29 avril 1961

Cher Sandou,

Je suis seule au centre de Tel-Aviv dans le logement de tante Hanna. Il est 11h et depuis un quart d’heure je suis en train de chercher du papier sur lequel je pourrais t’écrire.

Voilà, j’ai enfin trouvé. Depuis 13 jours je n’ai aucune nouvelle de toi, même pas une carte postale. Même à moi, il m’arrive de passer 3-4 journées sans t’écrire, mais pas plus.

Depuis plusieurs nuits, et même l’après-midi si je dors, je rêve de toi, j’essaie de te rencontrer et je ne réussis jamais. Si au moins je pouvais être avec toi dans mon rêve! Mais je ne réussis pas. Cet après-midi, par exemple, j’ai rêvé qu’après t’avoir attendu en vain tu n’es pas arrivé, j’ai décidé de t’écrire un mot et d’aller chez toi, le mettre sous la porte, de faire le premier pas.

Dommage que nous soyons loin, on ne peut même pas se parler de temps en temps. Mais je me décide très difficilement à faire un nouveau voyage en avion, et en plus, la vie est plus agréable ici, plus ordonnée, je me sens plus “à la maison”. Il s’agit de rester éventuellement de façon définitive ici. C’est un problème très grave, beaucoup est pour, beaucoup contre, je ne veux pas décider sans mon mari, on verra lorsque nous serons ensemble. Avec le temps qui passe, je me rends de plus en plus compte, de ce que signifie être séparé de sa famille, de tout ce à quoi tu es habitué, de ta langue maternelle, etc.

C’est beaucoup plus sérieux et plus grave que je me le suis imaginé. C'est difficile et partout il faut beaucoup lutter pour vivre. Mon amour, tu sais que si tu changes d’avis, si malgré la possibilité de pouvoir partir tu ne le veux plus, moi je resterai toujours avec toi et je me séparerai de mon père. Déjà ainsi, c’est difficile - mais rien n’est impossible.

Si tu savais combien je me tourmente tout le temps. Et, comme je te désire, chaque jour mon envie de toi croit encore. La distance agrandit mon amour. Mais je ne veux pas te savoir abattu à cause de moi! Moi, souvent je suis même gaie, je me sens bien - ceci ne veut pas dire que je t’oublie - et je voudrais beaucoup que tu fasses de même.

Ta sœur m’a écrit, qu’elle ne t’a pas vu rire depuis que je suis partie. Je n’aime pas du tout entendre cela. S’il te plaît ne lui dis pas ce que je viens de t’écrire. Comment t’es-tu habitué à ton nouveau travail? Comment fonctionne ta mobylette? J’espère qu'il ne t’est rien arrivé, les lettres sont seulement en retard, car pendant un certain temps tu ne savais pas où m’écrire.

Ici en avril, le temps est comme en juin à Bucarest, les nuits sont fraîches, la journée plus chaude. Je mange beaucoup de poulet, ici c’est la viande la moins chère, puis du porc et le plus cher c'est le bœuf. Il y a beaucoup de fraises, des petites pommes vertes, de magnifiques oranges, des bananes et en mai on aura déjà du raisin et des abricots.

J'habite chez grand-mère à Givataim, une petite ville reliée et à 16 ou 30 minutes du centre de Tel-Aviv, selon le moyen de transport (voiture ou bus.) Avec le temps qui passe, je me sens beaucoup mieux, je me sens mal de plus en plus rarement et pour des périodes plus courtes et en plus, je vis plus calmement ici.

Je t’embrasse (et je te mordrais) encore plus de fois, avec amour, Julie

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