5 novembre 1957

J'arrive de chez Marie.

Simon ne mérite pas la chaleur que je voulais lui montrer, il m’a fait faux-bond de nouveau. Encore une fois il avait “à faire”.

La discussion avec Marie était très intéressante. Elle divorce. Elle me l'a raconté sans s'arrêter durant quatre heures. Mais pour bien la comprendre, il fallait que je lui tire les mots un à un.

Elle m’a dit aussitôt qu'elle divorçait.

Elle n'aime plus son mari. Pourquoi ? Elle ne savait pas. Ils sont mariés depuis un an et demi et ils se sont bien entendus, sexuellement. La vérité est qu'elle s'est mariée à cause d’Eugène qu’elle avait beaucoup aimé. Elle a beaucoup souffert de leur séparation. Quand elle a vu que Dan l'aimait, elle a pensé qu'elle ne devait pas l'aimer trop et elle s'est mariée. Elle croyait sincèrement qu'elle n’allait plus autant aimer. C’était un bon mari. Elle cherchait à me dire ce qui n'allait pas chez lui mais elle ne trouvait rien.

Finalement elle m'a dit : “il y en a un troisième”.

Elle en est amoureuse et l'autre l'aime aussi. Et bien sûr, il est plus "homme", plus sûr de lui, plus mûr... mais aussi plus égoïste. Cela n'est pas important, elle aime celui-là, elle veut celui-là. Alors j'ai compris. Qui ? Elle ne voulait pas le dire. Il a 28 ans. Enfin, j'ai commencé à comprendre. Finalement, elle ne l'a plus caché, mais je ne lui ai pas dit que j’avais compris, du but en blanc. Juste avec de légères allusions.

C'est l'ex-mari de Juliette. Je ne connais pas George, mais à un moment donné, j'ai pensé moi aussi, à aller le rencontrer. On m'avait dit que c'était un garçon bien, on m’avait suggéré qu’il ne serait pas mal pour moi. Nous sommes ainsi. Nous nous ressemblons et nous avons des avis semblables sur des garçons d'un certain type.

Pendant que le mari de Marie était à l'armée pour un stage de six mois, elle est allée deux fois faire des randonnées avec l'Autre, il travaille près des montagnes. Et l’Autre est venu la voir presque chaque dimanche. Qu'ils se soient embrassés, c'est sûr. Elle n'a pas reconnu qu'ils aient aussi couché ensemble, mais je sens que cela s’est passé ainsi. J’en sais rien. Mais ils se sont sentis très fortement unis dès la première excursion.

Entre temps, il y a deux mois, son mari est revenu à la maison. Elle lui a dit quelque chose mais, "pour qu'il ne reparte pas trop bouleversé", elle ne lui a pas tout dit, et surtout, elle n’a pas dit qu'elle voulait divorcer. Elle s'est couchée avec son mari, puis elle a eu honte d'elle même.

Elle reçoit des lettres des deux côtés, de son mari et de l’Autre, encore une vient d'arriver. Quelles merveilleuses lettres ! Marie est devenue toute belle et toute heureuse en me relisant les lettres de George. Elle affirme qu'elle ne regrette pas de s’être mariée, mais elle est heureuse d’avoir écouté ses parents il y a un an et de n’avoir pas aujourd’hui un enfant de lui.

Elle veut divorcer. Dans une semaine, son mari revient et elle va devoir le lui annoncer. Mais demain c’est George qui arrive et ils vont passer ensemble les fêtes. Elle plaint son mari qui l'aime. Elle a peur surtout qu'il ne veuille pas divorcer.

Elle sait qu’elle est devant une période difficile.

C'est étrange, mais je l'ai bien comprise et j'étais d'accord avec elle. Je l’enviais même. J'aurais voulu être à sa place. Pourtant, jugé de l'extérieur, c'est moche : le mari est soldat, elle se sépare de lui difficilement pour quelques jours (c’était ainsi), et une semaine après elle tombe amoureuse d'un autre, elle passe toute son temps ivre de l’Autre. Et davantage. En plus, elle vit avec son mari pendant sa journée libre, ensuite elle écrit aux deux...

Mais la vérité est autre d'après moi : elle vient de trouver le vrai. Celui qui lui est destiné pour toute sa vie. Le partenaire de sa vie. Le VRAI. Alors, rien ne compte plus. Elle doit tout faire pour rester avec Lui.

Pour le moment elle divorce. Puis, elle verra. Mais elle ne peut pas réfléchir longtemps, parce que le garçon n'habite pas à Bucarest et ils ne pourront se rencontrer que rarement - s'ils ne se marient pas vite. Sinon, ils vivront chacun avec d'autres. ça serait la fin. Parce que Marie y met du cœur, comme je le ferais aussi. Le plus sérieux est encore d’agir comme elle est décidée et divorcer ; ensuite se marier avec l'Autre.

Elle ira habiter là-bas, ou alors il viendra à Bucarest. Juliette, la première femme de George, était différente, une femme douillette, elle se plaignait tout le temps, elle a l'esprit vif, affûté comme un couteau, c’est une bonne femmelette, coquette, mais ils ne s'entendaient pas bien sexuellement non plus. La vie à la campagne était trop dure pour une fille gâtée comme elle. Je pourrais réfléchir, philosopher beaucoup sur ce que j’ai entendu ce soir et sur toutes les autres choses qu'elle m'a racontées.

Il se fait tard. Nous avons énormément parlé.

Nous avons classé les garçons, comme ceux de Bucarest et ceux de Kolozsvàr. Depuis lors, tout le groupe autour de Simon me paraît insignifiant. Même Stéphane. Tous. [Ils sont presque tous à l'Architecture comme Marie]. Nous avons conclu qu’un à un ils sont tous bien, mais ensemble... ils ne valent pas grand-chose. Lonci est intelligent mais paresseux, Grigore est un enfant de 21 ans, Stefan joli mais c’est tout, Tucu est intéressant et sportif, mais il ment en disant qu'il est déjà ingénieur, il est seulement en dernière année, Marcel est fin mais paresseux à l’étude, Mircea a de bonnes manières mais imbu. Donc, un à un ils ne sont pas si mal que ça, mais ensemble ! Je vais sortir encore un peu avec eux, puis je chercherai autre chose.

Je suis restée longtemps seule après avoir rompu avec Bert, j’ai appris à ne pas partir avant d’en avoir un autre. Les garçons courent seulement après les filles qui ne sont pas seules, hélas. Mais plus tard, je dois chercher ailleurs. Peut-être partir à Kolozsvàr après avoir reçu mon diplôme comme me le suggère Marie ? Que faire ?

J'ai des frissons, bonne nuit !

Aucun commentaire: