Retour à 1945

15 mars 1945, Kolozsvàr (Cluj)

Pendant que je faisais de la broderie, j’ai inventé cette poésie:

Pour l'anniversaire de mon papa
Je voudrais lui offrir beaucoup de cadeaux
Mais comme de l'argent je ne peux encore gagner
Beaucoup de cadeaux je ne peux pas acheter
Alors, je voudrais pleurer, pleurer.
Je souhaite, quand même, à mon papa :
« Vis heureux et longtemps ! »

Pour l'anniversaire de ma maman
Je voudrais écrire tant de poèmes
Mais comme je ne suis pas poète
Et que je ne sais pas bien les écrire
Je ne peux que pleurer, pleurer.
C'est vrai, je ne suis pas un Petöfi*
Et je ne sais pas écrire de poésie,
Mais quand même je souhaite à ma maman:
Aie beaucoup d’heureuses journées !

J’ai oublié ceci :

Et parce que Petöfi je ne suis
J’écris ce petit poème seulement,
Que dieu bénisse mes parents
Et les fasse vivre fort longtemps.

Écrit le 15 septembre 1945 à Kolozsvàr

*Petöfi est le plus fameux poète hongrois

17 septembre 1945

Je suis malade! Personne ne veut le croire. Ils se fichent de moi! Ni maman, ni
papa ne m’aiment, je suis malheureuse, les gens sont bêtes!!!

Ce matin est venu ici Radu (avec sa mère), il était méchant tout le temps.
Je n’aurai jamais d’enfants mauvais comme lui! Un garçon et une fille ? ou je n’aurai qu'un seul enfant? Garçon ou fille? Je ne serai pas avec mes enfants comme maman est avec moi!

Hier, j’ai joué dans une pièce de théâtre et j’ai aussi donné des conseils. Je souhaite danser dans mon tutu!

Je continuerai plus tard, parce que l'écriture m'a fatiguée. Ne vais–je pas
mourir? Je vis malgré tout. Je ne veux pas mourir!!!!!!!!




Je m’en souviens… La douche

Quelques mois après la deuxième guerre mondiale, Julie pourtant en général sage, d’un jour à
l’autre, refuse de prendre une douche.

— La douche use beaucoup moins d’eau chaude que le bain, nous n’avons pu nous procurer assez de bois, dit sa mère.

— Je me baignerai dans peu d’eau, maman.

Plus tard, sa mère se rend compte que sa fille ne ferme pas la porte de la salle de bains et
quand elle ferme la porte bientôt, elle la trouve rouverte.

— Ça ne se fait pas, ma chérie, tu vas être bientôt une petite demoiselle.

— Papa n’est pas à la maison, il n’y a personne qui pourrait me voir.

— Il faut t’habituer à fermer la porte de la salle de bains quand tu es déshabillée.

— Et pourquoi ne veut-elle pas se mettre complètement nue ? se demande sa mère d’un coup.

— Je veux conserver juste quelque chose sur moi.

— T’as honte ?

— Non.

— Alors ?

Silence.

— Mon collier ça va ? Je te le passe, voilà.

— Oui, oui, pourvu qu’il reste quelque chose sur moi.

Un jour, finalement Juliette s’exclame :

— J’ai peur !

— De quoi ?

— De mourir. Après un silence, elle ajoute:

— Mourir sous la douche, nue, sans rien sur moi ! Enfermée.

Encore du silence.

— Comme ma cousine jamais revenue d’Auschwitz. Je ne veux pas mourir comme elle enfermée dans une pièce toute nue !!! J’ai entendu...

— Entendue ?

— Qu’on leur a dit qu’ils prendraient une douche. Comme Magdie, grand-mère et ma tante. Et puis…

— Je comprends, Julika. Tu ne dois pas avoir peur maintenant, pas ici. Mais demain on va faire couler le bain, un petit bain si tu veux.

— Merci, maman.

Très longtemps, elle évita de prendre une douche, de fermer une pièce ou de se déshabiller tout à fait. Il fallait avoir au moins une mince chaînette d’or autour de cou. Mes parents lui en offrirent une qui ne la quitta plus.

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