Le e-billet

Agnès m’a invité chez eux pour passer deux semaines ensemble. La première avec elle et les trois gosses, la deuxième moi et mes petits-enfants. Enseignante français dans l’école américaine, elle doit commencer à travailler une semaine avant que les élèves arrivent, c’est une merveilleuse occasion pour moi d’être avec les trois garçons.

Hurrah ! Bien sûr, j’y serai, je dis rapidement.

Viens pour être avec nous à fêter les cinq ans d’Henry. Mais…

Mais ?

Ne viens pas le dix août, nous sommes invités pour les noces de notre nièce. La fille de David, frère aîné de Don, tu t’en souviens ? Ils étaient te voir lors leur visite à Paris, il y a deux ans.

Oui, je m’en souviens.

Je n’ajoute pas qu’ils ne m’ont pas invité à la noce. Lors de leur visite, je leur ai montré la Butte Montmartre, réservé un hôtel et invité pour un bon dîner toute leur famille, les parents et les deux filles. Je n’en pense moins.

Biens, je réponds à ma fille, je n’arriverai pas le dix.

Le onze, nous fêterons l’anniversaire d’Henry et le 18 je recommence travailler, précise Agnès, ajoutant rapidement : si tu ne peux pas être ici, je pourrais demander aux voisins de s’occuper des enfants et aussi à Don…

Mais je serai là, bien sûr.

Don, c’est possible qu’il parte travailler pour deux semaines à Alabama. Ça ne te dérange pas…

Non.

Elle le sait bien, j’aime être avec elle et mes petits-enfants, juste avec eux.

Tu pourrais rester encore quelques jours, les photographier lors le premier jour de départ à l’école.

Henry va à la maternelle, Tom, a eu six ans en juin ira à l’école pour la première fois. Alex, huit ans est déjà un ‘vétéran’. Ils me manquent, je pense souvent à eux. Récemment, j’avais envoyé des notes que j’avais faites lors une autre visite, il y a cinq ans. « Pourquoi » demandait alors Alex à tout bout de champs. Henry venait juste de naître. Comme ils grandissent vite ! Surtout, quand un océan nous sépare et je ne les vois qu’une fois par an. Moi en France, eux sur la côte Est de l’Amérique.

Bien, j’y serai, j’ai répété, et, en pensé, j’y étais déjà.

À peine ai-je fermé le téléphone, je me suis rappelé l’année dernière et la difficulté d’avoir trouvé un billet pendant l’été à la dernière minute, pour les dates exactes convenant à Agnès. L’année dernière elle avait eu un cours d’été à l’Université, nécessaire pour obtenir et maintenir son enseignement à l’école d’état.

Près de téléphone, mon ordinateur était ouvert, j’écrivais avant qu’elle m’appelle.

Et si j’essayerais d’acheter mon billet à travers l’Internet ? Je l’avais bien fait ce printemps lors mon départ en Hollande, j’avais reçu à temps le billet de train et l’entrée à l’expo Van Gogh par la poste.

Je tape « United » dans la ligne et rien. Je la trouve finalement à travers un moteur de recherche, Yahoo, j’aurais dû taper UA: United Airlines. Bien. Je le range entre mes « Favoris » pour pouvoir y revenir une autre fois rapidement et je me déconnecte. J’ai besoin de réfléchir d’abord, avant d’y mettre la date de départ et arrivé souhaité.

Je partirai le 9 août et arriverai le 9, ainsi le lendemain, jour de noces, je dormirai, me reposerai. Pour l’anniversaire de mon petit-fils, je serai ainsi toute reposée. Mais pour rentrer? Quand?

Surtout pas à la fin du mois d'août avec ses grèves habituelles. Mais alors, ceci veut dire plus de deux semaines. Tant mieux. Autant profiter de mon nouvel état de divorcée, personne ne m’attend plus avec impatience à revenir.

Deux semaines chez ma fille. Et après ?

Toute l’Amérique était devant moi. Colorado ? Les montagnes et rochers merveilleux dont j’avais lu dans un des derniers romans lus? Un billet d’avion supplémentaire, plusieurs nuits de l’hôtel, la location d’une voiture, le tout pèseront ensemble lourd sur mon budget, surtout après la dernière facture d’électricité qui vient de tomber: toute une année à payer à la fois. Comment ont-ils pu oublier me demander à payer tout ce temps? Comment ai-je pu la négliger? Bon. Alors?

Je me rappelle du film et un hôtel - café au milieu de nul part, loin de tout. Il y a une Amérique à découvrir pour toute bourse. En autobus ! À l’aventure. Non planifié. À moi l’Amérique! Je verrai sur place.

C’est décidé. Je resterai quelques jours après le Labor Day, férié, le premier lundi du septembre, quelques jours de nombreux soldes et la parution de nouveaux livres le suivent.

Je me connecte.

Je retrouve cette fois directement United Airlines, je mets les dates et mes préférences. Je choisis mes sièges entre ceux restant, pas trop nombreux. J’entre le numéro de ma carte de crédit. Avertissement: il sera débité aussitôt, non remboursable. Aie! Le prix est hélas élevé, l’été est la haute saison. En novembre ou en juin aurait coûté moitié prix. Mais on a besoin de moi en août.

Autre avertissement : On ne vous enverra pas de billet, seulement l’e‑ticket. Bon. Mais qu’est-ce que c’est un e-ticket? J’attends qu’ils me l’envoient.

Le lendemain, je reçois un e-mail (lettre par l’Internet), confirmant les dates et les places que j’avais demandées. J’enregistre et imprime la confirmation pour qu’il soit disponible et que je puisse l’annoncer à ma fille la prochaine fois qu’elle m’appelle.

J’attends mon ‘e-ticket’.

Une semaine plus tard, toujours rien. J’écris une lettre à United pour demander quand j’aurai mon billet (e-ticket). Après quelques jours, la réponse arrive: Vous avez seulement un e‑ticket.

D’accord. Mais où est ce billet électronique ?

Je cherche, je retrouve ma réservation. Toujours rien d’autre.

J’imprime encore une fois leur lettre. Devrais-je aller à l’aéroport Charles de Gaule pour les contacter, leur demander?

Quelques jours avant mon départ, je deviens de plus en plus inquiète. Heureusement, je dois accueillir à l’aéroport la dame que j’ai invité pour habiter chez moi à mon absence, une enseignante d’Annapolis, lieu de l’Académie Militaire Naval des États-Unis. Elle arrosera les fleurs et nourrira le chat en même temps.

J’arrive une heure d’avance à l’aéroport, fonce à United et demande : que faire pour obtenir mon billet ? Elle regarde mon papier imprimé et la lettre de confirmation et me dit :

C’est ça, votre billet.

Ça ?

Oui. Vous n’avez pas besoin d’autre chose. Juste de votre passeport confirmant le même nom.

Ça, mon billet ?

J’avais changé la police du texte de Courrier à Times pour mieux lire et même agrandi les lettres. J’ai éliminé les lignes vides. ‘Ça’, suffit? J’ai peine à le croire.

Le jour de départ arrive, je suis toujours mal à l’aise. Vont-ils vraiment me laisser embarquer juste en leur montrant ce bout de papier imprimé par moi ?

Entre-temps, j’ai reçu la confirmation de mon divorce et le changement de nom, mais j’ai mis à plus tard le changement de passeport à cause de 'ça'. Sur ce papier, c’est encore mon nom marié.

J’arrive au comptoir. Pas de problème. Il tapote sur l’ordinateur, pèse mes bagages et me donne une carte d’embarquement. Je reste toujours étonnée quoique soulagée.

C’est seulement au retour que j’ai compris : mon billet n’était pas ce bout de papier froissé, imprimé, modifié par moi, mon laisser passer était en fait dans leur ordinateur.

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