Demande de mariage

30 octobre 1958

Hier Sandou m'a demandé ma main.

Disons plutôt, il attend ma réponse. Parce qu’il m'a expliqué, il considérait déjà depuis qu’il m'a embrassée la première fois comme équivalent à une demande en mariage. Bien qu’il sache qu'il ne peut rien m’offrir, il espère quand même.

Il m'a beaucoup touchée, j'ai été très bouleversée. Je dus lui raconter nos plans de départ et certaines de mes pensées relatives à ce sujet. Dieu sait, ce qui finalement arrivera avec ça. On dit que notre départ c'est sûr, mais on ne sait jamais. Et alors ? Est-ce que ça sera mieux ? Qui sait où, quoi et comment cela se passera.

Sandou m'a répondu la même chose : “Le sort décidera”. Et j'ai été un peu fâché : il l'a dit avec trop d’indifférence.

Avant-hier, Alina m'a dit que j’étais devenue jolie, hier maman et ma glace me l’ont confirmé, finalement je l’ai cru et hier je me suis sentie très belle. Sandou m’a répondu à cela, et sérieusement, qu’aujourd’hui j’étais laide. Il m'a tourné le couteau dans la plaie. Comme il a l'habitude de dire « ça provoque du scandale et j'ai cassé deux assiettes » (au figuré).

Ces derniers temps, chaque fois qu'on se voit, l'un de nous se fâche, pour une période plus ou moins longue. Ce truc "t'es moche" il faut encore l'analyser, parce que je le ressens comme une épine et il faudra la sortir. Même si dorénavant il me disait cent fois que je suis belle. Vraiment ?

Ce matin j'ai été très contente de moi. Et encore. J’ai vraiment du charme. J’ai des traits fins réguliers et même la peau de mon visage s’est améliorée, on voit moins mes taches de rousseur. Mes cheveux me vont bien. Je suis contente de moi. Contre et malgré tout.

L’a-t-il pensé sérieusement ? Sinon, pourquoi l'a-t-il dit ? Et surtout hier ! Je ne crois pas que c'était pour m’abaisser. Il n'est pas un homme comme ça! (1)

Peut-on lutter contre son complexe d’infériorité ? Pour qu'il ne sente pas “qu'il n'est rien et incapable”? Hier il m'a avoué qu'il connaît bien son métier et l'aime. Seulement il ne réussit pas à s'entendre avec les gens. Mais on se heurte avec autres partout. C’est impossible qu'il ne puisse apprendre à se comporter avec eux! Je croyais, qu'il n'aimait pas son métier. Il s'est avéré qu'il l'aimait. Il a parlé avec tant de sensibilité et de chaleur de ses moteurs dans le moulin. Je ne savais pas, non plus, qu'il avait été le premier de l'école des meuniers, donc il l'a fait avec passion, plaisir. J'ai l'impression que la meunerie ne l’ennuie toujours pas. Faudra-t-il qu'il continue à l’étudier ? Au moins, il faudra apprendre comment se comporter avec les autres. Après ses vingt-six ans ? Je l'aime et je voudrais vraiment l'aider d’une certaine façon. Je sens qu'il ne sera pas si difficile de le sortir de cette impasse. Mais comment ?

Je ne sais pas qui est le plus idéaliste de nous, lui ou moi. Il dit que c'est moi. Probablement il a raison. Quelquefois il est étonnamment pénétrant. Peut-être, il devra être un peu plus malin. Nous sommes ainsi. Nous n'aimons pas les voyous, mais un peu de ruse nous manque.

Je devrais faire plus attention. Moi aussi je lui dis des fois des choses désagréables, sans aucune raison sérieuse et je lui fais mal sans le vouloir. Je dois être plus attentive puisque je constate sur moi-même combien ça peut faire mal, heurter, même sans le vouloir. A-t-il voulu me blesser ? J'ai beaucoup de confiance en lui, alors je suis sûre qu'il ne l'a pas fait exprès. Même s'il l'a dit sérieusement, alors.

Curieux, ces temps-ci nous n’avons pas envie de nous embrasser. Nous nous sentons très bien assis l'un à côté de l'autre, en parlant, en nous touchant. L’épaule ou la main, etc. Aurions-nous déjà passé notre lune de miel et sommes nous à la troisième année déjà ?

C’est affreux combien je peux manquer de sérieux. Je pense tout ça sérieusement, et demain je rencontre Ilan, c'est vrai je ne l'ai plus laissé m'embrasser depuis, mais tous les jours je me sens plus près de lui et ça va être dur de le quitter une fois pour tout.

Jamais je n'aurais pensé que je ressentirais personnellement ce qu’on trouve dans les livres et certains n'y croient pas. Aimer deux en même temps et ne pas réussir à choisir, ne voulant pas choisir. C'est vrai qu’ils me plaisent différemment, pour des raisons diverses. Ce qui manque dans l'un, est dans l'autre. Par exemple, le sentiment de confiance en soi d’Ilan et une certaine tendresse, manquant en Sandou. Malgré tout, Sandou est plus proche de moi.

Peut-être deviendrai-je un jour écrivain. Quand j'aurai assez d’expérience. Quand j'aurai déjà de quoi écrire. Mais mon livre sera au mieux réaliste et pas “politiquement correct” comme on demande maintenant ici, parce qu'il ne va pas “montrer la voie à suivre”. Exist-t-elle ? Il n'y a pas de réponse générale à tout ! Du moins, pas une seule, unique et sûre dans tous les cas.

Becher, il t’est facile de conseiller de “ne pas croire, mais savoir !” Tu ne nous as pas dit, toi non plus, ce que tu as appris, d’où et comment. Il faut quand même croire en quelque chose! Mais en quoi ? Il n'y a rien de sûr, de solide qui ne puisse être sensible à un tremblement de terre, un changement profond ? Existe–t–il quand même quelque chose de sûr ? Camille Petrescu a écrit trois pièces de théâtre dans lesquelles il montre que ceux qui croient en un idéal finissent mal. A-t-elle raison ? Je réfléchis en écrivant, mais seulement quand je suis seule dans ma chambre : je ne le suis plus. Alors, au revoir !
1. J'aurais mieux fait attention à mon premier instinc : ce n'était pas une hasard.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

entre l'instint ... et ce que l'on veux faire ou proffiter pour plein de raison ... il y a un gouffre.
JE n'ai pas plus écouter mon instinct ... pourtant, des instants comme cel, il y en a eu .... mais on s'en souvient (ou l'on se permet de s'en souvenir ...trop tard !!!)

sophos