié par une tierce personne. Où es-tu Pierre? Que fais-tu? Voudrais-tu devenir mon ami ? véritable comme mes amies? Tu as déjà presque 70 ans, le supportes-tu mieux que tes 50 ans?

C'est si loin et c'est si près.

Comme si c'était seulement hier, que je descendais doucement l'escalier pour te retrouver, pour me jeter dans tes bras, pour faire l'amour, dormir près de toi et revenir silencieusement à l'aube, vers cinq heures, pour être à la maison quand mes enfants se réveillaient. Tu m'a tant donné en me revalorisant comme femme ! Tu m’a rendu la confiance en moi que j'avais perdue après les nombreuses infidélités de mon mari. Je l’ai reperdue à nouveau jusqu’à mon divorce, pendant ces longues années quand j’essayais de sauvegarder « la famille », en vain.

La confiance en moi comme femme, regagnée avec Paul, au début : même si son amour était faux, moi je le croyais. Mais curieusement, maintenant, je m'en fous. Je me fiche des hommes, de ce qu'ils pensent de moi : maintenant je me plais! Je sais ce que je vaux. Le sais-je? Je suis convaincue d’être une femme qui peut, qui pourrait beaucoup apporter à un homme. Mais maintenant, c’est moi, je ne veux plus.

Jamais plus je ne laisserai un homme me dire ce que j'aime ou non! Jamais plus, je ne lui permettrais de me montrer ce qui me manque. Je le sais mieux que lui! Jamais plus je ne laisserai bouleverser ma vie, la rendre pire sous prétexte « qu’il sait mieux ce qui est bon pour moi. » Ce qui est bon, c’est de continuer à être moi-même ! Bon, c’est de me développer et vivre calmement. Bon c’est de ne pas devoir lutter.

Souffrir n’est pas bon. Non, je ne regrette pas d’avoir souffert. Cela, je le risquerai encore. Comme je l'ai dit à 18 ans : « si on ne vit pas, on végète. » J'ai le courage de vivre. Pas de sacrifier ma vie, mais de la vivre sans me cacher.

Si un jour... pas encore ! on verra, jusqu'aux... 78 ans comme ma tante Hanna. Oui, si je vis aussi longtemps, on verra... alors.

Mais réfléchis davantage ! Et crois à tes instincts!
Bonne nuit, dors bien!

Onzième journal, première partie

le 9 septembre 1986

Aujourd'hui, à 52 ans, je commence une “page blanche”, une nouvelle phase dans ma vie - en même temps que ce nouveau journal.

Toute ma famille est en train de recommencer, de se bâtir une nouvelle vie. Mon fils vient d’arriver à Boston pour travailler et étudier dans un nouveau pays. Ma fille à Washington déménage dans quelques jours, bientôt son divorce sera prononcé. Et moi, à Paris, loin de mes enfants mais près d’eux dans mon cœur, je commence ma vie d'adulte indépendante et solitaire, en même temps qu’une nouvelle saison à Bip, ma société.

J'ai beaucoup de travail devant moi, mais surtout un besoin de réfléchir profondément. Je ne me suis pas arrêtée assez pour penser. Il est grand temps de «faire d'abord ce qui est le plus important» pour ma vie et non ce me qui parait le plus urgent. Il est grand temps de vivre comme j'aime, de profiter de la vie, ma vie, pleinement et selon mes propres goûts. Le temps est venu aussi d’analyser les évènements passés, ce qui m’est arrivé, surtout de pouvoir en tirer les conclusions, pour ne pas répéter les mêmes erreurs dans l’avenir.

Je me suis laissée avoir, tromper, abuser. Je dois reconnaître que c’était avec mon consentement, même si à l'époque je ne me rendais pas compte à quel point Paul abusait, m'abusait. Je dois me pardonner ma faiblesse envers Paul, même si ce n’est pas facile.
Il faut tout expérimenter dans la vie, presque tout, et aujourd’hui, je ne dois pas avoir de regrets. J’ai eu aussi des moments d’intense bonheur, même si je les ai payés très cher ; ces moments personne ne peut me les reprendre, ils restent en moi, avec moi à jamais.

Maintenant, j'ai le bonheur de vivre seule, de réaménager mon appartement, réarranger ma vie.

Fin de mon 10e journal

7 septembre 1986

Enfin! Agnès a réussi à se débarrasser de son mari égoïste (elle aussi). Il ne l’aimait pas vraiment, il l'avait affreusement exploitée et en plus, il l’a trompée dès les premiers mois. Pendant deux ans la vie de ma fille était plein de malheur (cachés ou reconnus). J'espère qu’elle aussi, se fera une vie plus agréable et surtout, comme elle l'aime. Pourtant, elle a tout essayé pour ne pas divorcer - ne pas faire "comme sa mère”- on essaye tous de faire autrement que nos mères...

Mais quand cela ne va plus, un jour le temps arrive à réagir...

C’est curieux, ni elle, ni moi, nous n’avons vu - ce que ceux du dehors ont vu - qu’ils étaient méchants et pas sérieux, ils nous avaient exploitées, ils ont vécu à nos crochets. Ils nous ont fait mal à l'âme et mal aux nerfs - ils n'aimaient qu'eux-mêmes. Jusqu’à ce que nous ne nous soyons rendu compte qu'ils ne nous aimaient pas vraiment, (moi dans l'avion, Agnès par une lettre comme moi avec Sandou) jusqu’à ce moment nous avons tout pardonné, tout oublié et fermé les yeux. Il faudrait l'analyser.

Je me sens très fatiguée, pourquoi ?

J'ai réussi à maigrir de 12 kg et je continue !

Avec l'aide de Stéphanie, j'ai fait le test “acide” :

« Si tu avais seulement six mois à vivre, qu'est ce que tu ferais ? »

La réponse que j’ai trouvée enfin : je m’occuperai de mes enfants, et s’ils vont bien, je voudrais écrire.

Adieu, mon cher journal, tu m'as accompagné tant des années. Je commencerai un journal nouveau avec des feuilles blanches et propres, mais il sera quand même une continuation: « je vais me transporter » d'ici, là-bas.

Julie

enfin mature

(?)

je viens seulement de commencer le devenir...

Et de nouveau, je me sens comme une jeune fille,

je ne sais pas bien pourquoi.

Seule, la première fois dans ma vie

27 août 1986

Je viens de rester vraiment seule.

J’arrive de d'Amérique où étudient mes enfants, je dois leur écrire plus souvent. Agnès avec son mari est à Washington, Lionel avec sa copine Rébecca à Boston. Mon ex Sandou vit avec sa copine à Colombes, Paul, heureusement loin de mes yeux, rue du Ruisseau.

Combien de problèmes financiers Paul m’en a encore causés! On ne peut compter sur lui du tout. Il est un escroc, méchant. Heureusement que je m'en suis débarrassée!

Je serai bien à Paris, seule

Je serai en paix, tranquille dans mon appartement agréable et avec un travail intéressant. J’ai jeté quelques vieux objets (le grand lit, etc.) J’ajouterai lentement les pièces manquantes, mais c'est déjàbien. Je viens de changer la place de mes meubles, l’appartement paraît plus grand, plus agréable et surtout complètement à moi. Pour une seule personne, c'est fantastique !

Si Paul n'avait pas été aussi fumiste, con, trompeur, on aurait pu être bien ici à deux. Mais ainsi, je suis beaucoup mieux seule. Avec le temps je vais guérir d’avoir été déçu par les hommes, on verra alors...

Lionel commence sa première expérience vivre et se débrouiller seul, étudier, trouver un logement, un travail. Il est assez mûr, donc c’était temps et... il a tellement souhaité partir.

Moi aussi, je volerai de mes propres ailes.

Je commence ma vie solitaire après avoir vécu toutes ces années avec ma famille. Le temps de recommencer, me retrouver. J’ai commencé une cure d’amaigrissement, c’est facile quand on est seul.

J’ai la tranquillité, le silence que j'adore!

Je devrais chercher une amie à Paris avec qui parler, communiquer est tellement important. Je suis optimiste pour l’avenir, comme d’habitude. J’étudie. Je me réjouis de ce qui EST. J’ai le temps de réfléchir plus profondément et plus sérieusement que jusqu’à maintenant.

Lettre de ma mère, écrite en 1939

4 août 1986

La mère d’Anna avait été l'amie de jeunesse de maman. Pendant mon séjour chez eux, elle m’a montré la lettre que ma mère lui a écrite en août 1939, quand elle attendait sa fille, devenue mon amie Anna. Elle ne me l'a pas donnée, mais m'a laissée recopier, comme les photos, aussi.

Chère Vera, août 1939

Cela fait longtemps que je n’ai pas été si heureuse qu’en recevant ta lettre et je vous félicite de tout mon cœur. Heureusement nos instincts sont plus profonds que la raison, George a raison de les laisser triompher. Tout qu’il dit est sage et je m’en réjouis spécialement, parce qu’en t’aimant, j'étais toujours chagrinée en secret, de ce que tu n’aies pas d’enfant. Justement toi qui a tellement de sensibilité et de prédisposition !

Ma sœur et deux autres amies ont eu des enfants, elles aussi, dans les périodes les plus difficiles, et non seulement les ont conservées, mais cela les a complètement immunisées contre tous les problèmes extérieurs. Toi aussi, ma chère Vera, laisse tomber la raison et laisse-toi dominer par l’heureuse attente.

Je n’ai jamais été aussi heureuse que pendant ma grossesse et le jour après la naissance de ma fille. Je me réjouis donc en pensant à toutes ces joies qui t’attendent. Si tu n’as pas de malaise, tu n’en auras plus, et il est préférable que personne ne sache rien, autant que possible. Je te conseille de choisir déjà ton docteur. Va voir tous les mois le docteur choisi pour qu’il te dise comment vivre, manger, etc. En plus, achète toi le livre “Trussapp” de très bon conseil, en le lisant plusieurs fois attentivement tu deviendras une nurse parfaite. Moi, j’ai tout appris de ce livre jusqu’à comment baigner le bébé, et les chères nurses de mes amis se sont étonnées que je fais tout exactement comme elles. Je n’ai plus ce livre, mais je t’envoie le livre de Buhler sur la psychologie enfantine, il intéressera aussi ton mari, il traite des réactions du bébé et aussi du développement de ses sens.

On a toujours ri de moi que j’élève mon enfant d’après des livres, mais finalement cela a donné des résultats, puisque aujourd’hui à 5 ans, Juliette n’est pas complexée et en plus elle est équilibrée, tout à fait sincère (avec moi) et elle s’est adaptée en société par elle-même, c’est-à-dire elle est “bonne” aussi d’après les “bons usages“. Et je l’ai obtenu sans aucun dressage, sans la corriger et sans pressions extérieures.

Peu se préoccupent que l'âme de leur enfant soit saine, l'important c'est la commodité, l'ordre et la propreté extérieure, la santé. Pourtant tu sais, ma chère amie, que la vie intérieure est la plus importante.

En ce qui concerne la santé, ma sœur et moi aussi, nous avons élevé nos enfants avec témérité, en les laissant aux vents, air, etc. habillés légèrement et le résultat est très bon. Juliette, déjà depuis deux ans s'habille comme qu'elle veut : pieds nus, sans manteau etc. et seulement quand elle a froid, elle s'habille plus chaud - elle ne se refroidit jamais.

Tu sais, chère Vera, que c'est ça mon vrai métier - et tous aiment parler largement de leurs métiers ! Dommage qu'on habite si loin. Le plus important dans l'éducation des enfants, c'est qu'on n'écoute personne d'autre que soi. Je faisais quoique jusqu’il y a quelques mois il n'y avait pas de résultats visibles. Mais aujourd'hui tous reconnaissent déjà, que la sûreté de soi de Juliette, sa façon ouverte et franche de se comporter devant tout, en valaient la peine et les difficultés venant du fait que je l'ai laissée décider librement jusqu'à ce qu’elle soit devenue raisonnable d'elle même.

Bien sûr, tous les enfants sont différents et l’on doit les traiter différemment. Votre enfant aura le même handicap que la nôtre, puisqu’elle sera trop importante et le centre pour vous, mais peut-être vous serez plus intelligents que nous et vous allez tenir secret devant elle.

De toute façon vous aurez des joies énormes, et si vous lui apprenez vite à avoir de la joie pour toutes les petites choses, de ne compter que sur elle‑même dans la vie (cela commence en la laissant faire seule, tout ce qu’elle peut) de compter sur sa propre force et habileté, astuce - alors elle sera heureuse plus tard aussi, même si sa vie extérieure change en bien ou en mal.

Pista reste dans sa société jusqu’en janvier, ensuite nous verrons. Je me réjouis que ton mari soit aussi intelligent e regrette encore mon premier enfant que il serait grand aujourd'hui et les raisons pour lesquelles on ne l’a pas gardé alors, où sont-elles maintenant ? !

Je vous embrasse chaleureusement,

Katinka

Merci maman ! Tu as été en plus mon amie à qui je pouvais tout raconter, qui s’intéressait à tout ce qui m’arrivait et tu as eu aussi l’idée de me donner un journal quand je n'avais pas plus de dix ans et de m'encourager...

20 juillet 1986

Il me manquait l’attention, la chaleur, l’amitié, le repos, la tranquillité, et d'un coup, avec l’aide de mon fils, qui a payé mon billet acheté à la dernière minute avec sa carte de crédit, je suis parti à Budapest chez Anne et j'ai reçu tout ce qui me manquait avec sincérité, chaleur et amitié. Les hommes, les flammes, viennent et passent - l'amitié, la vraie, profonde, reste à travers le temps, à travers l'espace et elle nous réchauffe le cœur et l’âme.

Je suis de nouveau pleine d’énergie, je travaille, je suis pleine de vie, de courage et je vais même maigrir ! Mon amie m'a donnée des bons conseils.

Mais je dois tout faire pour éviter Paul, parce que l’apercevoir m'a bouleversée encore. Vraiment, je n’ai plus besoin de ça.

Que c'est bon d'être seul à la maison et d’écouter les oiseaux chanter, regarder danser les feuilles vertes, sentir le bon air de l’été ! Être avec moi même, avec mes pensées et mon journal. Sur quel sujet devrais-je écrire un livre, sur les couleurs ou sur ma vie? Par quoi commencer? Lequel est plus important?
“Il y a le temps des projets, qui commence par l'ouverture : laisser venir toutes les idées, désirs, émotions, tout. Pendant ce temps, commencer des projets courts, réalisables et satisfaisants”
Actuellement c'est ce temps-là-là pour moi. Pour le moment : maigrir, nager. Plus tard décanter et ensuite, planifier. Oui, pendant le temps confus de l'ouverture c'est bien d’avoir des plans à court terme qui nous rendent heureux et nous occupent.

19 juillet 1986

J'ai commencé ce cahier, mon dixième journal, il y a dix-huit ans, il est temps de le finir et ne pas faire l'économie de papier, commencer un autre. Je me suis habitué à celui-ci, je me sens bien avec ce journal, c’est une partie de ma vie, j'ai du mal à m'en séparer. Je l'aime.

Il est resté en moi aussi quelque chose de Paul, même si c'est fini. Lentement, il me manque d'autres et d'autres choses. Au début, c'étaient ces nuits près de lui - c’est déjà passé. Puis les promenades main dans la main, mais c’était seulement au début.
Maintenant, ce qui me manque c’est de parler avec quelqu’un qui m'écoute. En réalité, il ne m'écoutait plus depuis longtemps déjà, depuis au moins dix mois il n'était plus attentif à ce que je disais ou pensais. Je continuais à parler quand même. J'écrirai des longues lettres et, avec le temps, je trouverais une amie ou un ami avec qui parler. Je pouvais toujours te parler à toi, mon cher journal.

Ce soir je suis très fatiguée, mais nous avons fort bien travaillé. C’est si bon de travailler avec Lionel, nous nous entendons tellement bien. De plus, il a une très bonne nature. Bonne nuit!

Profondément en nous, nous savions pourtant

15 juillet 1986

En relisant ce journal, j'ai relevé quelques phrases qui m'ont frappée et qui n'avaient pas eu le même sens quand je les ai copiées :

« La vérité est que profondément en nous, nous savions qui nous avons choisi ; mais c’était si facile de nier et de ne plus croire en ce savoir, quand cela nous était agréable de le faire ainsi. »

Mon “oiseau rare” n'avait pas d’estime de soi, pas d’autonomie, ne voulait pas s'ouvrir, en conséquence il s'accrochait à moi, et en définitive nous n'avons jamais eu de vraie communication, bilatérale.

Question : Existe-t-il un oiseau rare ayant le courage de s'ouvrir, d’indépendance et ayant assez d’estime de soi pour lui permettre de m’aimer ?

Pour le moment, je suis vaccinée, blessée et j'ai besoin d'une période de tranquillité, de réflexion, de créativité sans être dérangé. Ce n'est pas l'argent disparu qui est important pour moi, mais l'absence de l’environnement nécessaire à la création, la paix interne. Il y a des périodes de joie qu'on ne doit pas regretter, qui ne sont pas créatives. Mais quand la joie s'en va, elle aussi, et l’on n'a plus ni l'un ni l'autre ! La joie, la paix est en nous mêmes, en moi, les circonstances n'ont pas grande importance.

Je pourrais dire que j'avais été naïve, crédule, etc. Mais ce n'est pas vrai. J'avais choisi de l'être. Et comme j'ai plus donné, j'ai plus reçu aussi. Donc, Julie, pas de regrets. J'ai eu mes moments, mes jours, mes mois heureux.

Avec le calme regagné, ma sagesse retrouvée, je me sens plus bouillonnante de créativité que jamais. En avant !

10 juillet 1986

J'ai acheté beaucoup de bons livres à San Francisco, j'ai appris de nouvelles façons de regarder et j’en apprendrai encore d’autres.

3 juin 1986, Paris

J’ai revu Paul, il me fait de la peine. Je ressens encore une certaine amitié, mais aucun amour pour lui. C’est fini ! Depuis, je commence à me sentir mieux.

Stéphanie n'a pas eu raison, il ne m’a pas fait de grandes surprises, seulement plus ou moins ce que je pensais. Demain je prendrai ce qui reste de mes affaires rue de Ruisseau, puis on verra comment je peux m’arranger pour que je ne sois pas responsable en aucune façon de ce qu’il fait, de ce qu’il dépense, mais qu'on ne le mette pas dehors, dans la rue.

5 juin 1986

J'ai déménagé. Je suis revenue à l’appartement du Butte Montmartre. Je me sens fantastiquement bien ! Extraordinaire ! Comme si j'étais en vacances. Je me sens toute légère, toute libre!!! Je suis absolument heureuse, presque comme si je découvrais le monde autour de moi.

Je suis euphorique. La dépendance est passée.

J’aurais dû, j’aurais pu achever il y a une année déjà - mais chaque chose vient en son temps.

Maintenant, pour la première fois de sa vie, Paul a un logement a lui. (Pour combien de temps?*) Il est content, je me suis aperçue que ce qui l’inquiétait surtout, c'était ce que je lui laisserai là-bas et pas du tout, qu'on se sépare.

Sinon, il a été, comme toujours “gentleman voleur”: il n’a pas pris de mes affaires sauf ce que je lui ai laissé, donné - mais il m’a menti jusqu'à la dernière minute sur diverses choses et sur lui-même. Il m’a aidée à déménager, puis aussitôt, il fait de l'ordre «chez lui, enfin». Je crois que sans l'avouer, tout compte fait, il est aussi content que moi que ce soit fini (sauf pour l'argent qui ne lui tombe plus, tout seul).

Je me demande déjà, comment j'ai pu l'aimer ? ! Je l'ai aimé, quand même et malgré tout. Et comme j'ai mis dans nos relations plus que lui, j'en ai aussi plus reçu.

Je me sens dans un tel état de paix avec moi-même, avec le monde, tout !

“ La femme qui aime la vie

et la vit pleinement,

qui a découvert et partagé

ses talents et points forts à elle,

qui met son mieux en tout

et laisse chaque situation

mieux qu'elle l'a trouvée

qui cherche et trouve ce qui est bon et beau

en tous et toutes choses

qui a le cœur plein de tendresse,

qui a trouvé la joie de vivre

cette femme a réussi ! “

Je suis en paix avec moi même, je suis heureuse et j’essaierai de préserver cette paix en moi, et ce qui est très important pour moi, la paix autour de moi aussi, autant que possible !

Adieu Paul !

Pas de regrets pour les rêves, les rives, les jours, l'argent, pour rien. Pas de regrets pour la séparation. Je ne pourrais plus vivre avec toi, plus du tout !


* Des mauvaises surprises j'ai eu, deux ans plus tard: il n'avait payé du tout le loyer du logement qui était bien pris à son nom, mais j'avais bêtement contre signé lors le baie. En plus de frais d'avocat, j'ai dû payer une année de loyer, la deuxième c'était les propriétaires qui savaient déjà qu'il ne paye pas et ont compté que je vais payer tout.

Ca me fait mal

15 Mai 1986

Ça me fait mal. Ce qui me heurte le plus, c’est de me réveiller d'un rêve merveilleux. Même si je savais déjà que c’était seulement un rêve. De temps en temps, je le pensais, je le sentais, mais je ne voulais pas le croire vraiment. C'est si difficile de me détacher de ce rêve!

Ma seule échappatoire est de couper le contact et réfléchir de longs mois. C'est important, donc je dois le faire. Réfléchir bien comment je dois agir. Habituellement, je suis naïve, complètement ouverte, pure. On n'attend pas autre chose de moi. Mais quelquefois, il faut lutter, me rebiffer, me défendre - à cause de moi et mes enfants, aussi de Bip.

Je ne peux même pas dire « je me suis rendu compte d'un coup, comme il est », parce que depuis longtemps, depuis le début, je l'ai su, je savais pas mal des choses. Mais malgré ça, je ne me suis pas laissé détourner de ce que je voulais. Et jusque j'ai eu ça, jusqu'au moment que j'ai senti ou au moins cru qu'il m'aimait le reste n'importait pas. Il y a deux ans déjà, ce n'était plus vrai ! Ensuite, je me suis enfoncée de plus en plus, et Paul avait le temps de me manipuler (comme Déborah avait manipulé papa) : à chaque fois qu'il sentait qu'il était dans une période de trouble grave, il changeait provisoirement le cap.

Maintenant, c'est mon tour de réfléchir à loisir.
Je n'ai pas eu trop longtemps...

29 mai 1986, San Francisco

Qu’est-ce que j'ai aujourd'hui ?Pourquoi ai-je des frissons, pourquoi ai-je d'un coup si peur? Parce que ma tête ne veut pas penser tranquillement. Pourquoi je veux d'un coup courir à la maison, loin? Qu'est qu'il m’arrive? Je ne sais pas. J'espère seulement que ça passera.

Je commence à comprendre le sentiment qui a amené Paul à boire, à se droguer. La panique.
Ce qui m’arrive doit être ce qu’on appelle, « le manque » : comment se détacher d’une dépendance de quelqu’un ou quelque chose. Ce n'est pas assez de l'analyser, il faut aussi passer par là.

On ne peut pas, hélas, créer une chose nouvelle dans ces moments, c’est trop dur. Pour créer, il faut être dans un esprit plus tranquille.

Plus tard,

Un peu de temps, un bain chaud - et déjà je me sens mieux.

Julie ! Tu as réussi à sortir de problèmes, de situations beaucoup plus difficiles! Tête haute! tu as deux enfants qui t'aiment. Tu n'es pas malade (sérieusement). Ton ego n'a pas reçu un (trop) grand coup. Tu sais te tenir sur tes jambes. Julie: "Cette vie est à toi, prend la force de choisir ce que tu veux en faire" Fais-le !

J'ai commencé à écrire ce cahier il y a 18 ans, j’ai 18 ans de ma vie dans un même journal. Il y a 11 ans que je me sois décidée à me séparer de Sandou :
“Sois forte, on ne peut pas recommencer,
on ne peut pas revenir en arrière,
et il ne le vaut pas !”


Je regrette que les choses ne se sont pas passées comme je l’espérais, comme j'avais voulu les voir; j'ai essayé pourtant mais il ne m'aime pas, il le disait seulement comme un perroquet «Je t’aime, je t’aime Julie.» Lavage de cerveaux ? !

Faire ce que j'aime - moi et m'aimer bien.

Maintenant je me sépare de lui - je me suis déjà séparée.

Rien n'est facile dans le monde, mais je suis déjà habituée. Je dois retourner à Paris et me séparer de lui tout à fait, résoudre le problème et ne plus le fuir. Pour le moment j'ai assez réfléchi.

Et je ne suis pas restée intérieurement jeune parce qu’il était là. C’était et c’est encore, en moi.

Lettre sans réponse

le 25 avril 1986

Cher Paul,

C’est dimanche à San Francisco.

Demain, je dois aller à Cupertino visiter la société Apple, puis j'irai chez Agnès pour quelques jours. Mais aujourd’hui, je suis venue au parc public près de la baie côté gauche de pont Golden Gate, juste avant l’Océan. Le soleil brille, mais mon pull est à peine suffisant à cause du vent froid qui souffle.

D'ici, la vue est extraordinaire. À droite Golden Gate, devant les montagnes et les collines, en bas la baie et les bateaux qui passent lentement, à gauche l’océan à perte de vue. Derrière moi des arbres : les oiseaux chantent comme tu l'aimes. Mais tu ne me manques pas.

Tu es avec moi en pensée. Bien sûr, si tu étais ici, et, si tu étais heureux, amoureux, content de toi et de moi, de la vie, tout serait différent, mais c’est trop attendre de la vie.

Pourtant, on s’aimait, on a été très heureux. Moi, je l’étais. Je crois que toi aussi - mais combien de temps ? Tu as été tellement heureux lors de notre premier voyage ici, en novembre.

Ensuite j’ai fait la grande erreur de t’engager à travailler chez BIP. Je pensais t’aider ainsi. Ça t’a aidé momentanément. Souvent on aide quelqu’un et cela devient pire à la longue.

Ensuite, tu m’as aidé à déménager Bip, installé les étagères du stock, aidé à arranger le nouveau local, puis.... ?

Le printemps, nous avons fait d'énormes dettes, puisque tu ne t’es pas aperçu que je vivais (avant) très modestement, et je n’osais pas te dire, attention ! et j’ai espéré encore qu’on le gagnerait, cet argent dépensé.

Les dettes s’accumulaient.

L’été, après avoir passé quelques jours inoubliables chez Stéphanie et t’étais heureux avec moi, même en Dordogne, sans regret encore ! Puis, j’ai osé te dire que je ne pouvais plus supporter financièrement que tu donnes la moitié de ton salaire à Nicole, ton ex-femme, ce qui en restait et mon salaire n’était pas assez pour nous faire vivre.

Est-ce d’alors commence ton éloignement ?

De toute façon, arrive une période (l’automne / hiver) difficile, où tu ne m’as plus aidée au travail, tu n’as plus venu que très rarement quand tu en avais l'envie. D’autres sont venus nous aider avant Noël, quand on avait énormément à faire, ils n’étaient pourtant pas salariés de Bip - et toi, salarié, n’es venu que te quereller!

Tu as commencé à boire de plus en plus.

Puis nous sommes venus en Amérique, à Los Angeles et Les Grands Canions, t’as été heureux avec moi, et moi, oui beaucoup! avec toi. Ensuite le printemps, je suis revenue seule à San Francisco et à mon retour tu m’as accueillie avec autant de joie, d’angoisse et tu m’as dit : ne pars plus sans moi ! Est-ce alors que tu as recommencé à voir Nicole?! ou une autre?

Nous sommes partis ensemble à travers la France pour montrer les produits Bip - mais tu buvais de plus en plus.

Tu as même jeté par terre la montre de mon père que je t’avais offert avec tant d’amour pour montrer combien tu était important pour moi, (pourquoi l’as-tu fait ?) Lors notre départ, tu as été tellement ivre que le chauffeur de taxi t’a fait sortir de sa voiture, disant que tu risquais devenir dangereux.

Après Toulouse, Lyon. Qui as-tu rencontré là-bas ? « Un vieux collège » tu m’as dit à l’époque. Est-ce lui qui t'a décidé à "couler" Bip ? Ou le président du concurrent du Bip ? Tu as vu à L’expo Apple de Lyon l’effet de la boisson sur quelqu’un d'autre, comment il peut nuire à tout une carrière soigneusement crée et tu t’es promis que tu ne t'en t'enivrais plus. Et pendant une année, je ne t’ai plus vu ivre.

Tu m’as surprise avec Portugal, je t’es emmené à Berlin, nous sommes allés en Bretagne.

Quelques mois sobres t’ont suffi pour que tu puisses expliquer notre logiciel dans une conférence mieux que je n’aurais pu le faire. En voyant cela, j’ai pris la décision, basé sur le fait que Bip était moins important pour moi que toi, de t’offrir ce que je croyais que t'avais besoin : te nommer maître de BIP, te donner la possibilité de diriger la société, de décider, d’agir. Qu’est-il arrivé ?
Très rapidement tu as commencé à éviter les décisions, à négliger les problèmes quotidiens, à remettre tout à plus tard. Puis t’as commencé à hurler, à venir au travail dans "un état de surexcitation", brusquer les employés, puis moi aussi, et même devant les autres, ensuite même devant nos clients.

Mon bureau, que je t’avais cédé de bon cœur, c’est devenu d’un coup ton bureau, « ta sacristie » où personne n’avait plus le droit d’entrer. Tu jetais des produits Bip par terre et menaçais de détruire les autres. Un automne/hiver désastreux se préparait. Nous étions trop nombreux, Bip gagnait de moins en moins. Sans doute, cela n’était pas ta faute - uniquement. La conjoncture d’un côté, mais aussi notre façon de procéder?

J’ai vu, j’ai senti que cela ne pouvait plus continuer ainsi, BIP n’allait plus du tout, les dettes s’accumulaient et tu étais encore plus malheureux qu'avant. Tu est devenu hargneux, querelleur, de plus en plus agressif. Je n’en pouvais plus, mes nerfs étaient à bout, je craignais de ce que tu pourrais faire, dire, provoquer encore.

Il fallait faire quelque chose pour vivre, pour rattraper.

J’ai décidé de déménager, je croyais que vivre avec mon fils et son désordre te dérangeait tellement qu’aussitôt que nous aurions un chez nous, tout serait différent. Mais je sentais aussi que si cela continuait, je n’allais plus résister, et je ne voulais pas te mettre “dehors” comme ton ex l’a fait, je voulais que tu aies un chez-toi - au cas où. Mais j’espérais encore que cela n’arriverait jamais.

J’ai été heureuse à côté de toi, heureuse de dormir blotti contre toi et me réveiller tout près, de sentir (pendant que je l’ai senti) que quelqu’un se soucie de ce qui m’arrive... J’espérais encore pouvoir te rendre heureux, ce qui a été mon ambition depuis la première nuit. Après avoir déménagé nous avons été heureux quelques semaines. Puis? Que s’est-il passé? Où?
Tu vas me le dire, peut-être. Tu es venu avec moi à San Francisco à l'expo de janvier, nous sommes descendus dans la même hôtel où j’habite maintenant, mais je sentais que ce n’était plus la même chose.

Quelque chose manquait déjà. Quoi ?

En retournant, notre voiture a lâché. Après le départ de Thomas de Bip, j'ai dû rendre l’argent prêté par son père, dont nous avions déjà dépensé presque la totalité en logement, achat de voiture etc. Je me suis rendu compte que si tu t’inscrivais au chômage, on recevrais presque 12 * 5000 = 60.000 F cette année. Tu as dit « bien ». Puis « non ». Puis OK. Alors? Gérante, je n’ai pas droit au chômage, je n’aurais pas été trop orgueilleuse de le faire, si j’avais pu.

Puis la débâcle. Pourquoi ?

Tu a commencé te droguer (avec quel médicament ?), tu as commencé à avoir le regard comme d’un idiot. J’ai le regret de te le dire, c’est comme cela que ton expression devient quand tu prends... Quoi? Tu es tombé, tu t’es coupé, tu t’es fait mal et quand enfin s'allait mieux, tu venais te plaindre : « Je n’arrive pas à respirer ».

Pendant ce temps-là, j’ai essayé de remonter BIP. Continuer, lutter. Commencer à payer nos dettes. Et pour la première fois, il m’est arrivé une nuit de ne plus avoir envie de rentrer à la maison. Où aller?

Il fallait faire quelque chose, changer, agir.

Quand tu t’es aperçu (n’est pas?) que tu étais allé trop loin (où quelque chose d’autre s’est passée??) tu es de nouveau redevenu « normal ». Normal, mais distant, absent toute la journée et en revenant tard le soir (d’où?) et toujours pas inscrit à la main-d’œuvre.

Début Avril, nous sommes partis pour Nice.

À l’atterrissage j’a surpris sur ton visage (je te connais un peu quand même) que tu te réjouissais quand j’avais mal, quand je souffrais. Tu ne m’aimais plus du tout. Tu me haïssais. Je le savais. Je ne voulais pas le croire. Et tu voulais m’amener où? à Sainte Claire, plage où tu allais en jeune amoureux! Pourquoi as-tu fait cela? Me heurter davantage, me montrer ton attachement au passé?

À Antibes, je t’ai dit de réfléchir sérieusement à nos dettes, sur ce qu’on allait faire, mais tu n’as pas voulu participer. Je sentais que tu te désintéressais de tout. Tu t’en foutais. Pourquoi? Comment ? C’était nos dettes pourtant. Et il y avait les dettes de BIP, qui me préoccupaient aussi.

Je t’ai dit : économisons, faisons plus attention dorénavant aux dépenses, et même alors, tu ne le voulais pas, tu continuais à commander le menu et le vin le plus cher du restaurant, sans te soucier comment je le payerais, de quoi. Ce nuit-là, j’ai décidé que je ne pouvais me permettre financièrement de t’emmener en Amérique parce que, quoi que tu dises, tu ne sais pas, tu ne veux pas économiser. Et je n’ai pas, je n’ai plus de ressources, je n’ai pas d'où le prendre. Je l’aurais voulu.

Mais il y a une autre chose encore plus importante. Je ne me suis rendu compte - étant éloignée de toi pendant quelque temps - que je n’ai pas réussi à te rendre équilibré, heureux, content de toi, de nous, de ta vie.

Au début de notre rencontre, je t’ai proposé, de vivre chacun notre propre vie, alors on pourrait vraiment s’aimer. Mais t’as trop essayé de vivre la mienne. Ma personnalité a-t-elle été trop forte ? Je n’ai pas voulu te blesser ; je l’ai fait quand même. Je voulais t’aimer, te conserver - je n’ai pas réussi. Je vois en toi tellement de qualités, je te sais en beaucoup supérieur, je t’admire, t’admirais. Et l’on avait été compatibles en tellement de choses. Toi, tu as vite vu en quoi l’on était différents (tu ne me l’as pas dit) mais tu as ajouté “mais on s’aime !“.

Qu’est-ce qui nous a séparés ?

« M’aimes-tu? Je t’aime » - n’a plus de sens. Oui, je t’aime. Et, toi, peut‑être. Mais comment ? D’une certaine façon...

Je ne suis devenue jamais pour toi “ta femme” Nicole l’est restée, n’est pas, ta vraie femme ( ? !) même après les années de divorce... Réfléchissons, ni toi, ni moi nous ne pouvons tout supporter à cause de l’amour ou de l’amitié, n’est-ce pas?!

Tu me connais bien mieux que je ne te connais. Je me suis plus ouverte, beaucoup plus que toi. Je crois le moment est venu pour toi de m’écrire. De dire. De raconter.

Ta version des faits va être bien sûr différent. Tu as vu passer ces trois ans, tout compte fait très heureux pour moi, tout à fait différemment. Tu m’as peu parlé avant mon départ. Je ne sais pas encore si je resterai ici un ou quatre mois. Je ne sais encore rien de l’avenir. Je sais qu’on ne peut pas le reprendre, continuer comme jusqu'ici. J’attends que tu m’écrives.

Cette lettre va t’arriver vers le 10 mai, je serai chez ma fille à Washington. Ensuite, probablement je reviendrai de nouveau travailler ici. (Même le fait que j’ai un billet pour voyager autant que je veux pendant deux mois t’as laissé indifférent, pourquoi?)
Qu’est-ce que tu veux faire de ta vie ? Qu’est ce qu’il y a dans toi, ton âme, ta tête, ton cœur (et rancœur)?!? Je ne sais pas où je serai le 17, envoi ta lettre chez Agnès et (si tu m’écris) elle me l’enverra rapidement et sans l’ouvrir.

Julie

Je n'ai pas reçu de réponse.

P.S.

Il est deux heures d’après-midi. La mer est aussi belle qu’avant. La brise aussi froide, le soleil aussi brillant. Le Golden Gate supporte tout cela, et la vie passe, coule. Te souviens-tu quand on comptait les jours, les mois où l'on voulait être encore ensemble ? ! Nous étions heureux de nombreux jours. Probablement ce n’est pas le sort des gens d’être heureux trop longtemps.

Pourtant je l’ai cru. Ah, oui. Et maintenant? J’en suis beaucoup moins sûre.

Qu’est-ce que tu crois, toi?
Je suis venu plus loin. À la plage de l’océan. Il fait un temps comme à Eilat en février, j’espère, ne pas me brûler. Je me suis rendu compte que j’avais encore beaucoup de choses à te dire. J’avais envie de terminer avec ce que je sentais.

“Tu me manques”. Mais pourquoi?

Pour que tu mettes ta main sur mon épaule, et que je mette ma tête sur toi, comme un jour au bord du lac, à Eilat. Mais tu ne me manques pas pour le sexe, (seulement s'il était d’amour véritable), pas pour me préparer le petit-déjeuner (je me fais un Nescafé à l’hôtel avec l’eau du robinet).

J’ai appris des choses de toi, qui, de toutes façons, quel que soit l’avenir, resteront toujours en moi (une partie de moi), comme toi tu resteras toujours avec quelque chose de moi - même si t’es maintenant avec quelqu’un d’autre ou quand tu le seras. J’ai sens: “Si on s’aime, on va suivre l’autre au bout de monde”, sinon... on demande sans trop d’émotion: “Quand reviendras‑tu ?”

Je n’ai pas besoin de toi non plus pour ranger, faire le lit, laver la vaisselle, ou préparer à manger (je le fais vite, pas du tout - c'est sans importance pour moi). Je ne veux plus que tu essaies de vivre ma vie ; et surtout je ne peux plus, pour le moment, gagner assez d’argent pour deux (et tu ne veux pas ou ne peux pas? y contribuer). Je veux que tu aies ta vie professionnelle, que tu aies tes propres problèmes et tes propres succès. Ensuite, si tu m’aimes encore, si tu veux me les apporter à moi, si tu le veux encore… on verra.

Je voudrais savoir dans quel "pétrin" je t’ai mis. Comment je peux t’aider à en sortir? Pourquoi tu n’as pas payé le note de téléphone? Pourquoi tu n’as pas demandé les remboursements de maladie de la Sécurité Sociale? Tu as ainsi perdu aussi l’argent de tes deux semaine de congé de maladie, ne pas demandant le remboursement qui aura pu être payé. Pourquoi, pourquoi?

Je ne veux plus trembler que va-t-il arriver, quel accident auras-tu encore, quels problèmes me caches-tu encore ? ! Je ne veux plus trembler quel scandale ferais-tu encore devant les clients à Bip. Et, même si j’ai été satisfaite de vivre en travaillant, et toi restant à la maison, tu ne le supportais pas à la fin. Et, en plus quelqu’un d'autre en a profité aussi. Je le crois. Pour moi c'est trop. Tu réfléchis beaucoup plus que moi. Mais à quoi? Où est la solution?

Au début, j’ai remercié le bon Dieu (la vie) de tous les jours, les semaines, les mois passés heureuse avec toi. Je savais que je devais me réjouir de ces jours, cadeaux extraordinaires, inattendus du sort. Ensuite j’ai oublié, je croyais que cela durerait, que je suis plus gâté par la vie que les autres, que j’ai trouvé enfin “l’autre”, que je l’avais “pour toujours” - en bien et en mal. Mais tu ne supportes avec moi que le bien.

Oui, tu me manques, je voudrais bien mettre ma tête sur ta poitrine, couchés ensemble sur le sable, me relaxer. Au lieu d’être ici, à t’écrire, à me tourmenter. Mais après? après qu’on se lève?

Je resterai en Amérique cet été. Tant que je pourrai. Mais l’argent file vite. Peut-être pourrai-je en gagner ici. Quand ? Comment ? Où ? Cela n’est pas encore très clair pour moi. Je reviendrai peut-être pour trois jours en juin. Mais Paul, s’il te plaît! Écris! Je veux ton point de vue, tes opinions.

JK
Et rien n'arriva en réponse!
Que c'est dur de se séparer, même quand on sait qu'il n'y a plus rien à faire ni à espérer.
Tout était vrai, sauf le prénom que j'ai changé, mais qu'importe, depuis dix ans que je l'ai changé il est tellement entré en moi, que je ne l'appelle plus qu'ainsi quand je me le rappelle.

Seule à San Francisco

25 avril 1986, San Francisco

Je suis de nouveau en Amérique, à San Francisco, seule, dans ma petite hôtel Iroquoise bon marché, devant une nouvelle lutte, dans un nouveau monde. Je me donne un à deux mois de réflexion et de repos. De travail, pour le moment, dans cette ville.

Ma faute ou la sienne, je n’en sais rien, ce n’est pas important. Rêve, mon rêve, notre rêve, c’était trop beau pour être vrai.

Mais j'ai beaucoup de bonheur avec mon fils ! Lionel a fleuri, s’est éveillé, il s'est rendu compte qu’il peut être interprète et assistant efficace quand il veut ! Et lui, le veut ! Il vient d’être interprète et factotum de Jarre pendant son grand festival de Houston, et il s'est rendu compte qu'il travaillait encore mieux sous pression.

Mon fils m'aime et veut m'aider, il veut que Bip marche bien. Lionel ne jette pas l'argent (ni le mien ni celui de Bip) mais l'économise. Il est intelligent et bon, chaud et compréhensif, une vraie aide pour moi et il me procure beaucoup de bonheur ! J'ai laissé Bip à sa charge pour quelques mois. Ainsi je peux me reposer ici ou construire quelque chose de nouveau. On verra.

Quelle différence!
J'espérais même de m'y établir à SF mais de Paul, je n'espérais plus rien.

Rien ne va plus!

24 avril 1986, San Francisco

Rien ne va plus. Je l'ai prolongé autant que j'ai pu.

Au début de l'année, nous avons été encore ensemble à Mac Expo de San Francisco. Je sentais déjà qu’il y avait de graves problèmes entre nous, mais je n'ai pas voulu les voir, ni le croire.
En revenant, ma voiture, choisie par Paul, s'est abîmé : “c’est ta faute” a-t-il affirmé, aussitôt.
Ensuite les dettes sont tombées sur nous, sur moi et BIP aussi. Alors Paul a commencé à se droguer, à tomber, devenir de plus en plus malade et bizarre. Quand j'ai dit “assez”, il s'est ressaisi d'un coup, mais il se fichait complètement de nos problèmes.

Enfin, au moins, il n'est plus salarié de Bip.

Nous sommes partis pour Nice et à la descente d’avion j’ai eu des nausées à cause du Mistral.
Paul rigolait : “Aha !?!” D'un coup je me suis réveillée : Attention, Julie ! Paul ne t'aime plus, il te déteste, il te hait. Il était satisfait, content que j'ai des problèmes, que j'ai des nausées. J'ai été fort triste.

Après, j'ai cru ce qu'il m'avait dit, parce que j'avais voulu le croire - au lieu de croire ce qu'il avait fait et ce que j'avais lu sur son visage. Et le soir même, je me suis rendu compte qu’il ne voulait pas faire d’économies, même maintenant, quand je suis pleine de dettes et que Bip ne marche plus bien. Paul se fiche de nos dettes (mes dettes et celle de la société) et de la façon dont je vais les payer... et hélas, de moi aussi.

Il a essayé de me dissuader de partir en Amérique, sauf s’il venait avec moi. Il ne s'est pas inscrit au chômage, pourtant il en avait le droit et je lui ai dit que nous avions besoin de cet argent qu’il pourra ainsi fournir lui, pour une fois.

Les derniers jours il venait chez Bip seulement pour chercher la querelle: « Tu m'as mis dehors (de la société), tu ne veux pas que je t'aide. »

La dernière nuit avant mon départ de Paris, il m'a dit: « Chaque fois que j'ai essayé de t'aider, tu m'as frappé avec quelque chose. Tu m'as laissé dans le pétrin. » Puis il a ajouté: « N’oublie pas, je t'aime, même si tu ne m’aimes pas. »

En quoi consiste cet amour ?

Moi, je l'ai aimé, j’observais mais je ne le voyais pas tel qu'il était, je voulais croire dans mes espoirs; c'est si beau de rêver.

Nous avons déménagé

1er décembre 1985, Paris

Début décembre, cinq jours déjà, nous avons déménagé avec Paul (sans Lionel) rue de Ruisseau, pas loin de mon travail, un logement qui lui plait - et je m’y sens déjà comme si j'avais habité toujours ici !

C'est bon de vivre avec lui - j'espère que je sentirai encore la même chose dans quelques mois. C'est bon de ne pas penser ce qu’on dit, ce qu’on fait - comme je devais le faire auparavant - parce que Lionel aurait pu nous entendre dans la pièce d'à côté.


Paul était plus important pour moi que Bip, mais maintenant j'ai peur ce qui arrivera. L’important est que nous soyons bien, que mon fils se développe d'une façon faramineuse, lui, travaille et crée. Merveilleux!