L'informatique dans ma vie

Je suis arrivée en France avec un diplôme d’ingénieur chimiste presque terminé... presque, et sans parler bien la langue française. Après plusieurs années et deux enfants, après une amère désillusion dans la fidélité de mon mari, je me suis inscrite à l’Alliance Française. J’en ai fait presque deux ans mais je n’ai pas pu finir, non plus.

J’avais trente-sept ans.

Pour m’arracher à mes souvenirs amers qui tournaient rond dans ma tête, j’ai commencé à lire des mathématiques modernes. Au moins, je pourrais ainsi aider ma fille, me tenir au courant, dans le vent.

Dans une de ces bouquins j’ai lu le mot étrange et appétissant « informatique ». Qu’est-ce ? Cela me paraissait magique, cela m’attirait, Dieu sait pourquoi. Je me suis acheté une livre d’auto-apprentissage. J’ai appris sur les nombres binaires, sur l’assembleur, j’ai appris surtout que je ne sais rien mais que c’est intéressant. Je me suis pris au jeu. Que faire ?

J’ai lu dans une revue sur une école aidant à passer le CAP d’Informatique tout en travaillant pour un prix abordable. J’avais mes enfants et mon travail, peu d’argent mais beaucoup de chagrin. Étudier, me plonger dans quelque chose de passionnant pourrait m’en sortir, me suis-je dit, pour me justifier de ce plaisir naissant et secret qui bourgeonnait déjà en moi.

– Tu ne pourrais jamais ! me dit d’un ton bourru mon mari. En français, ici ? Même l’Alliance Française tu n’as pas fini. Recommencer à étudier après quinze ans d’arrêt, c’est ridicule.

– Cela ne coûte pas cher et tu sais que pour aider Maria que je n’ai pas fini...

– De l’argent jeté par la fenêtre, du temps perdu.

– Toi, tu fumes...

Je n’ai pas ajouté : « et tu bois, tu cours les femmes », s’était inutile et cela aura sauté dans ma figure. Sans rien dire de plus je me suis inscrit au CRED. Qu’est-ce que c’est le CAP je ne savais pas, je ne comprenais pas, mais qu’importe. J’apprendrai plus sur l’informatique, je verrai si je peux encore passer des examens ou si s’était fini comme il me le annonçait.

L'informatique était fascinante, encore plus que je le croyais, mais il fallait passer aussi l’arithmétique et français. A ce niveau, le math ne me faisait pas peur mais le français ? On verra toujours. Ne peut réussir qui n’essaye pas.

A la maison s'était impossible, mon mari me trouva toujours quelque chose d'autre à faire, puis mes enfants avaient besoin de moi. Heureusement, je travaillais à l’époque dans une pièce toute seule comme laborantine et étant sur-qualifié je réussissais à m’organiser à terminer mon travail en quelques heures, il me restait du temps pour étudier.

J’avais vu juste. Me préparer me pris tout mon temps, toute mon énergie et l’informatique réussit à repousser au loin mon chagrin. Déjà la première réussite ! Comme il me plaisait, j’ai lu des livres supplémentaires de ceux recommandés, heureusement, sinon je n’aurai réussi à passer l’examen. J’ai eu aussi de la chance avec le français, on ne nous demanda qu’à résumer, avec les mêmes mots, un text. Nous étions 3000 inscrits, combien se sont présentés à l’examen ? Plusieurs centaines. Trente-huit ont réussi, j’étais la trente-septième. Bien, fantastique !

Je sais encore étudier ! Après toutes ces années, je n’ai pas oublié comment passer un examen, même en France, même en français. Jamais de ma vie je n’ai pas été si heureuse d’un diplôme que de celui-ci. Ni avant, ni après. Ce diplôme a plus compté pour moi que tous les autres, il m’a signalé que ma vie n’est pas fini, il m’a signalé qu’il y a encore de l’espoir.

L’espoir à reprendre mes études que j’ai été empêché à finir dans ma jeunesse, l’espoir de me créer une nouvelle vie en France. J’ai décidé à continuer.

Mon mari la prit très mal.

– Tu es une éternelle étudiante, me dit-il en persiflant et fonçant son nez

– Mais je travaille en même temps

– A quoi servent tous ses études ?

– Au bout, je pourrai gagner plus...

Je n’ai pas ajouté à voix haute « puis c’est intéressant ».

J’ai essayé faire une DEA d’Informatique à la Faculté Pierre Marie Curie, chez un certain Suchard, réputé le seul professeur enseignant aussi la pratique. Il a dit :

– Vous n’y êtes pas assez préparé.

Bon, je me préparerai, je verrai.

Pour couper l’histoire court, j’ai réussi à finir mes études de chimie commencée des années plus tôt, j’ai aussi réussi à divorcer puis m’éloigner de tout. En emportant mes enfants avec moi. Là-bas, à Washington, loin de ma vie ancienne, j’ai eu l’occasion enfin d’Utiliser les ordinateurs, de pratiquer l’informatique.

– A quoi sert-il, tu es chimiste ? me demanda mon chef

– Je pourrais vous faire une autobiographie et modifier vos articles.

C’était passionnant, il y avait tant à découvrir. Lentement je me suis rendu compte même si je n’osais pas encore à m’avouer franchement que les ordinateurs me passionnaient plus que mes éprouvettes, l’informatique plus que la chimie. Ai-je fait tant des années de chimie pour rien ?

J’avais quarante-sept ans quand j’ai du retourner en France et chercher du travail.

Je vais chez la secrétaire de direction de l’Institut où je travaillais avant mon départ et elle me répond :

– Vous avez trop de diplômes, vous êtes trop âgé, vous êtes femmes et par dessus de tout pas né en France. Vous n’allez plus trouver de travail...

Il fallait que j’en trouve. Chaque jour je visitais un autre office de placement jusque l’un d’eux, en m’écoutant énumérer ce que j’avais fait me dit :

– Tu sais enseigner l’informatique ?

– Pour les débutants, oui. Traitement de texte et programmation débutant.

– Nous avons une demande pour ça en attente, voulez-vous les voir ?

– Aujourd’hui ? Demain matin ?

– Je vous annonce pour demain matin.

C’est ainsi que ma vie changea de nouveau.

J’ai laissé sans regrets la chimie derrière moi pour toujours et j’ai mordu dans la pomme, dans l’informatique. J’ai enseigné, j’ai conseillé puis j’ai acheté et j’ai vendu, j’ai importé et j’ai traduit, j’ai étudié et j’ai écrit, j’ai exposé un peu partout.

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