Le chat de mon fils

J’ai enfin réussi à faire un chez moi. Refaire un foyer. Seulement à moi. J’ai enfin de la place. Pour travailler. De la place pour m’asseoir et lire. Non pas une seule place, moitié de fauteuil double comme avant, mais plusieurs places entre lesquelles je peux choisir.

Le lit, non encombré. Le fauteuil double près du lit sans rien dessus, juste deux petits coussins m’invitant à choisir entre eux, reposer mon dos et admirant le secrétaire antique d’en face.

Dans le salon, le fauteuil, le sofa, devant ma table de travail deux chaises, un autre dans la cuisine près de la petite table où je mange souvent l’hiver. Des fauteuils aussi dans le jardin sous le toit et arbres, autour d’une table non encombrée et à l’abri du pluie. Je peux m’y installer, prendre mon petit déjeuner, dîner, lire ou admirer tout simplement mes fleurs.
Les gueules de loup, les bignones, les dahlias couleur feu au bout de mon jardin, et même, au-delà, les lavandes lilas et les marguerites jaunes de mon voisin.

Ce petit pavillon que j’ai réussi à rendre agréable m’est offert de bon cœur par mes enfants qui l’ont hérité de leur père, mon premier ex, décédé il y a dix ans à peu près, était inoccupée depuis deux ans, depuis que sa famille agrandie, mon fils est parti pour un appartement plus grand et plus lumineux. Ils ont en plus de deux pièces séparées un grand salon double, deux terrasses, beaucoup de lumière, les deux enfants qui ont maintenant deux et trois ans ont plus d’espace à jouer et leur mère pour arranger et réarranger. Hélas, c’est à l’étage, sans accès direct au jardin.

Lemac, (écourté d’après le fils d’Ulysse Telemac), le chat de Lionel en souffrait. Dans l’appartement fermé, il devait se cacher de l’un ou de l’autre, des enfants le poursuivant, le prenant comme un animal en peluche, tripotable, tirant sa queue et de ses poiles, il se cachait aussitôt qu’ils approchaient sous le buffet, mais le plus petit plus agressif et intrépide, le débusquait même là. Il a fallu l’exiler sur la petite terrasse, sauf au plus froid d’hiver et en plus il se mettait à goûter les plats spéciaux pour chats, posés par terre dans la cuisine.

Lionel, revenant fatigué le soir de son travail, jouait avec ses deux enfants et plus avec son chat. Annelise, avait de plus en plus marre à nettoyer après le chat. Ce que je comprends parfaitement. Dégoûté, Lemac « marqua le territoire » et répondit une horrible odeur devant la chambre des enfants. Pendant deux semaines, on pouvait à peine respirer dans l’appartement.

Le chat devint malade, ses poiles commencèrent à tomber un peu partout sur la moquette, entre les jouets des petits-enfants. Lemac est vieux, il y a douze ans que bébé, Lionel l’avait emporté de son oncle pour le sauver. À l’époque, il habitait seul dans le petit pavillon où je suis maintenant.

À son tour, elle vint me visiter et pendant le déjeuner dans le jardin dit: Lemac a une maladie de peau, ses poiles tombent. Les enfants peuvent attraper quelque chose, ils ne savent pas se tenir loin. Et je n’arrive pas à le confiner à la terrasse. Je n’en peux plus.

-Je te comprends.

-Nous partons en vacances pour dix jours.

-Je peux lui donner à manger matin et soir.

-Lionel pourrait t’apporter…

-Bien. Il sera bien dans le jardin ici. Plein d’espace pour courir.

Le lendemain, Lionel apporte le chat furieux, n’aimant pas voyager en voiture. Je parle bien sûr du chat, pas de mon fils. Lionel le caressa, puis me laissa de quoi le nourrir pour dix jours.

-S’il faut davantage, achète les mêmes sachets et boites. Et donne-lui aussi de l’eau. Mets-les devant la porte à l’abri de la pluie.

-Je lui mettrai un oreiller sur un des fauteuils devant la maison. Mais Lionel, pas question que je le laisse entrer dans la maison.

-Je comprends. Il a de place ici sous la toile. Et tout le jardin pour courir.

-Oui, il pourra courir enfin tout qu’il veut.

-Et madame Filipetto l’aime bien.

Je n’ai pas dit et lui non plus que s’il faudra mourir un jour, comme madame Filipetto aussi ayant plus de 91 ans et de plus en plus endolori de partout, autant que ça se passe naturellement.

Les jeunes partirent en vacances. Je restai face à face avec le chat.

Lemac alla se promener, refaire connaissance avec son ancien jardin et les chats d’environs, puis disparut pour trois jours.

Je me faisais de soucis. En alternance, je me disais «Peut-être c’est mieux ainsi pour eux et la famille et qui sait pour le chat aussi», puis : «Mais que dirais-je à mon fils?»

Enfin, il apparut un matin en miaulant devant la porte de madame Filipetto. Elle le reconnut, le caressa, lui donna des restes et le laissa s’installer sur la chaise posée devant sa cuisine, sur sa petite terrasse en haut des marches, chaise d’où elle avait l’habitude de s’asseoir pour contempler le jardin et tout qui se passe dans la cour. Comme une concierge, toujours au fait de qui venait, qui partait et ce qu’on faisait.

J’apporte de la nourriture dans une assiette et dans un sachet.

-Il est malade. Ne veut pas manger, à peine peut-il avaler, me dit madame F. le caressant. Et ses poils…

-Oui, il n’est pas bien. Je suis contente qu’il est revenu, enfin.

J’étais inquiète : il était si maigre !

Je lui ai donné de quoi manger devant la porte, sous mes fenêtres, lui a mis un meilleur coussin, je m’assurais qu’il ne pleut pas sur son fauteuil spécialement réservé dorénavant pour lui. Le fauteuil sur lequel je ne vais plus m’asseoir.

Il m’en reste assez d’autres places.

Le lendemain, au réveil, j’ai préparé le petit-déjeuner, j’entends miauler devant la porte.

Bravo ! Il est venu, revenu, je peux lui donner sa nourriture. J’ouvris la porte, il fit un tour dans la cuisine. J’ai mis son ragoût sur l’assiette et en le suivant, il sortit et affamé, il commença à goûter devant la porte. Je lui ai mis de l’eau. Puis, j’ai sorti, moi aussi, mon plateau dehors. C’était agréable de manger dans le jardin.

Lemac avait mal à avaler. Il jeta un peu de nourriture autour de l’assiette, le goûta, laissa d’autres, une partie de son cou était très gonflée. Puis il repartit, laissant le reste. Il s’installa au soleil, au milieu de mes fleurs, et tout en me regardant manger, il s’endormit.

Je suis rentrée et me suis mis à mon ordinateur et m’oubliai dans mon travail de réécriture.

ZZZZZ. Une énorme mouche se débattit, voletait, dans le salon - bureau, me réveillant à ici et maintenant, plusieurs heures plus tard. C’était midi passé. Je préparais mon déjeuner, sortis admirer les fleurs et manger dehors. Madame Filipetto était à son poste, sur sa chaise de la terrasse. Je lui fis un signe de main. Encore plus de mouches. Ils bourdonnaient tout en goûtant la nourriture du chat noirci, desséché de chaleur et marqué par les mouches.

Lemac, nulle part.

Il réapparut le lendemain, mangea un peu plus. Je lui donnai un peu du lait qu’il but goulument. Bon, pas d’eau, je lui donnerai plutôt du lait dorénavant.

Des jours passent. Mon fils revient avec sa famille. Le chat reste chez moi. Il s’habitue à venir et demander de nourriture quand il a faim, quand il me voit bouger. Le cou se dégonfle, ses poiles paraissent plus sains. Bien, il se plaît dans ce jardin.

***

La nuit chaude d’été arrive. La fenêtre est ouverte. Je dors. Et plouf, à trois heures de nuit, le chat me réveille en sautant au-dessus des géraniums mis au bord des fenêtres, directement dans ma chambre à coucher.

Je veux ma maison, la place tout à moi. Le chat veut s’y installer. Il entre la deuxième nuit, cette fois, le malin, dans le salon sans me réveiller et je le retrouve endormi sur le sofa. Je le chasse de nouveau.

Que faire ?

La nuit suivant je ferme les fenêtres. Toutes les fenêtres. Aïe, aïe, il fait trop chaud la nuit avec les fenêtres fermées. J’ouvre l’un tout petit peu. Comment il a fait, j’en sais rien, mais le chat s’est de nouveau glissé à l’intérieur et au milieu de la nuit je le trouve installé dans mon unique fauteuil, à l’intérieur, dans mon salon. Non !

Là, je deviens furieuse. À peine j’ai une maison, de la place, quelqu’un veut l’occuper, l’accaparer : pas question de me laisser faire de nouveau. François est venu aussi sournoisement, peu à peu et occupant de plus en plus de place, jusqu’à ce qu’il ne me resta plus, même le lit était encombré. Le chat, je m’en souviens, aimait lui aussi dormir dans le lit, il s’y mettait près de mon fils, jadis. Et quoi encore!

Il ne rentrera pas!

Mais le lendemain, il entre l’après-midi, pendant que je travaille.

Et il ne veut pas sortir.

Je prends un verre d’eau et en le chassant, l’arrose. Il a appris. Le lendemain, pas besoin de l’arroser, la vue d’eau le faire fuir. Le surlendemain, je laisse ouvertes mes fenêtres, tout en préparant l’eau au cas où il osait encore entrer. Mais je ne dors plus tranquille.

Je dois partir en Amérique bientôt, j’espère qu’il ne dérangera pas l’Américaine que j’ai invitée à habiter chez moi pendant mon absence.

***

J’arrive chez mes petits-fils près de Washington et le premier soir je leur raconte l’histoire de chat et les fenêtres ouvertes: ils sont ravis en redemande. Ils se couchent sans problèmes à cause du chat.


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