9 janvier 1982, Paris, Montmartre

Notre vieux meuble de famille, le secrétaire de mon arrière grand-mère est enfin arrivé ! Il me caresse, me sourit, me tranquillise et m'aime. Á travers ce meuble antique, mon arrière-grand-mère, grand-mère et maman me parlent. Jusqu’à maintenant, je n’ai jamais su que les objets pouvaient parler, irradier de la chaleur. C’est aussi possible que ce soit seulement le miroir de mes sentiments, mais je le ressens comme si le secrétaire me caressait, me souriait !

Combien de temps j’ai lutté pour l’avoir ! Et je viens de retrouver une lettre de maman écrite à sa sœur en décrivant combien de temps elle a dû lutter avec papa qui voulait le vendre. Nous voulions juste avoir ce secrétaire antique, notre héritage, non pas l’argent, parce qu'il a vu nos vies, nous a vues grandir, a vu nos joies et nos peines, notre travail et notre danse, il fait partie de nous.

En le regardant je lui souris au plus profond de moi et je ne me sens plus la même femme que ce matin. On m’a rendu une partie de mon origine, de ma jeunesse, de mes souvenirs, la continuité. Pour quelqu’un d’autre c’est seulement un vieux secrétaire baroque, pour moi c’est moi, c’est nous. Plus. Ce meuble représente pour moi davantage ma mère que ses cendres.

Autour de lui, j’établirai un nouvel ordre, je construirai un appartement différent et peut-être aussi une autre vie. Je le sens. J’ai déjà réarrangé cette pièce et je ne m’arrêterai pas tant qu’il n’y aura pas d’harmonie autour de lui, avec lui.

Le secrétaire antique n’est plus déjà à moi, je l’ai offert à ma fille qui le passera plus tard à sa fille - j’espère, sinon à la fille qui devrait la passer à la sienne.

J’ai offert à Lionel le tapis persan, bien sûr c’est différent, mais mon fils, lui-même, est un merveilleux mélange de cultures et d’héritage. Aujourd’hui, à seize ans juste, il est un être humain superbe, remarquable extérieurement et intérieurement. Agnès vient d’avoir vingt ans, elle est plus développée que moi à cet âge et aussi plus mûre - elle a même commencé à prendre soin de moi.

Il y a vingt-deux ans que j'ai été séparée de ce secrétaire antique. Comme si c'était hier. Comme si toute ma vie - adulte - s’était mal passée sans lui, et comme s'il m'assurait que dorénavant tout irait bien ! Je me sens merveilleusement heureuse et apaisée. Tranquille.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Certains objets soi-disant inanimés représentent plus pour nous, sont plus "vivants" pour nous, à cause de ce qu'ils ont vécus avant et avec nous, que bien des "personnes".
Pour moi, ce sont deux étagère d'angle, parvenues jusqu'à moi depuis l'Algérie au travers des temps, et une statuette Baoulé (africaine aussi), que j'ai toujours connue sur le bureau de mon père, jusqu'à ce qu'il me la laisse, en partant pour le grand Ailleurs.
Merci aussi, Julie, pour ce côté-là de vous...

Julie Kertesz - me - moi - jk a dit…

Je vous remercie, Agnes d'avoir laissé une commentaire et me faire sentir que ce que j'ai écrit touche une corde dans quelqu'un.

Ces derniers temps, j'avais impression de publier pour l'air et j'étais un peu triste (malgré les statistiques qui disent autre chose)