Arguments (souvenirs)

Julie se souvient d’une nuit de pleine lune, après qu’ils ont nagé dans le lac. Sandou l’a prise dans ses bras, lui mettant sa main au dos. Ils étaient dans leurs costumes de bain encore mouillés.

Après l’avoir embrassée fiévreusement, Sandou soupira :
Je suis malade, j’étais voir le docteur.
Malade ? Qu’a-t-il dit?
Il n’y a qu’une solution pour me guérir... de mes maux de tête horribles.
Lequel ?
Il faut que je prenne une amante...
Une amante ? Contre les migraines ?
Ce qui me manque d’après le docteur, est le sexe, une amante.
Tu n’as personne ?
Depuis un an, je n’ai pu approcher d’aucune autre femme que de toi.

C’était un ultimatum : toi ou je cherche ailleurs.

Perdre Sandou après tout le reste ? Où devenir son amante ? Renoncer à ma virginité gardée pour mon mari. Quel mari ? Où le trouverai-je ?

On ne va pas les laisser partir, se disait-elle alors ! J’aime Alexandre, je l’aime énormément, je l’aime assez pour devenir sienne, bien sûr. Même si ce n’est pas comme mari... Il est tendre, il voudrait se marier avec moi, il m’aime avec beaucoup de dévotion, il m’était fidèle une année entière, quoique je ne lui aie pas demandé ! Il m’aimait encore tellement !

Une semaine plus tard, il l’emmena pique-niquer dans la forêt et la serra contre lui et l’embrassa, jusqu’à ce qu’elle ait jouie. Là, habillé, corps à corps, juste en s’embrassant. Jamais elle ne sentit pareil. C’était fantastique. Il est fantastique !

Elle se rappela aussi, une heure plus tard, après le déjeuner sur l’herbe, il la poussa par terre et lui ouvrit la chemisette. Elle a eu honte mais elle l’a laissé faire. Il caressa ses seins, puis les prit dans sa bouche. Elle était énormément bouleversée, honteuse même.

— Pas ici, pas comme ça, dit-elle.
Alors, la semaine prochaine.
Nous verrons.
Je t’avais promis de ne pas insister. Mais dorénavant, je ne te promets plus.

Comme il l’aimait, la désirait, l’écoutait alors !



Le dimanche suivant, il l’a amenée chez un ami qui lui a cédé son studio pour quelques heures. Elle lui lit un poème qui disait « je t’aime, je suis à toi. » Devenir femme ce n’est pas la joie, cela avait fait mal.

Après un certain temps, pour finir avec la douleur, elle lui demanda : « Vas-y carrément ! » Alors il a forcé, elle a supporté, puis saigné, beaucoup.

C’était un printemps magique, le soleil, les fleurs, les oiseaux, tout chantait pour eux. Loin, les ennuis, cela lui permettait de le revoir plus souvent. Il l’aimait, l’adorait tant, il était tellement heureux de la rencontrer.

Plus tard, il lui dit qu’en ne protestant plus, en lui disant ‘vas-y’, elle l’avait profondément déçu. Il aimait la convaincre, l’avoir à chaque fois malgré ses protestations, il n’aimait pas qu’elle se donne, qu’elle demande.

Il préférait qu’elle continue à dire « non » au début et lui, ne doit pas lutter pour la convaincre malgré sa volonté. Elle a vite appris à faire semblant de ne pas vouloir faire l’amour, pour qu’il doive la convaincre, pour qu’ils soient heureux et satisfaits tous les deux. Elle regrettait un peu ce jeu, cette tactique, mais la vie est ainsi, se disait-elle, il faut qu’elle découvre, qu’elle apprenne les hommes, dont elle ne connaît rien.

Il faut qu’elle lui offre ce dont il a envie, comme il a envie.

Elle l’aimait éperdument.



Elle était devenue femme, la sienne. Rien d’autre ne comptait plus. Tout le reste venait après.

Quelques mois plus tard, ils se sont échappés pour deux semaines dans un petit village où ils ont pu faire l’amour jour et nuit. Il en voulait encore et encore, il la voulait tout le temps : c’était leur vrai voyage de noce. Il était de plus en plus enflammé et lentement, elle commençait à apprécier de faire l’amour. Couchés l’un près de l’autre dans le jardin de la petite maison, ils lisaient les Liaisons Dangereux de Laclos, en français.

Elle avait déjà vingt-cinq ans, enfin, elle n’était plus une vieille fille, mais une jeune femme, rayonnante.

En revenant de ces quelques jours magiques, elle se disait qu’elle ferait n’importe quoi s’il lui demandait, même l’épouser. Mais il ne l’a pas demandé de nouveau à ce moment-là. Déjà ?



Empêchée de finir l’Université et même de travailler comme manœuvre, elle s’est plongée dans l’étude des langues, l’anglais après le français avec énergie. La vie l’a gâtée, elle s’est dit alors : Sandou l’aime et elle l’aime.

Un jour, elle avait déjà plus de 26 ans, son père l’a frappée.

Elle est partie de la maison, ne pouvant pas supporter, mais de quoi vivre ? Mais le lendemain, sa mère est tombée malade, très malade et en trois semaines elle est morte.

Sandou l’a soutenue jour après jour, la berçant, l’aimant, étant à côté d’elle pendant ce temps-là plus que d’habitude, chaque fois qu’il pouvait, chaque fois qu’elle le désirait. Chaque fois qu’elle avait besoin de lui il était là. Elle en a conclu, qu’on pouvait compter sur lui dans les ennuis, que c’était lui qu’il lui fallait.

Dans le grand chagrin d’être restée sans sa mère l’adorant tellement, s’occupant tant d’elle, elle sentit un énorme vide.

Un soir, elle fit comprendre à Sandou que s’il voulait, il pourrait l’épouser.

Il était au quatrième ciel.

Julie le voit encore, à ses genoux, l’embrasser emporté.

— Comment ? Tu acceptes vraiment ? Quand pouvons-nous… ?
Maman m’a laissé un peu d’argent, assez pour une fête ou un voyage de noces. Si on allait ensemble à Prague ? Aussitôt après le mariage ? J’ai de quoi payer les deux voyages. Après, on verra...

Hurrah, allons à Prague ! Mariés ! Ce fut le jour le plus heureux. Pour longtemps.



Le jour du mariage, leurs parents se sont rencontrés et se sont parlé vraiment pour la première fois. Le soir, les mariés ont dîné dans l’intimité avec seulement leurs deux meilleurs amis. Alina, qui l’avait accueillie quand elle a fui son père la maltraitant, et Fan 1, qui leur a prêté souvent sa chambre pour qu’ils puissent se rencontrer, s’aimer.

Ce soir-là, se rappela Julie, ils sont retournés, fatiguées. Enfin mariée !

— Ne crois pas que tu me possèdes, dit-il d’un ton cassant.
Quoi ? De quoi parles-tu ?
Je ne me laisserai jamais dicter ce que je dois faire comme mon père laisse ma mère lui dicter. — Nous, on s’aime, également.
Je suis libre de faire ce que je veux !

Il la regarda avec les yeux qu’elle ne reconnaissait plus.

— Que veux-tu ? dit-elle se collant à lui.
Je ne dormirai pas dans le même lit que toi !
Ton père vient de nous offrir un énorme lit : t’as de la place.
Tu bouges trop, dit-il.
Comment tu sais ? Essayons d’abord...
Ne me pousse pas ! Je fais comme je veux.

Et il se fit une place sur un matelas par terre.

Ce fut leur nuit de noces.

Le lendemain, il la prit sur le matelas, et à chaque fois, seulement quand cela lui plaisait, quand il avait envie, lui. Et elle, ses désirs, ses rêves ?

Ce furent des mois difficiles.



Pouvait-elle dire quoi que ce soit : son père l’avait prévenue de ne pas se marier avec lui. Julie se demanda pendant les soirées solitaires, les nuits dormant seule sur le grand lit pendant que son mari ronflait sur le matelas : me suis-je vraiment trompée ? Mon père avait-il raison ?

Pendant leurs premières promenades, il lui avait dit des choses étranges, qu’elle ne comprenait pas, il disait que pour lui, la vie était finie, il a connu les plus grands plaisirs qui ont pu lui arriver. Comment ? Quand ? Il n’avait que vingt-cinq ans, juste une année de plus qu’elle ?

Il avait raconté que pendant sa jeunesse (entre quinze et dix-huit ans), il a fait partie de l’équipe junior de rugby qui a gagné le championnat du pays. Il parlait de l’euphorie des matchs, du plaisir de lutter, ruser, gagner. Il avait été le plus petit entre tous mais le plus habile à récupérer les balles et on l’avait fêté comme un héros. Puis, ses yeux l’ont lâché : il ne voyait plus la balle et l’on ne pouvait pas jouer avec des lunettes. Quand elle l’a connu, il avait déjà six dioptries, il ne voyait pas plus loin que sa main étendue sans lunettes.

Pourtant, il paraissait tenir à elle et venait la voir de plus en plus souvent, commençait à parler du mariage et il est même arrivé à plaire à sa mère.

Pas à son père. Il le haïssait, du premier moment.

— Il n’est pas pour toi !
Pourquoi ? Que lui reproches-tu ? Tu ne le connais pas encore.
Il est venu te prendre pour le théâtre sans cravate !

Imaginez cet argument sur une fille moderne ! C’était risible.

De toute façon, expliqua-t-elle à son père, ayant fait des luttes gréco-romaines dans sa jeunesse, Sandou avait un cou très large et la cravate le gênait. Il venait avec une chemise blanche, impeccable, fraîchement repassée (qu’il passait une heure à repasser lui-même), et juste avant d’entrer au théâtre, il mettait la cravate sortie de sa poche.

Mais de toute façon, à quoi sert une cravate ?

Elle voulait l’homme, le garçon qui l’adorait. Alors.

Son père a tout fait pour qu’elle le voie moins souvent et plus il essayait de les empêcher de se rencontrer, trouver du temps pour s’embrasser, plus elle s’obstinait.

Son père ne va pas conduire sa vie !

Elle avait vingt-six ans !

Que pensait-il, la diriger, l’ordonner, lui dire ce n’est pas pour elle, même sans le connaître ! Un jour, elle a profité d’un voyage de son père et ils se sont embrassés chez elle, sur son lit toute une nuit !

C’était merveilleux !

Et, naïvement, elle était convaincue qu’il serait ainsi toute sa vie.


Fan diminutif de Stéphane, en roumain Stefan

1 commentaire:

Anonyme a dit…

il était sacrément manipulateur, dis-moi ....
pire que pour moi ....

Et surtout très tot ....

Sophos