1er juillet 2002

Les promenades au long des champs, juste avant le soleil couchant. Les odeurs s’élevaient au maximum de la terre, de seigle et les arbres fruitiers, les fleurs. Main en main, nous parcourions le petit sentier plein de trous. Émerveillés par le ciel changeant, les couleurs des feuilles dans le dernier tressaillement du jour, enivrés de regarder ENSEMBLE. Accompagné par l’aboiement du chien du voisin d’en face, s’éloignant au fur et à mesure, accompagnés seulement par les cris des grillons des champs. Frappés à tour de rôle, par l’odeur de foin d’une grange, par le parfum des prunes mûres et plus loin de fleurs mielleuses blanches.

Nous arrivions enfin sous les pruniers sauvages et il me tendait des moitiés de prune sucré, juteux, fondant dans la bouche. Même les prunes, il préférait les partager. Nous revenions avec des prunes dans un petit sac, certains trop murs, cueillis par terre, mais la plupart merveilleux.

Quelques ans plus tard, on a fermé le prunier, le champ a dû être vendu. Puis, on coupa aussi les branches des pruniers du voisin donnant sur le chemin. Adieu, prunes d’été ramassés par terre, et même celles cueillis furtivement d’une branche débordant, s’offrant à nous. Même les chemins de fer ont fait couper les pruniers longeant les quais. Il nous restait l’odeur de foin, les couleurs rouge orange changeant des nuages dans le ciel et la main de l’autre. Puis, les mains se dissocièrent aussi.

« La route est trop accidentée.

– Viens plus vite !

– Où cours-tu ? »

C’était pourtant la même route, suivions-nous encore le même chemin ?

Puis, un soir, nous avons renoncé à notre promenade habituelle, en préférant se plonger qui dans la lecture, qui dans sa musique. Chacun dans ses pensés, ne même plus écoutant ou regardant l’autre.

« Tu m’as entendu jouer Schuman ? »

Non, je n’avouais pas toujours que je ne l’écoutais même plus jouer au piano et le morceau que j’adorais pourtant.

Je continue à lire et écrire loin de lui, j’espère qu’il continue à jouer. J’espère que la musique, qu’il prétendait que je lui ai donné, est resté en lui, avec lui. Que la sorcière africaine ne l’empêche pas à se plonger dans sa musique, même si elle n’en tire pas autant de plaisir que j’en avais la plupart de temps. Tant que je l’écoutais encore.

Pourquoi ne l’écoutais-je déjà ?

J’avais besoin de ces moments de tranquillité pour travailler, écrire. Le reste de temps, il m’interrompait à tout bout de champs. Il me harcelait de plus en plus à chaque moment. Éclatant, critiquant, reprochant. Que je ne l’écoute pas, ne le croit pas. Ne l’admire pas.

C’était vrai. Je ne le croyais plus. Et il divaguait encore davantage. Essayant me convaincre de ses théories rocambolesques, se convaincre, se rehausser. Il tombait de plus en plus bas. Même près de moi. Après une heure de tirade, mon esprit était ailleurs. Je ne l’écoutais plus.

J’entendis encore de loin, de temps en temps, quelques accords magnifiques monter du piano, mais ses doigts magiques ne caressaient plus que l’instrument. Tout furieux ou abattu, quelquefois en s’y mettant il devenait doux, tendre, souriant et sa musique me caressa encore l’âme.

Puis, éloigné de piano, de l’orgue, plongé dans l’Internet, la musique s’était tue. Non, ce n’est pas vrai. Même pendant nos dernières vacances, il courait - en se faisant conduire - de l’orgue en orgue. Je ne l’écoutais plus. Juste quelques cordes. Ensuite, je sortais de l’église et m’en allais en revenant plus tard pour le prendre. Le retrouvant enivré, en ébullition, plein du plaisir de sa communion avec un nouvel orgue.

« Nous reviendrons ! » a-t-il dit tant de fois.

La plupart de temps, nous n’avons pu revenir. Par quelques paroles ironiques ou malveillantes, le plus souvent il avait réussi à scier l’arbre, les branches, sous ses pieds. Et avec moi aussi. Pourtant, j’étais encore la plus résistante, la plus solide. Il s’y accrochait même quand il ne me voulait plus.

J’inhale profondément et je sens encore l’odeur des champs. Je ferme les yeux et je vois devant moi les nuages changeant, les pommiers en fleurs, le ciel écarlate fonçant rapidement. Je sens encore le goût des prunes sucrées fondant dans ma bouche. J’ai l’impression de sentir sa main chaleureuse, grande, enveloppant la mienne. (Me donnant une fausse sécurité, d’accord, mais j’avais eu plaisir les sentir, alors.)

Le plaisir était vrai. Nous avons eu aussi des bons moments.

1 commentaire:

Francois et fier de l'Être a dit…

Ne jamais rien regretter - Il y a de bons souvenir aussi.