5 mars 1948

Je devrais étudier, mais je n’arrive pas, pourtant ‘IL’ l’exige. Je le hais, j'en ai peur, mais quand même JE l'AIME. Je l'aime, non pas parce que je dois étudier à cause de LUI, mais parce que si j'étudie, je saurai et alors je ne vais pas me faire du mauvais sang quand IL arrive. C’est à cause de LUI que je dois étudier, c’est à cause de LUI que je n’arrive pas. (Ou alors parce que je n'en ai pas envie). D’autres filles ne réussissent pas à étudier ou réfléchir parce qu’elles pensent trop à LUI. Moi, je n’ai pas encore un “Lui” comme elles.

Lui ? (ici un coeur) Moi ?

Mon Lui est rassurant, parce que je sais et parce qu'il me permettra de tester combien j’ai appris. Mais pas ce que je vaux ! ! ! J’étudie à cause de LUI. J’apprends et je saurai. Pas à cause de “Lui”, mais pour moi-même.

23 mars, 1948
Assez de ce faux semblant. Je commence dorénavant à écrire quelque chose de vrai dès le début jusqu’à la fin, vrai jusqu'à la plus petite marque. Mais d’abord je vais écrire ce que le monde doit savoir de LUI et honte à celle qui lit mon journal et tombe sur ces passages ! De toute façon, je n’ai pas peur de “Lui” nous sommes en vacances, acances, cances, ances, ces, es, s : jusqu’à lundi prochain il n'y a pas d'école. Nous sommes le mardi, il faudra que les œufs de Pâques soient peints pour dimanche, même si je ne crois pas que quelqu’un viendra m’arroser[1], hélas !

Tous croient que je suis amoureuse d'Emery[2] parce je leur ai montré sa photo. C’est vrai qu’il est beau comme un jeune premier de cinéma, mais depuis qu’un jour je l’ai aperçu avec sa copine, je n’y pense même plus.

Un soir, j’ai rencontré chez les voisins un jeune garçon avec des cheveux bouclés, intelligent, et ‘poète’ de 20 ans. Un étudiant en littérature. Je suis presque tombée amoureuse ! En apprenant qu’il avait déjà une fiancée (il m’a montré même sa photo) l’attirance s’est terminée dans la minute. Je voudrais appartenir à un groupe de copains avec des garçons aussi intelligents, cultivés, et malgré tout ça joyeux, francs et simples. Bien sûr, ils ne m’ont pas acceptée, pour eux je suis encore “petite” (honte à celui qui lira cette page !) Pourtant, je suis déjà une « grande fille » hélas. Personne ne comprend ce “hélas”, pourtant un tas de problèmes arrivent en grandissant.

Nous allons avoir dans la famille un enfant grec, nous avons demandé que ce soit une fille d’environ quatre à six ans[3]. Je l’aimerai comme une sœur.

Enfin, je fréquente de nouveau une école hongroise et ma moyenne est assez bonne : 16,54 / 20, j'essayerai de la monter au moins à 16,66 (pour arriver à celle de Ditta[4]). Il faudrait que j’aille visiter mon amie Marthe, elle aussi a peur de “LUI” pourtant c’est la fille la plus brillante que je connaisse – ce n’est pas sûr, mais peut-être (?) même plus intelligente que moi.

L’article que je mettrai ici, paraîtra dans la revue Femmes Travailleuses, je l’ai rédigé avec l’aide de la mère d’Edith et maman l’a corrigé un peu pendant qu’elle l’a tapé. Son titre: “Nous avons commencé, continuez!”

[1] Habitude du pays : arroser les filles qu’on aime bien le dimanche de Pâques. Au village, avec de l’eau de la fontaine, en ville avec l’eau de Cologne. Plus des garçons arrivent, plus ils s’intéressent à vous. On les attend avec des œufs colorés et des petits gâteaux.
[2] le frère cadet de ma jeune tante Irène
[3] Nous ne l’avons pas obtenu finalement.
[4] Elle ne veut plus que je la conseille en classe, ni jouer avec moi, elle se laisse influencer par Jetty, fille d’une actrice.

1 commentaire:

coyote des neiges a dit…

Super idée, les notes de renvoi! Ça nous donne les explications nécessaires, mais sans casser le rythme du récit!
Faudra m'expliquer (par courriel) comment tu fais...