27 juillet 1959

J'ai lu à ma mère, ce que j’avais écrit sur mes vacances...

Maman m'a raconté qu’elle avait dit à mon père après trois ans de mariage : « Si ce n'était que pour ça, cela le valait déjà. » Moi aussi je peux te dire, mon cher journal, déjà à cause de la soirée d’hier, cela méritait que je me donne à Sandou. Nous avons fêté son anniversaire avec du champagne et des petits-fours. Je suis arrivée en élève d’Ovide “avec un peu de retard, dans l’ombre”.

Sandou m’a dit :

J'ai maintenant tout que je désire. Je ne désire rien d'autre.

Et moi, il y a quelques semaines seulement, je demandais à Claire :
« Qu'est-ce qu'il y de bon là-dedans?! »

Ensuite, il a fallu rentrer à la maison, mais j'étais longtemps encore complètement ivre de ses baisers. De lui. Pas du champagne, pourtant c’était bon aussi. Et j'espère, on n'aura pas de problèmes à cause de cette soirée...

Nous allons nous fiancer dans un mois.

Cela se passera-t-il rapidement ou lentement ? Quelque chose s'interposera-t-il ou non ? Comment réagira papa ? Cette fois, l'idée est venue de Sandou. Mais je le voulais, moi aussi, toi, mon journal, tu le sais, n’est-ce pas ? Nous le ferons surtout à cause de ceux nous entourant. Sandou aurait voulu se fiancer d’une autre façon, ne le dire à personne. "Même pas à toi", me dit-il.

Je suis bien bronzée, mes cheveux sont bien arrangés. J'ai bonne mine. Et, cette fois, je n'ai pas répondu à ses caprices, ainsi il se rendra compte qu'ils ne servent à rien. De toute façon, aujourd'hui, moi non plus, je n'avais pas envie de le rencontrer ; après ces deux jours orageux, je crois que nous avions envie d'une petite pause.

Bonne nuit, mon amour.

Je suis en train d’étudier l'anglais, très sérieusement. Je connais déjà la langue française. Au moins, je la lis facilement et je comprends tout ce que je lis (en gros). Qu'est-ce que cache l'avenir ?

Je viens de trouver de magnifiques poèmes dans L'anthologie de la poésie Européenne : j’aime surtout Charlotte von Steinhez de Goethe, Adieu à l’amour de Drayton, Orphée de Victor Hugo, Fantaisie par Gérard du Nerval, La maison serait pleine de roses de James, Nuit d'hiver de Keller, Ode à un vent d’ouest de Shelley... Il y a tant des poésies merveilleuses, mais je n'ai ni le temps - et je le reconnais, ni la patience - de les recopier tous.

Je viens de traduire ces vers de Goethe, ils me touchent profondément :

Je pense à toi, quand les rayons de soleil

se reflètent dans la mer

je pense à toi, quand la lune se reflète dans l’eau du ruisseau

je te vois, quand le vent soulève l’horizon des rues

et la nuit, quand le petit pont craque sous les pas des passants.

C’est toi que j’entends, quand l’écume de mer chante

et dans le verger, le silence toi te salue.

Tu es avec moi, si loin que tu sois,

Le soleil se couche, les étoiles sortiront,

Oh, viens-tu déjà ?!

J’ai déjà aimé ses vers dans le passé, mais je commence à les comprendre cent fois mieux. Ils passent à travers moi, comme la troisième ouverture de Leonore. Ils m’envahissent. Je les prends en moi, je les vois, j’entends le bruit du vent, tout, je les sens.

Que c'est bon d'être amoureux !

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